Une petite fantaisie rimée d’Alphonse Allais (1854 – 1905)

Ce poème intitulé « Rimes riches à l’œil » s’amuse à faire rimer des mots dont les dernières lettres sont semblables mais ne se prononcent pas du tout de la même manière (Shakespeare/ Baléares) : ce sont donc bien des rimes riches pour l’œil mais pas pour l’oreille.
Je vois ce poème surtout comme un petit divertissement, un jeu sur les mots, et je ne pense pas que l’auteur avait l’ambition de nous émouvoir.

Alphonse Allais (1854 – 1905) est un journaliste, écrivain et humoriste français, spécialiste de l’humour décalé et de l’absurde. Il fut également inventeur(Source : Wikipedia)


Rimes riches à l’œil

L’homme insulté‚ qui se retient
Est, à coup sûr, doux et patient.
Par contre, l’homme à l’humeur aigre
Gifle celui qui le dénigre.
Moi, je n’agis qu’à bon escient :
Mais, gare aux fâcheux qui me scient !
Qu’ils soient de Château-l’Abbaye
Ou nés à Saint-Germain-en-Laye,
Je les rejoins d’où qu’ils émanent,
Car mon courroux est permanent.
Ces gens qui se croient des Shakespeares
Ou rois des îles Baléares !
Qui, tels des condors, se soulèvent !
Mieux vaut le moindre engoulevent.
Par le diable, sans être un aigle,
Je vois clair et ne suis pas bigle.
Fi des idiots qui balbutient !
Gloire au savant qui m’entretient !

Blog-anniversaire et Philippe Garrel

Le 15 juin 2012 naissait La Bouche à Oreilles, cela fait donc cinq ans (et des poussières) et je suis contente d’avoir passé ce cap.
Depuis cinq ans j’ai pensé plusieurs fois à arrêter, mais finalement je reprenais toujours l’écriture d’articles (427 au total, ce qui fait environ un tous les quatre jours).
J’ai reçu ma cent millième visite il y a à peine quelques jours, et je suis contente que ce blog ait trouvé ses lecteurs, fidèles ou de passage.

Je profite de cet article pour dire quelques mots du dernier film de Philippe Garrel, L’amant d’un jour, sorti en salles le mois dernier, et que j’ai trouvé intéressant : plusieurs semaines après l’avoir vu, on est encore hanté par ses très belles images en noir et blanc, à l’esthétique sensuelle, dont la lumière sait mettre en valeur les chevelures, les grains de peau, l’intensité des regards, la souplesse des corps.
Il m’a semblé que ce film était à la fois très réaliste par ses dialogues et ses situations, et à la fois très psychologique, car les motivations et les attitudes des deux jeunes personnages féminins sont vraiment très complexes et ambigus, et on continue à s’interroger bien après la fin du film, en soupçonnant ces deux jeunes filles (surtout le personnage joué par Esther Garrel) de manipulation et de noirs calculs …
En comparaison, le personnage masculin (Eric Caravaca) a une psychologie beaucoup plus simple et on se dit que Philippe Garrel a une vision très tortueuse de la psyché féminine …
La brièveté de ce film (1h15) ne m’a pas gênée, au contraire, et je n’ai trouvé ni temps mort ni longueur.

In memoriam de Paul Léautaud


J’avais envie depuis longtemps de découvrir l’oeuvre de Paul Léautaud, et c’est grâce à un excellent article de Goran du blog « des livres et des films » que j’ai enfin pris la décision de me procurer son petit livre autobiographique intitulé In memoriam et qui parle essentiellement du père de l’écrivain.
Je vous renvoie à l’article de Goran pour un point de vue plus étoffé que le mien : ici.
Je dirai en préambule que j’ai admiré le style très limpide et très concis de Léautaud, un style très enlevé et même léger dont il ne se départit pas, même quand il aborde un thème aussi grave que l’agonie de son père, qu’il traite avec une désinvolture étonnante, avouant même que cela le divertit de se rappeler ces souvenirs, et ayant l’air pressé que cette corvée de veiller son père mourant soit terminée. Peut-être que cette légèreté amusée et cynique n’est qu’une pose de dandy, destinée à choquer le bourgeois du début du 20è siècle, et d’ailleurs elle pourrait nous heurter encore un peu en ce début de 21è siècle, mais très modérément.
Léautaud nous parle de son enfance dans la première moitié du livre, une enfance triste où ses parents ne s’occupaient pas de lui, sa mère absente, et son père coureur de jupons infatigable, amateur de très jeunes filles, qui était aussi homme de théâtre.
C’est malgré tout un portrait superficiel qu’il dresse de son père, dont nous ne saurons ni les traits de caractère ni les idées, et dont le seul souci qui intéresse son fils est celui des femmes.
Ce livre, écrit en 1905, ne manque pas de détails croustillants sur la vie privée de son père et sur ses tâtonnements d’adolescent timide, et il rappelle un peu l’état d’esprit des vaudevilles de l’époque, voire, en moins percutant, la cruauté d’un Maupassant.
In memoriam m’a intéressée surtout comme reflet d’une époque, car j’aurais aimé moins de cynisme dans le regard de l’auteur.

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L’enfant bleu, d’Henry Bauchau


Après avoir lu plusieurs livres d’Henry Bauchau (Œdipe sur la route et Antigone) qui m’avaient éblouie par leur beauté et leur humanisme, j’ai eu envie de prolonger la découverte de cet écrivain avec L’enfant bleu, paru en 2004 chez Actes Sud, et qui nous transporte, cette fois, non plus dans l’Antiquité mythique mais dans le Paris des années 2000.

L’histoire : se déroule en majeure partie dans un hôpital de jour – où Véronique, une psychothérapeute sensible aux arts, prend en charge durant de nombreuses années un adolescent psychotique en proie à des crises de violence fréquentes. Cet adolescent, Orion, s’exprime verbalement par du délire et des propos mystérieux où il est question, entre autres, de démon, de rayons, de chevaux, d’enfant bleu, de fille sauvage, et autres éléments étranges que l’on parvient à élucider peu à peu. La thérapeute, particulièrement dévouée et attentive, ne tarde pas à remarquer les dons d’Orion pour le dessin et la peinture, et l’encourage vivement dans cette voie pour l’amener à exprimer ses angoisses et à donner corps à son monde intérieur. Il lui vient assez vite l’intuition que la peinture pourrait bien être la vocation du jeune homme. Les années passent, des liens de confiance et d’amitié se nouent entre la thérapeute et le jeune homme, il évolue tantôt en bien tantôt dans le sens d’une régression. (…)

Mon avis : J’ai beaucoup aimé suivre l’évolution d’Orion au fur et à mesure des années, et j’ai trouvé que ses délires étaient particulièrement intelligents et bien tournés (peut-être un peu trop ?), et que la thérapeute était en quelque sorte le médecin idéal, qui prend son patient en considération et va même jusqu’à le faire pénétrer dans sa sphère privée puisqu’elle l’invite chez elle, lui présente son mari, le reçoit quand il débarque à l’improviste, etc., si bien que ses collègues lui font remarquer « qu’elle se concerne trop », ce qui est le moins qu’on puisse dire. J’ai trouvé étonnant également que cet hôpital de jour mobilise autant d’efforts pour un seul patient pendant aussi longtemps, et ne lui donne aucun traitement médicamenteux, alors que ses crises sont d’une violence extrême. Bref, j’ai lu ce roman avec beaucoup de plaisir mais il ne m’a pas semblé réaliste, même si Henry Bauchau exerçait la profession de psychanalyste et devait savoir comment se passaient les choses dans la réalité. Mais peut-être voulait-il montrer une thérapie idéale.
J’ai trouvé beaucoup de points communs avec son roman Œdipe sur la route : la présence du Minotaure, des labyrinthes, l’importance de l’art dans le salut moral des êtres, l’importance de l’amitié et des relations de soutien (dans Œdipe sur la route c’était Antigone qui soutenait son père et l’aidait à traverser les épreuves et les années).
Autre détail surprenant : Henry Bauchau (né en 1913) a écrit L’enfant bleu à plus de 90 ans, et pourtant on croirait d’après l’énergie des personnages, leurs doutes, leurs crises et leur capacité à évoluer, que ce livre aurait pu être écrit par un auteur bien plus jeune.

Un beau livre, sur un thème rarement traité, et qui dégage beaucoup d’humanité et une grande foi en la vie.

Quelques uns de mes derniers haikus


J’espère que vous prendrez plaisir à lire ces quelques tercets de saison.

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Le petit merle
semble me soupçonner
de quelque noirceur.

***

Pendant le film
pour deviner tes émotions
besoin de sous-titres.

***

A regarder
trop longtemps la télé
– risque d’implosion.

***

La dame très chic
en tailleur bleu vert
et varices assorties.

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Les cerises du voisin
sont mûres
– moi aussi.

***

Le chat assis
tel un petit sphinx
– semble savoir l’énigme.

***

Retour de promenade
– la marque des clés
dans ma paume.
***

La forêt
tient le crépuscule
à bout de bras.

**

Pourquoi dit-on
que le silence est profond ?
Il est parfois très plat.

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Paterson de Jim Jarmusch


L’histoire : Un trentenaire, calme et gentil, nommé Paterson, est conducteur de bus dans la ville de Paterson. Il a une charmante compagne prénommée Laura, qui est une personne plutôt créative et fantaisiste, et un chien bouledogue du nom de Marvin qu’il est obligé de sortir le soir et qui a mauvais caractère. Paterson a un carnet secret dans lequel il écrit des poèmes de son invention, et dont sa compagne voudrait qu’il garde des copies, ce qu’il lui promet. Au hasard des promenades ou des pauses déjeuners à son travail il est aussi amené à faire des rencontres qui égayeront ses journées.

Mon avis : Ce film retrace la semaine terne et monotone de Paterson, du lundi au dimanche, l’emploi du temps se répétant à l’identique, mais avec des variations dans les dialogues, les rencontres, les poèmes que Paterson écrit ou lit. Je dirais que le thème de ce film est de nous montrer des personnages qui, chacun à leur manière, luttent contre cette monotonie de l’existence en y rajoutant de l’imagination et de l’humanité, en essayant d’embellir les choses. Le film est émaillé de petites notes humoristiques, mais quand on arrive au moment du week-end, quelque chose de plus poignant nous est conté (je ne veux rien dévoiler mais j’étais un peu émue). Si la vie de Paterson est ordinaire, il sait en tout cas apercevoir les petites choses qui donnent du sens à l’existence, et il y a au cours du film plusieurs séquences « planantes » (je parle de la musique et des images) qui semblent arrêter le temps et insistent sur le caractère contemplatif du héros.
J’ai vu que certains spectateurs avaient trouvé ce film ennuyeux, mais je crois qu’ils se sont arrêtés à la surface des choses ou qu’ils n’ont pas été sensibles aux poèmes que Paterson écrit, ce qui me parait dommage.
Je reverrai sûrement ce film avec un grand plaisir, d’une part parce que j’ai aimé ces personnages, que ces poèmes m’ont touchée, et que l’atmosphère est à la fois très américaine et très sympathique, avec des trouvailles visuelles insolites, comme la présence répétée de jumeaux ou les décorations en noir et blanc fabriquées par Laura.

Pieuvre, un récit de Valérie Canat de Chizy


Pieuvre est un récit composé de courts chapitres, où les souvenirs d’enfance et de jeunesse se succèdent pour former le tableau d’une mémoire douloureuse et d’un salut par l’écriture.
Dans ce livre, on suit le parcours et l’évolution d’une petite fille sensible, atteinte de surdité, de ses progrès et de sa relation privilégiée avec son orthophoniste et de ses difficultés à établir un lien avec les autres, jusqu’à ce que la poésie parvienne à percer la bulle.
Pieuvre nous fait ressentir la solitude et l’exclusion de celle qui est murée dans son handicap et qui ne trouve pas la solution pour briser la glace, une sensation que nous avons sans doute tous déjà ressentie, à un degré moindre, si nous avons connu la timidité, le handicap, ou une expérience indicible qui nous aurait coupé des autres momentanément.
C’est un livre qui maintient un bel équilibre entre sincérité et pudeur : les souvenirs sont décrits avec la justesse d’une émotion contenue et on sent que chaque mot a été soigneusement pesé et choisi.
La communication, empêchée durant de longues années, a trouvé dans ce beau récit poétique sa délivrance et son épanouissement, et cette lecture est à la fois enrichissante et émouvante.

Pieuvre est paru chez Jacques André Editeur en 2011, vous pouvez le commander sur le site de l’éditeur.

Voici un morceau choisi (d’autres extraits de Pieuvre sont disponibles sur le web) :

Tiraillée entre le désir de vivre et l’exigence de l’écriture, j’oscille entre ouverture et repli. Il me faut trouver l’équilibre juste entre ces deux pôles. L’extériorisation me fait perdre de la profondeur. Tandis que la solitude me rapproche de ce qui en moi est humain. Forcément douloureuse, elle me mène à creuser dans l’obscurité pour trouver la lumière. Etre entourée par ceux que j’aime est pour moi une forme d’agrément qui, cependant, n’est jamais éloigné des fantômes du passé. Dans la vie sociale elle-même, ce que je perçois de l’autre s’apparente encore bien souvent à de la noirceur. Mon malaise persiste. L’autre sera toujours, d’une certaine façon, un étranger. Et dans ma relation à cet étranger, l’approche pourrait être celle de deux aimants qui, tout à la fois, s’attirent et se repoussent.