Juste après la pluie, de Thomas Vinau

th_vinau_juste_apres_la_pluieJ’ai acheté il y a quelques semaines le dernier recueil de poèmes de Thomas Vinau, Juste après la pluie, et je l’ai lu par petites lampées ces cinq derniers jours. Première impression : une grande facilité de lecture, révélatrice d’une écriture souvent un peu trop simple. On a parfois le sentiment que le poète écrit à la va-vite, ce qui peut donner par ci par là de jolies fulgurances mais pas à chaque fois. L’avantage de cette écriture un peu bâclée c’est que ces poèmes sont faciles à lire, et que le lecteur n’a pas besoin de se creuser trop la tête pour rentrer dans cet univers. Impression, aussi, que Thomas Vinau devrait davantage faire le tri dans ses poèmes avant de les publier : autant certains poèmes sont très bons, autant certains autres ne méritaient pas d’être mêlés à ce recueil. Ceci dit, j’ai tout de même apprécié cette lecture.
J’ai retenu quelques poèmes à vous faire découvrir :

Le ciel comme une enclume

Cet instant
de métal
entre le jour
et la nuit
Le silence
des dernières
branches
qui mangent
la lumière

L’ardoise noire

J’aime
tes cauchemars
je leur suis très
reconnaissant
et commence
à leur devoir
une sacrée ardoise
de tendresse
j’aime
tes cauchemars
et ta façon
de te réfugier
contre moi
pour les dissoudre
dans le grand noir

Gibier

Ce matin le vent
a laissé dans ses yeux
juste assez
de cette petite sauvagerie
fraîche et décoiffée
qui fait du lapin
fuyant le rapace
un être légèrement
plus libre
que le rapace
à l’affût du gibier

lequel
a vraiment besoin
de l’autre
pour continuer

Bulle

Certains coléoptères
qui travaillent sous l’eau
gardent derrière leurs élytres
une petite réserve de bulles d’air
un stock de respirations de secours
je procède de la même façon
vos yeux arpentent actuellement
mon stock de respirations de secours

Rite de passage

Construire son arc
attraper un varan vivant
conduire un éléphant
ou sauter d’un arbre
de vingt mètres de haut
tous les pères du monde
ont des rites de passage
pour les enfants
reste à choisir le mien
allumer un barbecue sous la pluie
tatouer de sa silhouette un canapé
tenir une gueule de bois
ou sauter directement
d’hier à demain
sans passer par aujourd’hui
j’hésite

Juste après la pluie était paru chez Alma Editeur en janvier 2014.

Mécomptes cruels, de Georges-Olivier Châteaureynaud

Mecomptes-cruelsMécomptes cruels est un recueil de cinq nouvelles dont voici les titres et les amorces d’histoires :
Elles deux : Deux femmes, belles et séductrices, sont à la fois des amies très proches et des rivales depuis l’enfance. Entre elles, c’est à qui aura l’amant le plus beau, le plus riche et le plus célèbre. Jusqu’au jour où elles décident que celle qui l’emportera sera celle qui parviendra en premier à pousser un homme au suicide. (…)

L’Excursion : Dans un pays de pluie et de vent, au bord de la mer, règne une étrange atmosphère, de tristesse et d’abandon. Des touristes viennent cependant de temps en temps pour faire, en bateau, une excursion tout à fait insolite, et qui n’est pas sans danger. (…)

Parfaits inconnus : Un dénommé Chevalier cultive depuis l’enfance un fort penchant pour le Moyen-Âge et l’ésotérisme. Ayant une famille très réduite, et ressentant le besoin d’être entouré, il décide d’adhérer à des clubs, à des cercles, puis à des sectes plus ou moins occultes. Il devient finalement membre de L’ordre Templier des Orties, dans laquelle il se plait beaucoup, et où il s’intègre très bien.

J’arrête quand je veux : Macassar, un brillant publicitaire, parvient à arrêter du jour au lendemain le tabac, l’alcool et la drogue qu’il consommait jusque là en grandes quantités. Mais cet homme est très fortement attiré par l’une de ses jeunes collègues, Violette, et se sent prêt à tout pour la séduire.

Tac … tac : Le rôle d’une table de ping-pong dans la communication d’un père et de son enfant, leur évite de se parler directement.

Mon avis : Ces nouvelles sont assez spirituelles et ironiques, et m’ont fait complètement oublier mes soucis pendant le temps où je les lisais. Il y a chaque fois beaucoup d’inattendus et de revirements dans le déroulement de l’histoire, et le suspense est ménagé sans aucune lourdeur, et avec un grand naturel. J’ai beaucoup aimé l’écriture de Châteaureynaud, qui est à la fois facile à lire, élégante et savamment elliptique.
Je recommande particulièrement les deux nouvelles L’Excursion (pour sa merveilleuse poésie et sa chute surprenante) et J’arrête quand je veux (pour sa cruauté très vraisemblable).
Un grand plaisir de lecture !

Mécomptes Cruels était paru aux éditions Rhubarbe en 2006.

Seins et oeufs, un roman de Mieko Kawakami

seins_et_oeufs L’Histoire selon la quatrième de Couverture est assez bien résumée : A quarante ans, Makiko est envahie par l’obsession de se faire refaire les seins, une lubie que sa fille de douze ans ne supporte absolument pas. Conflits mère-fille, vertiges de la puberté, les choses prennent un tour très compliqué quand l’adolescente se mure dans le silence.
Toujours plus déterminée dans ses choix, Makiko décide de rejoindre sa sœur à Tokyo ; De dix ans sa cadette, Natsu est célibataire, et c’est dans son minuscule appartement que mère et fille vont lui imposer leurs problèmes.
Alternant le récit de Natsu et le journal intime de l’adolescente, ce livre percutant, provoquant et drôle explore le regard de trois générations de femmes japonaises liées par une tendresse muette face à leur propre représentation de la féminité. Au cœur de la mégapole et le temps de quelques jours, les cartes de chacune sont redistribuées et le jeu de rôle est ouvert.

 

Mon avis : Le thème principal de ce roman est la féminité dans ce qu’elle a de plus trivial, de plus corporel : le sang des règles, la chair des seins, et de nombreux et longs paragraphes leur sont consacrés, qui ne cherchent absolument pas à rendre la féminité attrayante ou séduisante, bien au contraire. Midoriko, l’adolescente de douze ans, qui s’attend à avoir ses premières règles prochainement, est d’ailleurs écœurée et effrayée par tout ce qui va se passer dans son corps, par toute cette vie organique qui suit son cours et qui échappe à sa volonté. Makiko, qui exerce la profession d’hôtesse de bar et qui a été quittée par son mari plusieurs années auparavant, mène une vie plutôt marquée par l’échec et fait une fixation sur le fait que, depuis la naissance de sa fille, ses seins sont devenus plats et laids, et, lorsqu’elle va aux bains publics, elle ne peut s’empêcher de décortiquer les anatomies des autres femmes pour se comparer à elles, en se demandant si la sienne est ou non « normale », et en faisant des complexes. Natsu, la narratrice, a une vision de la féminité plus apaisée et semble penser qu’il y a des choses plus importantes dans la vie. Curieusement, dans ce livre consacré à la féminité, les hommes sont tout à fait absents, à peine est-il question du père de Midoriko, et même l’adolescente ne se pose aucune question sur la séduction ou sur les garçons, toutes ses interrogations sont uniquement concentrées sur son corps à elle.
J’ai lu sur d’autres blogs que ce livre était très représentatif de la vision de la femme dans la société japonaise (puisque les japonaises auraient souvent le désir de se faire opérer les seins pour ressembler aux occidentales), mais il m’a plutôt semblé que cette vision de la femme était assez universelle, ou en tout cas représentative des pays développés, et qu’elle était même assez fidèle à l’idée que l’on pourrait se faire de « l’éternel féminin ».
Le livre se termine par une scène assez étonnante où Midoriko et Makiko se parlent en se cassant des œufs sur la tête, ce qui est sans doute d’un symbolisme un peu lourd mais la manière dont la scène est évoquée a quelque chose de captivant, qui m’a finalement beaucoup plu.

Un livre vraiment original et intéressant.

Seins et œufs était paru chez Actes Sud en 2008.

Un poème de Valérie Rouzeau

valerie-rouzeau-pas-revoir-suivi-de-neige-rienManoeuvres

 

A l’étroit les trois huit
Virés salaires de rien
Micheline Michelin
Padradis pour demain

Allez toi va t’en vite
Virée ça l’air de rien
Micheline Michelin
On te remercie bien

***

Ce poème est extrait du recueil Neige rien publié en 2010 aux éditions La Table ronde. Je l’apprécie pour ses jeux de mots, ses doubles sens, son rythme, et surtout son thème. Les poèmes qui parlent du monde du travail ne sont pas si nombreux et celui-ci est particulièrement réussi.

L’amour sans le faire, de Serge Joncour

joncour_lamour_sans_le_faireL’histoire : Un caméraman parisien, Franck, retourne dans la ferme de ses parents après dix années passées sans contact avec eux. Parallèlement, Louise, la belle-sœur de Franck, qui est veuve, rend visite, dans cette même ferme, à son petit garçon, qu’elle a laissé à la garde de ses beaux parents. Franck et Louise apprennent à se connaître.

Mon avis : Les deux premiers tiers du livre alternent laborieusement et assez artificiellement un chapitre sur Franck/ un chapitre sur Louise et on finit par avoir hâte que ces deux personnages arrivent à la ferme et qu’enfin ils se rencontrent. Le seul problème c’est que, quand ils se rencontrent, il ne se passe rien de notable entre eux : pas d’histoire d’amour bien sûr (on était prévenu dès le titre) mais pas non plus de moment d’intimité touchant ou de conversation éclairante. D’ailleurs, il est remarquable que, dans ce roman, tout est dans le non-dit : Louise est dans le non-dit vis à vis de ses collègues, Franck est dans le non-dit vis à vis de ses parents, et Franck et Louise sont aussi dans le non-dit l’un vis à vis de l’autre. Alors le lecteur en arrive à se demander si tous ces non-dits recouvrent vraiment des secrets trop lourds à porter, ou s’ils ne sont là que pour poser un voile faussement mystérieux sur l’extrême vacuité de cette histoire.
Ajoutons que les trois personnages principaux sont typiques de ce qu’on pouvait attendre d’eux : l’enfant (espiègle et sujet aux caprices), l’homme (solide et courageux), la femme (très réservée, socialement fragile, toute absorbée par les soins du ménage, et disposée à vous recoudre votre pantalon même si elle ne vous connaît que depuis trois jours …)
Ce livre est par ailleurs émaillé de petites histoires annexes et récurrentes : des sangliers imprévisibles, un motard fou, des rivalités paysannes, une chasse qui tourne mal, tout cela sans aucune continuité ni nécessité – sans que cela prenne sens – comme si l’auteur cherchait à faire du « remplissage », comme s’il avait peur que ce son roman soit trop court ou trop monotone.

Je n’ai vraiment pas apprécié ce livre, même si quelques pages par ci par là révèlent une sensibilité intéressante et un certain sens de l’observation, mais trop souvent noyés dans des clichés, selon moi.

L’amour sans le faire faisait partie de la rentrée littéraire 2012, et je l’ai lu en édition de poche (J’ai lu).

Sonnet 25 de Pablo Neruda

pablo_neruda

 ** Sonnet 25 **

 

Mon amour, avant de t’aimer je n’avais rien :
j’hésitai à travers les choses et les rues :
rien ne parlait pour moi et rien n’avait de nom :
le monde appartenait à l’attente de l’air.

Je connus alors les salons couleur de cendre,
je connus des tunnels habités par la lune,
et les hangars cruels où l’on prenait congé,
et sur le sable l’insistance des questions.

Tout n’était plus que vide, et que mort et silence,
chute dans l’abandon et tout était déchu,
inaliénablement tout était aliéné,

tout appartenait aux autres et à personne,
jusqu’à ce que ta beauté et ta pauvreté
ne donnent cet automne empli de leurs cadeaux.

 

*****

Ce sonnet fait partie, une fois de plus, de La Centaine d’amour, publié par Poésie/Gallimard dans une version bilingue (traduction de Jean Marcenac et André Bonhomme).

Deux poèmes de Mah Chong-gi

MahChong-gi_recueilJ’ai trouvé ces deux poèmes du poète sud-coréen Mah Chong-gi dans le recueil Celui qui garde ses rêves, publié en 2014 aux éditions Bruno Doucey. Vous trouverez plus de renseignements sur ce poète en consultant le site Internet de l’éditeur.

 

Le paysage qui reste

Un oiseau se pose sur une petite branche.
La branche se met à bouger faiblement.
Même après le départ de l’oiseau la branche
tremble encore sans s’en rendre compte.
On dirait que la branche sanglote toute seule.
Le paysage qui reste s’obscurcit tout seul.
Le sommeil de ma femme

Réveillé soudain en pleine nuit
je l’entends parler à petits sanglots dans son sommeil,
ma femme depuis vingt ans couchée à côté de moi.
Par moments, je l’entends même pousser des
gémissements.
On voit mieux le monde avec les lumières éteintes.

Quand on les entend de loin, peut-être les bruits de nos
vies
ne sont-ils tous au fond que des gémissements.
Chacun de nous est destiné à être seul
et en prendre conscience n’est vraiment pas grand-chose
mais, ô ma femme qui apprends à sangloter discrètement
dans ton sommeil
ô ton histoire qui gagne en profondeur de plus en plus !

Aimer, boire et chanter, d’Alain Resnais

Aimer-Boire-et-Chanter_ResnaisAyant toujours apprécié les films d’Alain Resnais, je tenais absolument à voir son dernier film, d’autant que certains critiques parlaient à son sujet de « film testament », ce qui ne pouvait pas se manquer.
Je dois préciser que j’ai vu ce film il y a environ un mois, et que j’en suis sortie assez contente. Mais, au fur et à mesure des jours et des semaines, j’avoue que l’impression n’est plus aussi positive et que les défauts sont apparus plus clairement en y repensant.
Racontons d’abord un peu l’histoire : Tout se passe entre trois couples vivant dans la campagne anglaise du Yorkshire. Un certain George Riley, que l’on ne verra jamais, n’en a plus que pour six mois à vivre, et ses six amis – les trois couples en question – se demandent ce qu’ils peuvent faire pour rendre sa fin plus douce. Il se trouve que George Riley est un grand séducteur et que les trois épouses seront tentées de partir avec lui pour un dernier voyage qu’il désire faire à Ténériffe.
Le scenario de ce film est inspiré d’une pièce anglaise du dramaturge Alan Ayckbourn, Life of Riley … le seul problème étant à mon avis que cette pièce n’est pas excellente, et qu’on ne parvient pas vraiment à être ému par l’histoire, qui reste constamment légère et superficielle alors que le thème en est pourtant la mort et la maladie. Il y a de nombreux revirements et rebondissements, quelques effets de surprise, qui donnent du rythme et de l’animation et empêchent de s’ennuyer, qui font même sourire plusieurs fois, mais disons que l’émotion n’est pas au rendez-vous, même si le savoir-faire d’Alain Resnais est évident et incontestable.
Les décors sont, de prime abord, déconcertants, puisqu’il s’agit de toiles peintes, mais on s’y habitue très rapidement, et, comme au théâtre, on en accepte la convention.
Les jeux d’acteurs sont très bons, et, pour ceux qui aiment Alain Resnais, on retrouve avec plaisir certains de ses acteurs fétiches, comme Sabine Azéma et André Dussollier (dans un rôle quasiment muet d’agriculteur jaloux, ce qui est plutôt réjouissant).
Je regrette juste le choix de la pièce, qui ne me semblait pas mériter le talent qu’Alain Resnais a déployé pour la mettre en valeur. Smoking/No smoking et surtout le magnifique Cœurs, que je conseille vivement, reposaient certainement sur des pièces bien meilleures.

Malgré tout, un bon moment de divertissement.