Un Poème de Laura Kasischke sur Brueghel

J’avais acheté ce recueil poétique, Mariées Rebelles, de Laura Kasischke il y a peut-être un an ou deux. Après l’avoir laissé dormir sur mes étagères, voici que la curiosité m’a de nouveau poussée vers lui.
Une poésie riche en images mais souvent marquée par la mort, la violence, les pensées amères, aigres, ou franchement acides. Pratiquement à chaque page, une évocation sanglante surgit, plus ou moins développée. Marie Desplechin, dans la préface, insiste sur le côté morbide de cette poésie et c’est indéniable. Un certain féminisme peut aussi apparaître, mais adjoint ou mélangé à d’autres thèmes, comme les relations familiales ou l’amour. Les relations hommes-femmes ne sont pas traitées sous un angle sentimental, c’est le moins qu’on puisse dire, mais toujours sous un aspect rude, acerbe, dangereux.

Note pratique sur le livre

Editeur : Page à page
Première année de publication (en français) : 2016 (en américain) 1992
Edition bilingue.
Traduit de l’anglais (américain) par Céline Leroy
Préface de Marie Despléchin
Nombre de pages : 184

Note sur la poète

Laura Kasischke est née en décembre 1961, dans le Michigan. Elle se fait d’abord connaître comme poète, au début des années 90. En 1997, elle publie son premier roman « A suspicious river« . Elle est également nouvelliste. On a pu comparer son style à celui de Joyce Carol Oates. Ses romans sont publiés en français chez l’éditeur Christian Bourgois, sa poésie et ses nouvelles chez Page à page.

Biographie succincte de Breughel

Pieter Brueghel ou Bruegel dit l’Ancien, parfois francisé en Pierre Brueghel l’Ancien est un peintre et graveur brabançon né vers 1525 et mort le 9 septembre 1569 à Bruxelles dans les Pays-Bas espagnols.
Avec Jan Van Eyck, Jérôme Bosch et Pierre Paul Rubens, il est considéré comme l’une des grandes figures de la peinture flamande, et l’une des principales de l’Ecole d’Anvers.
Il est le père des peintres Pieter Brueghel le jeune (1564-1636) et de Brueghel de Velours (1568-1625).
(Source : Wikipédia)

*

Je vous propose ce poème inspiré par le tableau Le Massacre des Innocents (peint vers 1565-66) de Pieter Brueghel, lui-même inspiré par le fameux récit biblique entourant la naissance du Christ.

Page 71 

Le Massacre des innocents
D’après Pieter Brueghel

De pâles rubis gouttaient des branches
comme de rouges joyaux taillés dans la glace, et Rachel
pleurait. Et la neige froide
de Bethléem, de Flandre.
Les soldats se déplaçaient lentement
comme une forêt, empressés
et confus comme des animaux métalliques. Hérode
dormait. Rachel
refusait d’être consolée. Cache
les enfants, crièrent-ils. Tiens
les enfants plus haut. Mais
le monde se dénouait. L’avenir
les avait trouvés. L’étang
était gelé au cœur
et blanc comme une aile.
Et personne ne les sauva. Non. Dieu
s’enfuit en Égypte, à dos d’âne
dans la neige, la neige
froide d’Égypte, de Flandre, de France.
On vit une étoile exploser
à l’est, juste
au-dessus d’eux. Ils auraient pu se cacher, mais
aucun ange ne leur
 apparut. Les soldats arrivèrent
immobiles et gris, et leurs mères
les implorèrent, et l’on entendit une voix
trop tard, plaintive. Dans la neige
froide de l’Oklahoma,
à Dachau ou au Pérou. Une lamentation
plaintive et sonore.
Un vieil homme tomba à genoux
et supplia qu’on lui rende
le bébé. Cap
de Bonne Espérance.

*

Pieter Brueghel, Massacre des Innocents, 1565-1566

Âme brisée d’Akira Mizubayashi

Couverture chez Folio

J’avais acheté ce roman peu après sa parution en 2019, intéressée par son contexte musical et le fait qu’il évoque la vie d’un luthier. Par ailleurs, je n’en avais entendu que de bonnes critiques et j’ai toujours un a priori positif concernant les écrivains d’origine japonaise…
C’est finalement pour le Printemps des artistes de cette année que je l’ai lu – après cinq ans de réflexion.

Le mot « âme » du titre évoque à la fois l’âme humaine mais il désigne aussi une partie interne dans la caisse de résonnance d’un violon.

Note Pratique sur le livre 

Éditeur : Folio (initialement : Gallimard) 
Date de publication : 2019
Genre : roman 
Nombre de pages : 259

Quatrième de Couverture

Tokyo, 1938. En pleine guerre entre le Japon et la Chine, quatre violonistes amateurs se réunissent régulièrement pour répéter. Un jour, ils sont interrompus par des soldats, soupçonnés de comploter contre le pays. Caché dans une armoire, Rei assiste à l’arrestation de son père. Cet événement constitue pour lui la blessure première qui déterminera son destin… Mais le passé peut-il être réparé ?

« Rei éprouva comme une brûlure d’estomac, une chaleur acide, à la fois intense et diffuse, qui vous monte à la gorge. Un énorme bloc d’émotions glacées se mettait à fondre peu à peu sous l’effet de cette chaleur intérieure dormante. Le temps se défossilisait, recommençait à trembler.» 

Mon Avis

Je ne suis pas contente d’avoir lu ce bouquin parce que c’est stupidement mauvais – j’ai eu l’impression de perdre mon temps et je n’aime vraiment pas ça !
Ça réussit à cumuler tout ce qui est le plus détestable dans le domaine littéraire : gnangnan, plan plan, superficiel, cucul, dégoulinant de bons sentiments, simpliste, convenu, cousu de fil blanc, sans aucun sens de la psychologie, sans aucune analyse un peu consistante de quoi que ce soit !
Si vous saviez comme je me suis barbée à lire ça !
En plus je suppose que l’auteur prend son lecteur pour un abruti gâteux parce que dans les derniers chapitres il se met à répéter tout le temps la même chose : il nous fait un petit résumé de tous les chapitres depuis le début du roman et il nous récapitule tout ça je ne sais pas combien de fois ! Mais ça va, je ne suis pas amnésique ! Il doit s’imaginer que plus il rabâche sa petite histoire plus le lecteur va se rendre compte à quel point elle est émouvante – mais non ! Pas du tout ! Au contraire, c’est chiant !
Pour couronner le tout l’écriture à proprement parler est absolument indigeste et pénible ! Il y a des phrases totalement inimaginables – comme je n’en avais encore jamais vu de toute ma vie ! – d’une pédanterie ignoble, d’une boursouflure grotesque, d’un lyrisme ampoulé ! D’ailleurs je vais vous en recopier une tout de suite (et pas la pire !) :
Mon âme, si j’ose parler ainsi, serait éternellement restée clouée sur une paroi rugueuse de l’ici-bas comme un cerf-volant prisonnier de l’épais feuillage d’un arbre. (page 250)
Ou encore :
Il posa son regard sur le violon mutilé. Il s’accroupit. Il le prit délicatement dans ses mains, ce corps souffrant avec les quatre cordes distendues dessinant des courbes tourmentées comme celles des tuyaux et des fils de raccordement électrique couvrant le visage d’un accidenté grave ou d’une victime d’un bombardement aveugle. (page 71)
Ça révèle un sens de la comparaison littéraire vraiment particulier et d’un goût douteux ! Totalement absurde ! A la limite du comique !
Vous l’aurez compris : je déconseille ce roman sans la moindre hésitation ! Et j’avoue être étonnée et chiffonnée qu’un tel livre soit publié par le très prestigieux Gallimard… 

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Un Extrait page 39

– Yanfen-san, vous jouez aussi du piano ? demanda Yu.
– Oui, j’en faisais régulièrement en Chine. Mais plus maintenant. Je n’ai pas de piano à Tokyo.
– La mélancolie est un mode de résistance, déclara Yu. Comment rester lucide dans un monde où l’on a perdu la raison et qui se laisse entraîner par le démon de la dépossession individuelle ? Schubert est avec nous, ici et maintenant. Il est notre contemporain. C’est ce que je ressens profondément.
Rei était déjà retourné sur son banc après avoir mangé deux ou trois sablés qu’il avait trempés dans son thé. Il était de nouveau dans son livre qu’il avait manifestement fini de lire ; il revenait sur certains passages et les relisait avec une attention redoublée. Mais il relevait la tête chaque fois que son père prenait la parole, pour prêter une attention croissante à ce qu’il avançait sans pour autant pouvoir saisir suffisamment la signification de ces mots d’adulte.
– En tout cas, continua Yu avec conviction, je crois que ça a du sens… qu’aujourd’hui, en 1938, dans un coin de Tokyo, un quatuor sino-japonais joue Rosamunde de Schubert…, alors que le pays entier tombé dans ses obsessions bellicistes semble être dévoré par le cancer nationaliste divisant les individus entre un nous et un eux…

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Logo du Défi, créé par Goran

Un Poème d’Ernest Pépin sur Cesària Évora 

C’est dans le livre d’Ernest Pépin, Au berceau des lendemains, publié chez Atlantiques déchaînés en 2023, que j’ai découvert ce poème.
J’inscris cet article dans le cadre du « Printemps des artistes » d’avril-mai 2024.

Biographie du Poète 

Ernest Pépin, né en 1950 à Lamentin, en Guadeloupe, est un poète et romancier dont l’œuvre a été couronnée de nombreuses distinctions dont, à deux reprises, le prix Casa de las Américas. 

Courte note sur Cesària Évora 

Cesária Évora, née le 27 août 1941 à Mindelo au Cap-Vert et morte le 17 décembre 2011 à São Vicente, est une chanteuse de morna coladeira cap-verdienne. Surnommée la « Diva aux pieds nus », elle le doit à son habitude à se produire pieds nus sur scène.
(Source : Wikipédia)

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(Page 19)

Cesària Évora

Ta voix aux pieds nus

Est une île qui tangue

Un bar où viennent boire les dieux des pauvres

Une rocaille qui invite les oiseaux

Ô Cesària

La mer est saoule de tristesse

Mais la mer danse ta voix

Et il nous vient ce chant à l’odeur de blues

Cette balade aux pieds nus

Sur un visage brûlé d’amour

Vagues ensoleillées d’alcool

Il nous vient ce chant de lune enceinte

Et qui nous prend aux tripes

Ô Cesària

Princesse aux pieds nus

Chanteuse des carrefours

J’entends ta peine

Je recueille l’eau de ta joie

J’entends le souffle du petit monde

Et je vois l’éclosion d’un visage meurtri

Je bois ta voix

Je bois la sève de ta voix

Chante plus haut afin que les étoiles entendent

Chante plus doux

Renverse la mélancolie

Tu es toutes les îles aux pieds nus

L’oiseau marin qui lâche prise dans la détresse du vent

La pensée du dedans

Le sel universel des pensées que l’on chante

La voix qui prête serment au haut des barricades

Ô Cesària

Tu lances des étoiles en guise de monnaie

Tu lances ta chanson comme l’orage qui pleure

Une marée tard venue

Dans un monde aux pieds nus


Faugas – Lamentin

17 juillet 2011 

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Voici Sodade, la chanson la plus célèbre de Cesària Evora

Trois Poèmes de Luba Yakymtchouk

J’avais entendu parler de ce recueil poétique « Les abricots du Donbas » grâce à un article de Cécile Guivarch sur le site Terre à Ciel et cela m’a donné très envie de découvrir ce livre de la poétesse ukrainienne Luba Yakymtchouk. 

Note Pratique sur le livre 

Éditeur : des Femmes Antoinette Fouque 
Date de publication en France : mai 2023 
Traduction de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin 
Nombre de pages : 195

Note sur la poète 

Luba Yakymtchouk, née en 1985 dans la région du Donbas et vivant désormais à Kyiv, est une poétesse, dramaturge et scénariste ukrainienne pour qui la poésie est un acte de résistance à la guerre qui sévit dans son pays depuis 2014. Ses écrits, traduits à ce jour en onze langues, ont été publiés dans des revues et magazines du monde entier, notamment en Ukraine, en Suède, en Allemagne, en Pologne, en Israël et en France. En 2015 le magazine New Time de Kyiv l’a classée parmi les 100 personnes les plus influentes de la culture en Ukraine. Luba Yakymtchouk est la première poétesse à avoir récité un poème lors des Grammy Awards, en 2022. Elle a également participé à l’ouvrage collectif Hommage à l’Ukraine (Stock, 2022). 

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Citation de quatrième de Couverture 

« Mon livre porte donc sur le monde dans lequel est possible un métro reliant Paris au village ukrainien de Kybyntsi […]. Il témoigne aussi du fait qu’en temps de guerre on peut non seulement être triste et en colère, mais aussi aimer et rire, autrement dit : rester véritablement vivant. « 

L.Y. 

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Page 95

Les obus 

Inspiration-explosion 
Inspiration-explosion 

Je sursaute des bruits sonores 
Et des sourds aussi 
Je sursaute des sons calmes 
Et de la respiration 
Je sursaute comme un tremble 
Comme un frelon jeté dans le froid 
Là où attend ma douleur 
Ma mort blanche 
Sans explosion 
Ni inspiration 

2014

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Page 97

Les gratte-ciel

Peigne mes cheveux
Parce que les gratte-ciel ne pourront plus
Peigner les nuages

Recouds les plaies de l’immeuble
Recouvre de petites croix blanches
Cette peau brûlée

De ta main – calmement –
Recouvre les dents cassées des fenêtres
Pour protéger contre les pilleurs

Sois prudente
Garde près de ton lit
Tout ce qui peut couper
Et s’il le faut, coupe, coupe
Mais survis

2014

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Page 105

Une Prière (Extrait)

Notre père qui êtes au cieux
Dans la lune pleine
Et le soleil vide
Epargnez la vie de mes parents
Dont la maison est sur la ligne de front
Et qu’ils ne veulent pas quitter
Tel un cercueil
Protégez mon mari
Qui est de l’autre côté de cette guerre
Comme de l’autre côté de la rivière
Et vise de sa carabine le cou
Qu’il embrassait autrefois

Je porte sur moi ce gilet pare-balles
Et je n’arrive pas à m’en débarrasser
Il est comme ma peau
Je porte en moi son enfant
Et je n’arrive pas à le chasser
Il s’est emparé de mon corps
Je porte en moi cette Patrie
Et je n’arrive pas à la vomir
Car comme le sang
Elle coule dans mes veines
(…)

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Louange des mousses de Véronique Brindeau

Ce livre m’a été offert par mon amie Pascale, grande spécialiste de la littérature japonaise, et j’étais d’abord très intriguée et étonnée par le titre et le sujet de cet essai. J’avoue que ma première réaction fut de me dire : « Un livre sur la mousse ! Comme c’est bizarre ! Qu’est-ce qu’il y a donc de tellement spécial à raconter sur les mousses ? ». Et puis, dès les premières pages j’ai été complètement captivée et charmée ! Déjà par l’écriture subtile et raffinée de Véronique Brindeau et par la beauté des photos qui accompagnent son texte – mais aussi par la richesse du contenu : cette ouverture vers la pensée et la culture nippones, dans toutes leurs finesses, leur spiritualité et leur sens esthétique. 

Note Pratique sur le livre 

Éditeur : Philippe Picquier 
Année de publication : 2018
Genre : Essai littéraire 
Nombre de pages : 110

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Un Extrait de la Quatrième de Couverture

C’est au Japon que l’on cultive et admire les mousses modestes, que l’Occident ignore si souvent.
En elles se lisent l’éternité des dieux, la constance du cœur, l’accord avec le temps qui passe et se dépose sur les pierres.
Entrer dans l’univers des mousses, c’est accéder à ces valeurs fondamentales de l’esthétique japonaise : sobriété, naturel, goût pour la patine et les marques du temps que l’on nomme sabi, simplicité élégante et teintée d’archaïsme, doublée d’un attrait pour la quiétude et le retrait du monde que l’on nomme wabi.
(…)

Résumé et Avis

En Occident les jardiniers pourchassent généralement les mousses (envahissantes et nuisibles pour les gazons) mais au Japon on les cultive très volontiers et avec beaucoup de respect. Chez les japonais on distingue ainsi plusieurs centaines de noms différents pour les mousses alors qu’en Europe la terminologie est très limitée. 
La mousse est souvent présente au pied des bonsaïs : ce dernier a besoin d’être taillé par le jardinier tandis que la mousse s’adapte à toutes les échelles. 
L’écrivaine fait une très jolie comparaison entre la mousse et la neige : les deux enveloppent les objets en arrondissant les formes, en adoucissant les contours et les deux confèrent aux paysages la même sorte de magie.
Véronique Brindeau nous parle de plusieurs jardins japonais célèbres, souvent attenants à des édifices religieux, dans lesquels cet élément végétal a une importance primordiale : ainsi, à Kyoto, Le Temple des mousses, ou Le Jardin des mousses à Komatsu, ou encore à Ôhara le temple Sanzen.in, et d’autres encore.
Bien qu’il soit question, dans ce livre, de végétaux et de paysages, il faut préciser que ce n’est pas du tout un manuel pratique pour confectionner vous-mêmes votre jardin japonais. Ici, il s’agit surtout d’une rêverie poétique, d’un essai littéraire finement ciselé, d’une flânerie dans l’âme japonaise, et c’est ce que j’ai particulièrement apprécié !
Je conseillerai très chaudement ce livre aux amateurs de belles écritures, aux esprits rêveurs et méditatifs, ou encore, bien sûr, aux amoureux du Japon.
 

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Un Extrait page 39

La mousse est un bonsaï naturel : nul besoin de taille, puisque notre regard peut en changer l’échelle. Une forêt entière se condense dans si peu, dès lors que nous modifions l’importance que nous accordons à notre propre personne. En quoi l’art des jardins japonais, des bonsaïs et des paysages de mousses en bassin rejoint peut-être, en quelque manière, le commencement du monde tel que l’entrevoient les scientifiques, fait de quelques instants pour des années-lumière à venir et d’une matière concentrée en une infime partie de l’univers qu’elle deviendra.

Un Extrait page 46

Cette dilatation propagée en une nappe de velours, seuls les jardins de mousse du Japon la révèlent pleinement, en une aura d’autant plus magique que rien ne nous prépare à une telle expérience, ni souvenir de paysage ni tableau peint. Étale, la mousse l’est alors à la manière d’un drapé qui recouvre tout, jusqu’aux racines des arbres dont le relief en est adouci et rehaussé à la fois. Il faut avoir parcouru les allées de ces jardins, dans un monde où l’omniprésence du vert vous plonge dans un état de rêve et de silence, pour sentir à quel point la mousse y semble un souffle exhalé du sol, posé tel une brume, et dont on sent bien, sans rien connaître de son écologie, qu’aucun lien ne l’attache à la terre dans la profondeur d’un enracinement. Ce lien qui n’est pas un ancrage mais s’apparente plutôt à une apposition, une coexistence, c’est un ensemble de minces filaments appelés rhizoïdes par lesquels la mousse s’accroche au sol mais à peine, un sol dont elle ne tire d’ailleurs pas foncièrement sa substance : de cela le ciel se charge, pluie et rosée, avec la lumière – et la richesse de la terre ne lui est pas utile, puisqu’elle pousse aussi bien sur les écorces ou les pierres.

Des Poèmes de Michel Cosem

Couverture chez L’Harmattan

Michel Cosem est un poète, romancier, auteur de livres pour la jeunesse qui fut également un éditeur important puisqu’il fonda les Editions Encres Vives en 1960 et les dirigea durant plus de soixante ans – jusqu’à cette année 2023, année de sa mort. J’avais eu quelques contacts avec lui en 2017-2018 car il avait accepté de publier mon recueil de Haïkus des quatre saisons. Je peux dire – même si nous n’avons pas échangé énormément de mails – qu’il était un homme très sincère, fidèle à sa parole, d’un abord simple. Son engagement en faveur de la poésie était tout à fait admirable. J’appréciais ses choix poétiques. Il prêtait une oreille attentive aux poètes jeunes ou inconnus, n’hésitant pas à leur donner leur chance.
En 2017, j’avais acheté son recueil poétique Les mots de la lune ronde, qui venait de paraître chez L’Harmattan, et c’est de ce livre que sont extraits les quelques poèmes ci-dessous.

Note biographique sur le poète

Michel Cosem, originaire du Sud de la France, est né en 1939. Il a fait ses études supérieures, de lettres et de sciences politiques, à Toulouse. Il est l’auteur de romans et de poèmes depuis toujours. Il a publié de nombreux ouvrages (romans, poèmes, anthologies) et a consacré sa vie à l’écriture, aux voyages, à la lecture et aux rencontres avec ses lecteurs un peu partout en France et à l’étranger. Il a été surnommé par Robert Sabatier « le poète du bonheur intérieur » et par Gilles Lades « Le Voyageur contemplatif dans l’aveuglant paradis ». Il a remporté le Prix Antonin Artaud en 1986, le Prix Malrieu en 1993, le Prix Renaudot des Benjamins en 2003. Il est mort le 10 juin 2023.
(Sources : éditeur et Wikipédia)

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Quatre Poèmes choisis dans ce recueil

(Page 7)

Ciel et terre
se ressemblent
et portent des moissons de rêves
Tous dansent au passage de la légende
et chantent des refrains de Noël
Tous songent à de fabuleux mariages
Tous croient que le printemps
revient pour toujours
Tous s’imaginent déjà semant
les graines de la beauté
Tous enfin
s’accordent
à la profonde couleur de l’éternité.

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(Page 59)

Quelle est la poignante histoire
que raconte ce soir l’arbre d’hiver ?
Des formes incertaines naissent et se multiplient.
La lune comme une lame glacée taille entre les branches.
Il faut être vigilant pour écouter ces sources
J’essaie de comprendre l’évidence
et je choisis
le message que je préfère.

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(Page 64)

Les premières aubépines blanches sur buisson noir
évoquent la destinée humaine
le rire et l’insouciance
mais aussi la souffrance le saccage l’esclavage
Les aubépines ce matin soulignent l’humaine nature et
rend tragique l’ultime vol du bouvreuil avant le piège
le bond du chevreuil avant le plomb

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(Page 80)

Le grand arbre mort
a le ciel pour feuillage
Il est noir du matin au soir
Il se fond dans la nuit
pour revenir sans que l’on sache pourquoi
avec de grands gestes véhéments
et des mots de colère
Le grand arbre
a le ciel pour feuillage

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Congo d’Eric Vuillard

Couverture chez Actes Sud

J’avais lu il y a quelques mois « L’Ordre du jour » d’Eric Vuillard, lauréat du Prix Goncourt en 2017, et j’ai eu envie de retenter cet écrivain, avec un autre récit historique, « Congo« , qui retrace la colonisation belge, violente et cruelle, dans ce pays d’Afrique.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Actes Sud (Babel)
Date de publication : 2014
Nombre de pages : 96

Quatrième de Couverture

« Le Congo, ça n’existe pas. » Il faut donc l’inventer. En 1884, à la conférence de Berlin, les grandes puissances se partagent l’Afrique et créent l’Etat indépendant du Congo, une simple entreprise commerciale. Viennent alors le défrichage, l’installation des comptoirs, les massacres…
En évoquant le roi Léopold II, Charles Lemaire l’éclaireur, Léon Fiévez le tortionnaire, les frères Goffinet les négociateurs, Eric Vuillard donne au mal un visage. A la fois récit historique et réflexion politique sur le libre-échange, Congo ressuscite, d’une plume lucide et irrévérente, la période coloniale, l’aube de notre modernité.

Mon Avis

Ce livre ressemble énormément à « L’ordre du jour » que j’avais chroniqué il y a quelques semaines : des récits historiques très courts qui commencent par une conférence politique au sommet, réunissant quelques hommes riches et puissants, qui s’entendent pour prendre une décision répugnante, réprouvée par la Postérité et par le sens de l’Histoire, parmi les dorures et les ambiances feutrées d’un palais présidentiel ou royal. Ensuite, Eric Vuillard nous montre, sur le terrain, l’application de cette décision par des hommes ignobles, lâches, sans scrupules, irresponsables, volontiers assassins, pilleurs, massacreurs d’animaux, de forêts, d’écosystèmes, etc.
Il me semble qu’aujourd’hui 99% des gens sont d’accord pour dire que la colonisation était une horreur et cela ne fait plus de débat depuis longtemps. Donc je me demande un peu pourquoi Eric Vuillard cherche maintenant à nous expliquer ce que tout le monde pense déjà ? Veut-il nous démontrer que nous avons raison de penser ce que nous pensons, de penser ce que tout le monde pense déjà et que personne ne songe à contester ? Ne serait-ce pas un petit peu de l’enfonçage de portes ouvertes de nous prouver par A plus B que les nazis et leurs alliés étaient très méchants (dans « L’Ordre du jour« ) ou que la colonisation était une très horrible et très ignoble chose (dans « Congo« )… Ceci dit, un tel rappel des faits peut certainement être utile pour des collégiens ou des lycéens, dans le cadre d’une lecture scolaire, en cours d’histoire ou de français, et peut leur apporter quelque chose.
La manière dont Eric Vuillard ressuscite ces divers personnages historiques est souvent grotesque, par les traits de leurs physionomies qu’il aime caricaturer et ridiculiser, mais je ne sais pas si c’est l’angle d’attaque le plus judicieux contre les colonisateurs, de critiquer leurs physiques plutôt que leurs mentalités. Pour ma part, j’aurais aimé que la pensée colonialiste soit davantage décortiquée et démontée dans ses rouages.
En résumé : C’est un livre très bien écrit, au style agréable, mais qui enfonce trop de portes ouvertes et qui ne va pas suffisamment au fond des choses.
Même si les deux livres ont des points communs, j’ai très nettement préféré « L’Ordre du jour« .

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Un Extrait page 75

Léopold fut donc pharaon. Il fut propriétaire de terres et d’hommes. Un bourgeois pharaon, si l’on veut. Quelque chose qui ne s’était jamais produit et qui plus jamais ne se produira. Un pharaon ne possède pas. Un bourgeois ne règne pas. Léopold est donc à la fois bourgeois et pharaon, pharaon du caoutchouc.
Mais on ne fait rien seul, et Léopold a bien du monde autour de lui, et si l’on jette un œil parmi tout ce monde, au milieu d’une foule de clampins, on croit tout à coup voir double. On voit deux fois la même tête rondouillarde, deux fois le même sourire satisfait, deux fois les mêmes moustaches qui remontent ! C’est qu’en réalité il y a bien deux types, deux types absolument identiques, absolument solidaires et identiques ; des frères jumeaux, célibataires endurcis, hommes de toutes les œuvres intimes, des gros sous au pot de chambre : les Goffinet.
Et qu’est-ce que c’est que ça : Goffinet ?
Deux barbes, deux fronts, deux paires de lunettes, quatre oreilles, une soixantaine de dents, des dizaines de médailles, quatre bras, quatre jambes : un animal. (…)

L’Homme-Joie de Christian Bobin

Couverture chez Folio

J’ai lu ce livre pour mon cercle de lecture, un choix qui me convenait parfaitement car j’avais déjà eu l’occasion de lire avec plaisir « La Présence pure » de Christian Bobin et je gardais l’envie très vive de relire cet auteur un jour.
Je n’avais pas consacré d’article à cet écrivain-poète au moment de sa mort, le 23 novembre 2022, mais aujourd’hui, presque un an plus tard, je souhaitais commémorer cette date et lui rendre hommage ainsi.

Note Pratique sur le livre 

Éditeur : Folio (initialement : l’Iconoclaste) 
Date de Première publication : 2012 
Nombre de pages : 165

Biographie de l’auteur

Christian Bobin est né en 1951 au Creusot.
Il est l’auteur d’ouvrages dont les titres s’éclairent les uns les autres comme les fragments d’un seul puzzle. Entre autres : Souveraineté du vide, Le Très-Bas, La Part manquante, La Plus que vive, La Présence pure, L’Homme-joie, La Grande vie, Noireclaire, Un Bruit de balançoire, La Nuit du Cœur et Pierre. Il a reçu le Prix d’Académie 2016 pour l’ensemble de son œuvre.
Christian Bobin est décédé en novembre 2022.
(Source : éditeur)

Brève Présentation

En dix-huit courts chapitres, qui peuvent se lire chacun indépendamment des autres et qui sont comme autant de proses poétiques, Christian Bobin nous parle de l’émerveillement d’être en vie, d’observer la nature et la beauté de la Création et des relations humaines. Il a perdu son épouse et son père est atteint d’Alzheimer mais il trouve encore la capacité de surmonter ces souffrances et de trouver une joie spirituelle. Il nous parle aussi de Pierre Soulages, de la musique de Bach jouée par Menuhin et Oïstrakh, des lauriers-roses au printemps, il dresse les portraits de ses amis…

Mon Avis 

C’est un livre d’une grande poésie et qui fait la part belle à la lumière, aux anges, aux fleurs, à la couleur bleue et à la beauté. On pourrait imaginer, à la vue du titre, que l’auteur ne parle que des côtés heureux et positifs de l’existence et que nous allons flotter dans la béatitude la plus complète mais ce n’est pas une vision exacte de ce livre car il est beaucoup question de souffrance – à travers le deuil de son épouse et à travers la maladie d’Alzheimer de son père, qui se retrouve dans un Ehpad. Christian Bobin n’ignore pas les ténèbres – il consacre par exemple un très beau chapitre à la peinture de Pierre Soulages – mais il semble toujours s’élever au-dessus de cette obscurité et finir par trouver l’apaisement et la lumière. J’ai préféré les textes qui osent se confronter à cette part de ténèbres ou de souffrance plutôt que ceux qui baignent un peu plus dans la félicité radieuse – ce qui correspond probablement à l’image d’une réalité qui n’est pas entièrement rose et rassurante.
Les feuillets bleus, au milieu du livre, reproduisent l’écriture manuscrite de Christian Bobin et nous offrent une lettre très touchante, adressée à sa défunte compagne, où la croyance en une Providence et dans un possible au-delà transparaît en filigrane, si on tente de lire entre les lignes.
Ce que j’apprécie tout particulièrement dans ce livre c’est la forme adoptée, ces minces chapitres qui sont comme de courtes nouvelles ou qui peuvent aussi être lues comme des poèmes en prose, ou encore comme les pages d’un journal intime ou même d’un essai littéraire – cette hybridation des genres est très séduisante et convaincante – et le fait d’intercaler des courtes réflexions ou des aphorismes en écriture manuscrite donne encore davantage l’impression d’un style spontané, créé avec naturel, presque au fil de la plume.
Un très beau livre, d’où se dégagent une lumière et une grâce assez rares !

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Un Extrait page 79

J’aimerais écrire un livre qu’on pourrait lire même après avoir perdu son amour. Cet homme qui vient de perdre sa femme ne parvient plus à lire : « Je ne veux pas que les livres me trompent. » J’entends : « Je ne veux pas que les livres ni rien au monde m’éloigne une seule seconde de ma gisante de lumière, interrompe ma contemplation de la gueule ouverte du néant, de ses dents de marbre qui à la fin broient tout ce que nous connaissions de plus précieux. » Pendant qu’il parle, les lauriers-roses de son jardin tournent en neige : le jour tombe, les fleurs entrent en lutte avec les ténèbres. Le visage de mon ami brûle sous les lumières roses. Cherchant son épouse dans les ténèbres, il n’y trouve que lui. Je comprends sa méfiance devant l’écriture. La souffrance que nous avons de notre amour est encore notre amour, l’empêche de glisser au noir comme l’y feraient glisser les affreuses consolations. D’autres fleurs errent dans le jardin. Dans la journée leur bleu a failli me rendre aveugle. (…)

Un Extrait page 116

Un jour un médecin s’est trompé, m’a fait pour apaiser les douleurs d’un calcul la mauvaise piqûre : en quelques instants mon visage et ma poitrine se sont couverts d’un rouge tomate et ma tension est tombée à trois. Le médecin pour contrer la réaction d’allergie a brisé une ampoule et mon père m’a tenu la main. J’avais les yeux clos, je n’entendais plus rien. Je ne sentais plus que cette main paternelle. Je me suis fait assez petit pour qu’elle m’abrite tout entier, je me suis réfugié corps et âme en elle. Elle était devenue, cette main un peu lourde à la chair plissée, mon asile, ma certitude, toute ma croyance. Les mains d’Oïstrakh et celles de Menuhin tiennent semblablement la main divine de la vie, la retiennent de passer du rouge au noir puis au glacé. La beauté a puissance de résurrection. Il suffit de voir et d’entendre. C’est par distraction que nous n’entrons pas au paradis de notre vivant, uniquement par distraction.

Des Poèmes de Chloé Landriot

Couverture chez Le Citron Gare

Le recueil poétique « Vingt-sept degrés d’amour » de Chloé Landriot (née en 1980, enseignante de français) était paru en 2017 aux Editions du Citron Gare, dirigées par Patrice Maltaverne.
J’avais entendu parler de ce livre au moment de sa parution mais c’est seulement six ans plus tard, en 2023, que j’ai eu l’idée de l’acheter.
Ce fut une agréable lecture : la poète aborde tour à tour des thèmes universels : l’amitié, le sentiment amoureux, le mariage et la maternité, le vieillissement, la mort, et même l’engagement écologique qui l’anime. Une certaine simplicité et une douce limpidité transparaissent dans ses poèmes. De-ci de-là, un alexandrin, un octosyllabe ou un hexasyllabe peuvent ressurgir inopinément, comme de très lointaines réminiscences de poésie classique, et on sent que le rythme des vers et des strophes est très élaboré, dans une recherche de compromis entre liberté et régularité.
Ces poèmes sont accompagnés de huit dessins de Joëlle Pardanaud et de Chloé Landriot, c’est-à-dire de la poète et de sa mère.

J’ai choisi deux poèmes dans ce recueil

Page 23

Nous portons nos histoires
Engrammées dans la chair
Glissant sur des miroirs factices
Implorant des regards par où nous reconnaître
Et parfois
Dans le brouillard des mots
Ayant risqué nos récits comme au jeu
Nous avons cru à la réponse.

Nous servons des fantômes.

Nous négocions dans notre corps
Avec tout le passé
La place du présent.

Et l’autre,
Que nous cherchons dans ses paroles
Nous ne le trouvons jamais
Car les mots sont la peau seulement
Les mots sont la peau de l’âme –
Je sens ma peau de l’intérieur

Et j’imagine
Ce que tu sens quand je te touche
Voilà ce qu’est parler.

Mais rien ne garantit que nous nous comprenions.

S’il y a quelque part un unisson des cœurs
Il est à notre insu dans le silence seul
Dans le silence où chacun se dépouille
Et dans le vide.

Page 41

Mon amour les mots sont trop légers
Pour dire comme je me sens lestée
Lourde entre tes bras du sable du bonheur
Et j’appelle de mes vœux ce poids toujours plus grand
Qui m’attache à la terre, qui m’attache à la vie
Qui enfonce mes racines aux sources de tes veines.

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« Continuer » de Laurent Mauvignier

Couverture chez Minuit

J’ai lu ce roman pour mon cercle de lecture, Laurent Mauvignier est un écrivain que je ne connaissais pas du tout – même pas de nom, je l’avoue à ma grande honte ! – et que j’étais curieuse de découvrir.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Minuit double
Année de parution : 2016
Nombre de Pages : 235

Quatrième de Couverture

Sibylle, à qui la jeunesse promettait un avenir brillant, a vu sa vie se défaire sous ses yeux. Comment en est-elle arrivée là ? Comment a-t-elle pu laisser passer sa vie sans elle ? Si elle pense avoir tout raté jusqu’à aujourd’hui, elle est décidée à empêcher son fils, Samuel, de sombrer sans rien tenter.
Elle a ce projet fou de partir plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, afin de sauver ce fils qu’elle perd chaque jour davantage, et pour retrouver, peut-être, le fil de sa propre histoire.


Résumé du début de l’histoire

Samuel est un adolescent en crise, révolté, à la limite de la délinquance. Sa mère, Sibylle, qui a divorcé depuis peu de temps, pense pouvoir le sortir de cette mauvaise pente en partant avec lui pendant plusieurs mois dans un tour du Kirghizistan à cheval. L’adolescent n’est pas très enthousiaste mais il laisse sa mère organiser les préparatifs sans s’y opposer. Parallèlement, le père de Samuel et ex-mari de Sibylle regarde cette aventure se décider (puis se dérouler) avec un œil sceptique et assez critique, persuadé que tout cela finira mal et qu’on en arrivera à l’appeler à la rescousse.

Mon Avis

C’est un roman doté d’une grande tension dramatique, grâce à quoi on ne s’ennuie pas. Depuis les premières pages et jusqu’aux toutes dernières, on quitte un drame pour se préparer rapidement à en vivre un nouveau, le suspense est donc toujours maintenu à un état élevé d’intensité. Mais, à un moment on se demande si ce n’est pas un petit peu trop quand même ! Attentats, viol, tentatives d’agression, accidents de la route, embourbement dans un marécage où les héros manquent mourir, fugue, tentative de suicide, préméditation d’un meurtre, héroïne sur le point de mourir de froid mais qui, ayant échappé au froid, se retrouve à dégringoler au fond d’une ravine de huit mètres de haut, et j’en passe ! Laurent Mauvignier a dû penser qu’il devait fournir à ses lecteurs des rebondissements, des frissons, des aventures, du sang, des larmes et des sueurs froides à tire-larigot et c’est vrai que là, on en est presque étourdi. Alors, oui, c’est très bien fait, l’écrivain maîtrise les ficelles de son métier et il sait mener son histoire tambour battant, en utilisant un style haletant, fortement rythmé, qui fait penser à la foulée précipitée et heurtée d’un coureur de fond hors d’haleine. Longues phrases tronçonnées par de nombreuses virgules, coulées verbales qui oppressent la respiration du lecteur avant qu’il soit parvenu jusqu’au bout de sa lancée.
Je n’ai trouvé qu’un seul personnage sympathique, la mère, qui est même attachante et touchante. La révolte du fils est très bien rendue et exprimée avec une grande vérité mais ce n’est pas un personnage attachant car il fait figure de brute épaisse et bornée avec, en plus, des sentiments vaguement incestueux pour sa mère, dans une sorte de complexe d’ Œdipe tardif.
Les considérations politiques qui agrémentent de-ci de-là la psychologie des personnages m’ont paru un peu superflues. On a déjà vu d’innombrables fois, dans des téléfilms ou des polars banals, le stéréotype de l’adolescent révolté, haineux, abruti, machiste et lepéniste, qui boit des bières en maudissant les filles, les gays et les musulmans.
Bref, j’ai modérément aimé ce roman, même si je reconnais qu’il est prenant, que l’héroïne est touchante, que les descriptions des paysages et des chevaux sont très soignées et qu’on a très envie de connaître la fin.
Il faut peut-être lire ce livre de la même façon qu’on regarde un film d’aventures ou un western classique : comme un divertissement éphémère et sans chercher beaucoup plus que ça.

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Un Extrait page 72

Pendant des semaines après ce mois de mars, tous l’avaient fait chier comme pas possible – un juge, un éducateur, un psychologue à l’école – , et tous avaient salué l’initiative de sa mère, la trouvant courageuse et généreuse et autres conneries qui le rendaient fou de rage – oui, souvent, le soir, au moment de s’endormir, il ressentait, brûlante, bouillante, dans sa poitrine, qui l’empêchait presque de respirer, une énorme boule de haine qui grossissait contre elle, la mère courage, la mère généreuse et son grand projet un peu fou pour sauver son fils de la délinquance. Oui, ce que tout le monde regardait d’un œil émerveillé, lui trouvait ça complètement narcissique et délirant. Elle fait ça pour se donner le beau rôle. Elle fait ça pour se trouver formidable et sortir de sa propre merde, se disait-il, et si elle veut corriger des erreurs qu’elle a faites, eh bien, c’est trop tard, lui, il ne pardonnerait pas. Et son père avait bien eu raison d’exiger d’elle qu’elle finance toute seule ce voyage. Son père avait eu raison de dire qu’il était contre, qu’elle n’en était pas capable, qu’il ne suffisait pas de savoir monter à cheval, de savoir dresser une tente, il faut un mental, une force dont Sibylle était bien incapable. (…)