Conte de la première lune, de Hirano Keiichirô

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Quatrième de couverture :
Conte de la première lune est l’histoire d’un jeune poète romantique qui, pour soigner sa mélancolie, entreprend au siècle dernier un voyage au sud de Kyôto, une région connue pour la beauté de ses paysages et les pratiques magiques des anachorètes bouddhistes qui y vivent.
Mordu par un serpent venimeux, il est recueilli par un moine dans un ermitage au cœur des montagnes et rencontre en songe une femme dont il s’éprend. Mais où commence le rêve et où s’achève la réalité ? Telle est l’une des questions que suscite ce conte philosophique et poétique, où la lune se lève sur la beauté inoubliable d’une femme se lavant dans ses rayons, où l’intensité de l’épanouissement des fleurs et des sentiments coïncide avec l’instant de la mort, tandis qu’un papillon, délicat et magnifique, guide le voyageur dans le labyrinthe des illusions jusqu’au dénouement.

Mon avis :
La quatrième de couverture que je viens de recopier est tout à fait fidèle à ce que j’ai pu ressentir en lisant ce beau livre. Il s’agit d’un conte, c’est-à-dire que les forces magiques et irrationnelles y occupent une place tout à fait centrale, et contribuent à créer dans l’esprit du lecteur tout un jeu de ramifications par rapport aux sens cachés de cette histoire, sur lesquels on continue de s’interroger même après avoir terminé le livre. Ce conte, en effet, ne répond pas à toutes les questions qu’il soulève : en particulier, la question des multiples passages du rêve à la réalité et de la réalité au rêve restent assez énigmatiques, produisant de nombreux échos et rêveries dans l’esprit du lecteur.
J’ai été très étonnée quand j’ai appris que ce livre datait des années 2000, car dans mon esprit il appartenait plutôt au 19è siècle (tant par son écriture que par son atmosphère), et j’avoue qu’il m’a même fait penser par moments à un roman de Barbey d’Aurevilly dont je ne suis pas sûre de me rappeler du titre, mais qui pourrait bien être L’Ensorcelée. Sauf que, naturellement, dans Conte de la première lune, le contexte extrême-oriental est présent à chaque page, et les superstitions japonaises, comme le mauvais œil, interviennent à plusieurs reprises.
Le héros de l’histoire, Masaki, est lui-même très représentatif du 19è siècle : poète romantique, neurasthénique, mélancolique, … l’auteur nous dit que ce personnage est d’une très grande beauté physique mais que sa beauté serait plutôt démoniaque, et, en effet, ce poète semble attiré autant par la beauté et la pureté que par la souffrance et la mort, dans la plus pure tradition romantique.
Un livre très poétique et envoûtant, que je conseille vivement !

Extrait page 111-112 :

 » On parle de rêve, de réalité, comme de deux choses totalement différentes. Pourtant, il me semble qu’il s’agit d’une seule et même illusion. Cette nuit-là, avant mon départ, ce n’est pas en rêve, mais bien dans le monde réel que cette femme m’est apparue.
Je l’ai vue, en vérité, de mes yeux de chair. Et pourtant, quand j’y repense maintenant, cela aussi me semble n’avoir été qu’une illusion éphémère.
Cette femme était belle comme une apparition. Une telle beauté ne saurait être de ce monde. Et pourtant, quand j’y songe, il se peut aussi que cette vision que j’ai contemplée avec ravissement n’ait été autre chose en réalité, ainsi que l’affirmait le révérend abbé, que la silhouette d’une vieille lépreuse. (…) »

Ondine d’Aloysius Bertrand

bertrand_gaspard J’ai choisi aujourd’hui de publier sur ce blog mon poème préféré du recueil Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand.
Aloysius Bertrand, de son vrai nom Louis Bertrand, (1807-1841) est considéré comme l’inventeur du poème en prose, et son recueil Gaspard de la nuit a été publié de façon posthume en 1842.

Ondine

 » Ecoute ! – Ecoute ! – C’est moi, c’est Ondine qui frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et voici en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.

– Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l’air.

– Ecoute ! – Ecoute ! – Mon père bat l’eau coassante d’une branche d’aulne verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume les fraîches îles d’herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne ! »

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Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt pour être l’époux d’une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.

Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s’évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.

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Maurice Ravel a écrit une magnifique pièce pour piano inspirée de ce poème, il s’agit d’Ondine de Gaspard de la Nuit (1908) dont je vous donne le lien :

Un poème de Georges Perros

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J’ai trouvé ce poème dans l’anthologie de la poésie française (volume 2) parue dans les éditions de la Pléiade. Malgré mes recherches, je n’ai pas trouvé de quel recueil il était extrait ni de quand ce poème datait. Georges Perros, de son vrai nom Georges Poulot, est né le 23 août 1923 à Paris et mort le 24 janvier 1978, à 54 ans. (Source Wikipédia).

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Anecdotique je le suis
Merci de me le faire entendre
Mais si vous saviez comme amuse
le vers qui prend n’importe quoi
dans sa délirante salive
L’itinéraire qu’il me faut
c’est le sien Je suis, sans valise,
sa trace au fil de mon plaisir
et si ce que je pense y passe
tant pis tant mieux ce n’est rien que
pour me distraire un peu Si lasse
est parfois ma rame de cœur
que même la mer y renonce
Elle ne bat plus pour personne
pour moi moins encor et pourtant
le vers va toujours Je persiste
à ne le croire tout à fait
et le voilà qui recommence
Où irons-nous donc aujourd’hui ?

Mon vers est lièvre il est tortue
Furet ici escargot là
il court et dérape souvent
car la vie est peau de banane
et c’est elle qui cherche allant
au gré de sa buissonnerie
Ainsi marche-t-il sur les mines
et saute saute pauvre enfant.

Avec le cœur du chêne, un poème de Robert Desnos

‹ion÷è¥AèdBè¥Aompressionion J’ai trouvé ce poème dans le livre Corps et biens de Robert Desnos, et il fait partie plus précisément du recueil Les ténèbres (1927). Je suis pour ma part sensible à son rythme un peu lancinant, à sa musicalité, mais aussi pour l’expression subtile des sentiments.

Avec le cœur du chêne

Avec le bois tendre et dur de ces arbres, avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau combien ferait-on de ciels, combien d’océans, combien de pantoufles pour les jolis pieds d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau.

Avec le ciel combien ferait-on de regards, combien d’ombres derrière le mur, combien de chemises pour le corps d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel.

Avec les océans combien ferait-on de flammes, combien de reflets au bord des palais, combien d’arcs-en-ciel au-dessus de la tête d’Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans.

Avec les pantoufles combien ferait-on d’étoiles, de chemins dans la nuit, de marques dans la cendre, combien monterait-on d’escaliers pour rencontrer Isabelle la vague ?

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans, avec les pantoufles.

Mais Isabelle la vague, vous m’entendez, n’est qu’une image du rêve à travers les feuilles vernies de l’arbre de la mort et de l’amour.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau.

Qu’elle vienne jusqu’à moi dire enfin la destinée que je retiens dans mon poing fermé et qui ne s’envole pas quand j’ouvre la main et qui s’inscrit en lignes étranges.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel.

Elle pourra mirer son visage et ses cheveux au fond de mon âme et baiser ma bouche.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans.

Elle pourra se dénuder, je marcherai à ses côtés à travers le monde, dans la nuit, pour l’épouvante des veilleurs. Elle pourra me tuer, me piétiner ou mourir à mes pieds.

Car j’en aime une autre plus touchante qu’Isabelle la vague.

Avec le cœur du chêne et l’écorce du bouleau, avec le ciel, avec les océans, avec les pantoufles.

La fin n’est que le début, un roman de Katarina Mazetti

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Quatrième de couverture :
Dix-huit ans déjà, Linnea prépare le bac. Entre sa grand-mère victime d’une grave attaque et sa copine Malin qui prend des cours de self-defense pour se protéger de son petit ami, tout concourt à lui rappeler que la vie d’adulte n’est pas aussi douce qu’espéré.
Et voilà qu’elle croise le sosie de Pia, son amie disparue, en uniforme de lieutenant de marine ! Il s’agit de Per, le grand frère de Pia, qui l’agace à peu près autant qu’il lui plaît. Ils ne sont d’accord sur rien et se disputent sur tout, mais restent en contact quoi qu’il arrive – n’Est-ce pas le moment rêvé de tomber amoureuse ?
Après Entre Dieu et moi, c’est fini (Babel n°1050) et Entre le chaperon rouge et le loup, c’est fini (Babel n°1064), La fin n’est que le début pousse sa truculente héroïne jusqu’au terme de l’enfance. Ayant abandonné quelques illusions en route, mais armée d’un doute constructif (parfois) et d’une ironie dévastatrice (toujours), Linnea tourne une page et s’apprête à entrer dans la cour des grands. Elle nous manque déjà.

Mon avis :
J’ai acheté ce livre un peu par hasard et un peu par curiosité, d’une part parce que je ne connaissais pas cet écrivain et que je n’ai pas souvent l’occasion de lire des auteurs suédois contemporains, et d’autre part parce que le titre du livre me paraissait prometteur de quelque chose d’intéressant, voire d’intelligent. Par ailleurs, la collection Babel est généralement un gage de qualité et m’inspire confiance a priori.
Malheureusement, ce livre correspond beaucoup trop à de la littérature pour adolescents pour pouvoir me plaire. Les situations sont caricaturales de bout en bout, les caractères des personnages sont brossés sans finesse, l’écriture est proche du langage des jeunes.
Certaines considérations très prosaïques sur les tenues vestimentaires des protagonistes, sur leurs hormones, ou encore sur le comptage de calories pendant un régime, m’ont fait penser à ce qu’on peut lire communément dans certains magazines féminins, tant par le sujet que par le ton artificiellement enjoué et désinvolte. L’auteur cherche à nous faire rire à chaque page d’une manière un peu trop systématique à mon goût, et même quand le sujet est plutôt grave, mais l’humour est, là encore, sans aucune finesse et même à la limite du grotesque : personnellement, je n’ai pas ri du tout, alors que je suis plutôt bon public d’habitude avec les romans de divertissement.
Cette petite amourette entre une adolescente féministe et politiquement à gauche et un jeune militaire macho et réactionnaire parait tout de même assez improbable et ne suscite guère d’émotion.
Ceci dit, et malgré tous ses défauts, ce livre se lit rapidement et n’est pas vraiment ennuyeux à cause du rythme enlevé et de la vivacité d’esprit de l’héroïne. Mais, à plusieurs reprises au cours des derniers chapitres, je me suis dit que tout cela n’avait pas trop d’intérêt et que j’étais pressée d’arriver à la fin.
Bref : un roman que j’oublierai bien vite !

J’ai choisi pour vous l’extrait le moins superficiel du livre (et le plus réussi, de très loin) :

Extrait page 90

Lorsque je l’ai laissée entrer dans mes pensées, j’ai remarqué avec nostalgie qu’elle était toute jeune ! A peine seize ans – alors que j’allais bientôt en avoir dix-neuf. On n’avait jamais parlé de prendre la pilule, ni discuté de ce qu’on voulait faire à la fac. On traînait à la cafèt de l’école en attribuant des points aux garçons selon une échelle particulière, quand on ne parlait pas de Dieu. Et on aurait sûrement cessé de faire ces deux choses, si elle avait choisi de vivre. On aurait grandi ensemble.
Dans peu de temps, je vivrai des choses dont elle ne pourrait jamais parler avec moi, même pas dans les conversations muettes que je menais encore parfois avec elle. Boulot. Appartement. Famille et enfants. Avec chaque grand événement de ma vie, la jeune fille qu’était Pia s’éloignait un peu plus de moi. Figée pour toujours à l’âge de seize ans. « Ceux que les dieux aiment meurent jeunes » – grand-mère et moi avons beaucoup parlé de cette expression. Elle disait que les dieux voulaient épargner à leurs chouchous les côtés ennuyeux du vieillissement, la perte des dents et l’incontinence. Les attaques, aurait-elle dit à présent, si elle avait pu … Mais je n’y crois pas. Je pense que les dieux coupent la tête aux meilleurs, parce qu’ils sont jaloux, ils ne veulent pas de concurrence en matière d’adoration et de sacrifices.

***

La fin n’est que le début avait été publié en Suède en 2002, et sa traduction française date de 2009 (éditions Gaïa).

Un beau poème de François de Cornière

poesie-d-aujourd-hui-a-voix-hauteJ’ai trouvé ce poème dans le recueil anthologique Poésie d’aujourd’hui à voix haute, publié chez Poésie/Gallimard. Ce recueil réunit une vingtaine de poètes contemporains, d’Edouard Glissant à Franck Venaille, en passant par Guy Goffette ou encore Christian Prigent, et donne à mon avis une bonne introduction à ceux qui veulent s’initier à la poésie d’aujourd’hui. Personnellement, je possède ce recueil depuis une bonne quinzaine d’années et je le feuillette assez régulièrement, soit pour retrouver des poèmes que j’ai aimés, soit pour en découvrir de nouveaux que je n’avais pas remarqués jusque là.

Voici donc ce poème très émouvant de François de Cornière :

Mes pas derrière mon cœur

Même si vous n’êtes plus
que des mots dans mes poèmes
– des pronoms personnels
qui pour moi ont des corps
des gestes des paroles –
c’était pour toi pour vous pour nous
ces phrases où j’ai laissé
mes pas derrière mon cœur.

Et si l’eau est venue tout recouvrir
ou de la terre la terre
et des ciels d’autres ciels
je n’oublie pas
– vous qui n’êtes plus que des mots
dans mes poèmes –
que sous l’eau la terre le ciel
je suis relié à vous
qui me reliez à moi.

Alors je continue
de vous parler
de t’embrasser
de nous croire mortels
et d’écrire quelquefois des poèmes
où mon corps mes gestes mes paroles
sont ces cendres encore chaudes
sous mes phrases où vos pas
c’est mon cœur.