Deux poèmes de Barbara Kingsolver

Couverture chez Rivages

Apprendre à voler (en dix mille leçons faciles) est un recueil poétique de l’écrivaine américaine Barbara Kingsolver, publié initialement en anglais en 2020 puis, dans sa traduction française, par les éditions Rivages, en 2022.
J’ai découvert ce livre par hasard dans une grande librairie parisienne du Quartier Latin, dotée d’un rayon poésie tout à fait riche et intéressant.

Ce recueil poétique aborde des thèmes du quotidien, autobiographiques et souvent liés à la famille de la poète (sa mère, son père, sa sœur, sa fille, son mari, sa belle-mère, etc.) mais aussi à ses voyages en Italie ou à son observation des plantes et des animaux. C’est une poésie imagée, concrète, vivante, bien ancrée dans notre monde terrestre, et qui est assez agréable à lire. Le ton est tantôt léger et joyeux tantôt grave et douloureux, avec une place non négligeable accordée à la mort de certains proches, ou aux conflits intra-familiaux.

Note Pratique sur le livre

Éditeur : Rivages
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy
Nombre de pages : 123

Biographie de la poète

Née en 1955, titulaire d’un diplôme de biologie, (re) connue pour son engagement écologiste visionnaire et son mode de vie rural choisi au cœur des Appalaches mais aussi pour son féminisme joyeux et ferme, Barbara Kingsolver écrit des romans qui inscrivent ces grands thèmes dans la fiction avec souffle, rythme et légèreté. Elle est l’auteure d’une dizaine de livres, tous publiés aux éditions Rivages, dont L’Arbre aux haricots (1995), Les Cochons au paradis (1996), Un Jardin dans les Appalaches (2008), Dans la lumière (2013) et Des vies à découvert (2020).
(Source : éditeur)

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Choix de deux Poèmes :

Page 13

Apprendre à boire de l’eau quand il y a du vin

Apprendre à ne pas bouger de ce bureau quand le soleil fait la roue pieds nus dans l’herbe –

Apprendre la marche prudente sur le sentier qui soutient le pas vif et libre d’un cerf –

Apprendre à rentrer chez soi quand la grive des bois promet la joie ivre et liquide du crépuscule –

Apprendre à résister au baiser, au corps défendu qui pince la longue corde vibrante du manque –

Apprendre à boire de l’eau quand il y a du vin –

Avant je connaissais tous ces objets en forme de brique, les prenais pour la monnaie de la survie.

Aujourd’hui j’ai vécu et je sais.

Page 65

Par les racines

Accroupie dans le jardin
genoux aux coudes, poings dans la terre
du verger retirant les mauvaises herbes
autour des racines trempées de boue
de mon maïs soumis,
fouillant le sol qui me nourrit,
sentant son indignation, je me retrouve
subitement à arracher
les cheveux du monde. Les souvenirs coulent
en moi comme une eau chaude : mon frère


a neuf ans. J’en ai sept, aussi loyale que l’oxygène
mais encore assez proche de lui en taille
pour que nos disputes deviennent luttes
à mort. Nos parents
pensent, un peu tard, aux avantages
de l’enfant unique. Nous sommes
prêts à tout, genoux à vif brûlés
par l’herbe, poings dans la terre,
mes doigts emmêlés dans ses cheveux
qui tirent, ne s’arrêtent pas : mon Dieu

la terreur de ce désir incontrôlable de
blesser celui sans qui vous ne pourriez vivre.

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« Eté » d’Edith Wharton

Couverture chez 10/18

Ce mois de juin est consacré aux auteurs américains et j’ai eu envie de me plonger dans ce roman d’Edith Wharton qui attendait sagement dans ma Pile à Lire depuis quelques mois. Il faut dire que l’illustration de couverture me rebutait un peu, avec ses couleurs mièvres et son graphisme désuet et alambiqué – un choix visuel difficile à comprendre et qui ne parait pas en accord avec l’histoire ou avec le style d’Edith Wharton…
Je connaissais assez mal cette écrivaine, n’ayant lu jusqu’ici qu’un seul de ses recueil de nouvelles, et la lecture de ce roman a confirmé et développé ma bonne impression initiale.

Note Pratique sur le Livre

Genre : Roman psychologique, roman d’amour
Editeur : 10/18
Première date de publication : 1917
Traduit de l’anglais (américain) par Louis Gillet
Nombre de pages : 239

Résumé succinct du début

Charity est la pupille de Mr Royall, son tuteur, un avocat cultivé qui l’a recueillie dans la Montagne quand elle était toute petite. Cette Montagne est un lieu mal famé et dangereux, où vivent des clans de bandits et de miséreux et Charity sait qu’elle est issue de ce milieu sordide et qu’elle ne doit sa bonne situation de nom, de fortune et d’éducation qu’à la charité de Mr Royall. La jeune fille occupe une place de bibliothécaire dans le morne village où elle vit – nommé North Dormer – mais cet emploi l’ennuie car cette bibliothéque n’abrite que de vieux livres poussiéreux qui n’intéressent personne. Un jour, pourtant, elle aperçoit un nouveau venu dans le village, un jeune étranger à la tenue élégante qui semble venir de la ville. Elle a la surprise, quelques heures plus tard, de voir entrer dans sa bibliothèque déserte ce même jeune homme, qui recherche des ouvrages d’architecture. Charity et lui entament une discussion à propos des livres et de la vie à North Dormer. Le jeune homme s’appelle Lucius Harney et il ne laisse pas Charity indifférente. (…)

Mon avis

Ce livre dresse un très beau portrait de jeune fille, Charity, à la fois indépendante d’esprit, entière, impulsive, sensible et orgueilleuse. J’ai vu dans la quatrième de couverture qu’on avait pu la rapprocher de Mme Bovary parce que toutes les deux s’ennuient au début du roman. Mais il m’a semblé que Charity, en tant que jeune fille et non pas une femme mariée, prenait beaucoup plus de risques en ayant un amant et se montrait beaucoup moins dissimulée et superficielle que Mme Bovary. « Été » est une belle étude de caractères, où le personnage de Mr Royall se révèle au fil des pages au moins aussi complexe et intéressant que celui de sa fille adoptive, puisqu’il oscille à plusieurs reprises entre une inquiétante bizarrerie, un autoritarisme malsain et une attitude de compréhension et de respect, voire d’abnégation au bout du compte.
Le sens de la psychologie d’Edith Wharton – que j’avais déjà pu admirer dans ses nouvelles – s’exprime ici une fois de plus, dans toutes ses subtilités et ses élans contradictoires, les personnages étant souvent tiraillés entre leurs sentiments et les convenances sociales ou les engagements qu’ils ont pu prendre ailleurs. Cet aspect particulier de l’intrigue pourrait rappeler un petit peu certains romans de Jane Austen – sauf que les époques diffèrent, ici les comportements des personnages sont nettement plus modernes et donc plus libérés, plus francs.
En comparaison de Charity et de Mr Royall il me semble que le personnage de Lucius Harney est un peu fade – disons qu’il correspond à une figure d’amant, sûrement charmant et bien intentionné, mais sans beaucoup de caractère ou de courage – tel qu’il peut en exister effectivement dans les romans et dans la vie.
J’ai aussi apprécié les très belles descriptions de paysages – qui semblent souvent en accord avec les sentiments des personnages ou qui influencent leurs comportements.
La « Montagne » mal famée, d’où est originaire Charity, forme un arrière plan lugubre et menaçant durant presque toute la longueur du livre et c’est comme un personnage à part entière, qui impose sa présence immobile et silencieuse et dont on se doute qu’il va jouer un rôle important à un moment ou à un autre.
Sans conteste, un très beau livre !

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Un Extrait Pages 10-11

Cependant on avait toujours laissé entendre à Charity Royall qu’elle devait considérer comme un privilège d’habiter North Dormer. Elle savait qu’en comparaison de l’endroit d’où elle venait, le village jouissait de tous les progrès modernes. Depuis qu’enfant elle y avait été amenée, tous les gens du pays n’avaient cessé de lui ressasser. Même la vieille Miss Hatchard, à une heure terrible de la vie de Charity, lui avait dit :
– Ma petite, n’oubliez jamais que Mrs Royall vous a ramenée de la « Montagne ».
On l’avait en effet ramenée de la « Montagne », de cette falaise qui dressait sa tragique muraille au-dessus des collines plus basses de la chaîne de l’Aigle (Eagle Range), faisant à la vallée solitaire comme un fond perpétuel de mélancolie. La « Montagne » s’élevait à vingt bons kilomètres de là, mais de façon si abrupte que son ombre semblait se projeter jusque sur North Dormer. Et c’était comme un grand aimant attirant les nuages pour les disperser en tempête à travers la vallée. Si jamais, dans le ciel d’été le plus pur, une légère vapeur traînait sur North Dormer, elle filait droit sur la Montagne comme une barque emportée par un tourbillon et, là, accrochée aux rochers, déchirée et multipliée, s’épandait ensuite sur la vallée qu’elle noyait de pluie et de ténèbres.

La page blanche numéro 63

Christophe Condello

La Page Blanche, revuedes poèmes de la toile fondée en l’an 2000 par Constantin Pricop, Pierre Lamarque et Mickaël Lapouge.

SOMMAIRE

1ère de couverture: Jean-Claude Bouchard, EDF

4ème de couverture: Bertrand Naivin, Monstres

Vignette du sommaire: Denis Heudré, Abstractions visages

Simple poème

Julien Boutreux

Stéphane Casenobe

Matthieu Lorin

Pierre Goujon

Poète de service

Pierre Lamarque

Ana Maria Caballero

Gorguine Valougeorgis

Séquences

Nathan Dartiguelongue

Nathalie Baixas

Paul Stubs

E-poésies

Susy Desrosiers

Facinet Cissé

Maheva Hellwig

Pierre Andreani

Laurence Lagrange

Christophe Condelo

Lolita Michel

Sandy Dard

Marie-Anne Bruch

Mission traduction

Andrew Nightingale

Li Baï/Li Po

Elías Mondragón Herrera

Federico GarciaLorca

Jon Clark

Poètes du monde

Omar Khayyâm

Rûmî

Richard Brautigan

Adrian Kasnitz

Cédric Demangeot

Philippe Léotard

Emily Dickinson

Zoom

La folie

Notes

Jean-Michel Maubert

Avégédor Lourfique

Mademoiselle Ramatou

Matthieu Lorin

Tom Saja

Andrew Nightingale

Tristan Félix

Pierre Lamarque

Quentin Gillier

Simon Langevin

BertrandNaivin

Sandrine Cerruti

Figures libres

Sens dessus dessous

Voir l’article original 1 064 mots de plus

Une lettre de la poète Claire Ceira à propos des Excursions Poétiques

Voici une lettre (par mail) que la poète Claire Ceira m’a adressée, et que je suis très honorée et heureuse d’avoir reçue. Un grand merci à elle !
Cette lettre concerne mon dernier recueil, Excursions poétiques, paru début mai 2023 chez Z4 Editions.

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Vendredi 16 juin 2023 à 18h49

Bonjour Marie-Anne,

J’ai bien reçu votre livre, merci beaucoup, et je l’ai lu avec un très grand plaisir (d’ailleurs j’en ai commandé deux pour les offrir à des amis, dont Ivar Ch’Vavar, car je sais qu’il lui plaira).

   Je voulais approfondir un peu le plaisir de cette lecture, plaisir évident devant la créativité de la langue, la malice du regard, la justesse du ton, la variété de ces « voyages ». 

Il y a autre chose que j’ai mis du temps à saisir, quelque chose dans la tonalité, la position de la narratrice, qui vient vous chercher assez loin. 

   En fait, j’avais lu d’autres récits de ce type, où l’humour, le charme, la finesse des descriptions font tout le sel de la lecture.
Mais là il y a autre chose, qui vient vous atteindre, vous conduire dans la place même de celle qui parle, et on partage alors un questionnement sous-jacent, sur ce que vivent les passants, et peut-être leur douleur, leur difficulté à exister dans le monde social, leurs masques un peu dérisoires, leurs misères, leur besoin de « faire groupe »comme on dit. Et on partage aussi ce qui est ressenti par celle qui écrit, sa propre difficulté à être au milieu des autres à certains moments. Il y a quelque chose de dur, quelque chose qui tient, une question souterraine qui m’a ramenée à mes propres expériences, et particulièrement à cette période intermédiaire, douloureuse et malléable où on hésite entre adolescence et âge adulte.
   Il se trouve que j’ai vécu à Paris de ma naissance à 8 ans ( dans le XXème), puis en banlieue, puis je suis revenue vivre à Paris, dans le XIIIème, chez ma grand-mère, pendant ces années-là : études de médecine, de 17 à 25 ans. 

Bien sûr je reviens régulièrement y passer quelques jours.
   Et donc je connais la plupart des endroits que vous avec évoqués, la plupart ont fait ressurgir un souvenir, et je me revois, dans le même genre de solitude attentive, errant un peu perdue en attendant d’être prise par le courant de « la vraie vie », qui évite les questionnements sur soi trop taraudants. Quand on se promène dans une ville, qu’on est seul il devient assez tentant de devenir invisible, surtout si on n’est pas trop assuré de son identité, de son apparence. Combien de gens sont assurés devant le regard d’un inconnu ? Pas tellement je crois, et on sent cela tout le long du livre.

   Sinon, j’ai beaucoup aimé aussi la dimension poétique, sans aucune idéalisation, qui tient en particulier au fait que les règnes se confondent ou se répondent : les gens, les animaux, les végétaux, les bâtiments et la météo, tout ça semble parfois avoir une vie et une volonté propre, dialoguant avec la réalité urbaine, et s’adressant à celle qui parle.

  Voilà, j’ai écrit tout ce commentaire assez vite, mais vraiment je trouve ce livre remarquable et assez unique dans son genre. J’imagine que vous avez pris beaucoup de plaisir à l’écrire.

  Bien amicalement

Claire

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Pour vous procurer Excursions poétiques – ou, simplement, pour davantage d’informations -, rendez-vous sur le site de Z4 Editions en suivant le lien ici !

Couverture du recueil

Des Poèmes de Raymond Carver

Couverture chez Points

Ce recueil de poésie m’a été offert pour Noël et je profite de ce mois thématique sur l’Amérique pour vous en parler. Avant d’ouvrir ce recueil, je n’avais encore jamais rien lu de Raymond Carver – ni en prose ni en poésie – et ce fut une lecture très intéressante, qui m’a permis de réaliser à quel point il a pu influencer la poésie contemporaine, et notamment française, car les ressemblances sont assez frappantes avec des poètes comme François de Cornière ou Cécile Coulon, entre autres. Mais j’ai préféré Raymond Carver à ces deux derniers, car les précurseurs sont en général plus convaincants que les épigones, et dans ce cas précis Carver m’a semblé plus percutant…

Biographie de l’écrivain

Raymond Carver (1938-1988) a été veilleur de nuit, standardiste ou encore enseignant avant de se consacrer à l’écriture. Il est considéré aujourd’hui comme le « Tchekhov américain ». Son œuvre, traduite dans le monde entier et couronnée de nombreux prix, est désormais disponible en Points dans son intégralité.
(Source : site de l’éditeur)

Note Pratique sur le livre

Editeur : Points Poésie
Date de publication : (chez Points) 2016
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses
Nombre de pages : 528

Quatrième de Couverture

« Je souhaite que, sur ma tombe, on grave les mots “Poète, nouvelliste, essayiste”, dans cet ordre précis », a dit Raymond Carver. La poésie occupe une place fondamentale dans son œuvre. Ses poèmes sont comme sa prose, justes et clairs, sans artifices : pas des poèmes pour des critiques, mais des poèmes pour des lecteurs.

Ce volume contient également de nombreux textes intimistes, hommages aux amis disparus, déclaration d’amour à sa fille…

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Page 117

Demain

Fumée de cigarette suspendue
dans l’air du salon. Les lumières du navire
au large sur l’eau, pâlissent. Les étoiles
sont des trous brûlants dans le ciel. En devenant
cendre, oui.
Mais ça va, c’est ce qu’elles sont censées faire.
Ces lumières que nous appelons étoiles.
Brûler un temps et puis mourir.
Moi dévoré d’impatience. Souhaitant
qu’on soit déjà demain.
Je me rappelle ma mère, Dieu la garde,
disant, Faut pas souhaiter être à demain.
Ca ne fait que raccourcir la vie.
N’empêche, je voudrais être
à demain. Demain dans ses plus beaux atours.
Je voudrais m’endormir, sans heurt.
Comme on franchit la portière d’une voiture
pour monter dans une autre. Et puis me réveiller !
Trouver demain dans ma chambre.
Je suis plus fatigué à présent que je ne puis dire.
Mon écuelle est vide. Mais c’est mon écuelle,
vois-tu,
et je l’adore.

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Page 273

La Vitesse foudroyante du passé

Le cadavre est fauteur d’angoisse chez ceux qui croient
au Jugement dernier, et chez ceux qui n’y croient pas.
– André Malraux

Il enterra sa femme qui était morte dans
les douleurs. Dans les douleurs, il
se réfugia sur sa véranda, d’où il regarda
le soleil se coucher et la lune se lever.
Les jours semblaient passer seulement pour revenir
encore. Comme lorsqu’en rêve on pense,
J’ai déjà fait ce rêve-là.

Rien, de ce qui se produit, ne demeurera.
Avec son couteau il pela
une pomme. La pulpe blanche, corps
de la pomme, s’assombrit
et vira au brun, puis au noir,
sous ses yeux. Le visage exténué de la mort !
La vitesse foudroyante du passé.

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Page 367

Deux mondes

Dans un air lourd
de l’odeur des crocus,

du parfum sensuel des crocus,
je regarde un soleil citron disparaître,

la mer passer du bleu
au noir d’une olive.

Je regarde la foudre bondir depuis l’Asie tandis
qu’assoupie,

mon amour remue et respire et
se rendort,

présente en ce monde et pourtant
présente en un autre.

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Le Vieil homme et la mer, d’Ernest Hemingway

Couverture en Folio

Un grand classique de la littérature américaine, que je n’avais encore jamais lu (ni aucun autre livre d’Hemingway, je l’avoue !) et que je me suis décidée à acheter, malgré un a priori pas très positif que j’aurais du mal à expliquer et qui était tout à fait idiot, comme la plupart des a priori.

Note pratique sur le livre

Genre : Court Roman
Editeur : Folio
Traduit de l’anglais (américain) et préface par Philippe Jaworski
Nouvelle traduction publiée en 2018
Nombre de Pages : 136

Note biographique sur Hemingway

Il est né en 1899 à Oak Park, près de Chicago. Dès 1917, il travaille comme reporter puis s’engage sur le front italien. Il s’installe à Paris et commence sa carrière d’écrivain. Son roman Le soleil se lève aussi le classe d’emblée parmi les grands écrivains de sa génération. Le succès et la célébrité lui permettent de voyager aux Etats-Unis, en Afrique, en Europe.
En 1936, il s’engage comme correspondant de guerre auprès de l’armée républicaine, en Espagne, ce qui lui inspire « Pour qui sonne le glas« . Il participe à la guerre 39-45 et fait partie de la division Leclerc qui entre dans Paris. Après la guerre, il voyage à nouveau, Cuba, Italie, Espagne. C’est à Cuba qu’il écrit en 1952 Le Vieil homme et la mer, son chef d’œuvre le plus célèbre, publié en 1953.
Hemingway obtient le Prix Nobel de littérature en 1954.
Malade, il se suicide en 1961.
(Sources : éditeur, Wikipédia)

Quatrième de Couverture

À Cuba, voilà quatre-vingt-quatre jours que le vieux Santiago rentre bredouille de la pêche, ses filets désespérément vides. La chance l’a déserté depuis longtemps. À l’aube du quatre-vingt-cinquième jour, son jeune ami Manolin lui fournit deux belles sardines fraîches pour appâter le poisson, et lui souhaite bonne chance en le regardant s’éloigner à bord de son petit bateau. Aujourd’hui, Santiago sent que la fortune lui revient. Et en effet, un poisson vient mordre à l’hameçon. C’est un marlin magnifique et gigantesque. Débute alors le plus âpre des duels.
Combat de l’homme et de la nature, roman du courage et de l’espoir, Le vieil homme et la mer est un des plus grands livres de la littérature américaine.

Mon humble avis

Pendant les trente ou quarante premières pages du livre je n’étais pas tout à fait convaincue et puis peu à peu je me suis laissée emporter par cette histoire assez fascinante qui ressemble à un conte, avec son lot d’épreuves, de rebondissements et d’héroïsme grandiose. Le vieil homme nous paraît en effet être un héros parfait, qui affronte seul le destin et les forces de la nature déchaînées contre lui, à la manière d’Ulysse par exemple, et j’ai trouvé qu’il y avait cette dimension mythique et quasi épique.
Ce héros nous semble d’autant plus courageux et exceptionnel que, justement, il est vieux, doté de forces déclinantes, et qu’il se trouve dans une situation de malchance et de solitude particulièrement aiguës — bien soulignées par l’auteur — ce qui rend ses exploits, son habileté et son endurance vraiment extraordinaires.
On peut remarquer que ce sont souvent les anti-héros, et les êtres sans qualités notables, qui ont été en vogue dans la littérature au 20ème siècle et qu’ici Hemingway renoue avec des genres littéraires plus anciens tout en trouvant un style assez moderne et marqué par une certaine angoisse. Car, pendant son combat avec l’énorme poisson, le vieil homme est aussi obligé de faire face à ses propres démons : par moments il perd sa lucidité à cause de la fatigue, de la douleur, de la faim ou de la soif et il doit combattre les idées dangereuses qui l’assaillent à ces instants précis.
Les sentiments du vieil homme vis-à-vis du poisson sont également intéressants car emprunts de respect et d’affection, ce qui ne l’empêche pas de vouloir le tuer à tout prix et on se dit que l’enjeu, dans l’esprit du vieil homme, va bien au-delà de la simple idée de harponner un poisson et que c’est en réalité une quête existentielle et métaphysique.
Un beau livre, qui se lit assez vite à cause de sa brièveté et de son suspense haletant, et dont la fin est tout à fait bouleversante !

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Un Extrait page 65

Je me demande pourquoi il a viré brusquement, pensa-t-il. Le fil de métal a dû glisser sur cette montagne qu’est son dos. Assurément son dos ne peut pas le faire souffrir comme le mien. Mais il ne peut pas tirer cette barque éternellement, si grand soit-il. A présent j’ai dégagé tout ce qui pouvait me gêner et j’ai une bonne réserve de ligne ; on ne peut rien demander de plus.
« Poisson, dit-il doucement, à haute voix, je reste avec toi jusqu’à ma mort. »
Lui aussi restera avec moi, je suppose, pensa le vieil homme, et il attendit que le jour parût. Il faisait froid maintenant avant le point du jour et il se rencogna contre le bois pour avoir chaud. Je peux tenir comme ça aussi longtemps que lui, pensa-t-il. (…)

*

Un autre Extrait page 75

« Il remonte, dit-il. Allons, main. Réagis, je t’en prie. »
La ligne s’éleva lentement et régulièrement, puis la surface de l’océan se renfla à l’avant de la barque et le poisson parut. Il n’en finissait pas de paraître et l’eau ruisselait sur ses flancs. Il brillait au soleil et sa tête et son dos étaient pourpre foncé et les larges rayures de ses flancs au soleil d’un ton bleu lavande clair. Son rostre était long comme une batte de base-ball et effilé comme une épée et il jaillit hors de l’eau de toute sa longueur, puis replongea souplement comme un plongeur et le vieil homme vit sa queue pareille à la lame d’une grande faux disparaître dans les profondeurs et la ligne commença à se dévider à toute vitesse. (…)

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Des Poèmes sur les Chats, de Joyce Carol Oates

Ce mois-ci je m’intéresse à la littérature américaine, aussi j’ai lu le dernier recueil de poèmes de Joyce Carol Oates, intitulé Mélancolie américaine. Il s’agit de son premier recueil traduit en français.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Philippe Rey
Année de publication : 2021 aux Etats-Unis, 2023 pour la traduction française
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban 
Nombre de pages : 115

Extrait de la Quatrième de couverture 

Dans une langue brûlante, Joyce Carol Oates interroge et dénonce une Amérique amnésique car malade. Qu’elle apostrophe « Marlon Brando en enfer » ; qu’elle s’interroge sur les dérives passées de la science lors d’expériences sur des enfants ou des singes ; qu’elle martèle les raisons qui mènent les femmes à un avortement ; qu’elle décrive le destin d’un vieux hobo de retour chez lui dans un quasi-anonymat, Joyce Carol Oates est à la croisée de l’intime et du politique. 

Mon avis en bref

La poésie engagée ou d’inspiration politique n’est pas ce que je préfère en général et, ici, elle s’accompagne d’un esprit assez hargneux de justicière vertueuse et de donneuse de leçons, qui est sûrement très intéressant, et parfois justifié, dans un discours militant, devant une assemblée politique, mais qui ne semble pas vraiment à sa place dans un recueil de poèmes. Surtout que ces « poèmes » sont en réalité le plus souvent des simples proses, tout à fait triviales et banales, avec retours à la ligne arbitraires, pour se donner un genre de vers libres.
Certains poèmes sont d’inspiration « cancel culture » ou « woke », par exemple dans le poème Fugue de haine, où la poète s’en prend à Paul Celan et à toute la littérature qui a évoqué l’Holocauste, sous le prétexte qu’on ferait mieux d’oublier les atrocités nazies – idée particulièrement choquante et odieuse.
Elle s’en prend aussi à Marlon Brando, comme exemple parfait de « mâle prédateur », mais bon, il est mort depuis presque vingt ans et ça ne sert à rien de lui intenter des procès.
A mon sens, il vaut mieux se souvenir des atrocités nazies, cause de plusieurs millions de morts et de souffrances indicibles sur plusieurs générations, que de faire des procès à Marlon Brando par poésie interposée, vingt ans après sa mort.
Le seul poème du recueil qui m’a vraiment beaucoup plu c’est celui sur son chat – au moins, là, on échappe aux procès politiques indigestes et de toute façon classés sans suite.

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Voici donc deux extraits du poème sur les chats.

Page 73

Jubilate :
Un hommage en vers chattesques 

Car je veux considérer ma Chatte Cherie
car elle est l’apothéose de la beauté Chat
c’est-à-dire, rien d’extraordinaire
car chez le Chat, la beauté est ordinaire
comme la félicité
qui nous est
accordée
dans l’hypnose
du ronron-
nement.
On l’a vue
pétrir de ses griffes
une manche.
Et un genou.
Et une peau nue,
griffes pointues s’enfonçant –
juste un avertissement.

(…)

Suite page 76

« Vivre libre
ou mourir » – est l’essence même
du Chat, qui,
par contraste,
fait de nous des êtres
flagorneurs et obséquieux
(assez semblables aux
Ch**ns). Une telle beauté
nous instruit par sa perfection
même
car elle est au-delà
de la simple « utilité » – pas de chats de travail,
de chats de garde,
êtres plébéiens,
mais tous descendants
des dieux
qu’honora
l’Égypte ancienne ; et quoi
de plus divin que d’enfoncer
les dents dans un rat,
une créature qu’abhorre
l’humanité frileuse,
tout en conservant la plus pure
innocence-Chatte.

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Un Raisin au Soleil de Lorraine Hansberry

Couverture chez L’Arche

En me promenant dans ma librairie habituelle, avec l’envie de lire du théâtre, je suis tombée sur cette pièce inconnue de moi, d’une écrivaine afro-américaine engagée, Lorraine Hansberry, morte à seulement trente-quatre ans, dans les années 60.
J’ai lu ce livre dans le cadre d’un Mois thématique sur l’Amérique.

Note pratique sur le livre

Genre : Théâtre
Editeur : L’Arche
Date de première création de la pièce en anglais : 1959
Date de première création en français : 1960
Traduction par Samuel Légitimus et Sarah Vermande
Nombre de Pages : 141

Quatrième de Couverture

Grand classique du répertoire noir américain, Un raisin au soleil est une œuvre iconique, multiprimée au théâtre et au cinéma. Ce drame raconte la vie d’une famille du quartier noir de Chicago dans les années 1950, qui rêve d’ailleurs dans son logement usé par le temps. Un chèque d’assurance-vie de 10 000 dollars vient bouleverser leurs projets. Mama décide d’acheter une maison pour sortir la famille de sa condition. C’était sans compter sur le désespoir de Walter Lee, son fils, prêt à tout pour changer d’existence, et la pression exercée par l’association de voisinage du quartier blanc de la ville. Comment tenir tête à un monde hostile en préservant ses rêves ? Un texte essentiel pour comprendre la violence des discriminations raciales et les formes de résistance possibles.

Note biographique sur la dramaturge

Née en 1930 à Chicago et décédée en 1965 à New-York, autrice de théâtre et essayiste, anti-impérialiste et militante pour les droits civiques, Lorraine Hansberry est la première femme noire dont la pièce est montée à Broadway. Elle écrit à 29 ans Un Raisin au soleil, en écho à son histoire familiale, pour dénoncer la pratique discriminatoire du « redlining » : en 1940, son père avait gagné devant la Cour suprême le droit d’acheter une maison dans un quartier blanc de Chicago. Dès sa publication en 1959, la pièce rencontre un immense succès. A son décès, à 34 ans, Lorraine Hansberry laisse plusieurs textes inachevés, dont « Les Blancs« , une réaction aux « Nègres » de Jean Genet.

Mon humble Avis

Cette pièce a été écrite en 1959, à une époque où la ségrégation des Noirs par les Blancs et les combats pour les droits civiques revendiqués par les afro-américains étaient particulièrement forts et virulents, avec les figures de proue de Martin Luther King ou Malcolm X. Mais, malgré cette situation historique bien particulière, on peut remarquer que les thèmes abordés par ce livre sont toujours actuels et sans doute encore pour longtemps : la lutte pour la liberté et l’égalité, le désir de mener une existence épanouissante et conforme à ses aspirations, envers et contre tout.
Chaque personnage de cette famille noire de Chicago essaye de lutter à sa manière, avec ses forces et ses qualités personnelles, contre les discriminations et contre la condition misérable et servile qui était alors réservée à cette communauté. Tandis que le fils aîné, Walter Lee, se désespère de n’occuper qu’un emploi de chauffeur et rêve de faire fortune par des investissements un peu hasardeux et risqués, sa jeune soeur de vingt ans, Beneatha, est une étudiante en médecine qui rêve de renouer avec ses origines africaines et de devenir docteur au Nigéria.
On se rend compte en lisant ce livre que les problèmes financiers et la pauvreté contribuent évidemment à maintenir cette famille noire en situation d’oppression et de soumission, en lui bloquant l’accès vers une vie meilleure, en la privant de nombreuses issues. Mais le personnage de Mama, qui est le chef de famille et qui montre toujours de la sagesse et de la grandeur d’âme, se plaint que ses enfants sont trop obnubilés par l’argent et ne pensent pas assez à Dieu, aux vertus familiales, à la charité. Et chaque génération semble avoir des valeurs et des soucis tout à fait différents de ses aînés ou de ses puinés, même s’ils se rejoignent tous et toutes sur le désir de garder la tête haute et de ne pas courber l’échine devant quiconque, quels que soient les dangers ou les menaces.
Une très belle pièce, pleine de vie, de rebondissements et d’émotion, qui fait aussi réfléchir aux différentes formes d’oppression et aux possibles manières de les combattre.

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Un Extrait Page 92

Mrs Johnson. Oh, mon ange, je peux pas m’attarder – je suis juste passée voir si vous n’aviez pas besoin d’un coup de main. (Elle accepte pourtant la nourriture) J’imagine que vous êtes au courant, le journal de la communauté parle que de ça cette semaine.
Mama. Non, on l’a pas encore reçu.
Mrs Johnson, qui lève la tête de son assiette, les yeux écarquillés, l’air catastrophé. Attendez, vous avez pas entendu parler de l’attentat à la bombe, la famille noire qu’ils ont fait partir de force, obligés de quitter leur nouveau quartier ?
Ruth se redresse, inquiète ; elle prend le journal et se met à le lire. Mrs Johnson l’abreuve de commentaires.
Mrs Johnson. Si c’est pas une honte la manière dont ces Blancs se comportent, ici, à Chicago. Mais c’est qu’on se croirait en plein Mississipi (avec un sens consommé du mélodrame). Pour sûr, je trouve ça merveilleux comme y a toujours des frères pour vouloir jouer les pionniers. J’en connais des Noirs par ici qui disent qui z’iraient jamais là où qu’on veut pas d’eux – mais pas moi, oh non ! (C’est un mensonge.) Wilhemenia Othella Johnson, elle va où ça lui chante, quand ça lui chante ! (Elle souligne ses propos d’un mouvement de tête.) Oh oui ! Si on laissait faire ces petits Blancs, y aurait plus rien pour les pauvres Nègres… (Elle s’interrompt, la main sur la bouche.) Oh, j’oublie toujours que vous défendez qu’on emploie ce mot chez vous.
Mama, qui la regarde calmement. C’est vrai, je le défends.

Des Haïku de Jack Kerouac

Couverture chez La Table Ronde

Dans le cadre de mon Mois Thématique sur la littérature américaine, de juin 2023, je vous propose un petit tour du côté des haïku de Jack Kerouac, le fameux chef de file de la Beat Generation, à la fois romancier et poète, et qui connaissait suffisamment bien cette forme poétique japonaise traditionnelle pour en renouveler complètement l’esprit et l’humeur, et en donner une variante typiquement américaine et modernisée.

Note pratique sur le livre

Collection : la petite vermillon
Édition : la Table Ronde
Titre : Le livre des haïku
Edition bilingue
Année de publication : 2003
Traduction et préface de Bertrand Agostini
Nombre de pages : 424

Note sur Jack Kerouac

Jack Kerouac, né Jean-Louis Kerouac en 1922 (d’origine québécoise) et mort en Floride en 1969, est l’un des principaux écrivains et poètes américains du 20ème siècle, célèbre entre autres pour son roman Sur la Route (1957) qui est le livre-phare de la Beat Generation. Attiré par les grands espaces, le bouddhisme, les drogues, l’alcool, la frénésie des voyages et, plus généralement, la liberté individuelle, il influencera profondément la jeunesse de son époque, de Bob Dylan à la révolte estudiantine de mai 1968. Il est mort à seulement 47 ans d’une cirrhose.

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J’ai choisi une quinzaine de haïku à vous faire découvrir. Le choix fut difficile et de nombreux autres haïku auraient aussi bien pu figurer dans cette sélection, tellement ils sont beaux.
Dans mon choix, j’ai essayé de faire apparaître, au moins en partie, la diversité d’humeurs et d’inspirations qui me semble caractériser ces poèmes de Kerouac.

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Page 77

Abeille, pourquoi tu
me fixes ?
J’suis pas une fleur !

Page 85

Protégée par les nuages,
la lune
Dort en voyageant

Page 67

Les semelles de mes chaussures
sont propres
À force de marcher sous la pluie

Page 65

Crépuscule – l’oiseau
sur la clôture
Un de mes contemporains

Page 57

L’arbre ressemble
à un chien
Aboyant vers le Ciel

Page 103

Ma couche en désordre
-La voix de la femme
D’à côté

Page 125

J’ai raconté une blague
sous les étoiles
-Pas de rires

Page 117

Comme les fleurs aiment
le soleil,
Tiens, elles clignent des yeux !

Page 225

Il n’y a rien là
parce que
Je m’en fiche

Page 239

La lune
est un
Citron aveugle

Page 255

Néons, restaurants chinois
défilent-
Les filles de couleur différente

Page 257

Terre grasse comme du beurre
dans la vallée–
Grosses limaces noires

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Page 347

Bach par une fenêtre
ouverte à l’aube –
les oiseaux se taisent

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Page 385

Deux nuages s’embrassant
ont reculé pour
Se regarder

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