Des Poèmes de Sabine Sicaud sur le thème du voyage

Couverture aux éditions Fario

J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer les poèmes de Sabine Sicaud à propos de la maladie incurable dont elle souffrait et qui lui ont inspiré de très beaux textes. Je vous en reparle aujourd’hui dans le cadre de ce Mois thématique sur le voyage.
Ces poèmes sont extraits du Chemin de sable, publié en 2022 par les éditions Fario – collection Les Impardonnables – et qui est une réédition (cf. note biographique de la poète, ci-dessous)

Extrait de la Quatrième de Couverture

Sans avoir connu la vie, Sabine Sicaud va mourir. Ses poèmes, illuminés d’une tristesse où tout est à la fois résignation et grandeur, disent un drame haussé au niveau de l’universel. La langue est d’une simplicité qui convient aux œuvres que le temps ne peut entamer : là tout est clair, rigoureux, irremplaçable.
(Alain Bosquet, in La Revue de Paris, 1959)

**

Note biographique sur la poète

Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 à Villeneuve-sur-Lot et morte le 12 juillet 1928, à l’âge de quatorze ans, dans la même commune, est une poétesse française. Elle est née et morte dans la maison de ses parents, nommée La SolitudeSolitude est aussi le titre d’un de ses poèmes.
Ses Poèmes d’enfant, préfacés par Anna de Noailles, ont été publiés lorsqu’elle avait treize ans. Après les chants émerveillés de l’enfance et de l’éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d’ostéomyélite, appelée aussi la gangrène des os, elle écrit Aux médecins qui viennent me voir :

Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D’un seul coup de couteau, d’un coup de poing
Ou d’un de ces poisons de fakir, vert et or… »

**
Page 13
Chemins du Sud

Chemins du Sud avec un nom qui vous fait mal
certains jours
à force de creuser des nostalgies…
Inscrits en rouge ou bleu sur le cristal
de vos grandes agences de voyage,
inscrits sur les navires au mouillage,
sur l’avion postal
ou sur l’oiseau qui craint le froid des jours plus courts,
certains jours – certains jours
comme se fait insidieuse leur magie !

Chemins du Sud – l’odeur du pamplemousse
ou du désert sans oasis
ou de la forêt vierge aux dangereuses nuits.

Pistes de bêtes dans la brousse
ou dans ces mers pleines d’étoiles rousses
dont parlent entre eux les marins.

Soleil du Sud qui fait la peau d’huile et d’ébène,
soirs de villages indigènes,
tam-tam… Plus loin que vous, au Sud,
Boléro de Ravel qui pourtant faites mal
comme ces noms aux tristesses étranges,
bord astral
de ces routes sans ange
où sombre lentement la Croix du Sud…

*
Page 11

Chemins de l’Ouest

Pour qui vous a-t-on faits, grands chemins de l’Ouest ?
chemins de liberté que l’on suppose tels
et qui mentez sans doute…

Espaces où surgit le Popocatepetl,
où le noir séquoia cerne d’étranges routes,
où la faune et la flore ont de si vastes ciels
que l’homme ne sait plus à quel étage vivre.
Chemins de liberté que nous supposons libres.

À travers les Pampas court mon cheval sans bride,
mais la ville géante a ses réseaux de feu
et les jeunes mortels faits de toutes les races
ont leurs lassos, leurs murs, leurs pères et leurs dieux.
Des « Trois Puntas » à la mer des Sargasses,
Amériques du Sud, du Nord,
pays des toisons d’or, des mines d’or, de l’or
qui fait l’homme libre et l’esclave,
le Pampero peut-être ignore les entraves
et l’aigle boréal, les pièges du chasseur…

Mais, ô ma liberté, plus chère qu’une sœur,
c’est en moi que tu vis, sereine et sédentaire,
pendant que les chemins font le tour de la terre.

**

Deux Poèmes de Sabine Sicaud

Couverture aux éditions Fario

J’avais parfois entendu parler de la jeune et talentueuse poétesse Sabine Sicaud (1913- 1928) à propos de la maladie incurable dont elle souffrait et de sa mort très précoce à l’âge de quatorze ans.
Aussi, j’étais contente de trouver récemment chez Gibert une réédition de ses œuvres, intitulée Le Chemin de sable, parue en 2022 chez les éditions Fario – collection Les Impardonnables -, un livre que je me suis empressée d’acheter et dont je vous propose un choix de poèmes.
J’ai choisi pour aujourd’hui des textes inspirés par sa maladie mais il faut préciser que son écriture ne se limitait pas à ce sujet, que son inspiration était nettement plus vaste.
J’aurai l’occasion de reparler d’elle dans un futur article.

Extrait de la Quatrième de Couverture

Sans avoir connu la vie, Sabine Sicaud va mourir. Ses poèmes, illuminés d’une tristesse où tout est à la fois résignation et grandeur, disent un drame haussé au niveau de l’universel. La langue est d’une simplicité qui convient aux œuvres que le temps ne peut entamer : là tout est clair, rigoureux, irremplaçable.
(Alain Bosquet, in La Revue de Paris, 1959)

**

Note biographique sur la poète
(Source : Wikipédia)

Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 à Villeneuve-sur-Lot et morte le 12 juillet 1928, à l’âge de quatorze ans, dans la même commune, est une poétesse française. Elle est née et morte dans la maison de ses parents, nommée La SolitudeSolitude est aussi le titre d’un de ses poèmes.
Ses Poèmes d’enfant, préfacés par Anna de Noailles, ont été publiés lorsqu’elle avait treize ans. Après les chants émerveillés de l’enfance et de l’éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d’ostéomyélite, appelée aussi la gangrène des os, elle écrit Aux médecins qui viennent me voir :

Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D’un seul coup de couteau, d’un coup de poing
Ou d’un de ces poisons de fakir, vert et or… »

**
Page 61

Vous parler ?

Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l’oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C’est bien. Puisqu’ils ne sont pas las
D’attendre, j’attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d’indifférents prêts à sourire
Ni d’amis gémissants. Que nul ne vienne.

La plante ne dit rien. L’oiseau se tait. Que dire ?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu’on veuille.
Elle n’est pas celle des autres, c’est la mienne.

Une feuille a son mal qu’ignore l’autre feuille.
Et le mal de l’oiseau, l’autre oiseau n’en sait rien.

On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble ?
Et se ressemblât-on, qu’importe. Il me convient
De n’entendre ce soir nulle parole vaine.

J’attends – comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet…
Une goutte d’eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu’attendent-ils ? Nous l’attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu’il reviendrait, peut-être…

*

Page 49

Médecins

Ne cherchez donc pas dans vos livres !
Est-il si compliqué de vivre ?
Quel mal ils m’auront fait, ces tristes médecins…
Je ne dis pas que ce soit à dessein
Et l’on n’est pas toujours exprès des assassins ;
Mais tant de drogues, de piqûres,
Et si peu de savoir ? Ils me tueront, c’est clair.

Me laisser tant souffrir, souffrir tout un hiver,
Pour jouer ensuite aux Augures !

Je les vois en bouchers me palper tour à tour,
Puis s’enfermer d’un air sinistre,
Conseil de guerre ? de ministres ?
Concile ? Ou, verrous clos, sous l’abat-jour,
La conspiration de mélo, dans la cave ?
Je rirais bien, si ce n’était beaucoup plus grave.
Mais il s’agit de moi qui ne sais rien
Et de ces gens à qui, dirait-on, j’appartiens,
Parce qu’ils font semblant de savoir quelque chose.

Bouchut en sait mille fois plus, hélas !
Mon vieux Bouchut qui prend son herbe et se la dose
Et toujours se guérit des misères qu’il a
Sans en chercher la cause…

Vieux Bouchut, vieux Bouchut, dans ton bain de soleil,
Tu te moques de leurs remèdes !
Ton ventre est chaud, ton petit nez vermeil.
Tu me suffis, Bouchut. Viens à mon aide…

**



« A la buttée des étoiles » de Barbara Auzou et Niala, extrait de L’Epoque 2018 Les Mots Peints

Cela fait de nombreuses années que je suis abonnée au blog de la poète Barbara Auzou, intitulé Lire-dit-elle, sur WordPress. C’est ainsi qu’en 2018 j’avais suivi avec plaisir la création de son recueil en collaboration avec le peintre Niala-loiseaubleu, dont chaque tableau-poème formait un ensemble indissociable et sans prééminence d’un art sur l’autre (on ne saurait donc parler ici d' »illustration » et, pas davantage, de « commentaire »). Récemment, j’ai pu me procurer ce beau livre, publié par les éditions Traversées, et j’étais contente de retrouver les créations qui m’avaient plu à l’époque sur le web, sauf que la version papier est, comme on s’y attend, encore plus agréable à consulter, à feuilleter et à tenir entre ses mains.

Pour des questions de droits d’auteur sur les photos, je vous invite à aller faire un tour sur le blog de Barbara pour voir l’œuvre correspondante de Niala en cliquant ici-même.

Mon avis

Dans ces poèmes et ces tableaux, une certaine luxuriance de la nature et une grande place accordée au corps humain, à ses différentes parties (ventre, bras, mains, poitrine), m’ont évoqué le jardin d’Eden, un univers de douceur apaisée. En poésie il n’est pas simple d’évoquer la joie de vivre, les visions heureuses (parler de son malheur ou de ses insatisfactions est peut-être plus inspirant pour la plupart des poètes !) mais Barbara Auzou, au contraire, semble y parvenir sans mal. Ses poèmes ont de l’allant, de la fraîcheur, de la luminosité. Un usage modéré et non systématique de la rime ou de l’assonance confère à ses vers une musicalité sans pesanteur. Du point de vue des rythmes, il n’y a pas non plus de métrique régulière, mais certaines petites répétitions de vers ou de mots donnent un effet légèrement chantant. Une poésie très riche en sensations variées – couleurs, parfums, touchers, images – et qui donne l’impression d’une vie foisonnante et consolatrice.

**

A la buttée des étoiles

Dans les hauts jardins de l’imagination,
je te trouverai broyant la couleur
au revers du coquelicot éphémère,
accoudé au temps et à la butée des étoiles,
à fortifier la frêle charpente de la toile
que le couteau déjà entaille de son entière passion.
Je te trouverai absorbé dans l’intervalle
entre le geste et son intention,
entre la beauté et son interrogation,
au cœur d’une lumière différée,
à la torche ressaisie sur la cécité du jour
et dans le halo d’une certaine idée de l’amour.

Dans les hauts jardins de l’imagination,
tu me trouveras au dernier quartier lunaire,
sur la balançoire obstinée qui balaie le vulgaire,
à la strate du mot et à la nuque d’un bras de mer.
Tu me trouveras au sang bleu d’un théâtre mental,
à la mouette qui se cogne à la butée des étoiles.
Tu me trouveras dans l’étroit du mot,
dans l’écriture du ventre et son cachot,
entre le centre et le contour,
entre le dire et son silence,
au cœur d’une partition langagière,
à la torche ressaisie sur l’éphémère
et dans le halo d’une certaine idée de l’amour.

Barbara Auzou.

**

Des Poèmes de Claire Gondor sur Louise Labé et Pernette du Guillet

En me promenant au rayon poésie de la librairie Gibert à Paris, j’ai découvert ces Variations de Claire Gondor qui revisite des poèmes célèbres de la littérature française, du Moyen-Âge au 20ème siècle, en leur offrant une sorte de pendant ou de réponse contemporaine, ce que j’ai pu interpréter à la fois comme un hommage à ces grands prédécesseurs et aussi comme un commentaire, une extrapolation, une prise de distance où la critique peut poindre.

Comme il s’agit de poésie sur la poésie, cet article entre dans le cadre du « Printemps des artistes » de 2023.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Frison-Roche (Belles lettres)
Collection : L’Or des lignes
Année de publication : octobre 2022
Nombre de Pages : 90

Note sur la Poète

Claire Gondor travaille dans le monde du livre et a créé une compagnie d’évènements littéraires appelée « L’Autre Moitié du Ciel ». Elle a publié un roman, Le Cœur à l’aiguille, aux éditions Buchet-Chastel, en 2017, et a également participé à de nombreuses publications collectives. (Source : éditeur)

Note sur Louise Labé

Louise Labé, aussi surnommée « Louïze Labé Lionnoize » et « la Belle Cordière », née vers 1524 à Lyon, morte le 25 avril 1566 à Parcieux-en-Dombes où elle fut enterrée, est une écrivaine française principalement connue en tant que poétesse de la Renaissance. Avec Pernette du Guillet et Maurice Scève, Louise Labé appartient à « l’école lyonnaise ». Elle s’inspire de poètes de l’Antiquité et d’auteurs contemporains comme Pétrarque. Elle défend des idées qui peuvent être considérées comme proto-féministes.
Comme sa biographie est très mal connue, certains spécialistes et commentateurs ont défendu l’idée qu’elle n’avait jamais existé, qu’il s’agissait d’une supercherie. (Source : Wikipédia)

Note sur Pernette du Guillet

Elle naît (en 1518 ou 1520) dans une famille noble et épouse en 1538 un du Guillet. Elle rencontre Maurice Scève au printemps 1536 – il a alors trente-cinq ans et elle seize ans – et devient son élève. Leur amour impossible devient la source d’inspiration de ses poèmes, publiés de façon posthume, à la demande de son mari en 1545, sous le titre Rymes de gentille et vertueuse dame, Pernette du Guillet. Maurice Scève écrit en son honneur son recueil le plus fameux, « Délie« , en 1544. Elle meurt à 25 ans d’une épidémie de peste. (Source : Wikipédia)

**

Sinusoïdes
(d’après « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie »
de Louise Labé)

l’épiderme traversé de climats contraires
je suis le zigzag de mes instincts

j’ai l’ai dans la peau
la canicule
les veines à chaud
les veines à froid
montagnes russes
les émotions à contresens.

c’est le grand huit !
la fête foraine
de l’ecclésiaste

un temps pour tout
la pulsation
ou le reflux
le rythme brisé de mon cœur

hors de cadence
j’ai le savoir universel et douloureux
des contretemps

Claire GONDOR

*

Perdre la boussole
(d’après « la nuit était pour moi si très-obscure »
de Pernette du Guillet)

– fondu à l’outrenoir –
le veilleur a perdu sa boussole

flou autistique
où l’encre
de la nuit à la nuit
mangerait les visages

qu’il exerce sa voix le veilleur
car voici le jour
le jour qu’il fit,
le forgeur de l’humus

qu’il allume ses yeux
qu’il réchauffe sa joie
aux lavis tranquilles
des commencements

Portrait de Louise Labé

Claire GONDOR

**

TEXTES ORIGINAUX
(d’où sont inspirés les deux précédents)

Je vis, je meurs ; je me brûle
et me noie

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé (1524-1566)

*

La nuit était pour moi
si très-obscure

La nuit était pour moi si très-obscure,
Que Terre et Ciel elle m’obscurcissait,
Tant, qu’à Midi de discerner figure
N’avais pouvoir, qui fort me marrissait :

Mais quand je vis que l’aube apparaissait
En couleurs mille et diverse, et sereine,
Je me trouvai de liesse si pleine,
– Voyant déjà la clarté à la ronde –
Que commençai louer à voix hautaine
Celui qui fit pour moi ce Jour au Monde.

Pernette du Guillet (1518-1545)

**

Logo du Défi, créé par Goran

Des Poèmes parus dans la revue Traction-Brabant numéro 97

Numéro 97 de la revue

La revue Traction-Brabant, créée et dirigée par le poète et éditeur Patrice Maltaverne depuis 2004, a fait paraître en février dernier son numéro 97 et je vous en propose deux extraits.
Vous pouvez vous abonner à cette revue poétique pour la somme modique de 15 euros correspondant à cinq numéros annuels.
Pour de plus amples informations, voici le lien vers le blog de la revue : http://traction-brabant.blogspot.fr

**

Heure d’hiver

Vingt-et-une heures au clocher
Neuves heures
La lune se résigne à ne s’éclairer qu’à moitié
En représailles, j’imagine
Je l’entends pleurer
Alors je m’obstine
A rêver doublement
Mais à cloche-pied
Et mes chimères coquines
Se font complices
De mon urgence dévoreuse de temps
Sur le noir lisse de la longue nuit
Je laisse aller mes jambes
Mes jambes seulement
Et mes bras envieux font de mon oreiller
Un piège à vœux
Mi laids, mi pieux

Armelle LE GOLVAN

**

Covoiturage

attentat suicide
voisins de palier
tel qui se liquide
meurt accompagné

crâne sous la meule
sans plus résister
ne pas partir seule
suicide assisté

Annie Hupé

**

Deux de mes derniers poèmes rimés

J’ai écrit ces poèmes au printemps et été 2021.
Merci de ne pas les diffuser sans mon autorisation.

transilien, intérieur du train

Eloge de la SNCF

Rouler en transilien dans la campagne rase,
Voir filer les hameaux tagués et les terrains
Vagues, ce n’est pas très folichon, à la base.
Un genre de torpeur fadasse vous étreint.

De gare en gare, nous roulions dans cet écrin
D’ennui morose, quand j’entendis cette phrase,
Dite sur un ton simple, aimable et sans emphase :
« Prenez garde à la marche en descendant du train ! »

Que la SNCF parle en alexandrin
Au pauvre banlieusard que son train-train écrase,
Cela aurait de quoi me mener à l’extase
(Est-ce excessif ? Un brin ? Sans frein ? Ou a tout crin ?)

Maintenant, chaque fois que j’ai l’esprit chagrin,
Je pense à cette phrase audacieuse et courtoise
Qui me sied ! Pour un peu, je me croirais en phase
Avec ce monde ultra-néo-contemporain.

**

Eloge de la Bêtise

Je suis bête mais c’est à moitié fait exprès
Et je n’ai de l’esprit que par inadvertance
Mais j’en ai d’autant plus que j’entre dans la danse
De plus crétins que moi (à ce qu’il me parait).

Les intellos pédants qui tiennent toujours prêt
Un fumeux paradoxe empreint d’intelligence,
Je leur sors aussitôt une plate évidence,
Digne de Lapalisse – ils en sont pour leurs frais !

Par l’électrique essor de leurs brillants neurones
Ils croient pouvoir prétendre aux merveilleuses zones
De tranquille bonheur où ma stupidité

Me mène sans effort ni qualité majeure.
Ils sont trop malins pour voir cette vérité :
La raison du plus bête est toujours la meilleure !

Marie-Anne Bruch

**

Deux Poèmes de Denis Hamel

Dans le cadre de mon Mois Thématique sur la Maladie Psychique d’octobre 2021, je vous propose la lecture de ces deux beaux poèmes de mon ami le poète Denis Hamel.
Ces deux poèmes sont extraits de son recueil Le Festin de fumée, paru en 2016 chez les Editions du Petit Pavé, dans la collection du Semainier.

Note sur le Poète :

Denis Hamel est né en 1973. Il vit et travaille à Paris.
Il lit de la poésie depuis 1995, en écrit depuis 1999 et en publie (peu) en revue depuis 2002.
Ni avant-gardiste ( Charybde) ni anti-moderne (Scylla), il cherche une clairière dans la forêt de l’écriture.
(Source : éditeur)

Solian

mon amour est terni
comme ces vieux couverts
en argent qu’on oublie
dans les meubles sévères

de la maison d’enfance
des spectres de chiffons
comme en chiens de faïence
rêvent de puits sans fond

menant de salle en faille
bleue, les soupirs du bois
qui vieillit et travaille
comme un être aux abois

disent les mots du temps
au givre des fenêtres
oh pensée du printemps
je ne me sens plus être

**

capitalisme et psychose

des nuées d’oiseaux noirs
montent derrière mes yeux
au loin les bâtiments
les blocs utilitaires

entourés de nature
et de fleurs anhistoriques
l’école, la caserne, l’usine
et l’asile entrent dans le couchant

j’ai pris des psychotropes
et marche péniblement
dans les rues de mon enfance
les habitats mortuaires

décorés de guirlandes
invitent à l’immobilité
face au pouvoir de la matière
dans le pays des araignées

**

Trois Poèmes de François Sureau

J’ai lu ce livre parce que j’aime généralement la Collection Poésie/Gallimard, une collection de grande qualité.
A vrai dire, cette Chanson de Passavant m’a passablement ennuyée dans l’ensemble et j’ai été déçue de cette lecture qui manque selon moi de substance et de fond !
Malgré tout, je vous laisse libres de juger par vous-mêmes à partir de quelques poèmes que j’ai sélectionnés parmi mes préférés – car il y en a quand même quelques uns qui ne m’ont pas déplu.

Note biographique sur l’auteur :

François Sureau est né en 1957 à Paris. Ancien énarque, haut fonctionnaire. Démissionnaire du Conseil d’Etat après quelques années, il a exercé le métier d’avocat, se consacrant par ailleurs à la littérature.
Il est l’auteur de romans (L’Infortune, Grand Prix du roman de l’Académie Française), de récits courts (Le chemin des morts) ou longs (L’Or du temps), d’essais biographiques (Inigo, Je ne pense plus voyager, Ma vie avec Apollinaire). En 2020, il est élu à l’Académie Française.

**

Redingote stambouline

Etoile de Smyrne hôtel du Nord
Les fresques saintes et les décors
Des guerres d’hier qui durent encore
Me portent heureux vers d’autres ports

J’ai écouté les rails sonores
Dans les pays où l’amour dort
A Svilengrad un mauvais sort
M’a fait coucher chaînes au corps

Etoile du Nord hôtel de Smyrne
Le temps mûrit sur le Bosphore
Dans les cafés l’urine sent fort
L’odeur me suit depuis Edirne

Lourdes sultanes qui broutez l’or
De vos palais je vous adore
Grecs embouchant la corne d’or
Et puis sautant par-dessus bord

Chez Klodfarer j’ai pris un lit
Semé d’insectes et de spores
Pour une fois j’ai bien dormi
Sans trop rêver de Peter Lorre

La voix de Dieu est coralline
Qui m’a sommé vers les cinq heures
De renoncer à mon bonheur
L’étoile qui dort au nord de Smyrne

**

L’athanor

Rue Nicolas-Flamel
Au pied de l’arbre bleu
Dans les cristaux de sel
J’ai surpris le bon Dieu

Que j’aimais le grand calme
De la morgue d’avant
Le gris-vert sur les palmes
Mes noyés chancelants

La mort a par instants
Un regard de pucelle
Et des lèvres d’enfant
Rue Nicolas-Flamel

**

Passavant à Paris

Mon coeur cet archevêque
A des passions quand il fait froid
Mitré patient bordé d’hermine
Il est d’ici et d’autrefois
Ce qu’il attend ne compte pas
Vienne l’hiver et ses abîmes.

**

La Chanson de Passavant de François Sureau était paru en 2005 aux éditions Gallimard.

Deux sonnets sur l’art, de José Maria de Heredia

Pour continuer à suivre mon défi du Printemps des Artistes, voici deux sonnets de José Maria de Heredia concernant des peintres.
Certes, Emmanuel Lansyer n’est plus aussi célèbre que Michel-Ange, loin de là, mais Heredia leur a consacré à chacun un aussi beau sonnet, et je me propose de vous les faire découvrir.

Logo du Défi

Emmanuel Lansyer (1835-1893) est un peintre paysagiste et aquafortiste français. Formé dans les ateliers de Viollet-le-Duc puis de Gustave Courbet, on peut le rapprocher du style réaliste. Ami des poètes José Maria de Heredia et Sully Prudhomme, il fut considéré comme l’un des plus grands paysagistes de son temps, à l’égal de Corot. Il fréquenta également les peintres de Barbizon, en particulier Théodore Rousseau. Il était aussi un grand collectionneur d’art italien.

Michel-Ange (1475-1564) est un sculpteur, peintre, architecte, poète et urbaniste florentin de la Haute Renaissance. Il peint Le Jugement dernier vers la fin de sa carrière, en 1541, bien après avoir décoré le Plafond de la Chapelle Sixtine (à Rome) en 1512, après avoir sculpté les Six Esclaves du Tombeau de Jules II (vers 1516) et plusieurs décennies après avoir sculpté le David en 1504 et la Pietà en 1499. Artiste Phare de la Renaissance, reconnu très tôt comme un génie, il a eu une influence considérable sur plusieurs générations ultérieures d’artistes européens.

Un peintre

A Emmanuel Lansyer.

Il a compris la race antique aux yeux pensifs
Qui foule le sol dur de la terre bretonne,
La lande rase, rose et grise et monotone
Où croulent les manoirs sous le lierre et les ifs.

Des hauts talus plantés de hêtres convulsifs,
Il a vu, par les soirs tempétueux d’automne,
Sombrer le soleil rouge en la mer qui moutonne ;
Sa lèvre s’est salée à l’embrun des récifs.

Il a peint l’Océan splendide, immense et triste,
Où le nuage laisse un reflet d’améthyste,
L’émeraude écumante et le calme saphir ;

Et fixant l’eau, l’air, l’ombre et l’heure insaisissables,
Sur une toile étroite il a fait réfléchir
Le ciel occidental dans le miroir des sables.

**

Marine d’Emmanuel Lansyer (source : Musée)

Michel-Ange

Certe, il était hanté d’un tragique tourment,
Alors qu’à la Sixtine et loin de Rome en fêtes,
Solitaire, il peignait Sibylles et Prophètes
Et, sur le sombre mur, le dernier jugement.

Il écoutait en lui pleurer obstinément,
Titan que son désir enchaîne aux plus hauts faîtes,
La Patrie et l’Amour, la Gloire et leurs défaites ;
Il songeait que tout meurt et que le rêve ment.

Aussi ces lourds Géants, las de leur force exsangue,
Ces Esclaves qu’étreint une infrangible gangue,
Comme il les a tordus d’une étrange façon ;

Et dans les marbres froids où bout son âme altière,
Comme il a fait courir avec un grand frisson
La colère d’un Dieu vaincu par la Matière !

Des Poèmes d’amour de Marina Tsvetaïeva

Dans le cadre du mois de l’Europe de l’Est de Patrice, Eva et Goran, je vous propose la lecture de quelques poésies de la grande poète russe Marina Tsvetaïeva (1892-1941), contemporaine d’Anna Akhmatova (elles se connaissaient et fréquentaient les mêmes cercles).
Les éditions Circé ont justement publié ses poésies d’amour en 2015, dans une traduction et avec une présentation d’Henri Abril.
Marina Tsvetaïeva écrivait un an et demi avant son suicide d’août 1941 : « Tous mes poèmes, je les dois à ceux que j’ai aimés – qui m’ont aimée, ou ne m’ont pas aimée. »

(page 69)

Vous si oublieux, si inoubliable –
Combien votre sourire vous ressemble !
Quoi d’autre ? – Plus beau qu’une aube dorée.
Quoi d’autre ? – Seul dans l’univers entier.
Prisonnier dans la guerre de l’amour.
La main de Cellini a ciselé cette coupe…

Mon ami, laissez-moi dire à l’ancienne
La passion la plus tendre. Je vous aime –
Et le vent hurle dans la cheminée.
Les yeux rivés sur les flammes – accoudée –
Je vous aime. Mon amour est innocent.
Je vous le dis – comme les petits enfants.

Tout fuit ! Les tempes serrées entre mes mains,
La vie saura les desserrer. Enfin,
Jeune captif, l’amour vous aura libéré.
Mais ma voix ailée viendra gazouiller
Que vous viviez sur terre – par miracle –
Vous si oublieux, si inoubliable !

25 novembre 1918

**

(page 55)

Baiser sur le front : les soucis s’effacent.
Je baise le front.

Baiser sur les yeux : l’insomnie s’en va.
Je baise les yeux.

Baiser sur les lèvres : apaiser la soif.
Je baise les lèvres.

Baiser sur le front : ôter la mémoire.
Je baise le front.

5 juin 1917

**

(page 49)

M’as-tu jaugée de jour en jour,
Moi sans foyer mais toute en feu ;
Sur le pavé brûlant et lourd,
Sous la lune – errions-nous tous deux ?

Dans un bouge pestiféré,
Aux sons stridents des valses lestes,
Dans ton poing ivre as-tu brisé
Mes doigts si poignants de tendresse ?

Dans le sommeil quelle est ma voix,
Le sais-tu ? – Ô fumée et cendres !
Que pourrais-tu savoir de moi,
N’ayant bu ni dormi ensemble ?

7 décembre 1916