Ces poèmes sont extraits du recueil « L’Iris sauvage » paru chez Gallimard dans la collection Du Monde entier, en édition bilingue, qui permet d’apprécier la traduction de Marie Olivier.
Note sur Louise Glück :
Louise Glück (née en avril 1943) est une poète américaine active à partir de la fin des années 60. Primée à plusieurs reprises, elle obtient le Prix Nobel de Littérature en 2020 pour l’ensemble de son œuvre poétique. Elle est professeur d’Université à Yale et à Stanford. Son recueil « L’Iris sauvage » est initialement paru en 1992 aux Etats-Unis et a reçu le prix Pulitzer. Il est à remarquer que l’œuvre de Louise Glück n’était pas traduite en français ni disponible chez aucun éditeur français jusqu’à l’obtention de son Prix Nobel.
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Page 27 :
Matines
Le soleil brille ; près de la boîte aux lettres, les feuilles du bouleau pliées, plissées comme des nageoires. En dessous, les tiges creuses des jonquilles blanches, Ailes de glace, Cantatrices ; les feuilles sombres de la violette sauvage. Selon Noah, les dépressifs détestent le printemps, déséquilibre entre les mondes intérieur et extérieur. Je plaide différemment – être dépressive, certes, mais en un sens, attachée avec passion au tronc vivant, mon corps bien enroulé dans le tronc fendu, presque en paix dans la pluie du soir presque capable de sentir écumer et s’élever la sève : selon Noah, c’est une faute typique des dépressifs, s’identifier à un arbre alors que les cœurs joyeux virevoltent dans le jardin telles des feuilles mortes, image d’une partie, pas d’un tout.
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Page 47:
Matines
Pardonne-moi si je te dis que je t’aime : on ment toujours aux puissants car les faibles sont toujours mus par l’affolement. Je ne peux aimer ce que je ne peux concevoir et toi, tu n’offres presque rien : es-tu comme l’aubépine, toujours là, similaire, au même endroit, ou serais-tu plutôt comme la digitale, inconstante, poussant d’abord, pointe rose sur la pente derrière les marguerites, et l’année suivante, violette dans la roseraie ? Comprends que c’est inutile pour nous, ce silence exhortant à la croyance que tu dois être toute chose, la digitale comme l’aubépine, la rose vulnérable comme la résistante marguerite – il ne nous reste plus qu’à penser qu’il était impossible que tu existes. Est-ce là ce que tu nous incites à croire ? Cela explique-t-il le silence du matin, l’instant précédant le frottement des ailes des criquets, l’instant précédant le combat de chats dans la cour ?
Ces quatre poèmes sont extraits du recueil Ce n’est que moi, publié par les éditions Gros Textes en 2020.
Voici une présentation de Christophe Jubien par lui-même :
Né en 1964 à Thouars dans les Deux-Sèvres, je vis à Chartres depuis 2000. Je bricole des émissions dans une petite radio d’intérêt local. Il y a 22 ans, en toute impunité, je me suis mis à l’école buissonnière de la poésie, grâce à la rencontre du merveilleux poète Serge Wellens. J’aime la cétoine dorée, André Dhôtel, et les Récits du pèlerin russe…
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D’un rêve l’autre
Le geste que j’ai fait la nuit dernière tant semblait vrai mon rêve d’arracher une feuille à un arbre de la froisser entre mes mains je viens de le refaire ici-même en plein jour C’est qu’on n’est toujours pas bien sûr qu’ils ne soient pas du même bois l’arbre du rêve et l’arbre de la vie.
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Quelque Chose
Un caillou rond mon poing se referme sur lui.
Enfin l’impression de tenir quelque chose !
Mais trop de brouillard encore entre moi et moi
pour l’entendre me murmurer son nom.
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Corps-Cœur-Esprit
Je les connais sans les connaître
le caillou rond le caillou plat sur mon bureau depuis deux ans
le caillou plat en forme de cœur le caillou rond fait pour la paume
à présent il m’en faut un troisième qui mette le feu à mon esprit.
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Ce n’est que moi
Au lieu d’être un poète célèbre je rentre à pied chez moi il fait nuit noire et cette patte malade qui traîne derrière moi c’est l’âge.
Ce livre de Thomas Bernhard m’a été offert par mon ami le poète Denis Hamel et j’ai choisi de le chroniquer pour le défi des Feuilles Allemandes de Patrice et Eva du blog « Et si on bouquinait un peu » et de Fabienne du blog « Livr’escapades » en ce mois de novembre 2021.
Thomas Bernhard (1931-1989) est un écrivain et dramaturge autrichien, né aux Pays-Bas, il passe son enfance à Salzbourg auprès de son grand-père pendant toute la période nazie. Il souffre dès son enfance de la grave maladie pulmonaire qui finira par l’emporter. Il étudie la musique et exerce quelques temps le métier de journaliste. Ses premiers romans remportent un grand succès, de même que son théâtre. Très critique, pour ne pas dire haineux, vis-à-vis de son propre pays et volontiers provocateur, ses œuvres et ses discours ont souvent fait scandale en Autriche. Malgré tout, Thomas Bernhard a continué à y vivre jusqu’à sa mort.
Présentation du Livre :
Nous assistons dans ce livre au long monologue intérieur d’un écrivain autrichien particulièrement haineux, rancunier et acariâtre, âgé d’une cinquantaine d’années, au cours de sa visite chez le couple Auersberger, lors d’un « dîner artistique » où l’on attend pendant deux heures un vieux comédien du Burgtheater en l’honneur duquel ce dîner est donné. Ce monologue intérieur, très obsessionnel et répétitif, nous permet de mieux comprendre les relations du narrateur-écrivain avec le cercle amical des Auersberger, des gens avec qui il avait coupé les ponts depuis trente ans et qu’il trouve absolument exécrables et insupportables. Le comédien si longuement attendu arrivera finalement à ce diner artistique après minuit, ce qui sera l’occasion de passer à table, mais les réactions des uns et des autres ne seront pas celles que l’on pouvait prévoir et l’ambiance va se gâter encore davantage. (…)
Mon humble Avis :
Je n’ai pas été trop surprise par le style de l’auteur car j’avais déjà lu de lui quelques romans, comme « Oui » et « Le Naufragé » mais je suppose qu’un lecteur découvrant Thomas Bernhard avec ce livre serait un peu déconcerté par ce style répétitif, plein d’exagérations, bourré d’adverbes, et par l’omniprésence de l’incroyable et inénarrable « fauteuil à oreilles » qui doit apparaître au moins deux cents fois dans les cent premières pages. Malgré tout, cette écriture a quelque chose de fascinant, d’hypnotique, et on a du mal à lâcher en cours de route ce monologue énergique et plein de verve ! On se demande au cours des premières pages si le narrateur est dérangé mentalement. Mais non : il est seulement animé par une colère et une rage débordantes. Il a l’impression de s’être fait avoir en acceptant ce diner artistique chez un couple d’anciens amis qu’il ne peut plus supporter, pas plus qu’il ne peut supporter les autres invités de ce diner ni les artistes autrichiens les plus en vue de ce pays. Plus encore : il s’en veut à lui-même et ne cesse de s’accabler de reproches. Un personnage pourtant semble échapper à sa misanthropie généralisée : Joana, une de ses amies, artiste elle aussi, qui avait beaucoup de talent et qui ne s’est jamais compromise avec l’art officiel ou les instances culturelles gouvernementales. Dégoût du monde culturel, horreur des prétentions artistiques, des honneurs et des décorations distribuées aux artistes par l’Etat autrichien de manière totalement injuste et arbitraire, sont autant de thèmes récurrents d’un bout à l’autre de ce livre. Mais ce roman sombre a aussi ses zones lumineuses et ses élans vers l’espérance. Un livre que j’ai plutôt aimé et qui ne peut laisser aucun lecteur indifférent !
Un Extrait page 104 :
Qu’est-ce que je fais dans cette société avec laquelle je n’ai plus été en contact depuis vingt ans, et avec laquelle, depuis vingt ans, je n’ai d’ailleurs pas voulu avoir le moindre contact, et qui a suivi son chemin comme j’ai suivi le mien ? me dis-je dans le fauteuil à oreilles. Que diable suis-je venu faire dans la Gentzgasse ? me demandai-je, et je me dis que j’avais cédé à un sentimentalisme momentané, au Graben, et que je n’aurais jamais dû céder à un sentimentalisme aussi répugnant. J’ai eu un moment de faiblesse au Graben, et je me suis abaissé à accepter l’invitation de ces époux Auersberger que je méprise et hais finalement depuis tant d’années déjà, me dis-je dans le fauteuil à oreilles. Nous devenons et nous nous montrons momentanément ignoblement sentimentaux, me dis-je dans le fauteuil à oreilles, nous commettons le crime de bêtise en allant là où nous n’aurions jamais dû aller, en allant même chez des gens que nous méprisons et haïssons, pensai-je dans le fauteuil à oreilles, je vais effectivement dans la Gentzgasse, ce qui est incontestablement, venant de moi, non seulement une bêtise mais une véritable infâmie. Nous devenons faibles et nous tombons dans le piège, dans le piège social, pensai-je dans le fauteuil à oreilles, car cet appartement de la Gentzgasse n’est actuellement pour moi rien d’autre qu’un piège social dans lequel je suis tombé. (…)
La revue poétique trimestrielle WAM (« revue d’Arépoézi » précise malicieusement le sous-titre), dirigée par le poète Robert Roman, a fait paraître en septembre 2021 son troisième numéro. Comme j’aime bien cette revue et que je trouve ses choix de textes et d’illustrations toujours brillants et stimulants pour l’esprit, je vous propose la lecture de quelques poèmes choisis, que j’ai pu trouver tantôt drôles tantôt émouvants et toujours très agréables à découvrir.
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poème de saison (mais laquelle ?)
l’automne est la saison préférée … pour ceux qui préfèrent l’automne comme saison préférée … moi je préfère l’automne comme saison … il y en a quatre … je les ai appris par coeur … automne numéro un automne numéro deux automne numéro trois automne numéro quatre
c’est un peu comme les trois mousquetaires
AL ZIMMER
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IL Y A ENCORE DE L’AMOUR
ce n’est pas parce que personne ne refait le lit que le lit cesse d’être lit ce n’est pas parce que personne ne se prend dans les bras que les bras tombent et quand bien même les bras ballants sont les bras ce n’est pas parce qu’on ne s’adresse plus au coeur que le cœur ne bat plus il y a encore de l’amour ce n’est pas parce que les moutons sous le lit ne bêlent pas qu’ils n’y sont pas ce n’est pas parce que les bras brassent de l’air pour chercher quelque chose à étreindre que tu n’y es pas qu’ils ne prennent pas le téléphone pour te demander où tu es la route pour te rejoindre qu’ils ne sont pas tout autour de qui tu es ce n’est pas que je me laisse aller c’est que je laisse vivre tout ce qui porte l’amour en lui les traces sur le miroir de la salle de bain refont le portrait du monde ça me va j’ai fait couler les larmes pour le petit déjeuner elles sont encore chaudes j’ai du sucre roux du miel de montagne ou du comté si tu préfères ça me va si tu viens (…)
MYRIAM OH
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Interprétation
Au loin, un corbeau croasse. Il doit avoir eu vent – qui souffle en ce moment, cependant que la fumée de ma clope se mêle au ciel, à mon brouillard pensif – il doit avoir eu vent qu’aujourd’hui est un jour particulier pour moi : celui qui a vu ma naissance, il y a de ça déjà une bonne jonchée de joies et peines entassées dans mon crâne. Et aujourd’hui qui est donc pour moi à marquer au fer roux d’un nouvel automne, il me plait stupidement de croire que cet oiseau, à son insu, vienne me célébrer et témoigner, par son cri fugitif, de ma présence au monde
encore.
MORGAN RIET
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Vous pouvez vous abonner à la revue WAM pour seulement 38 euros par an. Contact de la revue par mail : wam.arepoezi@gmail.com ou bien par la poste : Robert Roman 7 rue des Gardénias 31100 TOULOUSE
J’ai écrit ces poèmes au printemps et été 2021. Merci de ne pas les diffuser sans mon autorisation.
transilien, intérieur du train
Eloge de la SNCF
Rouler en transilien dans la campagne rase, Voir filer les hameaux tagués et les terrains Vagues, ce n’est pas très folichon, à la base. Un genre de torpeur fadasse vous étreint.
De gare en gare, nous roulions dans cet écrin D’ennui morose, quand j’entendis cette phrase, Dite sur un ton simple, aimable et sans emphase : « Prenez garde à la marche en descendant du train ! »
Que la SNCF parle en alexandrin Au pauvre banlieusard que son train-train écrase, Cela aurait de quoi me mener à l’extase (Est-ce excessif ? Un brin ? Sans frein ? Ou a tout crin ?)
Maintenant, chaque fois que j’ai l’esprit chagrin, Je pense à cette phrase audacieuse et courtoise Qui me sied ! Pour un peu, je me croirais en phase Avec ce monde ultra-néo-contemporain.
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Eloge de la Bêtise
Je suis bête mais c’est à moitié fait exprès Et je n’ai de l’esprit que par inadvertance Mais j’en ai d’autant plus que j’entre dans la danse De plus crétins que moi (à ce qu’il me parait).
Les intellos pédants qui tiennent toujours prêt Un fumeux paradoxe empreint d’intelligence, Je leur sors aussitôt une plate évidence, Digne de Lapalisse – ils en sont pour leurs frais !
Par l’électrique essor de leurs brillants neurones Ils croient pouvoir prétendre aux merveilleuses zones De tranquille bonheur où ma stupidité
Me mène sans effort ni qualité majeure. Ils sont trop malins pour voir cette vérité : La raison du plus bête est toujours la meilleure !
Dans le cadre des Feuilles allemandes organisées par Patrice et Eva du blog « Si on bouquinait un peu » et de Fabienne du blog « Livr’Escapades« , je vous propose une chronique sur la Convocation d’Herta Müller.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite notice biographique sur Herta Müller s’impose :
Née en 1953 en Roumanie, dans une famille qui appartient à la minorité germanophone du pays, elle étudie les littératures allemande et roumaine. Ayant à subir la censure en Roumanie, et mal vue par la dictature de Ceaucescu, elle émigre en Allemagne en 1987. Son œuvre romanesque dénonce les violences et les injustices contre les plus faibles et les crimes des régimes dictatoriaux, avec un style réputé pour sa remarquable poésie et sa beauté un peu sèche. En Allemagne, Müller est considérée comme une écrivaine de « World Littérature », « Littérature Mondiale ». Elle obtient le Prix Nobel de Littérature en 2009, devenant ainsi la douzième femme à recevoir cette distinction et le troisième écrivain de langue allemande, après Elfriede Jelinek et Günter Grass.
Note pratique sur le livre :
Première publication en Allemagne : 1997 Editeur : Folio Traduit de l’allemand par Claire de Oliveira Nombre de pages : 263.
Quatrième de Couverture :
« Je m’arrêtai en titubant, les jambes en coton, les mains lourdes. J’étais brûlante et gelée en même temps, je n’avais pas couru loin du tout, juste un bout de chemin, c’était seulement vers l’intérieur que j’avais parcouru la moitié de la terre. »
Roumanie, à la fin des années Ceausescu. Surprise en train d’envoyer un message vers l’Ouest, la narratrice est convoquée dans les bureaux de la Securitate. Jour après jour, les interrogatoires se succèdent, aussi absurdes qu’inquiétants. Où puiser la force de résister ? Auprès d’un mari qui boit pour se donner du courage ? Dans le souvenir de Lily, morte sous les balles ? Pour échapper à la folie paranoïaque, elle prend une décision. Demain, elle ne se rendra pas à la convocation…
Mon Humble Avis :
J’ai eu beaucoup de mal à avancer dans la lecture de ce roman car je me suis passablement ennuyée – un ennui de plus en plus envahissant au fur et à mesure que j’approchais de la fin. Pourquoi me suis-je autant ennuyée ? Je vais tenter de l’expliquer. Déjà, les personnages n’ont aucun trait de caractère ou qualité susceptibles de titiller la curiosité du lecteur ou, seulement, d’accrocher son attention : aucun n’est vraiment sympathique, certains sont antipathiques mais ils restent épisodiques, la psychologie des uns et des autres n’est absolument pas creusée, je les ai ressentis comme des vagues pantins, et surtout l’héroïne-narratrice dont les motivations sont bien difficiles à comprendre. Ce que l’on comprend, c’est que cette héroïne et son amie Lilli sont prêtes à tout pour fuir à l’Ouest et échapper à la dictature mais leurs tentatives ne sont pas du tout réfléchies, ce sont des espèces d’élans impulsifs, improvisés, maladroits, et forcément voués à l’échec.
Une autre raison de mon ennui : l’importance excessive accordée à des petits détails qui ne jouent aucun rôle dans l’histoire et dont on se fiche complètement. Par exemple, une page entière est accordée à la description d’une dame qui mange des cerises dans le tramway tandis que la mort de l’un des personnages principaux ne prend que quelques lignes. Sans doute, la cerise possède une connotation révolutionnaire avérée (les cerises de la Commune) mais je ne suis pas certaine que l’écrivaine ait vraiment recherché ce symbolisme allusif et, même si c’est le cas, je ne vois pas ce que ça apporte. En tout cas, on est noyé sous des informations d’apparence futile, superflue, et on se demande leur raison d’être racontées et développées.
Troisième raison de mon ennui : On n’a pas l’impression de progresser dans un roman structuré, il n’y a pas de développement à partir d’une situation de départ clairement définie. Tout est déstructuré, sans chronologie. L’autrice raconte les choses pêle-mêle, comme une espèce de méli-mélo d’événements tous en vrac.
Je veux bien croire que ces éléments qui m’ont tellement ennuyée constituent précisément tout l’intérêt et toute la savoureuse originalité de La Convocation d’Herta Müller mais il faut croire que je suis réfractaire à la littérature excessivement audacieuse et/ou expérimentale.
J’ai cependant apprécié l’écriture très poétique d’Herta Müller, chaque phrase est ciselée d’une manière artistique, avec une recherche d’étrangeté, de beauté insolite. Elle sait parfaitement jongler avec le langage ! Mais, au bout d’un certain temps, la beauté de son style n’a plus suffi à me captiver. Et il m’a même semblé à un moment que la multiplication un peu artificielle des tours de force stylistiques finissaient par nuire à la narration, en nous perdant dans trop de digressions !
Mon jugement a peut-être l’air trop dur – surtout vis-à-vis d’une lauréate du Prix Nobel au talent mondialement reconnu – mais je préfère dire sincèrement mon avis, ce qui n’enlève, bien sûr, rien au talent très respectable de cette écrivaine et à l’importance de son œuvre.
Un Extrait page 231
J’aimerais bien savoir combien de gens ont déjà été convoqués dans notre immeuble et les magasins d’en bas, à l’usine et dans la ville entière. Car enfin il doit tous les jours se passer quelque chose chez Albu, derrière chaque porte du couloir. L’homme à la serviette qui s’est précipité pour acheter de l’aspirine, je ne le vois pas dans la voiture. Peut-être a-t-il raté le tramway ou l’a-t-il trouvé trop bondé. S’il a le temps, il peut attendre le suivant. Une femme s’est assise à côté de moi, son postérieur est plus large que le siège, d’autant qu’elle a les jambes écartées et un cabas entre elles. Sa cuisse frotte contre la mienne, la femme fouille dans le cabas et en tire un cornet de papier journal plein de cloques rouges et ramollies. Elle se prend une poignée de cerises dans le cornet, tiens, des cerises justement. Elle crache les noyaux dans son autre main. Elle ne prend pas son temps, ne les suce pas soigneusement, il reste de la chair sur tous les noyaux. Qu’a-t-elle à se presser ainsi, personne ne va lui manger sa part de cerises, après tout. A-t-elle déjà été convoquée ou le sera-t-elle un jour ?
Cet ensemble de poèmes, intitulé « L’été n’est pas dans le jardin » est paru en septembre 2021 dans le numéro 186 de la revue Verso et j’ai trouvé ces textes magnifiques, à la fois simples et sobres dans leur écriture et chargés de beaucoup de sensations et d’émotions. Une grande réussite !
Note sur la poète
Valérie Canat de Chizy est née en 1974. Elle vit et travaille à Lyon. Elle a publié de nombreux recueils poétiques et collabore a plusieurs revues.
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je traverse la ville au clair soleil de mars entre deux averses je marche sur ma gauche la basilique de Fourvière sur sa colline voilà bien longtemps que je ne me suis pas recueillie sur la tombe de mon père même si les parcelles de moi se mélangent à la terre où je voudrais faire germer quelques pousses pour lui fraises des bois muguet avec quelques abeilles.
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le silence j’ai choisi de pactiser avec lui le retourner à mon avantage en faire une enveloppe douce et translucide à l’intérieur de la bulle le temps passe au ralenti les pages des livres se tournent les voyelles s’élèvent en apesanteur le chat est le gardien du temple il se déplace le long des meubles dépose son regard clair sur la surface des choses
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c’est si peu d’être soi le cœur se pare d’un arc-en-ciel de couleurs les flamants roses ont les pattes dans l’eau et moi je m’immerge jusqu’à la surface des bulles se forment comme des mots qui n’existent pas parce que tout est imagé
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Je suis au-delà de toute contingence appliquée à vivre sur la pointe des pieds sans faire de bruit j’étais dans un lieu suspendu dans le temps j’ai marché sur une vipère dans l’herbe jaunie elle a zigzagué me laissant faire de petits sauts de peur le long des remparts la vue surplombait le bleu roi du fleuve
« Quand vous prenez une fleur dans votre main et que vous l’observez vraiment, elle devient votre monde pour un instant. Ce monde, je voulais le donner à quelqu’un d’autre. » Georgia O’Keeffe.
Oriental Poppies, 1927
white birch, 1925
Lake George Autumn, 1922
Yellow and Pink
« la peinture réaliste n’est jamais bonne si elle n’est pas réussie d’un point de vue abstrait. » Georgia O’Keeffe.
Nature forms
Tour du Shelton Hotel, 1926
« Je n’avais jamais habité un étage aussi élevé auparavant, et cela m’a tellement enthousiasmée que je me suis mise à parler de peindre New York. Bien sûr, on m’a dit que c’était impossible – même les gars ne s’en étaient pas très bien sortis. Depuis mon adolescence on me disait que j’avais des idées absurdes donc j’étais habituée, et j’ai poursuivi mon idée de peindre New York. » Georgia O’Keeffe
Courte Biographie :
Georgia O’Keeffe, née le 15 novembre 1887 et morte le 6 mars 1986 à Santa Fe, est une des principales peintres américaines du 20ème siècle. Sa vocation pour la peinture se révèle dès son plus jeune âge. Après des études d’art, elle commence à enseigner la peinture et à exposer ses œuvres dès 1916 et a en 1917 sa première exposition personnelle. En 1924 elle épouse le photographe Stieglitz qui possède une galerie et l’aide dans sa carrière. Elle commence à s’intéresser à la culture indienne et à la région du Nouveau Mexique, où elle finira par s’installer et qui sera une source d’inspiration pour ses tableaux. A partir des années 1940, des expositions rétrospectives mettent ses œuvres à l’honneur. Elle meurt presque centenaire.
L’exposition Georgia O’Keeffe se tient actuellement à Paris, au Centre Pompidou, depuis le 8 septembre jusqu’au 6 décembre 2021.
J’ai lu ce livre dans le cadre des Feuilles allemandes de Patrice, Eva du blog « Et si on bouquinait un peu » et Fabienne du blog « Livr’Escapade » – un rendez-vous auquel je suis chaque année fidèle, comme vous l’avez sans doute remarqué si vous me suivez depuis un certain temps ! Robert Walser (1878-1956) est un écrivain suisse de langue allemande, auteur de romans comme Les Enfants Tanner, Le Commis ou l’Institut Benjamenta, mais aussi de courtes nouvelles ou recueils de textes en proses poétiques, comme Retour dans la neige, dont je parlerai ici. Salué de son vivant par les plus grands écrivains de l’époque (Brod, Kafka, Hesse, Zweig et Musil), il meurt le jour de Noël 1956 au cours d’une promenade dans la neige. (Note de l’éditeur en 4è de couverture)
Brève Présentation et Avis :
Ce recueil de proses se situe à mi chemin entre le genre de la nouvelle et celui de la poésie. Le plus souvent, l’auteur nous décrit des lieux – par exemple la ville de Berlin, ou un village, ou un coin de nature au bord d’un lac, etc. – et l’atmosphère qui les caractérise, de même que les émotions que ces paysages suscitent dans le cœur de l’auteur. Cet auteur semble donc être en perpétuelle promenade, comme un vagabond solitaire, qui s’émerveille devant les beautés de la nature ou s’étonne devant l’incessant va-et-vient d’une gare, ou s’afflige dans l’immensité anonyme d’une bruyante métropole. On sent que la ville lui fait un peu peur, même si elle l’attire, tandis que la campagne le plonge dans la joie, avec parfois des visions bucoliques de travaux des champs ou de paysans accueillants. Les émotions semblent avoir une énorme importance pour Walser, il nous fait souvent part de son extrême bonheur ou de son profond étonnement ou encore de son grand accablement et on perçoit la très forte sensibilité de l’auteur, on voit à quel point il est réceptif à son environnement, dans un esprit proche du romantisme allemand. Beaucoup de ces courtes proses sont comparables à des tableaux, avec des descriptions magnifiques, qui jouent autant sur l’aspect visuel des choses que sur les sentiments de l’auteur à leur égard. J’ai particulièrement aimé, parmi ces textes, les titres L’Incendie, La rue, Madame Scheer, et d’une manière générale les proses plutôt urbaines que campagnardes car elles me concernent plus. Un livre vraiment esthétique et émouvant, qui nous transporte de paysages en paysages et de panoramas en panoramas, comme une longue promenade littéraire.
Un Extrait Page 36 :
(…) Ma chambre et le salon et bureau de Madame Scheer étaient juxtaposés et souvent, à travers la mince paroi, j’entendais des sons que je ne pouvais m’expliquer sinon en pensant que quelqu’un pleurait. Les larmes d’une femme riche et avare ne sont certes pas moins regrettables et pitoyables et ne parlent pas un langage moins triste et touchant que les pleurs d’un enfant pauvre, d’une pauvre femme ou d’un pauvre homme ; dans les yeux d’une personne d’expérience, les larmes sont terribles, car elles sont la preuve d’un désarroi qu’on croit à peine possible. A première vue, on peut comprendre qu’un enfant pleure, mais quand dans leurs vieux jours, des personnes âgées sont poussées et acculées aux larmes, celui qui entend cela comprend toute la détresse et le caractère insoutenable du monde, et il lui vient la pensée accablante et oppressante que tout, tout ce qui se meut sur cette pauvre terre est faible, vacillant, sujet à l’incertitude ; proie de l’arbitraire et de la défiance de toutes choses. Non ! il n’est pas bon que l’homme pleure encore lorsqu’il est à un âge où il peut trouver merveilleusement bon de sécher les larmes d’un enfant.(…)
J’ai lu ce recueil de poésie dans le cadre des Feuilles allemandes de Patrice et Eva, du blog « Et si on bouquinait un peu » et de Fabienne du blog « Livr’escapades ». « Je compte les étoiles de mes mots », publié par les éditions suisses Héros-Limite en 2011, présente un choix de ses poèmes en version bilingue.
Note sur la poète :
Rose Ausländer, née le 11 mai 1901 à Czernowitz (Autriche-Hongrie ; actuelle Ukraine) et morte le 3 janvier 1988 à Düsseldorf (Allemagne), est une poétesse d’origine juive allemande. Tout au long de sa vie, elle dut immigrer à de nombreuses reprises (Etats-Unis, Roumanie, Allemagne) et réussit à échapper à la déportation par le régime nazi mais elle dut fuir aussi l’Armée rouge soviétique. Son premier recueil de poèmes, L’arc-en-ciel, parut en 1939. Elle fut amie de Paul Celan. Elle écrivit principalement en allemand et parfois en anglais.
Ses thèmes de prédilection sont, selon ses propres mots : « Tout – l’unique. Le cosmique, le regard critique sur l’époque, les paysages, les objets, les hommes, les états d’âme, la langue, tout peut être un sujet. » (Source principale : Wikipédia)
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Page 23
Lorsque tu es absent tout est aveugle
Je vois cette cécité à l’œil nu
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Page 29
Dans le rayon de mon amour pour l’univers je prie
Je m’épanouis et me fane dans ma prière
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Page 35
Vérité tu es irrésistible
Je te reconnais et te nomme bonheur
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Page 51
Je suis le sable du sablier et je m’écoule dans la vallée du temps qui m’étreint
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Page 55
Pénétrer la duplicité Pétrie de matière et d’esprit
Là il n’y a ni commencement ni fin
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Page 71
Qui suis-je quand les nuages pleurent : un hôte étranger sur une plage étrangère j’attends que le soleil m’aime à nouveau avec sa raison dorée