Des Poèmes d’Emily Dickinson

Couverture chez Flammarion

Dans le cadre de mon Mois Thématique sur les Etats-Unis, la poésie et la littérature américaines, je vous propose la lecture de quelques poèmes d’Emily Dickinson, choisis parmi ses Œuvres Complètes, publiées en 2020 chez Flammarion, et qui fait presque 1500 pages.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Flammarion
Edition Bilingue
Traduit de l’anglais par Françoise Delphy
Nombre de pages : 1467

Note de l’Editeur sur le Livre

Emily Dickinson (1830-1886) n’est pas seulement l’un des plus grands poètes américains : c’est aussi un personnage mythique. Toujours vêtue de blanc, cette femme mystérieuse, à l’âge de trente ans, se mura à jamais dans la demeure familiale d’Amherst, son village natal, en Nouvelle-Angleterre, et passa le reste de sa vie à contempler le monde depuis sa fenêtre. Lorsqu’un ami lui rendait visite, il lui arrivait même de refuser de sortir de sa chambre pour l’honorer de sa présence. Celle que ses proches surnommaient la «poétesse à demi fêlée» ou la «reine recluse» n’avait qu’une obsession : écrire – elle a laissé des milliers de lettres et de poèmes. Ironie de l’histoire : sur les deux mille poèmes ou presque que nous lui connaissons, six seulement furent publiés de son vivant. Les autres ne furent découverts qu’à sa mort.
L’œuvre poétique complète d’Emily Dickinson était jusqu’à présent inédite en France : cette traduction par Françoise Delphy, fondée sur l’édition définitive des poèmes de Dickinson publiée aux États-Unis en 1999, entend donner à découvrir au public français, en version intégrale et bilingue, la poésie de cet écrivain hors du commun.
(Source : Site de Flammarion)

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Page 437

« Pourquoi c’est Vous que j’aime », Monsieur ? 
Parce que –
Le Vent n’exige pas de l’Herbe 
Qu’ elle explique – Pourquoi quand Il passe 
Elle ne tient pas en Place. 

Car Il sait – et
Pas Vous –
Et pas Nous –
Il Nous suffit 
Que la Sagesse soit telle –

L’Éclair n’a jamais demandé à un Œil 
Pourquoi il se fermait – à Son passage –
Car Il sait qu’il ne parle pas –
Et que parmi les raisons que les Mots – n’expriment pas –
Il en est – que les Gens plus Délicats préfèrent –
Le Lever du soleil – Monsieur – Me contraint –
Parce qu’Il est le Lever du soleil – c’est pourquoi –
Je vois – Moi –
Que je T’aime –

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Page 525

Poème N°560

Si Nos Meilleurs Moments duraient –
Ils supplanteraient le Ciel –
Que peu se procurent – et non sans Risque –
C’est pourquoi – ils ne sont pas donnés –

Si ce n’est pour nous stimuler – en
Cas de Désespoir –
Ou de Stupeur – Ces moments –
Célestes servent de Réserve –

Un Don du Divin –
On est Sûr quand il Vient –
Qu’il partira – et laissera l’Âme éblouie
Dans ses Chambres désertées –

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Page 563

Poème n°603

Flamme – Rouge – c’est le Matin –
Violette – c’est le Midi –
Jaune – le Jour – tombe –
Après cela – plus Rien –

Sauf des kilomètres d’Étincelles – le Soir –
Révélant la Surface qui a brûlé –
Le Territoire Argenté – qui n’est pas encore – consumé –

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Page 507

Poème n°540

Si ce que nous pouvons – était ce que nous voulons –
Le Critère – est étroit –
Le Comble de la Parole –
C’est l’Impuissance à Dire –

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Des Poèmes de Claire Gondor sur Louise Labé et Pernette du Guillet

En me promenant au rayon poésie de la librairie Gibert à Paris, j’ai découvert ces Variations de Claire Gondor qui revisite des poèmes célèbres de la littérature française, du Moyen-Âge au 20ème siècle, en leur offrant une sorte de pendant ou de réponse contemporaine, ce que j’ai pu interpréter à la fois comme un hommage à ces grands prédécesseurs et aussi comme un commentaire, une extrapolation, une prise de distance où la critique peut poindre.

Comme il s’agit de poésie sur la poésie, cet article entre dans le cadre du « Printemps des artistes » de 2023.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Frison-Roche (Belles lettres)
Collection : L’Or des lignes
Année de publication : octobre 2022
Nombre de Pages : 90

Note sur la Poète

Claire Gondor travaille dans le monde du livre et a créé une compagnie d’évènements littéraires appelée « L’Autre Moitié du Ciel ». Elle a publié un roman, Le Cœur à l’aiguille, aux éditions Buchet-Chastel, en 2017, et a également participé à de nombreuses publications collectives. (Source : éditeur)

Note sur Louise Labé

Louise Labé, aussi surnommée « Louïze Labé Lionnoize » et « la Belle Cordière », née vers 1524 à Lyon, morte le 25 avril 1566 à Parcieux-en-Dombes où elle fut enterrée, est une écrivaine française principalement connue en tant que poétesse de la Renaissance. Avec Pernette du Guillet et Maurice Scève, Louise Labé appartient à « l’école lyonnaise ». Elle s’inspire de poètes de l’Antiquité et d’auteurs contemporains comme Pétrarque. Elle défend des idées qui peuvent être considérées comme proto-féministes.
Comme sa biographie est très mal connue, certains spécialistes et commentateurs ont défendu l’idée qu’elle n’avait jamais existé, qu’il s’agissait d’une supercherie. (Source : Wikipédia)

Note sur Pernette du Guillet

Elle naît (en 1518 ou 1520) dans une famille noble et épouse en 1538 un du Guillet. Elle rencontre Maurice Scève au printemps 1536 – il a alors trente-cinq ans et elle seize ans – et devient son élève. Leur amour impossible devient la source d’inspiration de ses poèmes, publiés de façon posthume, à la demande de son mari en 1545, sous le titre Rymes de gentille et vertueuse dame, Pernette du Guillet. Maurice Scève écrit en son honneur son recueil le plus fameux, « Délie« , en 1544. Elle meurt à 25 ans d’une épidémie de peste. (Source : Wikipédia)

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Sinusoïdes
(d’après « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie »
de Louise Labé)

l’épiderme traversé de climats contraires
je suis le zigzag de mes instincts

j’ai l’ai dans la peau
la canicule
les veines à chaud
les veines à froid
montagnes russes
les émotions à contresens.

c’est le grand huit !
la fête foraine
de l’ecclésiaste

un temps pour tout
la pulsation
ou le reflux
le rythme brisé de mon cœur

hors de cadence
j’ai le savoir universel et douloureux
des contretemps

Claire GONDOR

*

Perdre la boussole
(d’après « la nuit était pour moi si très-obscure »
de Pernette du Guillet)

– fondu à l’outrenoir –
le veilleur a perdu sa boussole

flou autistique
où l’encre
de la nuit à la nuit
mangerait les visages

qu’il exerce sa voix le veilleur
car voici le jour
le jour qu’il fit,
le forgeur de l’humus

qu’il allume ses yeux
qu’il réchauffe sa joie
aux lavis tranquilles
des commencements

Portrait de Louise Labé

Claire GONDOR

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TEXTES ORIGINAUX
(d’où sont inspirés les deux précédents)

Je vis, je meurs ; je me brûle
et me noie

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé (1524-1566)

*

La nuit était pour moi
si très-obscure

La nuit était pour moi si très-obscure,
Que Terre et Ciel elle m’obscurcissait,
Tant, qu’à Midi de discerner figure
N’avais pouvoir, qui fort me marrissait :

Mais quand je vis que l’aube apparaissait
En couleurs mille et diverse, et sereine,
Je me trouvai de liesse si pleine,
– Voyant déjà la clarté à la ronde –
Que commençai louer à voix hautaine
Celui qui fit pour moi ce Jour au Monde.

Pernette du Guillet (1518-1545)

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Deux Poèmes de Paul Eluard inspirés de peintres (Braque et Chirico)

J’ai trouvé ces deux poèmes dans le livre « Capitale de la Douleur » suivi de « L’Amour la poésie » paru chez Poésie/Gallimard.
Giorgio de Chirico (1888-1978) est un peintre italien, inventeur de la peinture métaphysique, et précurseur du mouvement Surréaliste. Il appartient au groupe surréaliste jusqu’en 1925, après quoi il oriente son art vers plus de classicisme.
Georges Braque (1882-1963) est un peintre français, d’abord influencé par les Fauves, il est le co-inventeur avec Picasso du cubisme dans les années 1911 à 1914. Dans les années 1950 il consacre une série de tableaux aux Oiseaux.

Giorgio de Chirico

Un mur dénonce un autre mur
Et l’ombre me défend de mon ombre peureuse.
O tour de mon amour autour de mon amour,
Tous les murs filaient blanc autour de mon silence.

Toi, que défendais-tu ? Ciel insensible et pur
Tremblant tu m’abritais. La lumière en relief
Sur le ciel qui n’est plus le miroir du soleil,
Les étoiles de jour parmi les feuilles vertes,

Le souvenir de ceux qui parlaient sans savoir,
Maîtres de ma faiblesse et je suis à leur place
Avec des yeux d’amour et des mains trop fidèles
Pour dépeupler un monde dont je suis absent.

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Braque, l’oiseau et son ombre

Georges Braque

Un oiseau s’envole,
Il rejette les nues comme un voile inutile,
Il n’a jamais craint la lumière,
Enfermé dans son vol,
Il n’a jamais eu d’ombre.

Coquilles des moissons brisées par le soleil.
Toutes les feuilles dans les bois disent oui,
Elles ne savent dire que oui,
Toute question, toute réponse
Et la rosée coule au fond de ce oui.

Un homme aux yeux légers décrit le ciel d’amour.
Il en rassemble les merveilles
Comme des feuilles dans un bois,
Comme des oiseaux dans leurs ailes
Et des hommes dans le sommeil.

Paul Eluard

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Cet article s’inscrit dans le cadre de mon Printemps des artistes.

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Trois Poèmes d’Albane Gellé

Ayant déjà lu et apprécié un ou deux recueils d’Albane Gellé, j’ai acheté cette anthologie personnelle de 2022, intitulée « Equilibriste de passage » et qui reprend des poèmes publiés dans dix-sept recueils, parus entre 1993 et aujourd’hui, mais également des inédits.
Pour reprendre la présentation du Castor Astral au sujet de ce livre :
Au fil des poèmes, Albane Gellé évoque des souvenirs, le deuil, l’amour, des bribes de conversation et des fragments de vie. Elle construit un univers fragile et aérien où la nature et l’eau occupent une place centrale.

Note sur la poète

Albane Gellé est née en 1971 à Guérande. Elle a publié une trentaine de livres dont Nos abris (Esperluète), Eau (Cheyne) et Cher animal (La Rumeur libre). Elle a reçu le prix des Découvreurs. Près de Saumur, elle a créé une structure poético-équestre.

Page 21
(Extrait du recueil « Hors du bocal« , éditions du Chat qui tousse, 1997)

Ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Ne pas arriver en retard. Ne pas tomber dans l’excès. Ne pas grimper aux arbres. Ne pas prendre les auto-stoppeurs. Ne pas marcher sur les pelouses. Ne pas laisser les enfants faire n’importe quoi. Ne pas déranger.

Être capable d’assumer les conséquences de ses actes. Savoir gérer son budget. Consommer avec modération. Prévoir ses vacances. Parler avec discernement. Canaliser ses émotions. Se méfier des inconnus. Respecter les idées de chacun. Fermer les portes à clé. Faire un peu de sport. Être bon joueur. Attendre son tour. Mettre de l’eau dans son vin. Offrir ses condoléances. Avoir de la repartie. Frapper avant d’entrer. Réfléchir avant d’agir. Partager la douleur. Tenir compte des circonstances. Faire acte de présence. Respecter les priorités. Donner son avis. Être objectif. Faire bonne figure. Applaudir Bien fort.
ET PUIS QUOI ENCORE.

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Page 116
(Extrait du recueil « Bougé(e)« , éditions du Seuil, 2009)

Dans la tête en désordre des rectangles qui bougent il y en a un c’est une photo de mon père mort en noir et blanc un autre pour toute la brume restée dans le cercueil un autre encore pour mes paroles prononcées à la nuit et mes terreurs devant personne demain après les arbres il restera comme une valise immense debout remplie de mes rectangles.

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Page 225
(Extrait de « Va grande roue« , inédit)

À Valérie Rouzeau et Cécile À. Holdban
À Pascal Dessaint et Isabelle Hochart

les oiseaux bien sûr savent.
habitent les saisons, soulèvent leurs grandes peurs.
les oiseaux sont passerelles, entre visible
et invisible, n’ignorent pas la matière,
éprouvent les vibrations.
les oiseaux touchent les arbres et
les oiseaux touchent les vents,
résistants, presque transparents.
les oiseaux disparaissent,
petits savants sans prétention,
envers et contre les forces sombres,
agiles atomes de lumière,
supportant sans se plaindre la grande pesanteur.
les oiseaux savent que vivre est malgré tout possible
avec le chant.

**

Trois Poèmes de Thierry Roquet

Couverture aux éditions Populaire

Ce beau recueil « Sans adresse ni timbre » est paru chez Edition Populaire en juillet 2022 et il m’a causé une vive émotion par la concision et la pureté de son expression et par la force de ses thèmes : l’amour, la maladie psychique. Comment réagir lorsque la femme aimée se laisse envahir par le désespoir et qu’elle cède à ses idées noires ?
Je ne connaissais pas du tout le sujet de ce livre lorsque j’en ai commencé la lecture et, au fil des pages, je suis entrée peu à peu dans cette douleur affective. La situation de ce couple se dessine un peu plus nettement à chaque poème et nous sensibilise au chagrin de cette jeune femme et à celui du poète, à ses sentiments d’impuissance ou de culpabilité.
On perçoit à travers ces textes une belle déclaration d’amour du poète pour son épouse en détresse et c’est très émouvant.

Biographie du Poète

Thierry Roquet est né en 1968 en Bretagne, il vit depuis quinze ans à Malakoff, dans la banlieue parisienne. Adolescence solitaire, études écourtées, divers boulots alimentaires, des lectures marquantes, une belle histoire d’amour, et puis la poésie en prose…
(Source : Site des « éditeurs singuliers »)

*

Quatrième de Couverture

La poésie en prose de Thierry se construit dans cet ouvrage par des graphies qui témoignent de ses sentiments bouleversés. Des cris écrits, des mots aux maux.

*

Page 14

Drôle de vie
rien de drôle quand
en parfaite solitude
une obsédante question
nous y convie sans fin
Les signes cachés, les alertes.
Pas vu, pas su.
Les signes avant-coureurs.
Pas pu, pas su.
Tu trembles comme une feuille.
Ce n’est pas le vent.
C’est une vieille et longue histoire.

*

Page 23

Qu’attendais-tu de moi
que tu n’attendais pas d’un.e autre ?
Tout simplement faits l’un pour l’autre
Ce n’était pas si simple
Usure et lassitude La mémoire est sélective
retient mieux le négatif
Qu’est-ce qu’on allait devenir : cette
fameuse récurrence Litanie sans répit
L’humour ne peut pas tout bien sûr
Me ressaisir ne pas flancher
Mais l’un sans l’autre jamais

*

Page 32

Les mots sont sous calmants.

Ici, je vais bien. Je vais toujours bien.
Je ne fais que ça: aller bien.

Là-bas, tu te promènes. Tu vas mieux.
Tu t’assieds sur un banc, oui tu te parles.
Parfois, tu te fais peur.
Les fantômes sont sous calmants.

L’intuition, la réalité.
Pas vu, pas su.
Drôle de vie
rien de drôle quand
en parfaite solitude
les issues sont verrouillées.

Le temps est sous calmant.

Thierry ROQUET

**

Deux Poèmes de Ghérasim Luca

Couverture chez Poésie/Gallimard

Dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est, j’ai eu envie de consacrer un billet à Ghérasim Luca, le fameux poète d’origine roumaine, qui a écrit pratiquement toute son œuvre en français, et dont la biographie fut extrêmement bousculée, tiraillée entre plusieurs nationalités et cultures, soumise aux aléas et aux violences de la grande histoire.

Biographie du Poète

Ghérasim Luca (Bucarest en 1913 – 1994, Pont Mirabeau à Paris)
Poète d’origine roumaine dont la majeure partie de l’oeuvre a été publiée en français. Polyglotte, il parle roumain, allemand, français, yiddish. Bien qu’il ait côtoyé certains surréalistes français, il n’a pas appartenu à leur groupe. D’origine juive ashkénaze, il échappe à la déportation durant la période nazie. Passant de pays en pays, (Roumanie, Israël, France), il reste apatride pendant plusieurs années mais est finalement obligé de choisir la nationalité française pour des motifs administratifs. Il donne des « récitals » de ses poèmes (déclamations en public) où l’aspect bégayant et complexe de sa poésie se trouve renforcé et mis en valeur. Dans les années 70, des philosophes comme Deleuze ou Guattari reconnaissent son importance dans la poésie contemporaine.
Ghérasim Luca se suicide à Paris en février 1994, en se jetant dans la Seine, comme Paul Celan, vingt ans avant lui, qui avait été son ami.

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Deux Poèmes
(Le premier est extrait du recueil « Le Principe d’incertitude« , le deuxième de « Contre-créature« )

Autres Secrets
Du Vide et du Plein

le vide vidé de son vide c’est le plein
le vide rempli de son vide c’est le vide
le vide rempli de son plein c’est le vide
le plein vidé de son plein c’est le plein
le plein vidé de son vide c’est le plein
le vide vidé de son plein c’est le vide
le plein rempli de son plein c’est le plein
le plein rempli de son vide c’est le vide
le vide rempli de son vide c’est le plein
le vide vidé de son plein c’est le plein
le plein rempli de son vide c’est le plein
le plein vidé de son vide c’est le vide
le vide rempli de son plein c’est le plein
le plein vidé de son plein c’est le vide
le plein rempli de son plein c’est le vide
le vide vidé de son vide c’est le vide
c’est le plein vide
le plein vide vidé de son plein vide
de son vide vide rempli et vidé
de son vide vide vidé de son plein
en plein vide

*

Le Triple

(extrait)

le viol viole violemment le on du violon
on du violon étant violé par le viol
le violon c’est le viol
et c’est le viol qui viole violemment le viol
le viol viole le on du violon violé
et le et du violon violet
et du violon violet est violé par le e de la viole
mais c’est la ine de la violine
qui violète le viol violé
on du violon violé violète la violette
on du viol du violon violé
et ine de la violine
volent violemment la violette
car l’oniste fait d’un viol un violoniste
de même que le on avait fait de lui un violon
donc
la violette joue violemment du violon
elle joue avec le celliste
de la violente violoncelliste
celle-ci voile le on du violon
tandis que celle-la
s’envole avec l’oniste de la violoniste
heureusement à cette heure
eur du violeur et euse de la violeuse
sont violemment violés par l’acteur et l’actrice
du c du violateur et de la violatrice
c’est avec le on du violon
qu’on voile la violatrice
et c’est avec la ine de la violine
qu’on viole le violateur
on voile et on dévoile
la ine de la violine violatrice
et le on de l’oniste du violoniste violateur
on viole violemment le viol et le violentable
et c’est à la table du violentable
qu’on viole l’inviolable
on viole à table
l’inviolable et tout ce qui est stable
tout ce qui est stable donc violentable
le s du stable est violenté par le in de l’instable
in de l’instable et ine de la violine
sont violés par ette de la violette
et par ette de sa voilette
voir ce qui cache la voilette de la violette
c’est faire le jeu des voyeurs
(…)

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Lu pour « Le Mois de l’Europe de l’Est » de mars 2023

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Des Poèmes d’Hélène Miguet sur les Passantes

La revue Décharge et les éditions Gros Textes font paraître quatre fois par an les petits livres de la collection « Polder » – deux au printemps et deux en automne.
J’ai apprécié celui de la poète Hélène Miguet, intitulé Comme un courant d’air, qui montre une vivacité dans le maniement des mots et une façon de jongler avec les images qui réveille l’esprit et qui parait très entraînante.
Ce recueil est paru en novembre 2022 et c’est le Polder numéro 195.

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J’avais déjà publié sur ce blog, il y a longtemps (2013), des poèmes sur le thème de la passante – répartis sur deux articles – et je vous en donne les liens pour rappel :
Premier ArticleDeuxième Article
Comme vous le voyez, Hélène Miguet se situe par ce thème dans une longue tradition héritée des romantiques, mais sa vision de la passante est tout à fait contemporaine, personnelle et renouvelée.

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Page 29

Nous sommes de ce monde où tout passe
les anges le temps les voitures tunées
et même les femmes

elles sont le sillage des villes
évanescence faite charme
ou parfum
et si rien de tout cela
un peu d’entêtement
né de l’écume d’un trottoir

elles passent et laissent dans leur sillage
une empreinte légère qu’elles ne connaissent
pas

parfum de nuages volé au temps

ce peu de traces n’est au fond
qu’une façon de s’effacer
suavement

*

Page 32

Passantes
pâles éternellement hantées
par les heures citadines
si vite transparentes que la ville les
oublie
mangées par une rue de brume
un soir tombé trop tôt sur un quai noir

alors fantômes élancés
elles en perdent la tête
se diluent
n’emportant avec elles qu’un réverbère au côté
gauche

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Des Poèmes japonais contemporains

Couverture chez Picquier

Ces poèmes sont extraits du livre « 101 poèmes du Japon d’aujourd’hui » paru chez Picquier en 2014 dans une traduction de Yves-Marie Allioux et Dominique Palmé.

Résumé de l’éditeur :

 » Les 55 poètes dont les œuvres figurent dans ce recueil sont, en toute objectivité, les plus éminents représentants de la poésie japonaise contemporaine. C’est évidemment au lecteur que revient la liberté d’apprécier les 101 poèmes présentés ici, mais une chose est sûre : on a retenu, pour chaque auteur, le texte qui semblait mettre le mieux en valeur l’originalité de son écriture. Des œuvres majeures qui eurent un grand retentissement à l’époque de leur publication, au point d’alimenter les polémiques, et qui marquent des étapes essentielles dans l’évolution de la poésie au cours des dernières décennies. »

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Poèmes Extraits du livre

Ôoka MAKOTO
(né en 1931)

CHÔFU V

Vivre en ville
C’est posséder quelque part en ville un endroit que l’on aime.
C’est savoir qu’il y a quelque part en ville une personne que l’on aime.
Sans cela, on ne pourrait pas vivre.

L’enfant a beau grandir à vue d’œil
Son père, lui, n’a pas conscience de vieillir
Jusqu’au jour où, soudain, cette inconscience le terrifie
Etranger croisé dans la rue, inconnu qui n’est autre que soi-même

De moi-même je me suis perdu et j’erre au loin
Mais quelque part en ville je cache un endroit que j’aime.
Je cache une personne que j’aime. Sans en avoir l’air.
Ainsi donc, je suis « chef de famille ».

Puis un jour la nuque de mon fils qui déplie le journal en silence
Se détache toute fine dans la lumière du matin, et sa vue m’emplit de tendresse
Surprise proche du chagrin.
 » Akkun, atteindras-tu bientôt toi aussi l’âge où l’on part à la guerre ? »

(1981)

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Rin ISHIGAKI
(née en 1920 – morte en 2004)

CORBICULA

Au milieu de la nuit je me suis éveillée.
Les petites coques achetées la veille au soir
Dans un coin de la cuisine
Bouche ouverte vivaient encore.

« Quand viendra le matin
Toutes autant que vous êtes
Vous allez y passer ! »

D’un rire de vieille sorcière
Je me suis mise à rire.
Après quoi
Bouche entrouverte
Pour cette nuit du moins il ne me restait plus qu’à dormir.

(1968)

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Noriko IBARAGI
(1926-2008)

LORSQUE J’ETAIS UNE JEUNE FILLE EN FLEUR

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Les villes s’écroulaient avec fracas
A travers d’incroyables endroits
On entrevoyait parfois un bout de ciel bleu

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Autour de moi beaucoup de gens moururent
Dans les usines en mer sur des îles inconnues
Et je perdis alors toute chance de me faire belle

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Personne ne m’a gentiment fait présent du moindre cadeau
Les hommes ne connaissaient rien d’autre que le salut militaire
Tous partaient en laissant derrière eux leur seul beau regard

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Mon cerveau restait vide
Mon cœur s’était fermé
Seuls brillaient tout bronzés mes mains et mes pieds

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Mon pays a perdu la guerre
Non mais y a-t-il rien de plus bête !
Retroussant les manches de mon chemisier je me mis à arpenter fièrement la servile cité

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Les radios déversèrent soudain des flots de jazz
Et prise de vertige comme en fumant une cigarette interdite
Je dévorais cette douce musique venue d’une contrée étrangère

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
J’étais très malheureuse
Je nageais en pleine confusion
Je me sentais affreusement triste

Aussi ai-je pris le mors aux dents bien décidée à vivre le plus longtemps possible
Tard dans sa vie n’avait-il pas peint des tableaux rudement beaux
En France, le vieux Rouault ? Eh bien je ferai comme lui !
Oui comme lui !

(1958)

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Trois Poèmes à Chieko de Kôtarô TAKAMURA

Couverture du livre

Dans le cadre de mon Mois Japonais de février 2023, je vous présente un célèbre recueil de poèmes d’amour japonais de la première moitié du 20ème siècle. Recueil de vers libres modernes, inspirés de la poésie européenne de la fin du 19ème ou du début du 20ème siècle, il rompt avec la forme du haïku traditionnel.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Presses Universitaires de Bordeaux
Date de Publication en français : 2021
Traduit du japonais par Nakazato Makiko avec la collaboration d’Eric Benoit
Nombre de Pages : 170

Extrait de la Quatrième de Couverture

TAKAMURA Kôtarô (1883-1956) a beaucoup contribué à la fondation de la poésie japonaise moderne. Son livre Chieko-shô, traduit ici sous le titre Poèmes à Chieko, demeure l’un des recueils de poèmes les plus lus au Japon depuis depuis la parution de sa première édition. Il rassemble surtout des poèmes en vers libres où TAKAMURA évoque son amour pour sa femme Chieko, ainsi que sa douleur face à la maladie et à la mort de celle-ci. Les poèmes qui composent le recueil suivent un ordre strictement chronologique, de 1912 à 1952 : depuis les enthousiasmes fulgurants de l’amour naissant, jusqu’aux émotions les plus poignantes du deuil. C’est ici la première traduction française de ce recueil.

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Note biographique succincte sur Kôtarô et Chieko

Kôtarô Takamura fils d’un sculpteur célèbre, fit également des études de sculpture aux Beaux-Arts et se considéra lui-même durant toute sa vie comme sculpteur plutôt que comme poète. C’est sa passion pour la sculpture qui l’amena à voyager en Europe et à New York. Lors de son séjour à Paris en 1908 il se passionna pour Rodin mais aussi pour la poésie française récente, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé. C’est en France qu’il découvrit les longs poèmes en vers libres et qu’il décida d’adopter cette forme, qui paraissait alors plus moderne que le haïku et le tanka traditionnel.
Chieko (1886-1938) était une femme peintre, ce qui était très rare dans la société japonaise de l’époque. Elle menait une vie émancipée et artistique. Sa rencontre avec Kôtarô date de 1911 et leur mariage de 1914. A la fin des années 1920, elle commence à souffrir de troubles psychiques. Le couple n’a pas eu d’enfant.

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J’ai choisi trois poèmes à différentes époques de la relation entre le poète et Chieko.
En 1912, date du premier poème que j’ai choisi, ils se sont déjà rencontrés depuis l’année précédente et se marieront deux ans plus tard.
En 1937, date du deuxième poème, ils sont mariés depuis 23 ans et Chieko souffre depuis déjà quelques années de troubles psychiques et a fait une tentative de suicide en 1932.
En 1949, date du troisième poème, le poète a perdu sa femme onze ans plus tôt, en 1938, et il est allé vivre dans une cabane de montagne, isolé du monde. Il mourra en 1956.

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(Page 57)

A une femme de banlieue


Mon cœur maintenant comme un grand vent vers toi s’envole,
mon amour.
La froide nuit, pénétrant la peau de poisson bleu, est déjà avancée.
Alors dors paisiblement dans ta maison de banlieue.
Tu n’es que sincérité d’enfant,
tellement pure et transparente que
tous ceux qui ont vu cela ont rejeté leur mauvais cœur,
et que le bien et le mal se sont dévoilés devant toi.
Tu es vraiment le juge suprême.
Parmi toutes les images salies de moi,
avec ta sincérité d’enfant
tu as découvert mon moi noble.
Ce que tu as découvert, je ne le connais pas.
Quand je te considère comme mon juge suprême,
alors mon cœur se réjouit de toi
et s’enfonce, je crois, dans la chair chaleureuse
du moi que je ne connais pas moi-même.
C’est l’hiver et la dernière feuille de l’orme est tombée.
C’est une nuit silencieuse.
Mon cœur maintenant comme un grand vent vers toi s’envole.
Comme les eaux nobles et douces qui jaillissent du fond de la terre,
il baigne ta peau pure en toutes ses parties.
Même si mon cœur, suivant ton mouvement,
bondit danse s’envole,
il n’oublie jamais de te protéger,
mon amour.
C’est une source de vie inouïe.
Alors dors paisiblement.
C’est une nuit d’hiver, froide comme un gredin, alors
maintenant dors paisiblement dans ta maison de banlieue.
Dors comme une enfant.

Novembre 1912

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(Page 115)

Chieko est inestimable

Chieko voit ce qui ne se voit pas,
elle entend ce qui ne s’entend pas.

Chieko va où nul ne peut aller,
elle fait ce que nul ne peut faire.

Chieko ne voit pas mon moi corporel,
elle brûle pour le moi qui est derrière moi.

Chieko a déjà rejeté le poids de la douleur,
elle est allée se perdre dans la sphère infinie et vide du beau.

J’entends sa voix m’appeler sans cesse,
mais Chieko n’a plus les tickets du monde humain.

Juillet 1937

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(Page 137)

Chieko à l’état élémentaire


Chieko est maintenant retournée à l’état élémentaire.
Je ne crois pas en l’existence autonome des âmes.
Pourtant, Chieko existe.
Chieko est en ma chair.
Chieko adhère à moi,
elle met le feu follet à mes cellules,
joue avec moi,
frappe sur moi,
et ne me laisse pas devenir la proie de la vieillesse.
L’esprit est un autre nom du corps.
En étant dans ma chair
Chieko est l’Extrême Nord de mon esprit.
Chieko est mon juge suprême.
Quand Chieko s’éteint en moi je m’égare,
et quand la voix de Chieko résonne à mes oreilles je suis dans le vrai.
Chieko bondit joyeusement,
elle parcourt et environne tout mon être.
Chieko à l’état élémentaire
est toujours en ma chair, et me sourit.

Octobre 1949

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Des Poèmes de Jila Mossaed sur l’exil

Couverture du Castor Astral

J’avais déjà parlé de ce recueil Le huitième pays en automne dernier et je vous propose d’en lire aujourd’hui trois autres poèmes, où il est question de l’exil et de la nostalgie du pays natal.
Voici un petit rappel biographique de la poète.

Note sur la poète

Jila Mossaed est née à Téhéran en 1948. Elle publie ses premiers poèmes à l’âge de 17 ans. Suite à la prise de pouvoir par Khomeini en 1979, elle trouve refuge en Suède. Elle écrit en suédois depuis 1997 et entre à l’académie suédoise en 2018. « Chaque langue qui me donne la liberté de m’exprimer contre l’injustice est la langue de mon cœur » dit-elle à propos de son œuvre poétique où l’exil occupe une place essentielle. (Source : éditeur)

Note pratique sur le livre :

Editeur : Castor Astral
Année de publication en France : 2022 (en Suède : 2020)
Traduit du suédois par Françoise Sule
Préface de Vénus Khoury-Ghata
Nombre de pages : 140

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Page 125

Ils étaient silencieux
La montagne que j’ai cachée dans ma valise
La mer que j’ai emportée avec moi
sous mon sein gauche
Et le rossignol
dans mes rêves

Ils reprennent vie
Nous campons ici
au-delà du passé
Bien loin de nos vagues
dans le ventre vide du présent

Nous créons un pays
au-delà de toutes les frontières
Racontons les histoires
que maman racontait
au cours des nuits sombres

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Page 115

Je vais chercher la valise
qui a longtemps attendu
dans le coin de l’angoisse

Je la place au milieu de la pièce
bouche ouverte
Entreprends de la remplir

Quelqu’un nous attend-il
Est-ce que tout sera comme avant
Reste-t-il quelque chose
de ce que nous avons laissé

Moi et la valise
nous avons répété cette scène
tellement de fois
pour les rideaux silencieux et les murs en larmes
Plus tard nous nous endormons toujours
au fond de nos rêves réciproques

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Page 81

Une corbeille à la main
elle sortait chaque matin
de l’ombre rouge du cerisier

On jouait dans le corps asséché de la rivière
Nous ramassions des petits cailloux
faisions semblant d’être sourdes
quand les bombes explosaient

Je me créais un abri
au plus profond de moi
Déconnectais tous mes nerfs
mes sens
Entrais dans un autre monde
Parfois j’étais partie plusieurs minutes

Maintenant j’ai l’impression
d’avoir vécu
une autre vie
Celle d’une autre
qui n’a pas voulu me suivre ici

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