Ceux qui avaient choisi, de Charlotte Delbo

J’ai lu cette pièce de théâtre dans le cadre des lectures autour de l’holocauste organisées par Patrice et Eva du blog « Et si on bouquinait un peu » et par « Passage à l’Est ».

Note biographique sur l’écrivaine

Charlotte Delbo (1913-1985) est une écrivaine française. Communiste et Résistante durant la deuxième guerre mondiale, elle a été déportée à Auschwitz-Birkenau de janvier 1943 à janvier 1944 puis à Ravensbrück de janvier 1944 à avril 1945. Son œuvre littéraire témoigne de son expérience des camps, par exemple dans Aucun de nous ne reviendra (1965) ou la pièce Ceux qui avaient choisi. Elle a été l’assistante de l’acteur et homme de théâtre Louis Jouvet. A la fin des années 50, elle a rompu avec ses convictions communistes de jeunesse.

Présentation de l’histoire

La pièce se déroule à Athènes. À une terrasse de café au début des années 60, un homme, seul à sa table, aborde une femme, seule à la table voisine, dans le but de la séduire ou en tout cas de faire connaissance. Cet homme est allemand et il se prénomme Werner. Il a fait des hautes études universitaires au sujet de la Grèce Antique et est devenu un professeur spécialiste de ce domaine. Durant la période de la guerre il était officier de l’armée allemande et a donc endossé l’uniforme hitlérien même s’il n’était pas un partisan d’Hitler et qu’il était plutôt un planqué sans aucune responsabilité ou activité significative. La femme, Françoise, est quant à elle une rescapée d’Auschwitz et son mari résistant a été torturé et fusillé par les allemands pendant la guerre. Une discussion s’engage entre les deux personnages et chacun explique son parcours et les choix qui ont été les siens dans les années 30 et 40. 

Mon Avis

C’est une pièce de théâtre assez courte (environ 80 pages) et qui a une portée pédagogique évidente car elle expose beaucoup de faits historiques et d’idées générales d’une manière claire, précise et argumentée, en allant à l’essentiel.
Malgré ce côté didactique, les personnages ne sont pas caricaturaux, ils ne sont pas monolithiques, et nous ne sommes pas supposés détester le personnage de Werner, qui reconnaît lui-même qu’il s’est toujours davantage intéressé à l’histoire antique qu’à ses contemporains et qui nous donne l’image d’un désengagement complet vis-à-vis de son époque. Il n’était pas hitlérien pendant les années 30-40 mais il est quand même devenu officier allemand, avec le moins de responsabilité possibles. Il n’a pas voulu résister et n’a pas vraiment collaboré non plus. En discutant avec Françoise, il est prêt à reconnaître ses torts c’est-à-dire surtout sa lâcheté et sa totale négligence, mais Françoise ne cherche pas à l’accabler. Elle ne le déteste pas mais elle ne peut s’empêcher de le juger pour ce qu’il est, c’est-à-dire un mollasson, un homme sans caractère. Elle se dit qu’il aurait pu résister, s’engager, comme elle et son mari l’avaient fait, et même si cela les a exposés tous les deux à risquer leur vie.
Si Werner est professeur d’histoire grecque et spécialiste de littérature antique, ce n’est bien sûr pas un hasard. Il s’agit du rappel de nos origines européennes, du berceau de notre civilisation. Werner a baigné toute sa vie dans les idées de la démocratie athénienne, dans les idéaux de liberté et de vertu, mais il n’a absolument pas réagi lorsque Hitler est arrivé au pouvoir et a instauré la dictature ou quand les lois raciales ont été promulguées. Il a l’impression que Socrate et Homère sont morts avec Auschwitz. Mais c’est peut-être seulement lui-même, Werner, qui n’a pas été à la hauteur de cette culture. Il a cru que les idéaux devaient rester purement livresques, alors que Françoise a su les faire vivre à travers ses actions, les mettre en pratique et se battre concrètement pour elles.
Une belle pièce sur la responsabilité et sur l’engagement, que les adolescents et les adultes peuvent lire avec profit.

Un Extrait page 36

Werner.- Non, nous n’avions pas le choix. Notre destin était : mourir à la guerre ou survivre dans la honte. Nous avons été pris, comme dans un piège qui se refermait sur nous. Tout un peuple pris au piège, par sa faute, faute d’avoir imaginé jusqu’où cela irait une fois cette machine infernale mise en route. Chacun des survivants honteux se demande comment il compose avec lui-même, aujourd’hui. En tout cas, je me le demande, moi. En vain. Pourtant j’étais ici, presque heureux, tout à l’heure, dans cette nuit d’avril, soyeuse, vibrante.- Ils ont pris le parti du mensonge comme si c’était plus facile. Alors… c’est en protestation que je dis que j’étais nazi, car nous l’étions tous. Et aujourd’hui, personne ne savait. Personne n’était au courant. Personne n’est coupable, n’est-ce pas ?
Françoise.- Beaucoup le sont, pas tous, c’est impossible.
Werner.- Oh ! Madame…
Françoise.- Si je l’avais cru, je ne serais pas sortie des camps. J’aurais perdu la volonté de survivre. Il faut croire en l’homme pour vouloir vivre.
Werner.- Et maintenant, aujourd’hui, vous n’avez pas de haine ? Comment pouvez-vous ?

Bilan du « Printemps des Artistes » d’avril à juin 2022

J’étais contente de reconduire « le Printemps des artistes » pour la deuxième année consécutive car ce fut l’occasion de belles découvertes littéraires, musicales, picturales, poétiques, et de toutes sortes d’arts du spectacle (danse, théâtre) ou d’autres arts plastiques (sculpture). Et je m’aperçois que les arts ont inspiré énormément d’écrivains et de poètes, dans une sorte de dialogue esthétique et de correspondances entre les sensations, les perceptions.
Je pense donc rééditer ce défi de lecture en 2023 et si cela vous dit de participer, je serai ravie.

Un grand merci à Claude du blog « livres d’un jour » car elle a participé à ce défi avec un très grand nombre d’articles variés et passionnants, que je récapitule ici :

Le Sonnet des Voyelles de Rimbaud : Couleurs, sons et images réunis par la poésie.
Le Rouge en Poésie : Des poèmes de Desnos et d’Aragon sur la couleur rouge et une citation de Michel Pastoureau sur cette couleur.
Ravel de Jean Echenoz (que j’ai également chroniqué, voir ci-dessous)
Poésie et Arts Plastiques : un article sur les relations entre poésie et arts plastiques, avec en particulier des Calligrammes d’Apollinaire
Baudelaire, la poésie, l’écriture et les arts : Un article sur Baudelaire critique d’art.
La Perruche et la sirène, de Véronique Massenot et Vanessa Hié : Un album graphique inspiré de Matisse.
Sculpture et Peinture en Poésie, de Louis Fontas : Poème.
A une tulipe, de François Coppée : Poème où il est question de peinture hollandaise et de Velasquez
La danse de nuit, de Marceline Desbordes-Valmore : Poème sur la danse
A Mains nues de Leïla Slimani et Clément Oubrerie : Bande Dessinée.
La Symphonie des Couleurs, de Ludivine Degryse – Poème rimé sur les couleurs
En Apesanteur de Karine Langlois, Roman sur les arts du spectacle (cabaret, chant)
Musique sur l’eau, d’Albert Samain, Poème symboliste sur la musique

Un grand merci à Patrice et Eva du blog « Et si on bouquinait un peu » qui ont chacun contribué à ce défi avec d’excellents et intéressants articles, que je vous invite également à lire :

Le Roman de Monsieur de Molière, de Mikhaïl Boulgakov : Biographie romancée de Molière, par le célèbre écrivain russe. Une chronique de Patrice.
Le Dernier Mouvement, de Robert Seethaler : Court roman autrichien sur la vie de Gustav Mahler. Une chronique d’Eva.
Richard W. de Vincent Borel : Biographie romancée de Richard Wagner. Chronique de Patrice.
Zsolt Harsanyi – La Vie de Liszt est un roman : Biographie de Liszt par un auteur hongrois du 20ème siècle, Coup de Coeur de Patrice.
La Contrebasse de Patrick Süskind : Livre dont le héros est un musicien d’orchestre amoureux d’une soprano et où il est beaucoup question de musique, d’instruments, de compositeurs classiques,… Chronique d’Eva.

Un grand merci à Nathalie du blog « Madame lit » qui a participé également, avec trois articles très alléchants, qui donnent envie de découvrir ces auteurs :

Les Ombres blanches de Dominique Fortier : Roman biographique sur la célèbre poète américaine Emily Dickinson.
A une amie dont l’œuvre est infertile, Poème de Yeats.
Le Temps qui m’a manqué de Gabrielle Roy : Autobiographie d’une grande écrivaine québécoise du 20ème siècle.

Un très grand merci également à Fabienne du blog « LivrEscapades » qui a participé avec le célèbre roman biographique sur Vermeer de Delft :

Tracy Chevalier : La Jeune Fille à la Perle. Sur le fameux peintre hollandais du 17è siècle et la jeune servante qui fut son modèle.

Et voici enfin un petit récapitulatif de mes articles :

Le Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan : Film ayant pour héros un jeune écrivain turc, en quête de reconnaissance.
Un Poème de François de Cornière sur la chanteuse Amy Winehouse
Ravel de Jean Echenoz : Biographie romancée du compositeur Maurice Ravel.
Les Jardins statuaires de Jacques Abeille : Roman fantastique autour du thème des statues et de la sculpture au sens large.
Rien n’est noir de Claire Berest : Roman biographique sur Frida Kahlo.
Des Poèmes de Jean-Claude Tardif sur la couleur noire
Des Poèmes de Cees Nooteboom sur des tableaux expressionnistes de Paula Modersohn-Becker.
Joseph Karma de Denis Hamel : roman d’autofiction sur un poète contemporain.
Des Poèmes de Silvaine Arabo sur le peintre Nicolas de Staël
Martin Eden de Jack London, roman sur un jeune écrivain et ses débuts difficiles
Les Illusions Perdues de Balzac : roman sur l’ascension sociale d’un jeune écrivain ambitieux dans le Paris du 19ème siècle.
Des Poèmes de Françoise Ascal sur le peintre Matthias Grünewald – poésie contemporaine
Des Poèmes d’Albertine Benedetto sur des musiques de Reynaldo Hahn et de Rameau – poésie contemporaine
Les Illusions Perdues de Xavier Giannoli – Adaptation cinématographique de Balzac (cf. ci-dessus).
Des Poèmes de Marie-Claire Bancquart sur Matthias Grünewald et sur Manet – poésie contemporaine
Mort à Venise de Thomas Mann : Court roman sur la déchéance et la mort d’un écrivain.
Maîtres Anciens de Thomas Bernhard : Roman qui se déroule dans un musée et qui parle d’art et du milieu artistique.
Le Hibou et la baleine de Patricia Plattner – Film sur l’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier (interview)

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Si jamais j’ai oublié de noter une de vos participations à ce défi, n’hésitez pas à me le signaler, je corrigerai !




Logo du Défi, créé par Goran

Qui a tué mon père, d’Edouard Louis

J’ai lu ce livre car il m’a été prêté par une amie qui lit volontiers de la littérature engagée et qui connait assez bien mes goûts pour me conseiller judicieusement.
J’avais entendu parler d’Edouard Louis, surtout au moment de la parution d’Eddy Bellegueule, mais je n’avais encore jamais rien lu de lui.
Ce livre autobiographique est un portrait d’homme, le père d’Edouard Louis, qui a aujourd’hui une cinquantaine d’années et ne peut plus travailler après plusieurs décennies passées à l’usine en tant qu’ouvrier.
Edouard Louis présente son père comme un homme violent, dur, injuste, qui l’a souvent maltraité mais il montre aussi ses bons côtés, les bons moments qu’ils ont parfois passés ensemble. Il évoque les sentiments ambivalents qu’il lui porte : il a longtemps fait croire à son entourage qu’il détestait son père alors qu’en réalité il l’aimait et il se demande pourquoi nous avons souvent honte d’aimer nos parents.
A la fin du livre, il accuse les différents gouvernements, de gauche et de droite, qui se sont succédés depuis vingt ans et qui n’ont eu de cesse de faire reculer les acquis sociaux et de détériorer les conditions de vie des ouvriers et des pauvres, ce qui a littéralement démoli son père physiquement, au point qu’il risque de mourir à tout instant d’un arrêt cardiaque ou respiratoire.

Mon avis : C’est un livre assez fort, qui ne recule pas devant certains clichés (une certaine vision de la classe ouvrière, brutale, grossière, homophobe et partisane de l’extrême-droite) mais qui a l’avantage de s’exprimer avec une franche indignation et un souci de réalisme indéniable. On retrouve les préoccupations sociologiques et politiques qui caractérisent certaines autofictions en vogue ces derniers temps dans la littérature. J’ai trouvé par exemple une certaine parenté avec La Place d’Annie Ernaux, qui parlait aussi de son père ouvrier.
La volonté de dénoncer les hommes politiques, nommément cités, dans un ouvrage littéraire, est originale et participe toujours du même souci d’ancrer cet homme dans un contexte historique bien précis et de nous le montrer non seulement comme un père violent et abusif, mais surtout comme une victime que la société à broyée.

Un livre qui se lit rapidement, sans déplaisir, et qui fait oeuvre utile en abordant des sujets d’actualité. Mais un livre pas du tout poétique !

L’Eurydice d’Elfriede Jelinek


J’avais envie depuis assez longtemps de découvrir l’oeuvre très controversée d’Elfriede Jelinek (écrivain autrichienne née en 1946, Prix Nobel de Littérature en 2004, auteure entre autres de La Pianiste) mais ne savais pas par quel livre commencer. Et c’est en passant devant le rayon théâtre de ma librairie préférée que je suis tombée sur celui-ci : Ombre (Eurydice parle).
Je me suis dit que c’était une excellente idée de s’intéresser au mythe d’Orphée à travers la figure d’Eurydice qui a toujours eu un rôle assez secondaire, effacé, alors qu’elle aurait certainement beaucoup à dire, elle qui est restée dans le monde des morts (Les Ombres) plutôt que de suivre Orphée, qui voulait la ramener vers le monde des vivants.
Elfriede Jelinek transforme donc un personnage de femme passive qui n’arrive pas vraiment à exister en une héroïne qui s’affirme – mais elle s’affirme en tant qu’Ombre, en tant que morte ayant rejoint le néant et ne possédant plus ni corps ni conscience ni inconscient, ce qu’elle ressent comme une libération.
Au fur et à mesure qu’on avance dans ce monologue, on sent qu’Eurydice s’éloigne de plus en plus du monde des vivants et de leurs préoccupations car son discours semble de plus en plus figé, sa pensée est moins construite et plus fermée sur elle-même, comme dans un désir de ne plus avancer du tout, de faire du sur-place dans un temps aboli.
Dans les premiers temps de ce monologue, Eurydice analyse le deuil maladif d’Orphée à grand renfort de discours psychanalytiques (que je goûte très moyennement) mais qui a cependant l’intérêt de mettre en lumière la pathologie d’Orphée qui refuse la séparation du deuil, qui refuse que la Nature soit plus forte que sa propre volonté.
Elfriede Jelinek fait d’Orphée un chanteur de rock adulé de ses groupies, des petites filles aux corps et aux cervelles vides, qui poussent des cris dès qu’elles le voient, un Orphée dépressif dont les désirs n’ont pas de limites.
J’ai aimé certains passages de cette pièce, surtout dans la première moitié, mais l’idée de l’auteure, comme quoi il vaut mieux ne pas exister et rejoindre le monde des ombres plutôt que d’être vivant, me rend assez perplexe et, jusqu’à preuve du contraire, je préfère pour ma part être en vie …
J’ai bien aimé par contre l’écriture de cette pièce, avec des jeux de mots que la traductrice a très bien su rendre en français, et une langue très rythmée, haletante, avec par moments des notations et des images d’une belle poésie.

Extrait page 23

Il devra se défaire de moi, moi pour ma part, qui n’est cependant plus à moi, toute défaite depuis longtemps, c’est pas si mal, être soudain insouciante et irresponsable, abandonner ses dépouilles et foutre le camp, sortir de soi et tout simplement s’en aller. Me laisser, me laisser enfin être, me laisser seule, ce que de toute façon je suis, il ne pouvait tout simplement accepter de me laisser à cette région qui soudain me parait si joyeuse, lumineuse, aimable, maintenant que je peux enfin y aller : il ne me laissera pas. Il ne me laissera pas en rester là. (…)

Cette pièce est parue en 2018 aux éditions de l’Arche, dans une traduction de Sophie Andrée Herr.

Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, de Jean-Luc Lagarce

Comme j’aime bien lire de temps en temps du théâtre et que l’auteur Jean-Luc Lagarce a une grande réputation littéraire, en tant que « classique du 20ème siècle », j’ai eu la curiosité d’acheter cette pièce.
Précisons tout de suite qu’il n’y a qu’un seul personnage sur la scène : une dame, plus exactement une conférencière qui s’adresse à nous, lecteurs et spectateurs, c’est-à-dire qu’elle ne joue pas précisément de rôle au sens traditionnel du terme.
Cette dame nous explique comment nous devons nous comporter lors des grandes étapes de la vie : naissance d’un enfant, baptême, choix des parrain et marraine, fiançailles, mariage, décès.
Il ne s’agit pas de règles morales ou de préceptes destinés à nous rendre plus heureux : il s’agirait plutôt de la façon d’agir la plus conforme aux conventions bourgeoises du début du 20ème siècle, voire du 19ème siècle.
J’ai d’ailleurs été très étonnée de constater que cette pièce date des années 1990 (1994 me semble-t-il) alors que le discours de la dame a un aspect très désuet et suranné, mais aussi très peu séduisant (certains passages ressemblent un peu à des textes juridiques, froids, sans expression d’affect), mais heureusement de petites notes d’humour et de second degré viennent de temps à autre égayer et alléger un petit peu l’ensemble, de même que certains effets de répétitions qui donnent plus d’intensité et d’expression.
C’est donc un texte exprimant surtout l’ironie vis-à-vis de la bourgeoisie mais aussi peut-être aussi une mise en évidence de l’inhumanité de nos sociétés d’où les sentiments sont soigneusement évacués au profit de codes et d’actions qui oscillent entre l’absurdité et la vénalité.
Malgré l’intérêt du propos sur le fond, je me suis un petit peu ennuyée à la lecture de ce long monologue qui manque vraiment trop de chair et d’énergie à mon goût et qui, selon moi, reste trop dans le même registre de bout en bout, n’apportant pas vraiment de surprise en cours de route.
Ce n’est que mon avis tout à fait subjectif, et il est possible que certains éléments intéressants de ce texte m’aient échappé.
Mais, certainement, j’essaierai de lire une autre pièce de Jean-Luc Lagarce car cette tentative, bien qu’elle m’ait laissée un peu sur ma faim, m’a aussi mise en appétit pour d’autres essais.

Les règles du savoir-vivre dans la société moderne était paru aux éditions des Solitaires Intempestifs en 1996.

Extrait page 8 :

(…)
Beaucoup de gens ont de la répugnance, car répugnance et rien d’autre, beaucoup ont de la répugnance à assumer les charges matérielles et morales qui incombent aux parrains et marraines et on devra sonder, on sondera, les esprits à ce sujet, avec beaucoup de diplomatie et de tact.
Car, il faut l’admettre, pour résumer ce chapitre, c’est une forme d’impôt forcé qu’on prélève ainsi, qu’on prélèvera ainsi, impôt et pas moins. Billevesées et hypocrites calembredaines que de prétendre l’inverse. (…)

Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès

Mes vacances ne sont pas loin d’être finies, ou du moins je commence à préparer sérieusement mon retour sur ce blog.

En attendant ma réapparition définitive du 1er septembre (avec les comptes-rendus de toutes mes lectures estivales), voici un petit billet en guise de mise en bouche.

Cette lecture est encore très fraîche dans ma mémoire puisque je viens juste de la terminer, mais je dois dire que je ne suis pas convaincue du tout et que je me suis passablement ennuyée. On me rétorquera peut-être qu’une pièce de théâtre est faite pour être vue sur une scène, et non pas lue, et certainement une mise en scène judicieuse doit pouvoir pimenter un peu ce texte qui m’a paru bien plat. La situation de départ est pourtant prometteuse et intéressante mais, rapidement, l’action se fige et se dilue sans que rien ne se passe, ni dans les actes ni dans les paroles.
La situation de départ : un homme (Koch) se fait conduire par son chauffeur (Monique) sur le quai désert d’un quartier misérable, dans le but de se suicider. Alors qu’il vient de sauter dans le fleuve, il est repêché par un homme qui n’est pas forcément animé par de bonnes intentions. Une famille d’immigrés (espagnols ou indiens ?) cherche à profiter de la situation pour le racketter.
Les personnages se disputent pour savoir s’ils vont crever les pneus de la voiture, où est le delco, où est la montre luxueuse de Koch (le candidat au suicide), où sont les clés de la voiture, est-ce que tel personnage veut bien donner les clés de la voiture à tel autre, etc.
La fin redonne un peu d’énergie à ces situations plates et figées, avec quelques dialogues qui font mouche, et une tension dramatique accrue, mais ça reste tout de même très en-dessous (à mon avis) de cette autre très bonne pièce de Koltès : Dans la solitude des champs de coton qui n’est pourtant postérieure que d’une année (1986) mais dont l’écriture me parait bien plus élaborée.
Pour moi qui aime bien Koltès d’habitude et qui apprécie son style, c’est une assez mauvaise surprise.

Ma bibliothèque – En résumé


J’ai eu envie de faire un petit point sur ma bibliothèque, après lecture du blog de Goran, dont j’ai trouvé l’idée très réjouissante, et que je vous invite à visiter ici.
Un aveu avant toute choses : je n’ai pas vraiment de bibliothèque bien localisée, plus exactement elle se divise entre deux appartements et se trouve disséminée sous les lits, sous les fauteuils, sur les tables, et accessoirement dans de (trop) petites bibliothèques … Pour réaliser cet article il m’a donc fallu fureter un peu partout, faire des piles de livres, etc.
Je peux dire que je possède environ 620 livres, sachant que je n’ai pas compté les livres pratiques, revues de poésie (j’en ai une centaine), revues de psycho, manuels pratiques d’informatique, et tous les livres qui n’ont pas grand chose à voir avec la littérature.
Sur ces 620 livres environ 50 sont des livres d’art, 40 sont des livres de psychologie et seulement 7 sont de la philosophie.
En retirant ces 97 livres, il me reste 523 livres de littérature parmi lesquels :
environ 40 sont des pièces de théâtre, avec pas mal de pièces de Shakespeare, d’Ibsen, de Pirandello et peu de classiques français. Contrairement à beaucoup de gens, j’aime énormément lire du théâtre, je préfère même en lire plutôt qu’assister à une représentation.
Environ cent cinquante sont des recueils de poésie, dont une bonne soixantaine rien que pour la poésie du 20è siècle.
Environ 90 ont été écrits par des femmes, Colette étant bien représentée, et d’une manière générale les romancières françaises contemporaines avec Delphine de Vigan, Virginie Despentes, Lydie Salvayre, etc.
Environ 95 ont été écrits avant le 20è siècle, surtout classés théâtre et poésie.
Environ 130 ont été écrits ces vingt dernières années, et se répartissent dans les romans et la poésie.
Environ 180 sont des livres d’auteurs étrangers, avec une prédilection pour Paul Auster, Zweig, Kundera, et les auteurs japonais du 20è siècle comme Kawabata ou Mishima.
J’ajoute que sur ces 523 livres, il y en a une petite vingtaine dont je compte me débarrasser et une petite vingtaine que je n’ai pas encore lus (ce ne sont pas les mêmes).

Voilà ! J’ai trouvé ce petit exercice agréable à faire, j’espère que le compte rendu vous aura intéressés !
Votre bibliothèque à vous est-elle très différente de la mienne ?

Joyeux Noël à tous ! Et quelques lectures …

Noel

Noel

Je tiens à vous souhaiter à tous un joyeux réveillon et un très heureux Noël !
Petite pensée pour ceux qui passeront ces jours de fête dans la solitude.

Je profite de cet article pour chroniquer rapidement trois livres lus récemment et que je ne souhaitais pas développer longuement :

* De Sarah Kane : L’amour de Phèdre. Genre : théâtre.
Je sais que Sarah Kane est une auteure très appréciée et très prisée, mais je n’ai vraiment pas aimé cette pièce, qui me semble surtout faite pour choquer le bourgeois (fellations sur scène, langage cru, scènes finales violentes et sanglantes), ce qui ne serait pas un problème si les dialogues étaient intéressants, mais ce n’est justement pas le cas à mon avis. Les dialogues sont courts, limités au strict minimum, les personnages ne sont pas mal campés et ont une certaine cohérence, mais leur discours est trop limité pour qu’ils aient beaucoup de substance.
Une déception donc, mais j’attendais peut-être trop de cette dramaturge pour en avoir entendu dire que du bien ….

* De Annie Ernaux : L’écriture comme un couteau. Genre : Entretiens.
Ce livre est un recueil d’entretiens entre Annie Ernaux et Frédéric-Yves Jeannet, entretiens qui se sont déroulés par mail autour de l’année 2002, et qui sont suivis par une postface de l’auteure, qui est beaucoup plus récente. Dans ce dialogue, Annie Ernaux parle de politique, du féminisme, revient sur ses différents livres précédemment publiés en les analysant et en les comparant, parle de la genèse de ses livres et de sa manière d’écrire, parle aussi du Nouveau Roman, de l’autofiction, de ses journaux intimes, etc.
J’ai trouvé ce livre passionnant et il donne envie de pousser plus avant la découverte de cette auteure, qui apparaît comme ayant une vraie réflexion sur la littérature, sur la sociologie et sur l’histoire (elle-même associe les trois disciplines dans sa réflexion).

* De Bernard-Marie Koltès : Dans la solitude des champs de coton Genre: Théâtre.
J’avais vu cette pièce à la télévision, jouée par Patrice Chéreau et Pascal Grégory, il y a environ vingt ans, et j’en avais gardé un souvenir pas mauvais, mais flou. De fait, l’écriture de Bernard-Marie Koltès m’a toujours plu et intriguée, dans la mesure où elle est très travaillée et où elle ne prend pas son sujet de front mais utilise de savants détours, et emploie des images et des métaphores surprenantes et décalées. Ici encore, j’ai beaucoup aimé cette écriture, qui se développe dans de longues tirades ayant le désir et l’assouvissement du désir comme thématique principale, mais aussi les rapports humains dans ce qu’ils ont d’inégal et de trouble.
J’ai trouvé cette pièce magnifique, et il m’a semblé qu’elle gagnait à être lue plutôt que vue, car la subtilité de cette langue mérite d’être savourée lentement, et on a parfois envie de relire une phrase plusieurs fois de suite pour la laisser résonner.

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Le chandelier d’Alfred de Musset

chandelier_mussetMaître André, un notaire un peu ridicule, réveille sa femme, Jacqueline, à six heures du matin pour lui apprendre que l’un de ses clercs, Landry, a vu un homme escalader le mur de leur maison et entrer dans la chambre de la jeune femme. Il lui demande des explications, elle fait celle qui ne comprend pas de quoi il s’agit. A l’issue de cette discussion, Jacqueline va délivrer de l’armoire où elle l’avait enfermé, son amant, Clavaroche, un officier des dragons, qui lui suggère de trouver ce qu’il appelle un « chandelier », c’est-à-dire un soupirant, qui lui fera la cour ouvertement, et qui, ainsi, détournera sur lui les soupçons de Maître André. Jacqueline ne tarde pas à s’apercevoir que le troisième clerc de son mari, un adolescent prénommé Fortunio, est amoureux d’elle, et elle le choisit comme chandelier en utilisant un petit stratagème destiné à le rapprocher d’elle. (…)

J’ai trouvé qu’il y avait dans cette pièce beaucoup d’influences très diverses : si Maître André semble un personnage tout droit sorti d’une comédie de Molière, Clavaroche fait plutôt penser aux caractères cyniques et libertins du 18è siècle, pendant que Fortunio est le type parfait du jeune héros romantique, sensible et pur, qui fait penser au Coelio des Caprices de Marianne.
Fortunio est le jouet des manigances du couple un peu pervers formé par Jacqueline et Clavaroche, mais, s’il est leur jouet, ce n’est pas par bêtise ou par naïveté – bien au contraire – c’est parce qu’il obéit à un idéal amoureux particulièrement élevé, qui lui fait tout pardonner à la femme aimée.
Le personnage de Jacqueline est également intéressant dans la mesure où elle semble alternativement manipulatrice puis généreuse et humaine. Elle trompe, elle ment, elle semble ne penser qu’à son intérêt immédiat, mais aux moments importants elle révèle son grand coeur et sa grandeur d’âme.

Chose intéressante à noter : la pièce finit bien !

Art de Yasmina Reza

yasmina_reza_theatreSerge, médecin dermatologue, vient d’acheter pour deux cent mille francs un tableau d’un mètre soixante sur un mètre vingt, entièrement blanc, avec de fins lisérés blancs transversaux. Son ami Marc, ingénieur, auquel il montre sa nouvelle acquisition, est consterné qu’il ait pu mettre une telle somme dans un tableau qu’il considère comme une « merde ». Il faut dire que Marc est ennemi de la modernité et du snobisme, tandis que Serge se pique d’être un homme représentatif de son époque – un homme de son temps. Intervient un troisième personnage, Yvan, qui est un ami à la fois de Serge et de Marc, et qui essaye de minimiser le désaccord, pourtant profond, qui existe entre ses deux amis, et qui tente, en vain, de les réconcilier.

Cette pièce avait été créée pour la première fois en 1994 avec Pierre Vaneck dans le rôle de Marc, Fabrice Luchini dans le rôle de Serge et Pierre Arditi dans le rôle d’Yvan.
La pièce avait eu un succès extraordinaire, ce qui était dû, à mon avis, au fait que c’était la première fois que, sur la scène d’un grand théâtre parisien, on disait que l’art contemporain était de la merde et qu’on ne pouvait l’apprécier que par snobisme : une idée extrêmement répandue dans la population, mais que les écrivains sérieux et réputés n’étaient pas supposer reprendre dans leur oeuvre.
Mais, à côté de cet aspect un peu démagogique de cette pièce, j’ai trouvé que c’était au contraire une pièce assez fine sur les rapports humains.

Ce grand tableau blanc est en fait le révélateur des traits de caractère de chacun. Chaque personnage, en exprimant son avis sur le tableau, dévoile le fond de sa personnalité : Serge est un homme sensible et raffiné, Marc est un individualiste qui n’a pas peur d’avoir des opinions tranchées et à contre-courant, et Yvan est un « sans opinion » qui est prêt à donner raison à tout le monde pour éviter les tensions.

J’ai plutôt apprécié le côté humoristique de cette pièce, qui doit beaucoup au personnage d’Yvan, mais j’ai trouvé que le propos sur l’art était un peu faible et que, finalement, il n’en sortait pas de grande idée. Ceci dit, les personnages sont bien campés, les relations entre eux sont intéressantes, et il y a un rythme bien vif dans les dialogues, ce qui rend la lecture très agréable.