Chanson Dada de Tristan Tzara

tzaraEn février 1916 est né le Mouvement Dada ( Dada est né à Zurich le 8 février 1916, son nom ayant été trouvé à l’aide d’un coupe-papier glissé au hasard entre les pages d’un dictionnaire Larousse. – source Wikipedia) aussi, un siècle après, je souhaitais faire une place sur ce blog à Tristan Tzara, chef de file de ce mouvement.
Voici donc La fameuse chanson dada. J’ai mis comme illustration la Roue de bicyclette (1913) de Marcel Duchamp, premier « Ready Made » de l’histoire de l’art.

CHANSON DADA

La chanson d’un dadaïste
qui avait dada au cœur
fatiguait trop son moteur
qui avait dada au cœur

l’ascenseur portait un roi
lourd fragile autonome
il coupa son grand bras droit
l’envoya au pape à rome

c’est pourquoi
l’ascenseur
n’avait plus dada au cœur

mangez du chocolat
lavez votre cerveau
dada
dada
buvez de l’eau

II

la chanson d’un dadaïste
qui n’était ni gai ni triste
et aimait une bicycliste
qui n’était ni gaie ni triste

mais l’époux le jour de l’an
savait tout et dans une crise
envoya au vatican
leurs deux corps en trois valises

ni amant
ni cycliste
n’étaient plus ni gais ni tristes

mangez de bons cerveaux
lavez votre soldat
dada
dada
buvez de l’eau

IIIroue_de_bicyclette_duchamp

la chanson d’un bicycliste
qui était dada de cœur
qui était donc dadaïste
comme tous les dadas de cœur

un serpent portait des gants
il ferma vite la soupape
mit des gants en peau d’serpent
et vint embrasser le pape

c’est touchant
ventre en fleur
n’avait plus dada au cœur

buvez du lait d’oiseaux
lavez vos chocolats
dada
dada
mangez du veau

Quelques poèmes de Valérie Canat de Chizy

valerie_de_chizy_nuit Ces quelques poèmes sont extraits du beau recueil L’étoffe de la nuit, un livre d’artiste paru en 2016, avec des pastels de Gilbert Desclaux et des textes de la poète Valérie Canat de Chizy.
Ces poèmes courts, sans titre, font souvent allusion à des sensations physiques, parfois à des douleurs, d’autres fois à des plaisirs, en tous cas des tensions corporelles et psychiques se nouent. Souvent, malgré la brièveté du poème, plusieurs climats ou sentiments sont successivement évoqués, créant quelques ruptures, contrastes ou reliefs, et en général les deux derniers vers de chaque poème confèrent une ampleur toute particulière à l’ensemble, l’éclairant ou lui apportant une épaisseur de mystère. Par ailleurs, les pastels de Gilbert Desclaux, avec leurs effets de texture et leurs déchirures, renforcent les sensations créées par les poèmes, leur apportant leurs couleurs.

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Les yeux de la nuit
tentent de se faufiler
à l’intérieur de moi
j’éprouve l’ombre
de la solitude
des doigts malhabiles
se tendent dans le noir
quand je remonte la rue

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pourquoi tant de tristesse
naît-elle
de quelque chose de beau
quel puits de douleur
est-il réactivé
l’eau de pluie recueillie
au sein de la terre mère

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souvent l’autre est un miroir
dans lequel on voit
ses propres failles
je vois la roche plissée
tout tient dans
la notion de plaisir
la soif non étanchée
de l’enfant

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dans une clairière
mes yeux ma bouche
mes cheveux emmêlés
filtraient avec le soleil
dans un rêve
j’ai goûté
au paradis perdu
sauf que ce n’était pas
un rêve.

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Vous pouvez vous procurer ce livre d’artiste en écrivant à Gilbert Desclaux : gilbert.desclaux@orange.fr

Deux poèmes de René Char

matinaux_rene_char J’ai trouvé ces deux beaux poèmes de René Char dans le recueil Les Matinaux (1947-1949) et, plus précisément dans la partie « Le consentement tacite ».
Vous trouverez ce recueil dans la collection Poésie/Gallimard.
J’aime ces poèmes pour une certaine violence contenue et parce qu’ils me font un peu penser à certaines Illuminations de Rimbaud – mais en plus clair et en plus incisif, il me semble.

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L’adolescent souffleté

Les mêmes coups qui l’envoyaient au sol le lançaient en même temps loin devant sa vie, vers les futures années où, quand il saignerait, ce ne serait plus à cause de l’iniquité d’un seul. Tel l’arbuste que réconfortent ses racines et qui presse ses rameaux meurtris contre son fût résistant, il descendait ensuite à reculons dans le mutisme de ce savoir et dans son innocence. Enfin il s’échappait, s’enfuyait et devenait souverainement heureux. Il atteignait la prairie et la barrière des roseaux dont il cajolait la vase et percevait le sec frémissement. Il semblait que ce que la terre avait produit de plus noble et de plus persévérant, l’avait, en compensation, adopté.
Il recommencerait ainsi jusqu’au moment où, la nécessité de rompre disparue, il se tiendrait droit et attentif parmi les hommes, à la fois plus vulnérable et plus fort.

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Le Masque Funèbre

Il était un homme, une fois, qui n’ayant plus faim, plus jamais faim, tant il avait dévoré d’héritages, englouti d’aliments, appauvri son prochain, trouva sa table vide, son lit désert, sa femme grosse, et la terre mauvaise dans le champ de son cœur.
N’ayant pas de tombeau et se voulant en vie, n’ayant rien à donner et moins à recevoir, les objets le fuyant, les bêtes lui mentant, il vola la famine et s’en fit une assiette qui devint son miroir et sa propre déroute.

Un poème de Louis-René Des Forêts

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Encore combien de fois faudra-t-il dire
Ce qu’on a dit et redit maintes fois ?
Combien de fois encore rêver d’un langage
Non asservi aux mots comme en ces jours
Où tout tremblant d’un timide désir
On n’avait soif que d’étreintes silencieuses
Qui comblent mieux que les plus graves échanges ?
Faut-il que soit sans cesse à recommencer
Ce qu’on cherche et n’arrive jamais à saisir ?
Peut-être qu’y renoncer serait plus sage
Mais raison et folie luttent à forces égales
Sans qu’aucune des deux ne l’emporte sur l’autre.
L’esprit aspire-t-il si peu au repos
Qu’il fasse de ce combat stérile un jeu
Dont chaque partie ne se gagne qu’en perdant ?
Quel mouvement l’agite et quel autre l’arrête
Au moment où il s’apprête à bondir ?
Serait-ce au-delà d’interminables ambages
Toucher le port son unique obsession
Il y a encore trop de brume qui l’aveugle
Rien pour le guider que des signes dans le vide
Porteurs de messages toujours en souffrance
S’ils dérivent sans atteindre leur destinataire
Comme lancés chaque fois d’une main hésitante
Est-ce à dire qu’ils ne demandent pas de réponse ?
Trouver la formule pour sortir de l’impasse
Et au plus vite, le salut est à ce prix
Mais autant attendre de la nuit qu’elle éclaire
La voie étroite par où aborder au port.

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J’ai trouvé ce poème dans le recueil Poèmes de Samuel Wood paru chez Poésie Gallimard.
Ce recueil date de 1988.

Pierrots de Jules Laforgue

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J’ai trouvé ce poème dans le recueil L’imitation de Notre-Dame la Lune, paru chez Poésie/Gallimard.
J’aime beaucoup ce poème, très descriptif, pour ses images insolites et frappantes et pour son travail très inventif sur le langage : j’aime bien, par exemple, qu’il fasse rimer « idem » avec « cold-cream » et qu’il évoque une « hydrocéphale asperge » ou encore le « souris vain de la Joconde » !
Ce recueil avait paru pour la première fois en 1886 et aurait été écrit vers 1884, Laforgue (1860-1887) avait alors vingt-quatre ans.

I

C’est sur un cou qui, raide, émerge
D’une fraise empesée idem,
Une face imberbe au cold-cream,
Un air d’hydrocéphale asperge.

Les yeux sont noyés de l’opium
De l’indulgence universelle,
La bouche clownesque ensorcèle
Comme un singulier géranium.

Bouche qui va du trou sans bonde
Glacialement désopilé,
Au transcendental en-allé
Du souris vain de la Joconde.

Campant leur cône enfariné
Sur leur noir serre-tête en soie,
Ils font rire leur patte d’oie
Et froncent en trèfle leur nez.

Ils ont comme chaton de bague
Le scarabée égyptien,
A leur boutonnière fait bien
Le pissenlit des terrains vagues.

Ils vont, se sustentant d’azur !
Et parfois aussi de légumes,
De riz plus blanc que leur costume,
De mandarines et d’œufs durs.

Ils sont de la secte du Blême,
Ils n’ont rien à voir avec Dieu,
Et sifflent : « Tout est pour le mieux,
 » Dans la meilleur’ des mi-carême ! »

Jules LAFORGUE

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Quelques poèmes d’Antoine Emaz

emaz_caisse_claireJ’ai trouvé ces poèmes dans l’anthologie Caisse Claire, réunissant des poèmes d’Antoine Emaz (poète né en 1955) écrits entre 1990 et 1997.
Les poèmes que je reproduis ici font partie du Poème de la masse, des pages 61 à 63.

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à l’intérieur
une masse sombre
spongieuse

elle tient le secret

on tourne autour de cela
et les mots lancés
sont immédiatement absorbés
par la masse
sans provoquer de lumière

**
pris dehors
dans ce qui n’a pas de nom
serré de près dedans
par ce qui n’a pas de nom

celui qui parle
forme créée par les deux pleins qui serrent

**

C’était un temps de grisaille indéfinie – rien ne s’achevait vraiment. Cela se perpétuait seulement, de façon assez creuse. On aurait pu se contenter de cette durée pâle mais qui avait l’avantage de se maintenir, de se poursuivre à travers des journées remplies de détails à régler. Mais cela sonnait fêlé : quelque chose poussait comme à l’intérieur de cette coque et on ne voyait pas bien quoi. On se demandait si cela aurait la force de faire éclater tout ce qui s’était peu à peu incrusté, épaississant, renforçant la coquille, au fur et à mesure. En même temps que cette attente comme d’une renaissance, il y avait la crainte de bouleverser, la peur que quelque chose ne s’épuise dans le bouleversement et qu’on se retrouve défait, sans rien. On ne pouvait guère mesurer le danger, mais il pesait, et parfois faisait presque regretter le malaise sans issue mais plus supportable, semblait-il.

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Nom de pays : le nom, de Marcel Proust

proust-du-cote-de-chez-swannNom de pays : le nom est la troisième partie du tome 1 (Du côté de chez Swann), juste après Un amour de Swann.
Dans ce roman, plus court que les deux précédents, le narrateur est encore enfant. Alors qu’il se prépare à aller à Venise et à Florence, deux noms qui le font rêver, le médecin de famille défend absolument qu’il s’y rende à cause de sa santé trop fragile. Il occupera donc ses journées en allant jouer sur les Champs Elysées, un jardin où il retrouve Gilberte Swann, pour laquelle il éprouve un amour très fort. Au cours de leurs jeux, ils semblent se rapprocher davantage l’un de l’autre. Mais, bientôt, Gilberte apprend au narrateur qu’elle ne viendra plus jouer aux Champs Elysées et il est affreusement déçu et malheureux. (…)

Dans ce roman, Proust approfondit l’étude du sentiment amoureux, mais transposé dans le monde de l’enfance, où il prend des dimensions merveilleuses et pures. Ainsi, le narrateur attribue à tout l’entourage de Gilberte des charmes et des propriétés extraordinaires, il ne se lasse pas de prononcer le nom de la rue où elle habite, il se sent ému à l’idée qu’il pourrait croiser le père de Gilberte dans la rue.
Les premières pages du roman sont une sorte de rêverie autour de certains noms de villes – spécialement italiennes – le nom de Parme étant par exemple une fantaisie autour de la couleur mauve et de la Chartreuse de Stendhal.
Une chose intéressante dans ce livre est de nous montrer certains lieux parisiens – je pense ici au Bois de Boulogne – tels qu’ils étaient au début du 20ème siècle, c’est-à-dire des lieux de promenades où les élégantes faisaient défiler devant leurs admirateurs leurs attelages et leurs atours, et où leurs amis et connaissances pouvaient venir bavarder avec elles en toute discrétion.
J’ai trouvé que « Nom de pays : le nom » était une sorte de voyage dans le passé, à la fois dans le Paris de l’époque de Proust, et à la fois dans le temps des amours d’enfance, et donc un roman plein de charme. Par ailleurs, l’écriture est toujours aussi magique que dans les deux livres précédents.