Bilan du « Printemps des artistes » de 2023

Nous sommes arrivés à la fin du Printemps des Artistes, édition de 2023, et je remercie beaucoup les participants et participantes pour leurs chroniques nombreuses, riches et variées, abordant de multiples thèmes et des époques diverses !
Cette année, le défi rassemble une soixantaine de chroniques.
Un remerciement particulier à Miriam et à la Barmaid aux lettres, pour leurs dizaines de contributions !
Si j’ai oublié l’une de vos chroniques dans ma liste, n’hésitez pas à me le signaler, je corrigerai dès que possible !

Voici donc cette liste de chroniques publiées pour le défi :

Chez Ana-Cristina du blog « Autour d’un livre ou deux » :

Un nommé Schulz d’Ugo Riccarelli – Un roman biographique à propos de l’écrivain polonais Bruno Schulz
La Nuit de l’oracle de Paul Auster – roman autour de quatre personnages, tous écrivains
Dans le scriptorium de Paul Auster – roman dont le personnage principal est écrivain et qui parle d’écriture

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Chez Nathalie alias « Madame lit« 

Tous les Matins du monde de Pascal Quignard – Roman biographique sur les musiciens du 17è siècle, Marin Marais et Monsieur Sainte-Colombe, compositeurs baroques.

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Chez Isabelle du blog « Une Ribambelle d’histoires« 

555 d’Hélène Gestern : un roman articulé autour du compositeur Scarlatti et de ses 555 sonates
Antonia la cheffe d’orchestre, par Maria Peters : Biographie romancée d’Antonia Brico, la première femme à diriger un orchestre, dans les années 1920-30.

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Chez Fabienne (Livrescapades) :

Georges et Carmen, un roman de Rousselot sur le compositeur Georges Bizet.
Rachel et les siens de Metin Arditi – Un roman turc contemporain dont l’héroïne est une dramaturge à succès : thèmes politiques, historiques et artistiques.
Paroles d’artiste Abdul Rahman Katanani et Barbara Polla – Livre sur un artiste palestinien contemporain, engagé, réalisant des œuvres en fils barbelés ou en tôle.

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Chez Claude du blog Livres d’un Jour :

Art poétique de Paul Verlaine – Célèbre poème à propos de la poésie
Fantaisie de Gérard de Nerval – Célèbre poème à propos de musique
Article sur la compositrice contemporaine Graciane Finzi
Anaïs Nin sur la mer des mensonges de Leonie Bishoff – Roman graphique sur la vie d’Anaïs Nin
Evelyn de Morgan – Article sur une femme peintre anglaise du 19è siècle, appartenant au mouvement préraphaélite.

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Articles de Miriam sur son blog « Carnets de voyage et notes de lecture« 

Des Lendemains qui chantent d’Alexia Stresi – Roman dont le héros est un grand ténor célèbre, chantant plusieurs opéras classiques (Verdi, etc)
Philippe Cognée à l’Orangerie et au musée Bourdelle – Double exposition d’un artiste contemporain, peintures, photographies, installations.
Manet et Degas à Orsay – Chronique sur l’exposition du Musée d’Orsay
Matisse cahiers d’art le tournant des années 30 : Chronique sur cette exposition de l’Orangerie
Germaine Richier au Centre Pompidou : Chronique sur cette rétrospective de la sculptrice du 20è siècle
Anna Eva Bergman – Voyage vers l’intérieur – Chronique sur l’exposition du Musée d’Art Moderne
Sarah Bernhardt au Petit Palais – Exposition sur la célèbre tragédienne des années 1900, qui fut aussi sculptrice
Musée Bourdelle à Montparnasse : Musée parisien consacré à ce sculpteur
Ronald Cyrille B Bird : Exposition des peintures et collages d’un artiste né à Saint-Domingue, vivant en Martinique.
Pointe à Pitre, Mémorial Acte – Musée retraçant l’histoire de l’esclavage, avec des œuvres artistiques modernes et contemporaines
Faith Ringgold, une artiste féministe et engagée Exposition au Musée Picasso
L’ombre de Goya par Jean-Claude Carrière – Film sur la vie et les tableaux de Goya.
Souleymane Bachir Diagne : Essai sur Leopold Sedar Senghor, l’art africain comme philosophie
Le Conteur, la nuit et le panier de Patrick Chamoiseau – Essai sur la littérature, sur la figure de l’écrivain, l’inspiration et l’acte d’écriture

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Chez Sacha du blog « Des romans mais pas seulement« 

Autobiographie Mémoires d’une recluse d’Elisavet Moutzan Martiengou – Autobiographie d’une écrivaine grecque

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Article d’Eva du blog « Et si on bouquinait un peu« 

Le Livre de mon Père d’Urs Widmer – Biographie romancée d’un écrivain allemand, Karl Walter Widmer, livre où il est aussi question de peintres, poètes, sculpteurs,…

Articles de Patrice du même blog : Si on bouquinait un peu.

L’effroi de François Garde : Roman dont le héros est musicien d’orchestre (altiste), thèmes politiques et médiatiques.
Les Architectes de Stefan Heym : Roman dont un des thèmes est l’architecture, mais qui touche aussi à l’histoire et à la politique.

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Articles de Roz sur le blog « la bibliothèque Roz« 

Hokusai : Film japonais de Hajime Hoshimoto sur le célèbre peintre d’estampes
L’Exposition S.H. Raza au Centre Pompidou : Un peintre indien du 20è siècle
Le Bleu du Caftan : Film de Maryam Touzani (2023) sur les arts textiles traditionnels marocains
Le Prince des Marées de Pat Conroy : Saga dans laquelle un des personnages principaux est écrivain et poète
Art brut, la Fabuloserie, Exposition d’art brut à la Halle Saint Pierre à Paris
Showing Up de Kelly Reichardt : Film de 2023 dont l’héroïne est une sculptrice qui travaille également dans une école d’art

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Chez la Barmaid aux Lettres :

Hegra- Nehmé : Livre sur l’Archéologie au pays des Nabatéens d’Arabie
Jean-Luc Verna – Collectif : Beau livre artistique (art contemporain)
Ecopunk – Hein – Livre sur la musique punk et leurs paroles de chansons
The Visual Dictionary of Graphic Design – Paul Harris – Un livre complet sur le design graphique
La Fabrique du titre – Collectif : Livre sur l’art du titre : comment on nomme une œuvre littéraire ou visuelle.
A la mode, l’art du paraître au XVIIIè siècle – Collectif : Catalogue d’exposition sur la représentation vestimentaire à travers la peinture du 18è siècle et l’art du textile.
Le Bateau #19 : Rouge : Présentation d’une revue artistique, érotique.
Apprendre à voir : Zhong Mengual – Un Essai sur l’histoire de l’art en rapport avec l’écologie et le féminisme.
Courants verts – Paul Ardenne – Un Livre sur l’art écologique (art contemporain)
Fowkes – Art and Climate change – Un autre livre sur le lien entre l’art et l’écologie

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Chez moi

Le Motif dans le tapis d’Henry James : Court roman qui évoque la littérature, à travers deux personnages, l’un écrivain et l’autre critique littéraire
Un Poème d’Anne Sexton sur Sylvia Plath : Poésie sur la poétesse américaine, par son amie poète
Le Métier d’écrivain de Hermann Hesse : Textes de réflexion sur l’écriture
Les Amandiers de Valéria Bruni-Tedeschi – Film de 2022 sur l’école du théâtre des Amandiers dans les années 80
Une Femme en contre-jour de Gaëlle Josse : Biographie littéraire de la photographe américaine Vivian Maier
Edvard Munch : Exposition du Musée d’Orsay sur le peintre norvégien
La Découverte du monde de C.-F. Ramuz : Autobiographie de l’écrivain, naissance de sa vocation
Des Poèmes de Paul Eluard sur des tableaux de Chirico et de Braque – Peinture du 20è siècle
Des Poèmes de Claire Gondor à propos de Louise Labé et Pernette du Guillet
Des Poèmes de Matthieu Lorin sur deux écrivains américains du 20è siècle : Brautigan et Jim Harrison
Bright Star de Jane Campion : Film relatant la vie du poète romantique John Keats
Le Conteur, la nuit et le panier de Patrick Chamoiseau : Essai sur la littérature et l’acte d’écriture.
Des Poèmes de Saint-John Perse sur « Les Oiseaux » de Georges Braque – Peinture du 20è siècle
La Leçon de Ténèbres de Léonor de Récondo – Collection « Ma nuit au musée » à propos du peintre Le Greco
La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr – Roman dont les principaux personnages sont tous écrivains
Un de mes poèmes sur Billie Holiday – Musique, jazz
Mon Individualisme, de Natsume Sôseki – Conférence de l’écrivain sur la littérature et la naissance de sa vocation
Le Salon de Musique de Satyajit Ray – Film classique indien, sur la vanité artistique, le prestige social lié à l’art

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La Plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr

Couverture chez Philippe Rey

Il est assez rare que je lise les récents Prix Goncourt mais « La plus secrète mémoire des hommes » raconte un parcours d’écrivain et se déroule dans le milieu littéraire, autour des livres, et il trouve donc naturellement place dans mon Printemps des Artistes de cette année.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Philippe Rey
Date de publication : 2021
Prix Goncourt en 2021
Nombre de pages : 457

Quatrième de Couverture

En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le Labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, où il affronte les grandes tragédies que sont le colonialisme et la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ?
Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…
D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.

Mon Avis

C’est un roman qui possède une énergie et un souffle qui me paraissent assez rares dans la littérature contemporaine. Un lyrisme, un emportement poétique qui m’ont parfois étonnée car, là encore, on n’est plus vraiment habitué à ce type d’écriture dans notre très sobre, très strict et très pondéré 21ème siècle – et franchement, je trouve que ça fait du bien de renouer avec un style ample, un propos ambitieux, un vocabulaire riche, des considérations élevées, des phrases parfois tumultueuses, des personnages pleins de désirs et d’envergure psychologique !
Mais, en même temps, on se dit que ce style néo-rimbaldien est une sorte de jeu : l’auteur nous propose des pastiches qu’il ne faut pas forcément prendre au premier degré. Et nous nous demandons jusqu’à quel point Mohamed Mbougar Sarr peut s’identifier à son personnage de jeune romancier, Diégane Faye, qui lui-même pourrait facilement s’identifier à l’écrivain fascinant et mystérieux qu’il a pris comme modèle, TC Elimane, qui lui-même fut surnommé à son époque « Le Rimbaud nègre », ce qui, dans cette mise en abyme, nous conduit de nouveau à une réalité historique (Rimbaud a vraiment existé et vécut en Afrique, ayant déjà arrêté d’écrire) après être passé par de multiples personnages d’écrivains fictifs (ou semi-fictifs). Et, dans ce sens, on ne sait pas dans quelle mesure Mohamed Mbougar Sarr fait son propre autoportrait, ou le portrait auquel il ne veut surtout pas ressembler, lorsqu’il écrit à propos de T.C. Elimane : « toute la tristesse de l’aliénation », « il a donné tous les gages culturels de la blanchéité ; on ne l’en a que mieux renvoyé à sa nègreur » (page 422) et c’est aussi une façon pour l’écrivain de titiller le lecteur, de provoquer son trouble en le renvoyant aussi à son propre esprit critique – sans doute biaisé par des considérations extra-littéraires, par exemple la couleur de peau de l’auteur, qui l’influence dans un sens ou dans l’autre.
Un bémol que je pourrais apporter à cette chronique, c’est le côté très (trop) foisonnant de ce livre, et sa construction en forme de patchwork, à cause de laquelle on se perd parfois un petit peu et on peut avoir de temps en temps une impression de « fouillis », où trop de thèmes différents sont abordés et où on peine à se frayer un chemin univoque – même si l’auteur joue ici sur le titre du livre de T.C. Elimane, en nous proposant ce parcours labyrinthique (mais nullement inhumain).
Un roman qui m’a frappée par la virtuosité de son style et la beauté poétique de certaines pages, qui sont de véritables morceaux d’anthologie.
Bref, une œuvre qui me parait importante pour la littérature.

Un Extrait page 54

La littérature m’apparut sous les traits d’une femme à la beauté terrifiante. Je lui dis dans un bégaiement que je la cherchais. Elle rit avec cruauté et dit qu’elle n’appartenait à personne. Je me mis à genoux et la suppliai : Passe une nuit avec moi, une seule misérable nuit. Elle disparut sans un mot. Je me lançai à sa poursuite, empli de détermination et de morgue : Je t’attraperai, je t’assiérai sur mes genoux, je t’obligerai à me regarder dans les yeux, je serai écrivain ! Mais vient toujours ce terrible moment, sur le chemin, en pleine nuit, où une voix résonne et vous frappe comme la foudre ; et elle vous révèle, ou vous rappelle, que la volonté ne suffit pas, que le talent ne suffit pas, que l’ambition ne suffit pas, qu’avoir une belle plume ne suffit pas, qu’avoir beaucoup lu ne suffit pas, qu’être célèbre ne suffit pas, que posséder une vaste culture ne suffit pas, qu’être sage ne suffit pas, que l’engagement ne suffit pas, que la patience ne suffit pas, que s’enivrer de vie pure ne suffit pas, que s’écarter de la vie ne suffit pas, que croire en ses rêves ne suffit pas, que désosser le réel ne suffit pas, que l’intelligence ne suffit pas, qu’émouvoir ne suffit pas, que la stratégie ne suffit pas, que la communication ne suffit pas, que même avoir des choses à dire ne suffit pas, non plus que ne suffit le travail acharné ; et la voix dit encore que tout cela peut être, et est souvent une condition, un avantage, un attribut, une force, certes, mais la voix ajoute aussitôt qu’essentiellement aucune de ces qualités ne suffit jamais lorsqu’il est question de littérature, puisque écrire exige toujours autre chose, autre chose, autre chose. (…)

Un Extrait page 69

L’exilé est obsédé par la séparation géographique, l’éloignement dans l’espace. C’est pourtant le temps qui fonde l’essentiel de sa solitude ; et il accuse les kilomètres alors que ce sont les jours qui le tuent. J’aurais pu supporter d’être à des milliards de bornes du visage parental si j’avais eu la certitude que le temps glisserait sur lui sans lui nuire. Mais c’est impossible ; il faut que les rides se creusent, que la vue baisse, que la mémoire flanche, que des maladies menacent.
Comment raccorder nos vies ? Par l’écriture ? Récit, écrit : j’invoque la gémellité, l’anagramme absolue de ces vocables où s’incarne la puissance présumée de la parole. Sauront-ils réduire notre éloignement intérieur ? Pour l’heure, la distance se creuse, indifférente au verbe et à ses sortilèges.
A certains qui sont partis, il faut souhaiter qu’ils ne rentrent jamais, bien que ce soit leur plus profond désir : ils en mourraient de chagrin. Mes parents me manquaient mais je craignais de les appeler ; le temps passait ; et, autant j’étais triste de ne pas les entendre me raconter ce qui arrivait dans leur vie, autant m’effrayait l’idée qu’ils me le disent, car je savais au fond ce qui arrivait vraiment dans leur vie. C’était ce qui arrivait dans toute vie : ils se rapprochaient de la mort. (…)

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Le Motif dans le Tapis d’Henry James

Couverture chez Folio

Une amie m’a dit le plus grand bien de cette nouvelle d’Henry James et, comme il y est question d’un écrivain et de son œuvre vue par les critiques littéraires de son temps, j’ai décidé de vous la présenter pour « Le Printemps des Artistes« .

Note Pratique sur le Livre

Genre : Nouvelle
Editeur : Folio (2 euros)
Date de Publication originale : 1896
Traduit de l’américain par Pierre Fontaney
Nombre de pages : 95

Biographie d’Henry James

Né en 1843 à New-York et mort en 1916 à Chelsea, H. James est un écrivain américain naturalisé anglais en juillet 1915, six mois avant sa mort. Ses premières publications datent de 1864. Dès 1871, son talent d’écrivain est reconnu. Homme de lettres prolifique, il est l’auteur d’une vingtaine de romans, d’une centaine de nouvelles, de textes critiques, d’œuvres dramatiques, d’une autobiographie ainsi que d’un journal. Il voyage énormément tout au long de sa vie, vivant tour à tour à Paris, Rome ou Londres et rencontrant écrivains et artistes de son temps. (Sources : éditeur et Wikipédia)

Quatrième de Couverture

Un soir, l’écrivain Hugh Vereker fait une révélation à un critique littéraire. Son œuvre tout entière serait traversée et guidée par une «chose particulière» qui, bien qu’elle y soit «contenue aussi concrètement qu’un oiseau dans une cage», n’aurait jamais été aperçue. C’est pourtant elle, explique-t-il, qui «commande chaque ligne», «choisit chaque mot», «met le point sur chaque i», «place chaque virgule»! Le jeune critique ne cessera dès lors de chercher, désespérément, cet énigmatique oiseau, ce motif caché…

Une fascinante méditation sur la lecture par l’auteur du Tour d’écrou.

Mon Avis

Henry James semble vouloir dresser un portrait bien peu flatteur des critiques littéraires : ils sont vaniteux, prétentieux, jaloux les uns des autres, calculateurs, et ils ne ressentent d’intérêt pour les œuvres littéraires que dans la mesure où elles leur permettent de se mettre eux-mêmes en valeur et de faire briller aux yeux de tous l’étendue de leur intelligence et l’acuité de leur perspicacité. Mais cette perspicacité est un leurre, un grossier mensonge : en réalité le critique littéraire ne comprend strictement rien aux œuvres qu’il examine, et ce sont les écrivains qui sont les mieux placés pour savoir ce qu’il y a à comprendre dans leurs livres et l’intention avec laquelle ils les ont écrits, donc également les mieux placés pour prendre ces critiques littéraires en défaut et les ridiculiser comme il se doit.
J’ai trouvé intéressant qu’Henry James nous propose une conception de l’œuvre d’un écrivain comme une énigme à décrypter, un secret à dévoiler. Il semble penser que chaque écrivain possède une sorte de principe fondateur, une idée unique sur laquelle est bâtie toute l’œuvre, depuis ses débuts jusqu’à son dernier souffle. Cela m’a donné à imaginer qu’Henry James parlait également pour lui-même et que cette nouvelle-ci constituait une sorte de défi aux critiques et aux lecteurs que nous sommes : le défi de retrouver dans son œuvre « la petite idée » qui en forme l’arrière-plan et la ligne directrice. En même temps, il nous prévient avec un certain humour que nous avons très peu de chances – pour ainsi dire aucune chance – de percer à jour le mystère et de comprendre ce qu’il y avait à comprendre, ou du moins : ce que l’auteur espérait y mettre.
Peut-être faut-il entendre à travers ce texte que la littérature est un continuel malentendu entre les écrivains et les lecteurs, où les uns essayent en vain de se faire comprendre, tandis que les autres sont absolument aveugles à toute lumière et ne s’en rendent même pas compte.
Et je me demande naturellement, en rédigeant cette chronique, si je suis à côté de la plaque et si Henry James s’est joué de moi, à sa façon.
Une nouvelle très passionnante, à l’écriture sophistiquée et aux tournures de phrases souvent complexes – à la façon du 19ème siècle -, qui m’a permis de découvrir cet écrivain et qui m’a donné envie de relire, un jour prochain, une autre de ses œuvres.

Un Extrait page 26-27

J’écoutai avec un immense intérêt – intérêt qui alla grandissant au fur et à mesure qu’il parlait. « Vous, un échec ?… Grands dieux Mais quelle peut bien être votre « petite idée » ?
– Faut-il vraiment que je vous l’expose, après toutes ces années et tout ce labeur ? »
Il y avait dans cet amical reproche, plaisamment exagéré, quelque chose qui me fit – jeune et féru de vérité que j’étais – rougir jusqu’aux oreilles. Je suis resté dans la même ignorance qu’alors, quoique, le temps passant, je me sois en un sens accoutumé à ma propre cécité ; sur le coup, toutefois, le ton réjoui de Vereker me fit paraître à moi-même – et sans doute l’étais-je également à ses yeux – comme un âne de la plus belle espèce. J’étais sur le point de m’exclamer : « Ah non ! Ne me dites rien ! Pour mon honneur, pour celui de la profession, ne me dites rien ! », lorsqu’il poursuivit d’une manière qui montrait qu’il avait lu ma pensée et avait son point de vue ben arrêté sur nos chances, à nous les jeunes qui montions, de nous racheter un jour. « Par ma petite idée, j’entends… comment vous dire ?… la chose particulière en vue de laquelle j’ai principalement écrit mes livres. N’y a-t-il pas pour chaque écrivain une chose particulière de cette sorte, la chose qui l’incite à la plus grande concentration, la chose sans laquelle, s’il ne faisait effort pour l’atteindre, il n’écrirait pas du tout, la passion même au cœur de sa passion, la part de son métier dans laquelle, pour lui, brûle le plus intensément le feu de l’art ? Eh bien, c’est de cela qu’il s’agit ! »

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La Leçon de Ténèbres de Léonor de Récondo

Couverture chez Points

Vous connaissez sans doute la collection littéraire contemporaine « Ma nuit au Musée » où un écrivain est invité à passer toute une nuit tout seul, enfermé dans son Musée préféré, pour en faire la matière d’un livre – réflexions sur l’art, rencontre avec un artiste du passé, expérience de la solitude.
Je me suis penchée sur « La Leçon de Ténèbres » de Léonor de Récondo, où il est question de la nuit caniculaire qu’elle a passée dans le Musée El Greco, dans la ville de Tolède, en Espagne. Gréco est en effet le peintre qu’elle vénère entre tous et qu’elle espère « rencontrer » intimement durant ces heures nocturnes.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Points
Date de première publication : 2020
Nombre de Pages : 122

Note sur l’écrivaine

Née en 1976 dans une famille d’artistes, Léonor de Récondo est violoniste et écrivaine. Ses romans Rêves oubliés, Pietra viva, Amours (Grand Prix RTL-Lire et prix des Libraires), Point cardinal (Prix des étudiants France-Culture-Télérama) et Manifesto sont disponibles chez Points. Son dernier texte K.626, en référence au requiem inachevé de Mozart, vient de paraître.
(Source : éditeur)

Quatrième de Couverture

Quatre siècles séparent Léonor de Récondo de Doménikos Theotokópoulos, dit El Greco. Pourtant, elle est là, à Tolède, en son musée, qui l’attend pour une nuit d’amour. Ce peintre de la couleur qu’elle admire tant. Dans la touffeur de la nuit, entre fièvre et ferveur, échos mystiques, poésie, souvenirs familiaux et fantômes, elle le convoque. Viendra-t-il ?

Mon avis

Curieusement, ce livre est surtout une biographie du Greco et les passages qui relatent la nuit de l’écrivaine au Musée de Tolède sont nettement moins développés. C’est peut-être dû au fait que cette nuit de solitude et d’obscurité a été ressentie par l’écrivaine comme vide et peu racontable tandis qu’il y a toujours des événements marquants à décrire et à expliquer dans la biographie d’un grand artiste de la Renaissance. Cependant, elle fait plusieurs fois allusion à Saint Jean de la croix et à d’autres grands mystiques chrétiens (par exemple l’extase de Sainte-Thérèse) et cela suffit à suggérer l’idée que ces longues heures d’enfermement nocturne n’ont pas été simples à traverser et que l’écrivaine a dû passer par plusieurs phases émotionnelles, des plus sombres aux plus joyeuses, des plus mornes aux plus intenses.

À travers ces nombreuses pages biographiques Le Greco nous apparaît comme un homme  intransigeant, qui faisait passer ses idéaux artistiques avant toute autre considération et qui n’hésitait pas à critiquer les autres artistes, ses collègues et concurrents, d’une manière dure et acerbe. Par exemple il a osé s’attaquer au talent de peintre de Michel-Ange alors que celui-ci était reconnu partout comme le Grand Génie de la Renaissance et cela a valu au Greco une disgrâce générale.  Artiste d’origine grecque, il s’installe d’abord en Italie qui était alors le principal centre artistique du monde, puis il s’exile une seconde fois, en Espagne. Expériences chaque fois marquées par des abandons, des ruptures, des deuils. On a l’impression que la naissance de son fils, même si elle provoque la mort de sa compagne, lui donne une certaine stabilité et qu’il prend très à cœur ce rôle de père, puisqu’il enseigne à cet enfant l’art de manier les couleurs et qu’il deviendra peintre, travaillant avec lui dans le même atelier.

Léonor de Récondo m’a paru quelquefois un peu trop lyrique à travers ces pages et son désir de faire l’amour avec le fantôme du Greco n’est pas tellement crédible, on a l’impression qu’elle en fait un peu trop, que c’est factice… comme si elle surjouait cette passion artistique de façon à rendre son livre plus attrayant pour le lecteur et qu’il y ait des choses plus croustillantes à raconter… Mais bon, son livre est déjà assez bien et ces passages lyriques n’étaient pas nécessaires.

Un moment de lecture pas mal, quand on veut approcher la personnalité et le parcours du Greco. Ca m’a appris des choses sur lui.

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Un Extrait Page 49

Tu vis alors modestement en ville, tu t’inscris à la confrérie des peintres de Rome pour ouvrir légalement un atelier. Se présente à toi un jeune apprenti, Francesco Prevoste, qui te restera fidèle et te suivra à Tolède. Les commandes sont rares mais tu ne perds pas ton verbe, non, tu cultives à le garder bien haut. Tes critiques sur tes rivaux deviennent de plus en plus acerbes, elles finissent par lasser la clientèle dont tu as pu profiter.
Doménikos, comment ne pas citer ici la plus connue ? Tu dis à propos de Michel-Ange qu’il « était un honnête homme, mais ne savait pas peindre », tu fais référence à la chapelle Sixtine, à son Jugement dernier. Tu t’attaques au grand maître mort et maintenant légende, à qui tout Rome voue un culte, le considérant comme l’incarnation même du génie. Personne n’avait osé. Personne sauf toi, Grec tourmenté qui n’a plus qu’à rassembler son maigre bagage pour partir. Une telle insulte vaut bannissement.
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Le Greco : L’Enterrement du comte d’Orgaz

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Livre lu dans le cadre du « Printemps des Artistes ».

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Un de mes Poèmes sur une chanson de Billie Holiday

Dans le cadre du Printemps des Artistes, je vous propose la lecture de l’un de mes poèmes.
Il est extrait du recueil La Portée de l’Ombre, publié en 2020 chez Rafael de Surtis, et que l’on peut commander sur leur site en suivant le présent lien.

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Without your love,
Billie Holiday – 1937

C’est une voix chargée de sanglots et de nostalgie mais qui garde un détachement pudique, une hauteur de vue, peut-être un flegme aristocratique.
On sent dans cette voix le poids d’un passé amer, une grande expérience de la vie à cause de laquelle on ne se fait plus aucune illusion et on craint de voir le bonheur s’échapper quand on le croise, parce qu’on n’en a pas l’habitude et parce que jusque-là quelqu’un vous l’a toujours gâché, ce qui empêche de faire confiance au présent et, encore moins, à l’avenir.
C’est la voix d’une femme trop profondément meurtrie pour être encore capable d’évacuer sa tristesse dans des larmes – elle ne sait plus pleurer mais les sons qui sortent de sa gorge pleurent à sa place.
Cette voix caressante et veloutée, pleine de douces inflexions, est pourtant tout le contraire d’une voix suave ou lisse : elle possède un grain très subtil et texturé comme le grain d’une photo en noir et blanc aux ombres tamisées.
J’ai découvert cette chanson il y a une vingtaine d’années et, même si je suis tout de suite tombée sous son charme, je n’ai commencé à évaluer la complexité et la richesse de cette voix qu’au fur et à mesure des années.

Marie-Anne Bruch

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Des Poèmes de Matthieu Lorin sur des écrivains (Souvenirs de Lecture)

Couverture chez Sous le sceau du Tabellion

Ayant lu avec plaisir « Souvenirs et grillages » du poète Matthieu Lorin, mon attention s’est portée sur un ensemble de ses textes en proses titrés « Souvenirs de lecture« , où il rend hommage à certains grands écrivains du passé (Faulkner, Musil, Agota Kristof, Emmanuel Bove, Alfred Döblin, Giono, Nabokov, entre autres).
Dans le cadre de mon « Printemps des Artistes » je vous propose la lecture de deux d’entre eux.

Note pratique sur le livre :

Genre : Poésie
Editeur : Sous le sceau du Tabellion
Date de publication : 2022
Nombre de pages : 106

Biographie du poète

Matthieu Lorin est né en 1980 en Normandie.
Il vit et enseigne à Chartres.

Note sur Richard Brautigan (1935-1984)

Ecrivain et poète américain. Issu d’un milieu défavorisé de la Côte Ouest des Etats-Unis, il trouve dans l’écriture sa raison d’être et rejoint le mouvement littéraire de San Francisco en 1956. Il fréquente les écrivains de la Beat Generation et participe à de nombreux événements de la contre-culture. En 1967, il est révélé au monde par son best-seller La Pêche à la truite en Amérique et il est surnommé « le dernier des Beats ». Ses écrits suivants ont moins de succès et il tombe peu à peu dans l’anonymat et l’alcoolisme. Il se suicide en 1984. (Source : Wikipédia)

Note sur Jim Harrison (1937-2016)

Ecrivain, poète et essayiste américain. Il fait des études de Lettres mais renonce à une carrière universitaire. Ses influences littéraires sont nombreuses, en particulier parmi les poètes européens (Rimbaud, Rilke, René Char, Maïakovski, Yeats, etc.) Il publie des romans, des poèmes, travaille à l’écriture de scénarios et d’articles. Une grande partie des récits de Harrison se déroulent dans des régions peu peuplées d’Amérique du Nord ou de l’Ouest. Il partage son temps entre le Michigan, le Montana et l’Arizona. Il est l’un des principaux représentants du nature writing. (Source : Wikipédia)

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Page 19

Souvenir de lecture
Richard Brautigan

J’ai hypothéqué mon inspiration en te lisant. Alors j’observe ma main, me persuadant que la chorégraphie a plus d’importance que le scénario. Peut-être faisais-tu de même, et je serais heureux que des convergences s’établissent entre nous.

Tu es rangé dans ma bibliothèque et je suis seul à observer tes lunettes cerclées de souvenirs.

Il est temps que je m’allonge sous les planches, que tes poésies prennent le pas sur les chevilles du mur et que tout s’effondre.

Je finirai alors comme Pasolini, ton voisin d’étagère : écrasé par le désastre de la vie

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Page 38

Souvenir de lecture
Jim Harrison

Je me souviens de ces matins bleus comme un naevus, de mes entrailles en barbelés et de mes avis sur tout. Depuis la fenêtre, je charriais l’air à pleines pelletées et les décisions que je prenais n’engendraient même pas le griffonnage d’un bout de papier.
Je me souviens de l’appétit que j’avais en découvrant ces nuages au fond de l’assiette – nous mangions dehors à cette époque – et l’eau me paraissait salée. Le parasol jouait son numéro de derviche sous nos yeux disciplinés et mon cœur l’accompagnait d’entrechats secrets.
Je me souviens de ces jours humides – nous ne mangions plus à l’extérieur – où, allongé en plein jour, j’engageais avec la page un combat à l’issue incertaine.

Mais je ne me souviens plus de mes chagrins d’enfance, de mes rêves qui s’envolaient avec la même lourdeur qu’une punaise diabolique, ni de mes lectures d’alors. Quelles furent les transitions, les terminaisons nerveuses qui m’amenèrent jusqu’à Jim Harrison dont j’ai acheté le livre aujourd’hui ?
Oubliées…

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Des Poèmes de Claire Gondor sur Louise Labé et Pernette du Guillet

En me promenant au rayon poésie de la librairie Gibert à Paris, j’ai découvert ces Variations de Claire Gondor qui revisite des poèmes célèbres de la littérature française, du Moyen-Âge au 20ème siècle, en leur offrant une sorte de pendant ou de réponse contemporaine, ce que j’ai pu interpréter à la fois comme un hommage à ces grands prédécesseurs et aussi comme un commentaire, une extrapolation, une prise de distance où la critique peut poindre.

Comme il s’agit de poésie sur la poésie, cet article entre dans le cadre du « Printemps des artistes » de 2023.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Frison-Roche (Belles lettres)
Collection : L’Or des lignes
Année de publication : octobre 2022
Nombre de Pages : 90

Note sur la Poète

Claire Gondor travaille dans le monde du livre et a créé une compagnie d’évènements littéraires appelée « L’Autre Moitié du Ciel ». Elle a publié un roman, Le Cœur à l’aiguille, aux éditions Buchet-Chastel, en 2017, et a également participé à de nombreuses publications collectives. (Source : éditeur)

Note sur Louise Labé

Louise Labé, aussi surnommée « Louïze Labé Lionnoize » et « la Belle Cordière », née vers 1524 à Lyon, morte le 25 avril 1566 à Parcieux-en-Dombes où elle fut enterrée, est une écrivaine française principalement connue en tant que poétesse de la Renaissance. Avec Pernette du Guillet et Maurice Scève, Louise Labé appartient à « l’école lyonnaise ». Elle s’inspire de poètes de l’Antiquité et d’auteurs contemporains comme Pétrarque. Elle défend des idées qui peuvent être considérées comme proto-féministes.
Comme sa biographie est très mal connue, certains spécialistes et commentateurs ont défendu l’idée qu’elle n’avait jamais existé, qu’il s’agissait d’une supercherie. (Source : Wikipédia)

Note sur Pernette du Guillet

Elle naît (en 1518 ou 1520) dans une famille noble et épouse en 1538 un du Guillet. Elle rencontre Maurice Scève au printemps 1536 – il a alors trente-cinq ans et elle seize ans – et devient son élève. Leur amour impossible devient la source d’inspiration de ses poèmes, publiés de façon posthume, à la demande de son mari en 1545, sous le titre Rymes de gentille et vertueuse dame, Pernette du Guillet. Maurice Scève écrit en son honneur son recueil le plus fameux, « Délie« , en 1544. Elle meurt à 25 ans d’une épidémie de peste. (Source : Wikipédia)

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Sinusoïdes
(d’après « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie »
de Louise Labé)

l’épiderme traversé de climats contraires
je suis le zigzag de mes instincts

j’ai l’ai dans la peau
la canicule
les veines à chaud
les veines à froid
montagnes russes
les émotions à contresens.

c’est le grand huit !
la fête foraine
de l’ecclésiaste

un temps pour tout
la pulsation
ou le reflux
le rythme brisé de mon cœur

hors de cadence
j’ai le savoir universel et douloureux
des contretemps

Claire GONDOR

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Perdre la boussole
(d’après « la nuit était pour moi si très-obscure »
de Pernette du Guillet)

– fondu à l’outrenoir –
le veilleur a perdu sa boussole

flou autistique
où l’encre
de la nuit à la nuit
mangerait les visages

qu’il exerce sa voix le veilleur
car voici le jour
le jour qu’il fit,
le forgeur de l’humus

qu’il allume ses yeux
qu’il réchauffe sa joie
aux lavis tranquilles
des commencements

Portrait de Louise Labé

Claire GONDOR

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TEXTES ORIGINAUX
(d’où sont inspirés les deux précédents)

Je vis, je meurs ; je me brûle
et me noie

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé (1524-1566)

*

La nuit était pour moi
si très-obscure

La nuit était pour moi si très-obscure,
Que Terre et Ciel elle m’obscurcissait,
Tant, qu’à Midi de discerner figure
N’avais pouvoir, qui fort me marrissait :

Mais quand je vis que l’aube apparaissait
En couleurs mille et diverse, et sereine,
Je me trouvai de liesse si pleine,
– Voyant déjà la clarté à la ronde –
Que commençai louer à voix hautaine
Celui qui fit pour moi ce Jour au Monde.

Pernette du Guillet (1518-1545)

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« Le Métier d’écrivain » de Hermann Hesse

J’ai trouvé ce livre par hasard, en flânant dans une librairie, et son titre m’a tout de suite intéressée car j’aime connaître les pensées des écrivains sur leur art, sur leur façon d’envisager la littérature, sur le langage, etc.
J’avais déjà lu un livre de Hermann Hesse (Allemagne, 1877- Suisse, 1962) – « Knulp« , un court roman dont vous pouvez retrouver ma chronique ici – et cela m’a permis de mieux situer ces réflexions générales et de les appliquer à quelques souvenirs précis.

Note Pratique sur le Livre

Genre : Essai
Editeur : Bibliothèque Rivages
Année de Publication (initiale, en Allemagne) : 1977, chez Rivages : 2021
Traduction, préface et notes de Nicolas Waquet
Nombre de pages : 83

Quatrième de Couverture

Etre écrivain, c’est être lecteur. Lecteur des autres, lecteur de soi, lecteur de tout : des ouvrages des hommes comme des œuvres de la nature. Alors comment bien lire et bien écrire ? Qu’est-ce qu’un bon texte, une bonne critique ? Quelles sont les peines et les joies que son métier réserve à l’écrivain ? Autant de questions que Hermann Hesse n’a cessé de se poser la plume à la main, questions qu’il soulève et auxquelles il répond au détour de cinq textes qui éclairent sa pratique et jalonnent sa carrière.

Mon Avis

Ce livre se compose de cinq textes de réflexions sur l’écriture, rédigés entre les années 1920 et les années 1960.
Celui qui parle de la critique littéraire est particulièrement intéressant car Hermann Hesse a une idée très claire et très précise de ce que doit être ce métier et de la bonne manière de l’exercer. Selon lui, le bon critique doit inscrire les œuvres littéraires et les écrivains dans l’histoire des Lettres et des idées, leur donner la juste place qui leur revient dans un panorama plus vaste. Son rôle est donc important, quoiqu’il ne soit pas toujours conscient de sa responsabilité. Le critique doit savoir reconnaître la nouveauté, l’originalité d’un livre – gages de qualité – et attirer l’attention des lecteurs sur lui. Mais Hesse déplore que les vrais bons critiques sont rares et que la plupart sont davantage attirés par les renvois d’ascenseurs et autres échanges de bons procédés mondains que par une scrupuleuse honnêteté intellectuelle. Hermann Hesse écrit à ce sujet des dialogues fictifs entre un écrivain et un critique, qui sont d’une intelligence formidable et qui posent des questions que l’on pourrait encore tout à fait se poser actuellement (cf. l’extrait ci-dessous).
Parmi les autres thèmes abordés dans ces textes : celui du Romantisme allemand, un mouvement artistique auquel Hermann Hesse semble très attaché et sur lequel il propose une réflexion approfondie, en le comparant avec le Classicisme, qui relève d’une conception de l’existence radicalement opposée. Ainsi, il explique et développe les similitudes entre Romantisme et Philosophie Orientale, d’une manière très intéressante.
Hermann Hesse se définit lui-même comme un héritier du Romantisme et un poète (même dans ses romans) c’est-à-dire un auteur qui parle avec son âme, et il regrette que son époque ait jeté le discrédit sur le Romantisme en le taxant de bourgeois, sentimental, risible, démodé, alors que, selon lui, c’est tout le contraire : la beauté et l’expression de l’âme humaine, une des principales émanations de la culture allemande, représentée par des génies intemporels, aussi bien en littérature qu’en musique et dans la plupart des autres arts.
Une autre page de réflexion m’a frappée, à propos du langage et de ses ambiguïtés, que tout auteur doit apprendre à maîtriser et à déjouer.
Hesse nous parle également de ses habitudes d’écriture, du point de vue pratique et rituel, de son emploi du temps et des éventuelles phases critiques (ou moments de crise) dans son travail – des périodes décisives et de grande urgence, où le livre qu’il est en train de créer prend toute sa signification et son poids – et j’ai trouvé ces passages particulièrement éclairants et profonds.
Un livre à conseiller chaudement à tous ceux qui aiment écrire et à ceux qui s’interrogent sur le métier d’écrivain.

Un Extrait Page 44-45

L’écrivain : Mais vous connaissez Les Affinités électives et le Berthold ?
Le critique : Les Affinités électives, oui, naturellement, mais pas le Berthold.
L’écrivain : Et vous, pensez-vous pourtant que le Berthold surpasse les livres que l’on écrit de nos jours ?
Le critique : Oui, c’est ce que je pense, par respect pour Arnim et plus encore par respect pour la puissance littéraire dont faisait montre autrefois l’esprit allemand.
L’écrivain : Mais pourquoi, dans ce cas-là, ne lisez-vous pas Arnim et tous les vrais écrivains de son temps ? Pourquoi passez-vous votre vie à vous occuper de livres que vous considérez vous-même comme des œuvres mineures ? Pourquoi ne dites-vous pas à vos lecteurs :  » Regardez, voici des livres dignes de ce nom, laissez tomber la camelote qu’on écrit aujourd’hui et lisez Goethe, Arnim et Novalis ! »
Le critique : Je ne suis pas là pour ça. Je me dispense peut-être de le faire pour les mêmes raisons que vous vous dispensez d’écrire des livres comme Les Affinités électives.
L’écrivain : Voilà qui me plait ! Mais comment expliquez-vous alors que l’Allemagne ait produit autrefois des écrivains de cette trempe ? Leurs livres étaient une offre sans demande ; personne ne les avait réclamés. Ni Les Affinités électives ni le Berthold n’ont été lus par leurs contemporains, pas plus qu’on ne les lit aujourd’hui.
Le critique : Les gens, à l’époque, ne se souciaient guère de littérature et ne s’en préoccupent pas plus de nos jours. Notre peuple est comme ça. Peut-être que tous les peuples sont comme ça. Du temps de Goethe, on lisait une foule de livres charmants et distrayants. Et c’est la même chose aujourd’hui. Ces livres sont lus et critiqués. Ni le lecteur ni le critique ne les prennent vraiment au sérieux, mais ils répondent à un besoin. On lit et on paye les écrivains qui nous changent les idées ; ce que l’on fait aussi pour ceux qui critiquent leurs écrits : on les lit et ils tombent aussitôt dans l’oubli.
L’écrivain : Et les livres dignes de ce nom ?
Le critique : Ils sont écrits pour l’éternité, pense-t-on. Notre époque ne se croit donc pas obligée d’y prêter attention.

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Un Extrait page 62

Maintenant, considérer que la rose est une rose, l’homme un homme, le corbeau un corbeau, que les formes et les limites de la réalité sont des données solides et sacrées, c’est le point de vue classique. Il reconnaît les formes et les propriétés des choses ; il reconnaît l’expérience ; il cherche l’ordre, la forme, la loi, et il les établit.
Ne voir au contraire dans la réalité qu’apparences, mutabilité ; douter au plus haut point de la différence entre les plantes et les animaux, l’homme et la femme ; accepter à chaque instant que toutes les formes se dissolvent et se confondent, c’est se conformer au point de vue romantique.
En tant que visions du monde, philosophies, fondements sur lesquels l’âme prend position, ces conceptions sont aussi bonnes l’une que l’autre, c’est indéniable. (…)

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L’Exposition Edvard Munch au Musée d’Orsay

Désespoir, 1892

En automne-hiver 2022 s’était tenue au Musée d’Orsay une rétrospective du peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944), et je l’ai visitée vers le début octobre, car il est un artiste très important de la fin du 19ème siècle et première moitié du 20ème. Apparenté au Mouvement Symboliste par ses thèmes mélancoliques et tourmentés, il est aussi un précurseur de l’Expressionnisme et de certaines audaces du 20ème siècle.

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Cartel de l’exposition à propos de « Désespoir » (ci-contre)

Il s’agit de la première peinture aboutie d’une série consacrée à un motif devenu iconique, celui du « Cri ». Il qualifia lui-même ce tableau de « premier Cri ». On en retrouve en effet tous les éléments constitutifs : le ciel rougeoyant, aux lignes sinueuses, la forte diagonale de la balustrade, le personnage au premier plan. Ce tableau trouve son origine dans un événement biographique. Munch dit en effet dans un poème l’angoisse qui l’a saisi alors que, malade et fatigué, il observait un coucher de soleil et que le ciel devint rouge sang.

Cartel de l’exposition à propos de « La Nuit étoilée » (ci-contre)

La Nuit étoilée, 1924

Munch réalise entre 1890 et 1930 plusieurs tableaux portant ce titre, probable écho à « La Nuit étoilée » (1888) de Van Gogh découverte lors d’un séjour à Paris. Munch exprime ici avec force un thème central de son œuvre, l’inscription de l’homme dans la nature. Il projette son ombre dans le tableau non pas une, mais trois fois : deux silhouettes et le profil de son visage se découpent sur la neige déposée au pas de sa porte. Par ce procédé, le peintre fusionne ainsi littéralement avec la nature.

Séparation, gravure, 1896
Madone, gravure, 1896
Vampire dans la forêt, 1916-18

Cartel de « Vampire dans la forêt »

Munch reprend plusieurs décennies plus tard un motif élaboré à la fin des années 1890. Dans cette variation, le couple est représenté en pied, dans un paysage luxuriant et presque étouffant. Ce même arrière-plan se retrouve dans d’autres tableaux peints au même moment, mettant en scène des couples désunis. L’atmosphère anxiogène de ces oeuvres centrées sur le thème de l’amour destructeur est renforcée par l’évocation de cette forêt primitive. (Source : expo)

Mon Avis sur cette exposition

Edvard Munch était l’un de mes peintres préférés quand j’avais une vingtaine d’années et, aujourd’hui encore, je suis touchée par son œuvre qui me parait extrêmement sincère et authentique. Il n’y a aucune trace de posture ou de simulation de la part de Munch, qui nous donne à voir son monde intérieur, ses angoisses, ses douleurs affectives et morales, et cela en fait un artiste très humain et émouvant.
Bien sûr, sa vision du monde est souvent mélancolique et sa conception de l’amour est assez toxique, avec ces figures de femmes-vampires, de femmes-infidèles ou de ruptures douloureuses avec des femmes-abandonnantes, comme si l’amour ne cessait jamais de faire souffrir l’artiste, pendant la relation et après la rupture.
On peut remarquer cependant que l’œuvre de Munch semble devenir moins lugubre et moins douloureuse à partir des années 1910 environ car sa palette s’éclaircit, ses couleurs deviennent plus vives, et ses sujets un peu plus apaisés.
Bien que Munch ait été contemporain de la plupart des grandes avant-gardes de la première moitié du 20è siècle (fauvisme, cubisme, abstraction, futurisme, dadaïsme, surréalisme, etc.) on peut noter qu’il est resté fidèle à sa propre esthétique, qui a néanmoins évolué vers une touche plus libre et plus hâtive et des couleurs plus éclatantes, au fur et à mesure des décennies.
J’étais intéressée également par les nombreux autoportraits réalisés tout au long de sa vie, et qui nous montrent non seulement la grande évolution de sa physionomie mais aussi les regards très différents qu’il a pu porter sur lui-même, en soulignant divers aspects de sa personnalité.

Je vous laisse sur un tableau plus optimistes et plus lumineux, qui reflète un aspect plus rare et méconnu de Munch. Il nous donne ici un symbole d’espérance et d’éveil spirituel, à la limite de l’abstraction :

Le soleil, panneau central d’un triptyque décoratif, 1911

Des Poèmes de Saint-John Perse sur Les Oiseaux de Georges Braque

Couverture chez Gallimard

Ces deux poèmes sont extraits du recueil « Oiseaux » disponible dans « Amers » de Saint-John Perse, et qui s’inspire des Oiseaux peints par Georges Braque.
Comme il s’agit de poésie inspirée de peintures, je publie cet article pour Le Printemps des Artistes 2023.

Note sur Saint-John Perse

De son vrai nom, Alexis Leger (prononcé « Leuger »), né en Guadeloupe en 1887 et mort à Hyères en 1975. Poète, écrivain et diplomate français. Il reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1960. Il publie le recueil « Amers » en 1957 et le recueil « Oiseaux » en 1962.

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Braque, Les Oiseaux (Musée de Belfort)

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Deux Extraits

Page 149

IV

De ceux qui fréquentent l’altitude, prédateurs ou pêcheurs, l’oiseau de grande seigneurie, pour mieux fondre sur sa proie, passe en un laps de temps de l’extrême presbytie à l’extrême myopie : une musculature très fine de l’œil y pourvoit, qui commande en deux sens la courbure même du cristallin. Et l’aile haute alors, comme d’une Victoire ailée qui se consume sur elle-même, emmêlant à sa flamme la double image de la voile et du glaive, l’oiseau, qui n’est plus qu’âme et déchirement d’âme, descend, dans une vibration de faux, se confondre à l’objet de sa prise.

La fulguration du peintre, ravisseur et ravi, n’est pas moins vertical à son premier assaut, avant qu’il n’établisse, de plain pied, et comme latéralement, ou mieux circulairement, son insistante et longue sollicitation. Vivre en intelligence avec son hôte devient alors sa chance et sa rétribution. Conjuration du peintre et de l’oiseau…

L’oiseau, hors de sa migration, précipité sur la planche du peintre, a commencé de vivre le cycle de ses mutations. Il habite la métamorphose. Suite sérielle et dialectique. C’est une succession d’épreuves et d’états, en voie toujours de progression vers une confession plénière, d’où monte enfin, dans la clarté, la nudité d’une évidence et le mystère d’une identité : unité recouvrée sous la diversité.

Page 152 

VII

… Rien là d’inerte ni de passif. Dans cette fixité du vol qui n’est que laconisme, l’activité demeure combustion. Tout à l’actif du vol, et virements de compte à cet actif !

L’oiseau succinct de Braque n’est point simple motif. Il n’est point filigrane dans la feuille du jour, ni même empreinte de main fraîche dans l’ argile des murs. Il n’habite point, fossile, le bloc d’ambre ni de houille. Il vit, il vogue, se consume– concentration sur l’être et constance dans l’être. Il s’adjoint, comme la plante, l’énergie lumineuse, et son avidité est telle qu’il ne perçoit, du spectre solaire, le violet ni le bleu. Son aventure est aventure de guerre, sa patience « vertu » au sens antique du mot. Il rompt, à force d’âme, le fil de sa gravitation. Son ombre au sol est congédiée. Et l’homme gagné de même abréviation se couvre en songe du plus clair de l’épée.

Ascétisme du vol !… L’être de plume et de conquête, l’oiseau, né sous le signe de la dissipation, a rassemblé ses lignes de force. Le vol lui tranche les pattes et l’excès de sa plume. Plus bref qu’un alerion, il tend à la nudité lisse de l’engin, et porté d’un seul jet jusqu’à la limite spectrale du vol, il semble prês d’y laisser l’aile, comme l’insecte après le vol nuptial.

C’est une poésie d’action qui s’est engagée là. 

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