Andando el tiempo de Carla Bley

Andando el tiempo est un album de la compositrice Carla Bley (née en 1936), sorti en 2016, et qui comporte cinq morceaux d’assez longue durée : entre 8 et 11 minutes chacun. Ces cinq morceaux ont en commun d’être des compositions originales de Carla Bley, tous d’une humeur plutôt mélancolique, avec une prééminence des longues lignes mélodiques très modulées, principalement dessinées par le saxophone d’Andy Sheppard (ténor ou soprano). Cette atmosphère porte l’auditeur vers de nostalgiques rêveries, et me semble propice à une inspiration poétique ou une méditation.
Bien que cette musique s’apparente au jazz, on peut remarquer qu’elle semble très écrite, laissant peu ou pas du tout de place à l’improvisation, dans une optique proche de la musique classique.
Dans ce disque, Carla Bley a opté pour une formation réduite : le trio, qu’elle avait déjà utilisé à l’identique dans son précédent album de 2013, intitulé précisément Trios, où elle jouait du piano tandis que Steve Swallow à la basse et Andy Sheppard au saxophone l’entouraient. Un trio parfaitement équilibré, où les rôles discrets du piano et de la basse soutiennent et accompagnent sobrement les mélodies très sophistiquées où vagabonde le saxophone.
Il est à noter que chacun des morceaux de ce disque raconte une histoire, comme l’explique la compositrice dans le livret d’accompagnement. Si la première suite de trois morceaux, qui donne son titre à l’album, évoque l’addiction aux médicaments d’un ami et la désintoxication qui a suivi, avec un cheminement progressif vers la délivrance et la lumière, nous avons dans le quatrième morceau un rythme plus marqué, une atmosphère plus légère, tandis que le cinquième morceau nous ramène vers des influences classiques de Mendelssohn et Debussy, et une inspiration plus littéraire puisque c’est le poète Paul Haines qui l’a inspiré.
Un très bel album, envoûtant et profond !

Matin, d’Arthur Rimbaud

N’eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d’or, – trop de chance ! Par quel crime, par quelle erreur, ai-je mérité ma faiblesse actuelle ? Vous qui prétendez que des bêtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des morts rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas plus m’expliquer que le mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler !

Pourtant, aujourd’hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C’était bien l’enfer ; l’ancien, celui dont le fils de l’homme ouvrit les portes.

Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l’étoile d’argent, toujours, sans que s’émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le coeur l’âme, l’esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer – les premiers ! – Noël sur la terre !

Le chant des cieux, la marche des peuples ! Esclaves, ne maudissons pas la vie.

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Matin d’Arthur Rimbaud, extrait d’une Saison en Enfer

Joyeux Noël à tous ! Joyeuses fêtes !

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Rimbaud le fils, de Pierre Michon


J’ai attendu plus d’une quinzaine de jours avant d’écrire une note sur ce livre, tout simplement parce que je ne savais pas quoi en penser : si je reste admirative de l’écriture de Pierre Michon – savante, sophistiquée, précieuse – et qu’il m’est toujours aussi agréable de plonger dans son style, je suis sortie malgré tout de cette lecture dubitative, pas convaincue, et avec le sentiment qu’il me manquait quelque chose.
Ce livre se situe au croisement de plusieurs genres – biographie, essai, roman – et parle essentiellement de poésie, toutes choses qui me plaisent extrêmement et qui me tiennent toujours en haleine.
Par ailleurs, il se concentre sur les années d’enfance et d’adolescence de Rimbaud, c’est-à-dire ses années créatives, et il laisse tomber la période africaine – une excellente idée pour quiconque aime la poésie de Rimbaud et s’interroge sur elle.
Autre avantage par rapport aux biographies rimbaldiennes : il apporte un regard d’écrivain, un regard de connivence et de compréhension, qui nous éclaire sur le sens profond de la quête poétique – là où les biographes en restent à des embrouillaminis de petits faits superficiels.
Par contre, sur de nombreux points, j’ai trouvé les interprétations de Michon très subjectives, lorsqu’il dit que la mère de Rimbaud était une femme mauvaise (Rimbaud la voyait ainsi, mais est-ce vrai ?), que Rimbaud cherchait un père dans les hommes qu’il rencontrait (psychanalyse douteuse), ou que La Saison en Enfer est le cinquième Evangile.
Bien sûr, l’auteur a droit à sa subjectivité, à ses rêveries ou à ses fantasmes, et il peut toujours broder des motifs à partir du réel, mais ça n’empêche pas que le lecteur n’adhère pas toujours à ces visions, pour peu qu’il ait lui-même sa petite idée personnelle.
Rimbaud le fils m’a cependant intéressée et je conseille ce livre aux amateurs de poésie et aux amoureux de beaux styles.

Extrait page 78 :

(…) De cela je suis sûr : Rimbaud refusait et exécrait tout maître, et non pas tant parce que lui-même voulait ou croyait l’être, mais parce que son maître à lui, c’est-à-dire celui de la Carabosse, le Capitaine, lointain comme le tsar et peu concevable comme Dieu, comme eux plus souverain d’être bouclé derrière des kremlins, derrière des nuages, son maître depuis toujours était une figure fantôme ineffablement exhalée dans les clairons fantômes de garnisons lointaines, une figure parfaite, hors d’atteinte, infaillible et muette, postulée, dont le Royaume n’était pas de ce monde ; et, en voir, en ce monde l’apparition, même pas l’apparition mais le soupçon, l’apparence, l’ombre portée, le lieutenant, l’incarnation déchue qui vidait des stouts dans sa barbe et écrivait de beaux vers, cela jetait Rimbaud hors de lui, le dépossédait, et sans doute il enrageait, au comble de l’indignation et ne sachant pourquoi, comme un pharisien à qui le Dieu opaque des Tables closes fait l’injure d’apparaître clairement dans le pouilleux de Nazareth. (…)

Publication de Trois de mes Poèmes

Je vous signale, chers lecteurs, la publication de trois de mes poèmes récents dans la revue poétique en ligne Le Capital des Mots, animée par le poète et écrivain Eric Dubois.
Ces textes d’automne sont des poèmes en prose aux thématiques diverses et variées.
N’hésitez pas à me laisser vos impressions de lecture en commentaire si cela vous dit.

Voici le lien :
http://www.le-capital-des-mots.fr/2019/12/le-capital-des-mots-marie-anne-bruch.html

Un poème de Daniel Biga

Daniel Biga (poète né en 1940 à Nice) a fait paraître aux éditions du Castor Astral cette anthologie personnelle Il n’y a que la vie réunissant des poèmes de 1962 jusqu’à 2017.

Je vous propose de lire le poème éponyme, qui date de 1986, page 122

Il n’y a que la vie

Excusez-moi je ne vais pas très bien
mais vous non plus peut-être …
les masques que jour après jour
les masques que d’instant en instant
je porte pour me dérober à moi-même :
qui suis-je ?

une souffrance qui s’aiguise puis s’émousse
une peur qui s’épuise et se revigore
une souffrance une peur
mais il ne s’agit pas que de cela encore
derrière les mots qu’y a-t-il ? qui est là ?
derrière les mots peut-être rien n’existe
mais « rien » encore n’est qu’un mot
alors comment dire l’au-delà des mots

excusez-moi je ne vais pas très bien
mais vous non plus peut-être …
« le bonheur est une décision » (Tilman) peut-être
pourtant je n’arrive pas à la prendre
mais peut-être certains sont-ils plus doués
mais peut-être ai-je raté un aiguillage mais
je ne sais pas grand-chose je ne sais pas vraiment
effectivement j’ai l’impression de n’avoir pas décidé de ma vie
mais sans doute n’est-ce qu’une impression
ni le monde où je suis né ni la famille où j’ai grandi
ni la tristesse qui peu à peu m’a enveloppé
ni les métiers que j’ai faits ou n’ai pas faits
ni les lieux où j’ai vécu ou n’ai pas vécu
ni les femmes que j’ai aimées ou n’ai pas aimées
IL N’Y A QUE LA VIE

Martine Raymond Robert Michel Marie-Claude Yves …
le suicide fut-il votre décision ?
Laurence Jean-Claude André Christiane Tahar Rabah Gilles …
la maladie de la mort fut-elle votre choix ?

J’ai vécu légèrement sans ancre ni boussole
plus d’une fois rompant mes minces amarres flottantes
comme si j’allais mourir jeune
et voilà que je ne le suis plus
qu’il me reste peut-être même longtemps à tirer
j’appréhende ce ne sera pas facile facile
– est-ce ma seule lucidité ?
l’art d’aujourd’hui ne correspond guère à ce que je cherche
pourtant dès que j’affirme ou nie quoi que ce soit
mes propos ne sont que masques et démasques
dans son infinité de courants et de mouvances
indéchiffrables inconnus inclassifiables infigeables
IL N’Y A QUE LA VIE

(…)

Le libraire de Gérard Bessette

J’ai lu ce roman, un classique de 1960, par curiosité pour la littérature québécoise que je connais très peu.
Cette lecture participe au défi de Madame Lit de décembre 2019, où il fallait lire un livre découvert sur un blogue littéraire. C’est en effet le blogue de Goran, « Des livres et des films » qui m’a donné envie de lire Le Libraire.
Gérard Bessette (1920-2005) est un écrivain, poète et critique littéraire québécois. Il obtient le Prix du grand jury des lettres en 1961 pour Le Libraire, son roman le plus connu.

Le début de l’histoire :

Monsieur Jodoin, un homme bourru, misanthrope et paresseux, célibataire endurci, déjà grisonnant et peu soigné, va s’installer dans la ville de Saint-Joachim où il vient de trouver un emploi de libraire. Il espère avoir là-bas le moins de travail possible et surtout nouer le moins de contacts humains possibles car les gens l’ennuient. Il prend un plaisir particulier à décourager tous les clients qui lui demandent conseil pour l’achat d’un livre, les aiguillant vers des ouvrages ennuyeux ou argotiques, pour qu’on le laisse tranquille. Mais un jour, son patron, Monsieur Chicoine, lui révèle un secret tout à fait crucial : l’existence d’un cagibi, attenant à la librairie, qu’il appelle « le Capharnaüm » et qui recèle des livres interdits par la Censure, réprouvés par l’Eglise, par exemple Zola, Voltaire, Renan, et plusieurs autres classiques du même style. Monsieur Jodoin aura pour mission de vendre ces livres à des « clients sérieux » et dans la plus grande discrétion. L’existence du Capharnaüm doit absolument rester secrète. (…)

Mon Avis :

C’est un roman court, de moins de 150 pages, qui se lit d’autant plus facilement que les rebondissements sont nombreux et que l’humour est présent à chaque page. Cet humour est surtout dû au personnage principal, Monsieur Jodoin, dont le mauvais esprit et le laisser-aller paraissent très décalés en comparaison avec son entourage. Alors que la petite ville est soucieuse des convenances, du qu’en dira-t-on, des dogmes religieux, Monsieur Jodoin met systématiquement les pieds dans le plat, avec roublardise et indépendance d’esprit, mais aussi beaucoup d’indifférence à l’opinion des autres.
J’étais étonnée de savoir que les classiques francophones étaient censurés au Québec dans les années 1960, je ne vois pas trop ce qu’il y a de si choquant chez Zola ou Maeterlinck et ça donne une vision de l’Eglise pas très propice à la culture et, pour tout dire, obscurantiste. Cette idée est présente en filigrane tout au long du roman, sans jamais attaquer les curés de front, mais par l’humour beaucoup de choses sont exprimées, avec finesse et élégance.
Un livre que j’ai lu avec énormément de plaisir et dont le héros restera gravé dans ma mémoire car il représente un type de caractère haut en couleur et particulièrement réjouissant.

Extrait page 29 :

(…) Même quand des bouquineurs traînassent le long des rayons, ouvrent et ferment tranquillement des livres – pourvu qu’ils restent silencieux, je ne m’y oppose pas non plus. Je me contente de ne pas les regarder – ce qui est facile grâce à une grande visière opaque que je me rabats sur le nez. Je me dis qu’ils finiront bien par fixer leur choix ou ficheront le camp sans m’adresser la parole.
Mais ceux que je peux difficilement supporter, ce sont les crampons qui s’imaginent que je suis là pour leur donner des renseignements, des consultations littéraires. Seule la pensée que je serai obligé de déménager si je les rudoie trop m’empêche de les foutre à la porte. « Que pensez-vous de tel auteur ? Avez-vous lu tel livre ? Ce roman contient-il assez d’amour ? Croyez-vous que celui-ci soit plus intéressant que celui-là ?  » A ces dégoûtants questionneurs, malgré l’effort plutôt vigoureux que l’opération exige, je serais tenté de mettre mon pied au cul. (…)

La mort n’est jamais comme, de Claude Ber

J’ai choisi de ne pas écrire de note de lecture sur ce livre et de retranscrire plutôt les notes de l’éditeur, la biographie de la poète et un extrait du recueil, qui me semblent suffisamment parlants.

Note de l’éditeur :

A l’origine de La mort n’est jamais comme, un drame : celui de voir un être que l’on aime, une compagne, basculer dans la folie et n’en jamais revenir. Le livre, qui parait pour la première fois en 2003, ferait presque oublier ce drame tant il est puissant, vital, organique. Mais les maisons qui portent les couleurs de ce texte – Léo Sheer puis l’Amandier – baissent pavillon, le laissant orphelin d’éditeur. La mort donc, et puis la vie qui lui dame le pion puisque nous faisons renaître ce livre, le goût de ce texte inclassable chevillé au corps. Pourquoi ? Parce que l’écriture, portée à ce niveau d’incandescence, déplace les frontières des genres. Parce que le délire, si bien maîtrisé, ouvre une porte qui ne se refermera plus. Parce qu’il est urgent de vouer la rage du texte au courage de vivre. Un livre majeur des vingt dernières années enfin réédité.

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Claude Ber est née à Nice en 1948, dans une famille de résistants qui lui apprend très tôt à dire non. Agrégée de lettres, elle se tourne vers l’enseignement et occupe d’importantes fonctions académiques et nationales. Cela ne l’empêche pas de mener à bien une oeuvre littéraire qui accorde une place majeure à la poésie. En 2004, la première édition de La mort n’est jamais comme obtient le Prix international de poésie francophone Yvan-Goll. Après un passage aux éditions de l’Amandier, où elle dirigeait une collection, elle a choisi de confier sa poésie à Bruno Doucey.

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le momort

j’ai tant mâché ta mort dans mes mots que je radote de mot en mort de mort en mot
le momort – le mortmot – le mormort – le motmot – le motmort et ce bégaiement
je le dédie à nos jeux pour que tu joues encore
ou que le jeu de la parole fasse chiffre magique sur ta bouche muette

tu ne prononces plus le mot mort
c’est la mort qui te prononce
et dit ton corps pour moi à présent inconcevable
comme si dire
( que tes yeux ne veillent plus intacts sous tes paupières )
( que se défait ton regard en pourriture)
comme si dire
( que peut exister cette stupéfaction d’une charogne
de main à la place de ta main)
était aussi absurde que de marmonner
des motsmorts – des mortsmots – desmomos – desmomors

La mort fait de la langue entière un charabia
quand ne sont plus imaginées mort et folie
quand elles sont
se rêve au cauchemar une langue capable de couvrir de
fleurs le désert de la folie et de la mort comme
les pauvres rêvent de gagner au loto
le momort se défait et pourrit dans ma bouche
lemomort – lemomor – lemomo – leormo – lemoor
décortiqué lettre à lettre surgirait-il à l’or de la mandorle
désossée de ses restes résurrection et renaissance ?

(…)

Une Vie, de Maupassant

J’ai lu ce roman de Maupassant, un classique du naturalisme datant de 1883, parce qu’il dormait dans ma bibliothèque depuis plusieurs années et qu’il était largement temps que je m’y intéresse.
Il s’agit du tout premier roman de Maupassant, et on sent déjà une maîtrise de l’écriture et de la construction romanesque tout à fait impressionnantes.
Maupassant s’est visiblement inspiré de Madame Bovary et d’Un cœur simple de Flaubert pour imaginer l’histoire de cette femme malheureuse en ménage, incomprise.
L’héroïne, Jeanne, est au début du livre une jeune fille naïve et pure tout juste sortie du couvent. Elle revient vivre avec ses parents, un couple généreux et plein de bonté, et elle se perd dans des rêveries sentimentales d’amour, de mariage, de bonheur. Dès la première rencontre avec un homme du voisinage, Julien de Lamare, elle commence à s’émouvoir et s’apprête à se laisser conquérir, d’autant que le jeune homme lui montre de l’intérêt. Au bout de quelques semaines ils sont déjà fiancés, puis mariés, alors qu’ils se connaissent finalement très mal. Jeanne ne tarde pas à s’apercevoir de son erreur : son mari est brutal, cupide, infidèle. Mal mariée, elle ne cherche désormais le bonheur que dans son rôle de mère mais son fils, Paul, surnommé Poulet, lui apportera également de nombreux soucis.
Ce roman aborde de très nombreux thèmes mais le principal est certainement la condition des femmes au 19ème siècle : maintenues dans l’ignorance jusqu’au mariage, elles n’ont pas la possibilité de prendre en main leur destinée ou de faire des choix éclairés et sont soumises toute leur vie au bon vouloir de leur mari – ou à leur mauvaise volonté.
Le rôle néfaste des prêtres dans la vie de Jeanne est aussi tout à fait intéressant : qu’il s’agisse du prêtre indulgent, coulant avec les faiblesses des hommes, ou de son successeur, un rigoriste extrémiste, aucun des deux ne donne à Jeanne les moyens de se défendre et ils l’accableraient plutôt qu’autre chose.

Il m’a semblé par moments noter certaines ressemblances avec des idées de Proust – par exemple les intermittences du cœur – aussi je suppose que Proust a pu s’inspirer de certains passages.

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Extrait page 69

Ils ne savaient que dire, que faire, n’osant même pas se regarder à cette heure sérieuse et décisive d’où dépend l’intime bonheur de toute la vie.
Il sentait vaguement peut-être quel danger offre cette bataille, et quelle souple possession de soi, quelle rusée tendresse il faut pour ne froisser aucune des subtiles pudeurs, des infinies délicatesses d’une âme virginale et nourrie de rêves.
Alors, doucement, il lui prit la main qu’il baisa et, s’agenouillant auprès du lit comme devant un autel, il murmura d’une voix aussi légère qu’un souffle : « Voudrez-vous m’aimer ? » Elle, rassurée tout à coup, souleva sur l’oreiller sa tête ennuagée de dentelles, et elle sourit : « Je vous aime déjà, mon ami ».
Il mit en sa bouche les petits doigts fins de sa femme, et la voix changée par ce bâillon de chair :  » Voulez-vous me prouver que vous m’aimez ? »
Elle répondit, troublée de nouveau, sans bien comprendre ce qu’elle disait, sous le souvenir des paroles de son père :  » Je suis à vous, mon ami. »
Il couvrit son poignet de baisers mouillés, et, se redressant lentement, il approchait de son visage qu’elle recommençait à cacher.(…)

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