La Découverte du monde de C.-F. Ramuz

Couverture aux éditions Zoé

Ayant entendu des critiques très positives sur cet écrivain suisse de la première moitié du 20ème siècle, Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947), réputé pour la beauté de son style et ses sujets souvent inspirés du terroir vaudois, j’ai eu envie de le découvrir avec ce livre de souvenirs de jeunesse « La Découverte du monde » et je n’ai pas été du tout déçue !

Note Pratique sur le Livre

éditeur : Zoé poche
Première date de publication : 1939
Date de l’actuelle édition : 2022
Nombre de pages : 250

Note sur l’écrivain

Charles Ferdinand Ramuz, né à Lausanne en 1878 et mort à Pully en 1947, est un romancier, poète et essayiste de Suisse romande. Il fait des études de Lettres à l’Université de Lausanne. Il séjourne à Paris de 1900 à 1914, et découvre à cette occasion la littérature de son temps.
Il est d’abord proche du mouvement régionaliste, avant de développer un style plus personnel, qui reste attaché à ses origines vaudoises et qui puise ses sujets parmi les habitants de sa région.
Dès les années 1930, il obtient le succès et la notoriété, ses œuvres étant publiées chez Grasset, et il collabore à de nombreuses revues littéraires. Son talent est reconnu par des écrivains comme Louis Ferdinand Céline, Gide, Giono, entre autres. Par deux fois, il manque d’obtenir le Prix Nobel de Littérature, en 1943 et 1944. Les dernières années de sa vie, marquées par la maladie, le voient se consacrer plus particulièrement à des écrits autobiographiques. Il meurt à l’âge de 68 ans.

Quatrième de Couverture

« Surtout, pour la première fois, je me heurtais à cette difficulté, que la nature n’est pas faite pour être seulement regardée. Je voyais qu’il y a une autre manière de la rejoindre et plus profondément que par les yeux, c’est avec le corps. »

Texte tardif (1939), Découverte du monde retrace les premières années de la vie de Ramuz, de son enfance lausannoise à son départ pour Paris, et jusqu’à ses débuts dans l’écriture. En revenant sur son itinéraire, l’autobiographe rend moins hommage à sa formation qu’il n’affirme sa vocation d’artiste.

Mon Avis

C’est un beau livre, dont le titre pourrait aussi bien être « la découverte de soi », ou « la naissance d’une vocation littéraire ». Ramuz essaye de reconstituer ses années d’enfance et de jeunesse à partir de ses souvenirs. Mais ce ne sont pas tellement les événements extérieurs ou les rencontres affectives qui nous sont ici racontées. C’est essentiellement un autoportrait, une analyse psychologique à travers un parcours de vie. L’écrivain cherche à retrouver les pensées et les sentiments qui étaient les siens dans ses jeunes années. Et nous voyons qu’il souffrait beaucoup du manque de liberté et du conformisme excessif liés à son éducation, que le désir d’écriture était justement chez lui une manière d’échapper à ce carcan étouffant, de révéler son individualité tant bien que mal. Il ne condamne pas ou ne critique pas ceux qui l’ont éduqué de cette manière, mais il nous fait sentir que cette éducation ne pouvait pas convenir aux esprits créatifs et indépendants comme le sien.
Ramuz évoque quelques épisodes décisifs de son enfance, grâce auxquels sa vocation littéraire s’est trouvée renforcée et encouragée. Par exemple, une composition scolaire où il prit un jour la liberté et l’audace d’écrire un long texte en alexandrins rimés, à la stupéfaction de son professeur qui l’avait toujours pris jusque-là pour un élève médiocre et qui, devant une telle réussite, le soupçonna de supercherie et de plagiat. Ou encore, sa rencontre avec son meilleur ami, passionné de théâtre, sous l’influence duquel il commença à exercer sa plume dans la composition de pièces et à s’épanouir dans cette voie.
Je me suis souvent sentie proche de Ramuz au cours de ce récit, car il raconte des choses qui m’ont véritablement concernée et que j’ai eu l’impression de comprendre, de m’approprier, d’intégrer à ma propre mémoire. Il me semble qu’il creuse très profond pour exprimer les incertitudes et le mal-être d’une jeunesse qui cherche sa voie.
Un livre qui m’a vraiment beaucoup plu ! Que j’ai lu comme une confidence, un récit de vérité, très personnel mais en même temps très pudique.

Un Extrait page 89

C’est vers cette même époque (je devais avoir onze ou douze ans) que j’ai commencé à me dédoubler. Il y a eu en moi comme deux moitiés de personnages, qui à eux deux constituaient ma personne, mais qui se ressemblaient chaque jour un peu moins.
D’abord l’élève un tel, qui devenait d’ailleurs un toujours plus mauvais élève, perdant chaque année quelques places dans le classement, mais visible de toute part ; ensuite, et à côté, quelqu’un de très secret, qui prenait le plus grand soin de ne rien livrer de lui-même.
L’élève Ramuz, et puis quelqu’un qui portait bien le même nom, mais prenait en toute chose secrètement le contrepied des opinions officielles que professait ouvertement l’élève.
C’est, je pense, l’histoire de nombreux petits garçons de mon âge, dont la vie est faite entièrement d’obligations qu’ils n’ont pas choisies ; alors ils s’en vengent comme ils peuvent. Ils sont bien forcés de s’y soumettre ; ils s’y soumettent, en effet ; ils n’ont rien du révolté. Mais ils n’ont rien, d’autre part, de l’élève conformiste, né conforme à ce qui l’entoure, et qui est parfaitement satisfait de l’enseignement qu’on lui donne, n’imaginant même pas qu’il puisse être différent. (…)

Un Extrait page 191

Je n’ai pas d’invention ; je n’ai que de l’imagination. On confond trop souvent ces deux facultés qui n’ont rien de commun et sont même volontiers contradictoires. Le parfait romancier serait un homme qui aurait à la fois de l’invention et de l’imagination et on sait que l’espèce en est singulièrement rare. L’invention tend à l’acte et s’intéresse à l’acte ; elle s’entend à en prévoir et à en utiliser les conséquences, les multipliant ainsi par elles-mêmes. L’invention est évènement, elle se complaît à l’événement, elle se délecte à nouer une intrigue, à en compliquer, à en diversifier les péripéties et à ne la dénouer qu’après les avoir épuisées. L’invention est « dynamique » comme on dit ; elle réside dans un mouvement constant, organisé de manière à susciter, maintenir et renouveler l’intérêt ou même fréquemment la simple curiosité du lecteur ; l’imagination, au contraire, est contemplative. Dans cette longue suite d’événements dont l’invention se plaît à combiner les péripéties, elle en choisit un qu’elle immobilise ; là où l’invention accélère, elle, elle fixe et elle retient. Elle se nourrit du spectacle qu’elle s’offre à elle-même. Elle tend à se confondre avec l’objet qu’elle évoque, c’est à dire que le sujet tend à se confondre avec l’objet. Je me représente un incendie et il y a un incendie ; je le vis véritablement, je suis dedans, il se met à exister ; il est ou il peut être sans relation aucune avec les événements précédents ou subséquents : il est sans cause et sans effets ; il est, j’ajoute qu’il est à moi. (…)

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J’ai lu ce livre dans le cadre du Printemps des Artistes puisqu’il y est beaucoup question d’écriture et de vocation littéraire, à travers un parcours de jeunesse.

Logo du Défi, créé par Goran

Parution de mon nouveau recueil « Excursions Poétiques » chez Z4 Editions

C’est avec grand plaisir que je vous annonce la publication des « Excursions poétiques« , mon sixième livre depuis 2014.
Vivant à Paris depuis plus de quarante ans, j’ai souhaité consacrer à « ma » ville un recueil sensible, ironique et intime.

L’illustration de couverture est « La Tour Eiffel » (1925) de Robert Delaunay.

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Quatrième de Couverture :

Dans ce recueil, Marie-Anne Bruch nous convie à une promenade parisienne, de quartier en quartier et au fil des saisons.

Du parc Montsouris à la place de la Bastille, de l’île de la Cité aux buildings de la Défense, nous partageons avec elle, un café en terrasse ou une pause dans un square. Observatrice attentive, elle nous offre des croquis vivants, rythmés et souvent cocasses de la capitale et de ses habitants, dans des proses où la description réaliste côtoie sans cesse les parages de la fantaisie et de l’imaginaire.

Surtout, ces textes pleins de saveurs, de couleurs et de souvenirs nuancés, sont l’occasion pour la poétesse de jouer avec les mots, leurs résonnances et leurs échos.

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Voici le lien vers le site de Z4 Editions pour davantage d’informations et pour commander le livre :

En commandant le livre avant le 7 mai, vous bénéficiez d’une remise de 15%.

L’Horizon de Patrick Modiano

Couverture chez Folio

Vous aurez peut-être remarqué que j’aime bien Modiano, ayant déjà chroniqué cinq ou six de ses romans, et c’est toujours un plaisir particulier de retrouver l’atmosphère de ses livres, d’explorer avec lui divers quartiers de Paris, de partir sur les traces en partie effacées d’un personnage, d’un souvenir, d’une affaire plus ou moins louche. Et on retrouve en effet tous ces éléments dans « L’horizon », qui nous promène, entre autres, du Parc Montsouris aux Jardins de l’Observatoire puis du quartier de Bercy à l’Allemagne et qui propose quelques va-et-vient des années 60 à notre époque contemporaine.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Folio (initialement, Gallimard)
Année de publication : 2010
Nombre de Pages : 167

Résumé succinct de l’histoire

Le héros, Jean Bosmans, est un libraire parisien et il s’essaye à l’écriture. Sa librairie dépend des Editions du Sablier, spécialisée dans les sciences occultes et l’ésotérisme. Il a une relation avec une jeune secrétaire et occasionnellement gouvernante, Margaret Le Coz, qui travaille dans un bureau avec une bande de collègues inquiétants. Nos deux héros sont pourchassés depuis plusieurs années par des importuns malveillants : Margaret par un homme dénommé Boyaval et Jean Bosmans par sa mère, une femme agressive aux cheveux rouges, accompagnée par un homme qui a l’air d’un prêtre défroqué. Le jeune couple croise parfois par hasard ces ennemis potentiels ou réels, mais il arrive toujours à leur échapper et il déménage dans un autre quartier.

Mon Avis

Le livre instaure un climat d’étrangeté et surtout de menace, qui pourrait évoquer très vaguement une ambiance de roman policier, sauf qu’aucun crime ne se produit. Le jeune couple de héros ne cesse de fuir des personnages prétendument menaçants, voire dangereux, mais on se demande jusqu’à quel point ces dangers existent et si notre jeune couple ne fait pas une montagne de choses pas très graves, comme s’ils étaient tous deux un peu obsessionnels ou parano. Le fait que Jean Bosmans ait tellement peur de sa mère aux cheveux rouges et d’un prêtre défroqué, qui veulent le faire chanter et lui demandent de l’argent, a aussi quelque chose de névrotique ou, en tout cas, de bizarre, qui aurait intéressé Freud, même si l’auteur ne souligne à aucun moment ces incongruités et qu’il raconte tout cela très naturellement.
J’ai été intrigué par le nom du héros, Jean Bosmans, qui est aussi le nom du héros de « Chevreuse« , un autre roman de Modiano, postérieur à celui-ci puisqu’il date de 2021, mais dont aucun autre personnage ou évocation géographique ne correspond à ceux de « L’horizon« , comme si ce Jean Bosmans avait une mémoire pleine de compartiments qui ne communiquent pas entre eux.
J’ai aimé la manière elliptique dont sont décrits les personnages, à partir de deux ou trois mots Modiano brosse un portrait complet ou il dessine une silhouette reconnaissable. Il laisse aussi travailler l’imagination du lecteur et compléter les lacunes de l’intrigue, car beaucoup de choses sont passées sous silence ou seulement effleurées laconiquement. Ainsi, il n’est dit à aucun moment du livre que Jean Bosmans et Margaret Le Coz sont en couple, amoureux l’un de l’autre, et leurs relations sont vraiment décrites avec une froide parcimonie, mais on comprend tout de même très bien la profondeur de leurs sentiments, et encore davantage dans les dernières pages, qui sont très belles.

Un Extrait Page 51

Lointain Auteuil… Il regardait le petit plan de Paris, sur les deux dernières pages du carnet de moleskine. Il avait toujours imaginé qu’il pourrait retrouver au fond de certains quartiers les personnes qu’il avait rencontrées dans sa jeunesse, avec leur âge et leur allure d’autrefois. Ils y menaient une vie parallèle, à l’abri du temps… Dans les plis secrets de ces quartiers-là, Margaret et les autres vivaient encore tels qu’ils étaient à l’époque. Pour les atteindre, il fallait connaître des passages cachés à travers les immeubles, des rues qui semblaient à première vue des impasses et qui n’étaient pas mentionnées sur le plan. En rêve, il savait comment y accéder à partir de telle station de métro précise. Mais, au réveil, il n’éprouvait pas le besoin de vérifier dans le Paris réel. Ou, plutôt, il n’osait pas.

Un Enfant, de Thomas Bernhard

J’ai lu Un Enfant de Thomas Bernhard car il appartenait à mon ami très regretté le blogueur Goran et que sa mère a eu la gentillesse de me donner certains de ses livres après sa disparition, ce qui m’a beaucoup touchée.
Cette lecture s’inscrit dans Les Feuilles Allemandes de novembre 2022, organisées par Eva, Patrice et Fabienne des blogs « Et si on bouquinait un peu » et de « Livr’escapades« .

Note Pratique sur le livre

Genre : Autobiographie (Souvenirs d’enfance)
Editeur : L’imaginaire Gallimard
Année de Publication en Allemagne : 1982 (en France : 1984)
Traduit de l’allemand par Albert Kohn
Nombre de Pages : 151

Quatrième de Couverture

Né discrètement en Hollande où sa mère va cacher un accouchement hors mariage, Thomas Bernhard est bientôt recueilli par ses grands-parents qui vivent à Vienne. La crise économique des années trente les force à s’établir dans un village aux environs de Salzbourg où l’enfant découvre avec ravissement la vie campagnarde.
Le grand-père, vieil anarchiste, doit aller s’installer à Traunstein, en Bavière. Le jeune Thomas se familiarise avec le monde de la petite ville, commence à s’émanciper, fait l’école buissonnière et ses premières escapades à vélo. Il découvre aussi le national-socialisme et la guerre aérienne.
« Le monde enchanté de l’enfance » n’est pas celui pourtant du petit Thomas. Persécuté par ses maîtres, souffrant du complexe de l’immigré et du pauvre, il a plusieurs fois la tentation du suicide, tentation qui plus tard hantera aussi l’adolescent et le jeune homme.

Mon Avis

Jusqu’à présent j’avais déjà lu et apprécié trois ou quatre romans de Thomas Bernhard et leur ton sarcastique, leur outrance obsessionnelle et leur humour grinçant m’avaient chaque fois frappée. Mais ici, dans ce récit autobiographique, l’auteur adopte un ton plus doux, plus tendre et plus ému (sans aucune trace de pleurnicherie, bien sûr) que j’ai particulièrement aimé.
Ce récit se développe tout d’une traite, sans la division classique en chapitres ou en paragraphes distincts, et ainsi nous sommes portés et entraînés par un flux littéraire continu qui se révèle assez prenant : chaque soir j’avais un peu de mal à quitter mon livre.
L’auteur raconte à bâtons rompus tous ses souvenirs d’enfance et les nombreux événements, surtout malheureux mais parfois aussi joyeux, que lui et sa famille ont traversés. Nous découvrons un enfant souvent maltraité, autant par sa mère que par ses camarades de classe et ses instituteurs successifs, mais doté d’une grande intelligence et, surtout, aimant plus que tout son grand père grâce à qui il apprend à réfléchir, à se construire, à s’émanciper intellectuellement. Et c’est une très belle relation qui nous est décrite entre ce grand père et son petit fils, même si elle est parfois teintée de reproches et d’agacement. Un grand père anarchiste et anti conformiste, écrivain sans doute talentueux mais resté sans succès, et que Thomas Bernhard décrit comme un « penseur » et un homme nullement impressionné par les figures d’autorité, les enseignants ou les dirigeants quels qu’ils soient. Et on se rend compte que Thomas Bernhard a pleinement hérité de ses opinions et points de vue quand on connaît certaines de ses autres œuvres et leur ton irrévérencieux.
Un excellent livre et peut-être même mon préféré de cet écrivain !

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Un Extrait Page 25-26

Dans l’ombre du pont de chemin de fer plongé dans la nuit, auquel j’enflammais avec la plus grande jouissance mes pensées anarchistes, j’étais en route pour aller chez mon grand-père. Les grands-pères sont les maîtres, les véritables philosophes de tout être humain, ils ouvrent toujours en grand le rideau que les autres ferment continuellement. Nous voyons, quand nous sommes en leur compagnie, ce qui est réellement non seulement la salle, nous voyons la scène et nous voyons tout, derrière la scène. Depuis des millénaires les grands-pères créent le diable là où sans eux il n’y aurait que le Bon Dieu. Par eux nous avons l’expérience du spectacle entier dans son intégralité, non seulement du misérable reste, le reste mensonger, considéré comme une farce. Les grands-pères placent la tête de leur petit-fils là où il y a au moins quelque chose d’intéressant à voir, bien que ce ne soit pas toujours quelque chose d’élémentaire, et, par cette attention continuelle à l’essentiel qui leur est propre, ils nous affranchissent de la médiocrité désespérante dans laquelle, sans les grands-pères, indubitablement nous mourrions bientôt d’asphyxie. (…)

Chevreuse de Patrick Modiano

Couverture chez Gallimard

Note pratique sur le livre

Editeur : Gallimard
Date de publication : 2021
Genre : roman
Nombre de pages : 159

Petit résumé de l’histoire (vue par moi)

Un jeune homme d’une vingtaine d’années se remémore des événements qui lui sont arrivés une quinzaine d’années plus tôt, à l’époque de son enfance, et dont il se souvient très mal. En effet, des personnes qu’il côtoyait en ce temps-là réapparaissent brutalement dans sa vie et semblent avoir vis-à-vis de lui des intentions peu claires et agissent avec lui d’une manière ambiguë, parfois inquiétante. Nous partons donc sur les traces de ce jeune homme, Jean Bosmans, et tentons de reconstituer avec lui cet arrière-plan de souvenirs touffus, dont beaucoup de choses semblent avoir disparu sans laisser de trace. (…)

Mon humble avis :

Avant d’écrire cette chronique je suis allée regarder sur Internet les diverses et nombreuses critiques qui lui ont été consacrées et j’ai été très étonnée de constater que la plupart des commentateurs parlent de ce livre comme si c’était une stricte autobiographie, un épisode réel de la vie de Patrick Modiano. Je suis peut-être à côté de la plaque mais j’ai lu ce livre comme un véritable roman, une fiction tout à fait imaginaire, même si on sent que certains petits détails pourraient être tirés du vrai, même si le héros est écrivain (mais il s’appelle Jean Bosmans et non pas Patrick Modiano), et on se fait plusieurs fois la réflexion, au cours de la lecture, qu’ici la réalité est tellement imbriquée avec l’imaginaire qu’on aurait beaucoup de mal à les démêler et qu’il n’y aurait, en plus, pas tellement d’intérêt à le faire.
Dans ce roman, on retrouve beaucoup d’éléments typiquement modianesques : l’importance primordiale des lieux (quartiers de Paris et de sa banlieue sud, certaines rues et certains appartements), des personnages plus ou moins fantomatiques dont on ne sait pas grand-chose (et le peu de choses qu’on en sait est incertain et sujet à caution), le héros lui-même nous apparaît en quête de ses souvenirs, perdu dans une enquête sur son passé et cherchant finalement à reconstituer sa propre identité à travers des bribes de mémoire, des traces de personnages qui ont disparu et qu’il n’a peut-être même jamais vraiment connus profondément.
Ici, de larges zones de l’histoire sont passées sous silence et demeurent inexpliquées : nous ne comprenons pas pourquoi ce Jean Bosmans, vers l’âge de cinq ans, vivait sans ses parents et sans aucun adulte de sa famille, avec des personnes inconnues et louches (plus ou moins, des repris de justice) : pourquoi, pendant combien de temps et quel était leur mode de vie, nous l’ignorons. Les relations des personnages les uns avec les autres nous apparaissent mystérieuses et nous sentons que nous n’avons pas tous les éléments pour établir les causes, les conséquences des événements, les buts et les motifs des personnages – ce qui trouvera effectivement son explication à la fin mais pas totalement.
C’est essentiellement un roman sur le thème du temps qui passe, du temps qui efface les gens, les choses ,les événements, les souvenirs et où le mot « disparition » s’inscrit en filigrane tout au long des pages.
Un très beau livre, où les amateurs de Modiano retrouveront tout ce qui fait le charme et l’atmosphère de l’œuvre de cet écrivain.

Un Extrait page 49

Il éprouvait un sentiment de légèreté à se promener cet après-midi là, au hasard dans les rues d’Auteuil. Il pensait à cet appartement si différent le jour et la nuit, au point d’appartenir à deux mondes parallèles. Mais pourquoi s’en serait-il inquiété, lui qui depuis des années avait l’habitude de vivre sur une frontière étroite entre la réalité et le rêve, et de les laisser s’éclairer l’un l’autre, et quelquefois se mêler, tandis qu’il poursuivait son chemin d’un pas ferme, sans dévier d’un centimètre, car il savait bien que cela aurait rompu un équilibre précaire ? A plusieurs reprises, on l’avait traité de « somnambule », et le mot lui avait semblé, dans une certaine mesure, un compliment. Jadis, on consultait des somnambules pour leur don de voyance. Il ne se sentait pas si différent d’eux. Le tout était de ne pas glisser de la ligne de crête et de savoir jusqu’à quelle limite on peut rêver sa vie.(…)

Un Extrait page 60

Il dut attendre encore de nombreuses années avant d’en savoir un peu plus long sur l’hôtel Chatham et « le groupe » auquel Camille avait fait allusion, un cercle d’individus assez inquiétants. Mais cette nouvelle perspective ne changea rien aux souvenirs qu’il gardait de cette période de sa vie. Au contraire, elle confirmait certaines impressions qu’il avait eues, et il les retrouvait intactes et aussi fortes, comme si le temps était aboli.
A cette époque, il n’avait cessé de marcher à travers Paris dans une lumière qui donnait aux personnes qu’il croisait et aux rues une très vive phosphorescence. Puis, peu à peu, en vieillissant, il avait remarqué que la lumière s’était appauvrie ; elle rendait désormais aux gens et aux choses leurs vrais aspects et leurs vraies couleurs – les couleurs ternes de la vie courante. Il se disait que son attention de spectateur nocturne avait faibli elle aussi. Mais peut-être qu’après tant d’années ce monde et ces rues avaient changé au point de ne plus rien évoquer pour lui.

Une Lecture Commune pour Goran

Il y a presqu’un an, notre ami Goran, homme de cœur et de culture et blogueur de talent, nous quittait, bien trop jeune.
En souvenir de son amitié et en son hommage, nous sommes plusieurs blogueurs (en particulier Patrice et Eva) à souhaiter organiser une lecture commune pour la date du 15 septembre – anniversaire de la création du blogue de Goran.
Après avoir consulté le Top100 de Goran – la liste de ses cent livres préférés – j’ai pensé que nous pourrions lire Moon Palace de Paul Auster, l’un des écrivains que Goran admirait tout particulièrement. Si vous avez déjà lu ce livre, vous pourrez lire un des livres de La Trilogie new-yorkaise du même auteur, ou tout autre roman de ce célèbre écrivain américain contemporain, à votre convenance.

Pour résumer :


Si vous voulez participer il s’agit donc de lire et de chroniquer Moon Palace de Paul Auster pour le 15 septembre 2022 (ou un autre du même auteur, par exemple un tome de la Trilogie new-yorkaise) et, bien sûr, de me signaler vos chroniques par un petit commentaire sur cette page.

Quelques Poèmes de Cécile Guivarch

Couverture chez « Les Lieux dits »

Ces poèmes sont extraits du recueil « Cent ans au printemps », dédié au grand-père paternel de la poète, et publié au printemps 2021 aux éditions « Les Lieux dits », dans la jolie collection des Cahiers du Loup bleu, dont j’ai eu le plaisir d’acquérir plusieurs recueils de poètes et poétesses différents.

Note sur la poète

Cécile Guivarch, née en 1976 près de Rouen, est une poète franco-espagnole (de langue française) qui a créé en 2005 et qui continue d’animer le site poétique Terre à Ciel. En 2017, elle est lauréate du Prix Yves Cosson pour l’ensemble de son œuvre. (Source : Wikipédia et moi)

Note sur le recueil

Ce livre recueille des souvenirs d’enfance en lien avec ce grand-père paternel et exprime avec délicatesse l’affection très forte entre la petite fille qu’elle était et cet homme aux yeux bleus intenses, proche de la campagne et de la mer, et qui avait fait la guerre. (source : moi)

**

Personne n’a son regard
ni même la couleur de la mer

les canetons au creux des mains
je détale devant le dindon

le poème pour faire revenir
le sourire dans les yeux
nos deux extrémités

*

son odeur de tabac
(me serre tout contre)

***

Sont morts milliers de grands-pères
ce n’était pas le mien

qu’a-t-il pensé des avions
maisons tombées en gravats

un soldat évadé caché dans le grenier
devenu sourd et muet de ne pas avoir
le droit de parler

*

les mots sonnent vides
(comme des pas perdus)

***

Le jardin étendu plus loin que le jardin
les jours de pluie les herbes mouillées

sur le chemin interdit sauf riverains
des centaines de coquilles

les escargots déposés un à un dans un seau
pas pour une course de lenteur
les faire dégorger à l’ail puis au beurre

*

le persil toujours au jardin
(grand-père dans sa coquille)

***

(Dernier poème du recueil)

Il aurait eu cent ans au printemps
vingt ans comme ses années de mer

j’ai une barque dans la tête
elle va et vient avec les vagues

j’étais encore une enfant quand j’ai écrit
ma première rédaction
la couleur de ses yeux

*

se souvenir nous met au monde
(poitrine soulevée de tant de battements)

***

Le Cœur à rire et à pleurer de Maryse Condé

Note pratique sur le livre

Année de parution originale : 1999
Editeur : Pocket (initialement, Robert Laffont)
Nombre de pages : 155

Note biographique sur l’écrivaine

Maryse Condé est née en Guadeloupe en 1937. Elle a étudié à Paris, avant de vivre en Afrique – notamment au Mali – d’où elle a tiré l’inspiration de son best-seller Ségou (Robert Laffont, 1985). Ses romans lui ont valu de nombreux prix, notamment pour Moi, Tituba sorcière (grand prix de la littérature de la Femme, 1986) et La Vie scélérate (Prix Anaïs Ségalas de l’Académie Française, 1988).
En 1993, Maryse Condé a été la première femme à recevoir le prix Putterbaugh décerné aux Etats-Unis à un écrivain de langue française. Lus dans le monde entier, ses romans s’interrogent sur une mémoire hantée par l’esclavagisme et le colonialisme, et, pour les descendants des exilés, sur une recherche identitaire.
Après de nombreuses années d’enseignement à l’Université de Columbia à New-York, elle partage aujourd’hui son temps entre la Guadeloupe et New-York. Elle a initié la création du prix des Amériques insulaires et de la Guyane qui récompense tous les deux ans le meilleur ouvrage de littérature antillaise.
(Source : éditeur)

Brève présentation :

Dans ce récit, dédié à sa mère, Maryse Condé retrace ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, dans les années quarante et cinquante, sur l’île de la Guadeloupe, jusqu’à ses premières années d’études à Paris, d’abord en Lettres Classiques puis en Anglais. Peu à peu, l’écrivaine se construit une identité, en opposition à ses parents, tout en renouant avec leurs racines.

Mon humble avis :

C’est un livre très agréable à lire, de par son écriture extrêmement fluide et d’une brillante clarté. La présence d’expressions typiquement guadeloupéennes – peu fréquentes mais tout de même régulièrement distillées au cours du récit – ne sont pas très difficiles à comprendre dans leur contexte et elles nous font entrer dans le mode de vie et le langage des personnages. Il y a d’ailleurs un bref glossaire en fin d’ouvrage, mais je n’ai eu besoin d’y recourir que deux ou trois fois.
Ces souvenirs d’enfance sont, comme l’indique le titre, à la fois doux et amers, souriants et tristes.
La petite fille est élevée par des parents très francophiles, dont la culture française et la passion de « la Métropole » surpasse très certainement celles de nombreux français hexagonaux. Mais, en grandissant, la fillette puis l’adolescente prend conscience de ses origines, auxquelles ses parents n’ont jamais fait allusion. Son frère lui dit que leurs parents sont des « aliénés » et elle commence à s’interroger. Elle a bien remarqué que, sur l’île, les Noirs, les Mulâtres et les « Blancs-pays » ne se fréquentent pas et elle cherche dès lors à comprendre les raisons, héritées de l’Histoire, avec le racisme, l’esclavage et la colonisation, dont la découverte simultanée la bouleverse.
Bien sûr, ce récit autobiographique n’évoque pas que l’aspect politique ou historique des choses, loin de là. Les liens affectifs avec la mère, une femme forte et d’une autorité sans doute assez effrayante, ou avec la meilleure amie Yvelise, ou encore avec la nourrice très aimée, Mabo Julie, donnent lieu à de très beaux chapitres.
Et justement, cette manière d’imbriquer dans un même récit le côté politique et affectif, l’un éclairant l’autre, m’a semblé extrêmement intéressant et riche.
Le caractère de l’écrivaine, très épris de vérité et d’une franchise mal comprise par les autres, m’a été tout à fait sympathique et facilement imaginable – il m’a semblé la « rencontrer » d’une manière presque concrète.
Un livre que j’ai vraiment beaucoup aimé !

Un Extrait page 117

(…)
Ceux qui n’ont pas lu La Rue Cases-Nègres ont peut-être vu le film qu’Euzhan Palcy en a tiré. C’est l’histoire d’un de ces « petits-nègres » que mes parents redoutaient tellement, qui grandit sur une plantation de canne à sucre dans les affres de la faim et des privations. Tandis que sa maman se loue chez des békés de la ville, il est élevé à force de sacrifices par sa grand-mère Man Tine, ammareuse en robe matelassée par les rapiéçages. Sa seule porte de sortie est l’instruction. Heureusement, il est intelligent. Il travaille bien à l’école et se prépare à devenir petit-bourgeois au moment précis où sa grand-mère meurt. Je pleurais à chaudes larmes en lisant les dernières pages du roman, les plus belles à mon avis que Zobel ait jamais écrites.
« C’étaient ses mains qui m’apparaissaient sur la blancheur du drap. Ses mains noires, gonflées, durcies, craquelées à chaque repli, et chaque craquelure incrustée d’une boue indélébile. Des doigts encroûtés, déviés en tous sens ; aux bouts usés et renforcés par des ongles plus épais, plus durs et informes que des sabots… « 
Pour moi toute cette histoire était parfaitement exotique, surréaliste. D’un seul coup tombait sur mes épaules le poids de l’esclavage, de la Traite, de l’oppression coloniale, de l’exploitation de l’homme par l’homme, des préjugés de couleur dont personne, à part quelquefois Sandrino, ne me parlait jamais. (…)

La Formule Préférée du professeur de Yôko Ogawa

couverture chez Actes Sud

Vous aurez peut-être remarqué que je m’intéresse cette année tout particulièrement à l’écrivaine japonaise Yôko Ogawa, dont j’ai déjà chroniqué quelques livres au cours des derniers mois (La Piscine, L’annulaire, La Grossesse, entre autres) mais aussi Le Petit Joueur d’Echecs en l’honneur de Goran. Dans le souhait de mieux connaître cette écrivaine, j’ai souhaité lire l’un de ses romans les plus réputés : La Formule préférée du Professeur, qui date de 2003, et qui est disponible chez Actes Sud dans une traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle.

Note biographique sur l’autrice :

Yôko Ogawa, née en 1962, se consacre à l’écriture dès la fin de ses études de Lettres. Admiratrice d’auteurs comme Murakami, Tanizaki, Kawabata, elle apprécie aussi Paul Auster dont le roman Moon Palace l’influença. Elle remporte le prestigieux Prix Akutagawa pour son roman La Grossesse en 1991, puis de nombreux autres prix (Tanizaki, Izumi, etc.). Traduite dans le monde entier, l’œuvre de Yôko Ogawa est particulièrement populaire en France. (Source : Wikipédia)

Quatrième de Couverture :

Une aide-ménagère est embauchée chez un ancien mathématicien, un homme d’une soixantaine d’années dont la carrière a été brutalement interrompue par un accident de voiture, catastrophe qui a réduit l’autonomie de sa mémoire à quatre-vingts minutes.
Chaque matin, en arrivant chez lui, la jeune femme doit de nouveau se présenter – le professeur oublie son existence d’un jour à l’autre – mais c’est avec beaucoup de patience, de gentillesse et d’attention qu’elle gagne sa confiance et, à sa demande, lui présente son fils âgé de dix ans. Commence alors entre eux une magnifique relation. Le petit garçon et sa mère vont non seulement partager avec le vieil amnésique sa passion pour le base-ball, mais aussi et surtout appréhender la magie des chiffres, comprendre le véritable enjeu des mathématiques et découvrir la formule préférée du professeur…
Un subtil roman sur l’héritage et la filiation, une histoire à travers laquelle trois générations se retrouvent sous le signe d’une mémoire égarée, fugitive, à jamais offerte.

Mon Humble Avis :

L’idée de mélanger les plus célèbres formules mathématiques avec une histoire romanesque, m’a paru intéressante et Yôko Ogawa nous donne à travers ce roman une véritable leçon de vulgarisation, qui rend les maths passionnantes, même pour des lecteurs réfractaires à priori à l’algèbre et à l’arithmétique. Et j’ai trouvé qu’il s’agissait là de l’idée la plus brillante de ce roman.
Par contre, il y a plusieurs autres choses que je n’ai pas trop appréciées.
Yôko Ogawa consacre de nombreuses pages au base-ball, et nous fait même assister à un match entier, avec la description des différents coups réalisés par les deux équipes, ce qui a été pour moi un long moment d’ennui ! Et comme les Français (dont je suis) ne connaissent en général strictement rien au base-ball et à ses règles complexes et sibyllines, il est probable que le lecteur s’ennuiera à peu près autant que moi.
Une autre chose qui m’a dérangée est le défaut de vraisemblance. Pas mal de péripéties semblent cousues de fil blanc, à commencer par l’amnésie du professeur qui ne l’empêche pas de mener des travaux mathématiques sur des périodes de plusieurs jours, alors qu’il est supposé tout oublier au bout de quatre-vingts minutes ! De même, il réussit à nouer une longue et profonde amitié avec la narratrice et son fils, alors qu’il les oublie totalement toutes les quatre-vingts minutes et qu’ils sont obligés de lui rappeler à nouveau qui ils sont – comment est-ce possible ? L’autrice ne nous l’explique pas vraiment.
Cependant, il y a un défaut qui m’a encore plus agacée : c’est le caractère gentillet des personnages et les trop nombreux bons sentiments qui animent ces trois gentils héros.
Et là, je n’ai pas du tout reconnu la Yôko Ogawa que j’aime et que j’admire, l’écrivaine au trait acéré, à la cruauté savamment distillée, et au pouvoir de suggestion sans pareil, l’autrice de « L’annulaire » et de « La Grossesse ».
Il m’a semblé que Yôko Ogawa pratiquait une littérature bien plus exigeante et maîtrisée dans les années 90, pour autant que je puisse en juger, et puisque j’ai déjà lu trois de ses livres des années 90 et deux des années 2000, mais cela mériterait d’être approfondi et précisé.
Je dirais donc à propos de La Formule préférée du professeur qu’il s’agit d’un roman bien construit, habile, à l’intrigue assez artificielle, pas très vraisemblable, mais qui se laisse lire sans déplaisir.

Un Extrait page 51

Pour le professeur, les problèmes difficiles ne concernaient que les mathématiques. Il s’attelait à des énoncés nécessitant de longues heures de concentration, et en plus gagnait des prix en les résolvant, mais ne se réjouissait pas tellement lorsque je le félicitais et lui faisais remarquer combien c’était merveilleux.
– Ce n’est rien de plus qu’un jeu, me disait-il sur un ton plus triste que modeste. Ceux qui élaborent les problèmes en connaissent la réponse. Résoudre un problème dont la solution existe obligatoirement, c’est un peu comme faire avec un guide une randonnée en montagne vers un sommet que l’on voit. La vérité ultime des mathématiques se dissimule discrètement à l’insu de tous au bout d’un chemin qui n’en est pas un. En plus, il n’est pas sûr que cet endroit soit un sommet. Ce peut être une gorge entre deux falaises abruptes ou un fond de vallée.
(…)

Quelques tanka de Cookie Allez (poésie)

Couverture chez Pippa

J’ai découvert ce livre dans une célèbre librairie du Quartier Latin – Gibert pour être précis – et ces courts poèmes d’inspiration japonaise (dénommés « tanka », une forme de poésie très ancienne dont a découlé la forme du haïku) m’ont tout de suite tapé dans l’œil.
Ce recueil s’intitule « Pétales de vie » et il a été publié chez Pippa en septembre 2019, avec des illustrations (encres noires sur papier blanc) de Nathalie Houdebine et une préface de Danièle Duteil.

Note sur la poète :

Cookie Allez, née en 1947 à Paris, a publié sept romans aux éditions Buchet-Chastel et une anthologie des expressions inventées en famille chez Points Seuil, collection Le Goût des mots. « Pétales de vie » est son premier recueil de tanka.

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Dans l’entre-feuille
dialoguent les oiseaux
secrets de plumes
comme j’aimerais saisir
des trilles de confidences

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Devant le mendiant
elle donne du pain aux pigeons
les passants passent
mon billet l’indiffère
il rumine sa rancœur

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Du maquillage
pour déguiser la tristesse
clown blanc yeux rouges
ainsi en certains matins
dans l’impitoyable miroir

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Chat dans la gorge
personne à qui parler
soigner ses fleurs
elles aiment être dorlotées
je suis sûre qu’elles ronronnent

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La peau est papier
toute la vie s’y inscrit
pleins et déliés
et quand le cœur est proche
lecture vaut caresse

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La vie d’un coucou
coûte celle d’un passereau
obscure algèbre
qui fait partie des mystères
auxquels l’homme devrait penser

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L’hiver de la vie
des flocons de souvenirs
images furtives
je veux tous les attraper
avant de les voir fondre