« Bright Star » de Jane Campion

Affiche du film

J’avais vu ce film de Jane Campion à sa sortie en salles, en 2009, et comme j’en gardais un superbe souvenir – mais un peu flou, avec le recul des années – j’ai souhaité le revoir en DVD à l’occasion de ce « Printemps des Artistes » puisqu’il y est largement question de poésie, de littérature, de la vie de poète au 19è siècle.

Note Pratique sur le Film

Genre : Biopic, Romance, Drame
Nationalité : franco-américano-britannico-australien
Langue : Anglais sous-titré
Couleur
Durée : 115 minutes

Quatrième de Couverture du DVD

Au début du 19è siècle, la jeune Fanny Brawne rencontre John Keats. Elle, insolente et frivole, aime briller en société quand lui, poète sans le sou, est tout aux exigences de la création. Naît bientôt entre eux, malgré ces différences, une passion intense et délicate. Un amour que ni Brown, l’ami de Keats, ni même la tuberculose, ne parviendront à entacher.

Note succincte sur le poète

John Keats (Londres, 1795- Rome, 1821) est un poète romantique anglais. Il commence à être publié en 1817. Il appartient à la deuxième génération des poètes romantiques anglais, en même temps que Byron et Shelley. Il est l’auteur de Six Odes, datées de 1819, qui comptent parmi les plus beaux textes de la langue anglaise. Bien que les critiques ne lui aient pas toujours été favorables de son vivant, il commença a être pleinement reconnu dès la fin du 19è siècle. Tuberculeux, il est mort à l’âge de 25 ans.

Mon Avis

Ce film me semble être une ode au romantisme, on perçoit clairement l’admiration de la réalisatrice pour John Keats (Ben Whishaw), en tant que poète et en tant qu’homme, et sa grande empathie pour la jeune Fanny Brawne (Abbie Cornish). Leur couple, leur amour nous sont montrés dans toute leur pureté, leur profondeur et leur intensité, sans le moindre bémol ou la plus petite ombre au tableau. La pureté de leurs sentiments nous est dépeinte par leur désintéressement et le soin qu’ils ont l’un de l’autre : ainsi, lorsque John Keats s’aperçoit qu’il est trop pauvre pour épouser Fanny, il est prêt à renoncer à elle pour qu’elle puisse éventuellement faire un mariage plus brillant (sens du sacrifice) mais Fanny repousse cette perspective, qui n’a rien de brillant à ses yeux, car elle refuse de renoncer à lui, et ça lui est égal qu’il soit pauvre.
Pourtant, au début du film, Fanny nous apparaît comme une jeune fille assez arrogante et surtout superficielle. Elle ne se préoccupe que de son apparence vestimentaire et passe tout son temps à coudre pour se confectionner des tenues extravagantes qui lui permettent de briller dans les soirées dansantes. Coquète, vaniteuse, elle porte sur son voisin poète, Monsieur Brown, un regard pas très aimable, et pas davantage sur l’ami qu’il héberge, également homme de Lettres, Monsieur John Keats, auquel elle fait remarquer sèchement que la poésie ne lui permet pas de gagner sa vie.
Et puis, peu à peu, la jeune fille se laisse gagner par le romantisme de son jeune voisin. Par simple curiosité, elle se procure son recueil poétique « Endymion » et, même si elle n’est pas tout à fait charmée, elle en trouve le début parfait, et un certain intérêt se dessine chez elle, autant pour le poète que pour ses écrits. Bientôt, elle lui demande de lui donner des cours de poésie, ce qui surprend tout leur entourage et attire sur elle les sarcasmes de Monsieur Brown, le prétendu « ami » de John Keats, qui s’avère être un personnage peu reluisant, et de plus en plus odieux au fil du temps.
Les images du film sont magnifiques – les différentes nuances de la nature au gré des saisons sont bien mises en valeur, particulièrement celles des arbres. Les couleurs les plus vives et les plus claires illuminent les moments de bonheur, et les teintes assourdies et sombres renforcent les instants dramatiques. La symétrie (ou l’asymétrie) dans la composition des images m’a aussi parfois frappée. La musique n’est pas utilisée avec outrance, ce qui permet d’apprécier les moments de sa présence, et elle est utilisée avec beaucoup de finesse, sans accès de sentimentalisme qui aurait été de mauvais goût.
Un grand film, très émouvant, dans lequel on entend de nombreux extraits des poèmes de Keats, et qui nous donne une image de la poésie sans doute ancienne – beaucoup de poètes actuels prétendent qu’elle est obsolète : celle, lyrique et chantante, du poète maudit, du jeune romantique solitaire et incompris, au fond de sa misérable chambrette. Une image qui, pourtant, pourrait paraitre plus séduisante que la figure très contemporaine du poète-notable, bien assis et un peu rassis, directeur de vénérables institutions, voguant de résidences d’auteurs en conférences universitaires puis en cocktails mondains… mais c’est un autre sujet.

Une Scène du film

Une Femme en Contre-Jour de Gaëlle Josse

Couverture chez « J’ai lu »

Une grande exposition avait eu lieu à Paris (Musée du Luxembourg) vers la fin 2021 et début 2022 sur la photographe américaine Vivian Maier (New York 1926-Chicago 2009), ce qui m’avait donné une certaine curiosité vis-à-vis d’elle. La lecture de ce roman biographique a donc, en bonne partie, répondu aux questions que je pouvais me poser sur cette artiste énigmatique.

Note pratique sur le livre

Genre : Récit biographique
Editeur : J’ai lu (à l’origine : Noir sur Blanc)
Année de Parution : 2019
Nombre de Pages : 158

Quatrième de Couverture

« Raconter Vivian Maier, c’est raconter la vie d’une invisible, d’une effacée. Une photographe de génie qui n’a pas vu la plupart de ses propres photos. »

Disparue dans la solitude et l’anonymat, Vivian Maier, Américaine d’origine française, a arpenté inlassablement les rues de New York et de Chicago pour photographier, avec une profonde sensibilité, les plus démunis, les marginaux, ceux qui, comme elle, ont été oubliés par le rêve américain.

Dix ans après sa mort, Gaëlle Josse nous livre le roman d’une vie, un portrait d’une rare empathie, d’une rare acuité sur ce destin troublant, hors norme, dont la gloire est désormais aussi éclatante que sa vie fut obscure.

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Photo de rue de Vivian Maier

Mon avis

Gaëlle Josse tente ici de reconstituer avec objectivité le parcours de vie de la photographe Vivian Maier, en remontant assez loin dans ses origines puisque elle s’intéresse aussi aux deux générations précédentes, celle des grands parents et celle des parents. Une ascendance française du côté maternel, à laquelle Vivian semble rester attachée durant plusieurs décennies car elle fait plusieurs fois le voyage et reste en contact avec la partie française de sa famille. Une enfance et une adolescence qui m’ont paru très difficiles et socialement agitées : un père violent, une mère mythomane, un frère délinquant. Une amie de sa grand-mère était une photographe de renom et c’est probablement grâce à elle que Vivian apprend dès son jeune âge les techniques de cet art.
Gaëlle Josse nous dépeint Vivian Maier comme une femme très indépendante et qui ne cherchait pas à faire reconnaître son talent, bien qu’elle ait eu conscience de la grande qualité de son travail. L’écrivaine parle à son propos d’effacement et elle explique ce refus de montrer ses photos par un sentiment de dignité. Elle aurait eu trop d’amour propre pour soumettre ses œuvres au jugement de spécialistes plus ou moins bienveillants et qui lui auraient fait sentir qu’elle n’était qu’une petite bonne d’enfants insignifiante.
Un destin que j’ai trouvé triste et qui nous rappelle le très grand écart qui peut exister entre le talent artistique et la réussite sociale. Mais ce livre nous montre aussi que l’on peut pratiquer un art uniquement pour soi même, avec la plus grande exigence, et sans chercher forcément une récompense ou une justification à travers le regard d’autrui. Une voie difficile et solitaire, choisie par Vivian Maier, et qui suscite au minimum le respect, pour ne pas dire l’admiration.
Dans la dernière partie du livre Gaëlle Josse nous explique quelle a été sa démarche en écrivant sur Vivian Maier, les écueils qu’elle voulait éviter et les raisons de l’intérêt qu’elle porte à cette photographe et j’ai particulièrement apprécié ce chapitre où la subjectivité de l’écrivaine entre pleinement en ligne de compte.
Un beau livre, à l’écriture agréable et à la sensibilité assez fine !

Un Extrait Page 114

À partir de cette époque, Vivian apparaît avec plus de netteté, telle une mise au point qui se précise. Les témoignages font place aux traces biographiques, généalogiques, et aux hypothèses. Au fil des années, elle nous offre son visage, sa silhouette, son regard, dans d’innombrables et énigmatiques autoportraits, d’une époustouflante maîtrise graphique, sans complaisance aucune vis-à-vis d’elle-même, dans des cadrages et des mises en situation particulièrement élaborés.
Elle y paraît bien davantage comme sujet d’étude, comme matériau disponible que centrée dans une démarche narcissique. Nul beau miroir où se voir la plus belle. Un mystère, ces portraits, qui à eux seuls constituent une œuvre, témoins d’une présence au monde, traces, signes de passage.

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J’ai lu ce livre dans le cadre de mon Printemps des Artistes d’avril 2023, avec le thème de la photographie.

Logo du Défi, créé par Goran

Trois Poèmes d’Albane Gellé

Ayant déjà lu et apprécié un ou deux recueils d’Albane Gellé, j’ai acheté cette anthologie personnelle de 2022, intitulée « Equilibriste de passage » et qui reprend des poèmes publiés dans dix-sept recueils, parus entre 1993 et aujourd’hui, mais également des inédits.
Pour reprendre la présentation du Castor Astral au sujet de ce livre :
Au fil des poèmes, Albane Gellé évoque des souvenirs, le deuil, l’amour, des bribes de conversation et des fragments de vie. Elle construit un univers fragile et aérien où la nature et l’eau occupent une place centrale.

Note sur la poète

Albane Gellé est née en 1971 à Guérande. Elle a publié une trentaine de livres dont Nos abris (Esperluète), Eau (Cheyne) et Cher animal (La Rumeur libre). Elle a reçu le prix des Découvreurs. Près de Saumur, elle a créé une structure poético-équestre.

Page 21
(Extrait du recueil « Hors du bocal« , éditions du Chat qui tousse, 1997)

Ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Ne pas arriver en retard. Ne pas tomber dans l’excès. Ne pas grimper aux arbres. Ne pas prendre les auto-stoppeurs. Ne pas marcher sur les pelouses. Ne pas laisser les enfants faire n’importe quoi. Ne pas déranger.

Être capable d’assumer les conséquences de ses actes. Savoir gérer son budget. Consommer avec modération. Prévoir ses vacances. Parler avec discernement. Canaliser ses émotions. Se méfier des inconnus. Respecter les idées de chacun. Fermer les portes à clé. Faire un peu de sport. Être bon joueur. Attendre son tour. Mettre de l’eau dans son vin. Offrir ses condoléances. Avoir de la repartie. Frapper avant d’entrer. Réfléchir avant d’agir. Partager la douleur. Tenir compte des circonstances. Faire acte de présence. Respecter les priorités. Donner son avis. Être objectif. Faire bonne figure. Applaudir Bien fort.
ET PUIS QUOI ENCORE.

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Page 116
(Extrait du recueil « Bougé(e)« , éditions du Seuil, 2009)

Dans la tête en désordre des rectangles qui bougent il y en a un c’est une photo de mon père mort en noir et blanc un autre pour toute la brume restée dans le cercueil un autre encore pour mes paroles prononcées à la nuit et mes terreurs devant personne demain après les arbres il restera comme une valise immense debout remplie de mes rectangles.

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Page 225
(Extrait de « Va grande roue« , inédit)

À Valérie Rouzeau et Cécile À. Holdban
À Pascal Dessaint et Isabelle Hochart

les oiseaux bien sûr savent.
habitent les saisons, soulèvent leurs grandes peurs.
les oiseaux sont passerelles, entre visible
et invisible, n’ignorent pas la matière,
éprouvent les vibrations.
les oiseaux touchent les arbres et
les oiseaux touchent les vents,
résistants, presque transparents.
les oiseaux disparaissent,
petits savants sans prétention,
envers et contre les forces sombres,
agiles atomes de lumière,
supportant sans se plaindre la grande pesanteur.
les oiseaux savent que vivre est malgré tout possible
avec le chant.

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L’Horizon de Patrick Modiano

Couverture chez Folio

Vous aurez peut-être remarqué que j’aime bien Modiano, ayant déjà chroniqué cinq ou six de ses romans, et c’est toujours un plaisir particulier de retrouver l’atmosphère de ses livres, d’explorer avec lui divers quartiers de Paris, de partir sur les traces en partie effacées d’un personnage, d’un souvenir, d’une affaire plus ou moins louche. Et on retrouve en effet tous ces éléments dans « L’horizon », qui nous promène, entre autres, du Parc Montsouris aux Jardins de l’Observatoire puis du quartier de Bercy à l’Allemagne et qui propose quelques va-et-vient des années 60 à notre époque contemporaine.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Folio (initialement, Gallimard)
Année de publication : 2010
Nombre de Pages : 167

Résumé succinct de l’histoire

Le héros, Jean Bosmans, est un libraire parisien et il s’essaye à l’écriture. Sa librairie dépend des Editions du Sablier, spécialisée dans les sciences occultes et l’ésotérisme. Il a une relation avec une jeune secrétaire et occasionnellement gouvernante, Margaret Le Coz, qui travaille dans un bureau avec une bande de collègues inquiétants. Nos deux héros sont pourchassés depuis plusieurs années par des importuns malveillants : Margaret par un homme dénommé Boyaval et Jean Bosmans par sa mère, une femme agressive aux cheveux rouges, accompagnée par un homme qui a l’air d’un prêtre défroqué. Le jeune couple croise parfois par hasard ces ennemis potentiels ou réels, mais il arrive toujours à leur échapper et il déménage dans un autre quartier.

Mon Avis

Le livre instaure un climat d’étrangeté et surtout de menace, qui pourrait évoquer très vaguement une ambiance de roman policier, sauf qu’aucun crime ne se produit. Le jeune couple de héros ne cesse de fuir des personnages prétendument menaçants, voire dangereux, mais on se demande jusqu’à quel point ces dangers existent et si notre jeune couple ne fait pas une montagne de choses pas très graves, comme s’ils étaient tous deux un peu obsessionnels ou parano. Le fait que Jean Bosmans ait tellement peur de sa mère aux cheveux rouges et d’un prêtre défroqué, qui veulent le faire chanter et lui demandent de l’argent, a aussi quelque chose de névrotique ou, en tout cas, de bizarre, qui aurait intéressé Freud, même si l’auteur ne souligne à aucun moment ces incongruités et qu’il raconte tout cela très naturellement.
J’ai été intrigué par le nom du héros, Jean Bosmans, qui est aussi le nom du héros de « Chevreuse« , un autre roman de Modiano, postérieur à celui-ci puisqu’il date de 2021, mais dont aucun autre personnage ou évocation géographique ne correspond à ceux de « L’horizon« , comme si ce Jean Bosmans avait une mémoire pleine de compartiments qui ne communiquent pas entre eux.
J’ai aimé la manière elliptique dont sont décrits les personnages, à partir de deux ou trois mots Modiano brosse un portrait complet ou il dessine une silhouette reconnaissable. Il laisse aussi travailler l’imagination du lecteur et compléter les lacunes de l’intrigue, car beaucoup de choses sont passées sous silence ou seulement effleurées laconiquement. Ainsi, il n’est dit à aucun moment du livre que Jean Bosmans et Margaret Le Coz sont en couple, amoureux l’un de l’autre, et leurs relations sont vraiment décrites avec une froide parcimonie, mais on comprend tout de même très bien la profondeur de leurs sentiments, et encore davantage dans les dernières pages, qui sont très belles.

Un Extrait Page 51

Lointain Auteuil… Il regardait le petit plan de Paris, sur les deux dernières pages du carnet de moleskine. Il avait toujours imaginé qu’il pourrait retrouver au fond de certains quartiers les personnes qu’il avait rencontrées dans sa jeunesse, avec leur âge et leur allure d’autrefois. Ils y menaient une vie parallèle, à l’abri du temps… Dans les plis secrets de ces quartiers-là, Margaret et les autres vivaient encore tels qu’ils étaient à l’époque. Pour les atteindre, il fallait connaître des passages cachés à travers les immeubles, des rues qui semblaient à première vue des impasses et qui n’étaient pas mentionnées sur le plan. En rêve, il savait comment y accéder à partir de telle station de métro précise. Mais, au réveil, il n’éprouvait pas le besoin de vérifier dans le Paris réel. Ou, plutôt, il n’osait pas.

Haïkus des Cinq saisons d’Alain Kervern

Couverture chez Géorama (éditeur)

Ce livre m’a été offert par ma mère et c’est effectivement un très joli objet, avec de belles illustrations, de belles mises en page et typographies, un papier de qualité. Et ce qui est encore mieux à mes yeux : le texte est vraiment éclairant, érudit dans le bon sens du terme, agréablement ciselé. Les choix de poèmes m’ont beaucoup plu, et le tout forme un ensemble très réussi, qu’on peut lire et relire avec un plaisir renouvelé.

Extrait de la Quatrième de couverture

Qu’est-ce qu’un haïku ? C’est, en quelques mots, la saisie poétique instantanée d’un événement personnel, si modeste soit-il. Le haïku nous apprend souvent à ressentir ce qui est devenu invisible aux yeux de tous.
La tradition littéraire japonaise a codifié ce mode d’expression selon des règles simples qu’Alain Kervern nous dévoile dans ce très beau recueil de présentation, agrémenté d’exemples de haïkus anciens et contemporains. La structure de ce livre s’inspire de celle de l’almanach poétique du Japon (saïjiki) qui répertorie l’ensemble des mots de saison caractérisant les émotions saisonnières vécues au long d’une année. (…)

Mon avis en bref

Le choix de présenter les différents « mots de saison » nous permet de nous imprégner des us et coutumes japonais. Par exemple, le choix du mot « lanterne » pour l’automne nous renvoie à Le Fête des morts du 20 septembre, aux ornementations des temples et jardins ou encore aux quartiers de plaisir (aujourd’hui disparus) des villes animées. Tout cela nous est expliqué dans le texte et nous permet de mieux comprendre et saisir le contexte des haïkus qui suivent. D’autres mots tout aussi emblématiques de la culture japonaise, comme chrysanthème, sourire de la montagne, premier rêve de l’an, etc. sont ainsi mis en valeur à travers ces pages.
J’ai appris aussi, grâce à ce livre, l’existence d’une « cinquième saison » qui est en réalité le jour de l’an, c’est-à-dire à peu près la période de nos Fêtes de fin d’année, où fleurit tout un vocabulaire particulier lié à des activités rituelles.
Un livre que je conseille sans réserve, pour son intérêt culturel autant que littéraire.

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mot de saison : « Lune de printemps »

Lune gorgée de printemps
que je la touche
et de l’eau en coule

Kobayashi Issa (1763 – 1827)

*

Lune de printemps
d’un jaune peu ordinaire
serait-elle malade ?

Matsumoto Takashi (1906-1956)

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mot de saison : Herbes d’été

Une fois fauchées
les herbes d’été
mille parfums se libèrent

Hosomi Ayako (1907-1997)

*

Dans les herbes d’été
une chèvre
comme tissée de coton

Ueno Yasushi (1918-1973)

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mot de saison d’automne : Lanterne

Un premier amour
sous la même lampe
visage contre visage

Taïgi (1709-1771)

*

Plus que la magnificence
des lanternes
cette lumière qui serre le coeur

Masaoka Shiki (1867-1902)

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mot de saison : glaçons en suspens (tsurara)

Pas de frise de glaçons
au bord du toit
mais de nouveau le couchant.

Rankô (1726-1798)

*

Il n’a aucune intention meurtrière
le lourd rideau de glace
sous lequel je passe

Kodama Niro

*

Lointaine maison
perles de glace en feston
dans des chutes de lumière

Takahama Toshio (1900-1980)

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mot de saison : premier rêve de l’an (hatsuyume)

Premier rêve de l’an
en larmes j’y ai vu
mon pays natal

Kobayashi Issa (1763-1827)

*

Premier rêve de l’an
je le garde pour moi
et j’en souris tout seul

Itô Shôu (1859-1943)

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Jardin de Printemps de Tomoka Shibasaki

Couverture chez Picquier Poche

Dans le cadre de mon Mois Thématique Japonais de février 2023, j’ai lu ce court roman d’une jeune écrivaine contemporaine, dont le titre et les deux faces de la couverture m’ont attirée dès que je les ai aperçus en librairie.

Note pratique sur le livre

Editeur français : Picquier poche
Première date de publication : 2014 au Japon, 2016 en France
Traduit du japonais par Patrick Honnoré
Nombre de pages : 154

Note sur Tomoka Shibasaki

Née en 1973 à Osaka, elle fait ses débuts littéraires en l’an 2000, après des études universitaires à Osaka. Ses romans ont été à deux reprises adaptés au cinéma, par les cinéastes japonais Isao Yukisada en 2003 et Ryusuke Hamaguchi en 2018. Elle a reçu le Prix Noma en 2010 pour l’un de ses romans. « Jardin de Printemps » est la seule de ses œuvres traduites en français, jusqu’à présent. (Sources : éditeur et Wikipédia)

Quatrième de Couverture

Jardin de printemps, c’est d’abord un livre de photographies, celles d’une maison bleue avec son jardin au cœur de Tokyo, instantanés de la vie d’un couple heureux il y a une vingtaine d’années.
Les saisons passent, les locataires aussi. Ils se rencontrent, se croisent. D’un balcon ou sur un chemin, ils sont comme aimantés par cette maison endormie.
Dans ce roman amical et rêveur, tout est en léger décalage, au bord de chavirer, seuls les lieux semblent à même de révéler ce qui flotte à la surface de notre cœur.
L’immeuble où habite Tarô, promis à la démolition et qui se vide peu à peu, la vieille demeure de style occidental, paradis perdu qui un jour reprend vie, réactive la possibilité du bonheur.
Qui n’a jamais rêvé de pénétrer dans une belle maison abandonnée pour en percer le secret ?

Mon avis

Une de mes amies, spécialiste en littérature japonaise, m’a dit un jour qu’elle reprochait à certains romans de ce pays d’être trop évanescents. Et cette phrase m’est revenue à l’esprit en lisant ce « Jardin de printemps », qui correspond effectivement à cette description. C’est-à-dire que les personnages sont un peu difficiles à cerner, comme des apparitions dont les caractères sont juste esquissés. L’intrigue est également « évanescente », le déroulement des événements n’obéit pas à une logique très stricte et il a un aspect légèrement décousu, comme si l’écrivaine avançait au hasard, au gré de l’inspiration et sans plan précis.
Cela a un certain charme et ce n’est pas déplaisant. Il y a même des passages très poétiques, vraiment agréables à lire.
Malgré tout, j’ai eu un peu de mal à m’immerger dans cette histoire ou à me sentir concernée. Ca me semblait trop loin de moi, je suis restée en dehors. Peut-être à cause de cette évanescence dont je parlais, de ce manque d’aspérité ou de consistance, mon attention glissait parfois sur certaines pages sans trouver quelque chose à quoi me raccrocher.
Il est possible aussi qu’un excès de considérations immobilières et décoratives (descriptions architecturales, urbaines, et matérielles en général) m’aient un petit peu lassée et que j’aurais préféré une plus grande place accordée aux personnages et une plus petite pour les bâtiments. Mais j’ai bien compris que c’était là le parti pris de l’écrivaine, dans une recherche esthétique insolite et innovante.
Une lecture qui ne m’a pas déplu, mais qui ne m’a pas non plus emballée.

Un Extrait page 71

Vers la mi-juin, le temps devint pluvieux, même s’il ne pleuvait pas énormément. Le ciel restait très bas, sans discontinuer.
Les jours de pluie ou de temps gris sans un seul coin de ciel bleu, Tarô ne s’imagine pas marcher au-dessus des nuages. Imaginer qu’au-dessus des nuages il y a du ciel n’est pas dans ses capacités. Au-delà des nuages, ce n’est pas le bleu du ciel, ni même le noir sidéral, juste un espace transparent qui s’étend sans rien.
La première fois qu’il a voyagé en avion, il pleuvait, après le décollage l’avion a traversé une sorte de blanc qui ressemblait à de la neige carbonique puis est sorti des nuages. Le bleu du ciel l’a extrêmement surpris. Il s’est demandé s’il n’avait pas été transporté dans un autre monde que celui dans lequel il croyait exister et cela lui a fait peur. Mais il a regardé en bas à travers le hublot à double vitrage, et la surface, la luminosité intense, la grandeur et l’impression à couper le souffle des nuages étaient bien celles qu’il avait tant de fois imaginées. Comment se faisait-il que cette chose qu’il n’avait jamais vue lui soit connue avec une telle précision ? s’inquiéta-t-il. Il chercha longtemps quelqu’un qui marchait sur les nuages. Il ne vit personne. Entre les deux vitres du hublot, il y avait des cristaux de givre comme de la neige. (…)

Comment apprendre à s’aimer de Yukiko Motoya

Couverture du roman

J’avais déjà lu un roman de cette écrivaine japonaise, intitulé « Mariage contre nature », et comme je l’avais beaucoup aimé, j’ai eu envie de découvrir un autre de ses livres.
Celui-ci « Comment apprendre à s’aimer », qui date de 2016, me faisait un peu peur, avec son titre digne d’un mauvais magazine de mode, mais j’ai néanmoins décidé de passer outre et de tenter l’expérience.

Présentation de l’autrice :

Yukiko Motoya (née en 1979) est une dramaturge et romancière japonaise. Depuis les années 2010, elle a remporté de nombreuses distinctions littéraires dans son pays, comme le célèbre et très prestigieux Prix Akutagawa en 2016 pour « Mariage contre nature » et, en 2014, le Prix Mishima pour « Comment apprendre à s’aimer« .

Quatrième de Couverture :

Il existe sans doute quelqu’un de mieux, c’est juste que nous ne l’avons pas encore rencontré. La personne avec laquelle nous partagerons réellement l’envie d’être ensemble, du fond du cœur, existe forcément. Je crois que nous devons continuer à chercher, sans nous décourager.
Au fil de ses apprentissages, de ses déceptions et de ses joies, Linde – femme imparfaite, on voudrait dire normale – découvre le fossé qui nous sépare irrémédiablement d’autrui et se heurte aux illusions d’un bonheur idéal.
Elle a 16 ans, puis 28, 34, 47, 3 et enfin 63 ans ; autant de moments qui invitent le lecteur à repenser l’ordinaire, et le guident sur le chemin d’une vie plus légère, à travers les formes et les gestes du bonheur : faire griller du lard, respirer l’odeur du thé fumé ou porter un gilet à grosses mailles. Car le bonheur peut s’apprendre et « pour quelqu’un qui avait raté sa vie, il lui semblait qu’elle ne s’en sortait pas trop mal. »

Mon humble Avis :

J’ai trouvé que l’idée directrice du livre, à savoir de nous montrer une femme à différents âges de sa vie, était une très bonne idée, mais il m’a semblé que l’autrice aurait pu en tirer un meilleur parti et je n’ai pas toujours été convaincue par les péripéties où s’engageait l’héroïne. J’ai par exemple bien aimé le premier chapitre, sur l’adolescence et la confiance en soi mal assurée, tout comme j’ai apprécié les deux chapitres suivants sur la description des problèmes de couple et la manière dont des petites broutilles de la vie quotidienne peuvent dégénérer en graves disputes, avec les caractères de chacun qui sont brutalement révélés.
Mais les chapitres des 47 et 63 ans ne m’ont pas vraiment plu, car on sent que l’autrice n’a pas encore atteint ces âges respectables et qu’elle projette sur ces âges mûrs des espérances et des fantasmes de jeune femme. Ainsi, elle prête à cette dame sexagénaire des rêveries romantiques au sujet d’un livreur qu’elle n’a jamais vu et auquel elle n’arrête pas de téléphoner avec émotion, ce qui est à la limite du comique et de l’incroyable.
Je n’ai pas vu non plus ce que rajoutait à cette histoire le chapitre des 3 ans, ni ce que l’autrice souhaitait nous prouver par cette scène. Peut-être y a-t-il là un traumatisme (léger) qui explique le caractère ultérieur de l’héroïne, mais ce n’est pas très clair dans mon esprit (ni dans le roman).
Un autre défaut qui m’a dérangée dans ce livre, c’est la trop grande place accordée à la vie matérielle : ainsi, des considérations sur un fer à repasser, d’autres sur un cocktail trop sucré et sur les pailles utilisées pour le boire, d’autres sur le jeu de bowling, ou encore sur une guirlande lumineuse de Noël de quinze mètres de long, etc. Cela donne lieu à pas mal de longues digressions et à des conversations futiles et prosaïques entre les personnages, qui m’ont ennuyée et agacée.
Au final, je garderai de ce roman un souvenir très mitigé et je conseillerai de lire plutôt « Mariage contre nature » de la même autrice, qui est bien meilleur !

Un Extrait page 48 :

Linde se releva, comme si elle arrachait de la moquette son genou posé à terre. « Dans ce cas, pourquoi, à ce moment-là, ne t’es-tu pas proposé plus tôt ? Alors que tu parles l’anglais et pas moi, comme tu le sais parfaitement ! »
Il la regarda d’un air éberlué. Puis il fronça les sourcils avec un regard blessé. Cela signifiait qu’elle parlait trop fort, qu’elle était trop émotive. C’était toujours ainsi, muettement, qu’il l’amenait à comprendre d’elle-même ce qu’il pensait. Soudain, un ras-le-bol total faillit la gagner.
« C’était un test, hein, tu voulais voir si j’allais téléphoner moi-même à la réception. Tu voulais savoir si je me servais de toi comme d’un homme à tout faire. C’est dingue. Pourquoi prends-tu toujours tout mal ? A l’étranger, se reposer sur son compagnon, c’est pourtant parfaitement normal ! »
Il lui coupa calmement la parole. « On y croirait presque, mais c’est vraiment n’importe quoi.
– Pourquoi ? Qu’est-ce qui cloche chez moi ?
Linde, pour tenter à tout prix d’empêcher sa voix de monter dans les aigus, prit plusieurs inspirations profondes.
« Tout ce que je vois, c’est que tu brailles sur quelqu’un qui a été gentil avec toi, pour lui reprocher de ne pas avoir fait preuve d’encore plus de gentillesse » ,dit-il. (…)

Un Poème Japonais contemporain sur le Voyage

J’ai trouvé ce poème dans l’anthologie « 101 Poèmes du Japon d’aujourd’hui » publiée aux éditions Philippe Picquier en 2014 dans sa traduction française par Yves-Marie Allioux et Dominique Palmé, et originellement publié au Japon en 1998.
J’ai trouvé ce poème intéressant et beau, par les liens qu’il tisse entre voyage, écriture, blessure, mère et pays d’origine, et aussi la référence à Paul Celan.
Comme il m’a touchée et que je ne connaissais pas du tout ce poète japonais, j’ai eu envie de le diffuser ici.

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Iijima Kôichi (1930-2013)
Poète, romancier et traducteur japonais, il fut enseignant à l’Université de Tokyo. Il était membre de la Japan Art Academy. D’abord proche du surréalisme, il a traduit ou écrit à propos d’écrivains ou d’artistes comme Henri Barbusse, Antonin Artaud, Joan Miro, Brassaï, Henry Miller, Apollinaire, Marcel Aymé, etc.
(Source : Wikipédia et éditeur)

Langue Maternelle

Pendant mes six mois de séjour à l’étranger
Pas une seule fois je n’ai eu envie
D’écrire des poèmes
Ayant tout oublié de moi-même
Je marchais et marchais encore
Quand on me demandait pourquoi je n’écrivais pas de poème
Je n’étais jamais capable de répondre.

Après mon retour au Japon
Bientôt
L’envie d’écrire des poèmes m’est revenue
A présent enfin
Je comprends ces six mois
Pendant lesquels j’ai pu marcher sans écrire de poèmes.
Car me voici de retour
Dans la langue du pays de ma mère.

« Langue maternelle », où sont unis
La mère, le pays et la langue
De ma mère, de mon pays et de ma langue
Je suis coupé, n’ai-je cessé de me redire pendant les six mois
Où j’ai marché au sein de la réalité
Sans me blesser.
Sans presque ressentir le besoin
D’écrire des poèmes.

En avril Paul Celan
S’est suicidé en se jetant dans la Seine,
Et cet acte du poète d’origine juive,
J’ai l’impression de le comprendre.
La poésie, c’est quelque chose de triste
La poésie, cela sert, dit-on, à corriger la langue de la nation
Mais pas pour moi
Moi, avec ma langue maternelle, je me blesse chaque jour
Moi je suis obligé de repartir
Chaque soir vers une autre langue maternelle
C’est ce qui me pousse à écrire des poèmes – ce qui me pousse à exister davantage.

(1974)

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J’ai publié cet article pour mon Mois Thématique sur le voyage de janvier 2023.

Soif d’Amélie Nothomb

Couverture au Livre de poche

J’avais lu quelques romans d’Amélie Nothomb dans les années 90-2000 et je gardais un bon souvenir de « Stupeur et tremblements » et, dans une moindre mesure, d' »Antéchrista » ou de « Péplum« .
Comme j’ai récemment entendu parler de « Soif » (publié en 2017), je me suis demandé ce qu’Amélie Nothomb pouvait bien avoir à dire sur Jésus-Christ (tellement les deux personnages me paraissaient éloignés l’un de l’autre, dans un jugement a priori que je ne cherche pas à justifier) et ça a titillé ma curiosité… au point de l’acheter.

Le résumé du propos

L’histoire, tout le monde la connaît, c’est celle de la condamnation de Jésus, sa crucifixion, racontée par le Christ lui-même à la première personne du singulier, avec ses souvenirs et ses confidences sur ses émotions, ses sensations, ses réflexions.
Amélie Nothomb imagine que la crucifixion se déroule le lendemain du procès mené par Ponce Pilate, contrairement aux versions bibliques qui situent les deux événements le même jour. Et cette invention permet d’introduire une longue méditation de Jésus le long d’une nuit de solitude et d’angoisse (ce qui n’est pas une mauvaise idée romanesque). Le lendemain a lieu le supplice.

Mon avis très subjectif

C’est un livre bien écrit, mais on voit rapidement que l’écrivaine n’a pas beaucoup le sens du sacré ou de la spiritualité, ce qui est regrettable quand on prétend écrire sur le Christ. C’est donc un livre qui s’adresse visiblement à l’occidental typique du 21ème siècle, l’hédoniste matérialiste de base, préoccupé de son petit confort moral et surtout physique : ici le Christ est douillet, il regrette de ne pas avoir plutôt terminé sa vie tranquillement et bourgeoisement, en couple avec Marie Madeleine – dont il est amoureux et avec qui il a une liaison – et sa vision de Dieu et de la foi se résume à la sensation corporelle de la soif, sans rien au-delà.
Si vous êtes chrétien, ce roman vous affligera et vous ennuiera : vous aurez plutôt envie de relire les évangiles et vous vous demanderez ce que cherchait Amélie Nothomb avec ces quelques blasphèmes palots et convenus (déjà vus, entre autres, chez Martin Scorsese trente ans plus tôt) qui n’ont même pas réussi à susciter un estimable petit scandale chez les cathos traditionnalistes.
Et si vous êtes l’hédoniste matérialiste typique (celui dont je parlais plus haut) ça vous donnera l’impression que Jésus, en faisant un petit effort d’imagination, aurait pu vous prendre, vous, pour modèle et se convertir à votre délicieux mode de vie… mais vous aurez quelques doutes sur cette possibilité si vous y songez trois minutes en toute honnêteté.
Bref, un roman bas-de-plafond et insignifiant, pour les croyants comme pour les autres.

Un Extrait page 16

En trente-trois ans de vie, j’ai pu le constater : la plus grande réussite de mon père, c’est l’incarnation. Qu’une puissance désincarnée ait eu l’idée d’inventer le corps demeure un gigantesque coup de génie. Comment le créateur n’aurait-il pas été dépassé par cette création dont il ne comprenait pas l’impact ?
J’ai envie de dire que c’est pour cela qu’il m’a engendré, mais ce n’est pas vrai.
C’eût été un bon motif.
Les humains se plaignent, à raison, des imperfections du corps. L’explication coule de source : que vaudrait la maison dessinée par un architecte sans domicile ? On n’excelle que dans ce dont on a la pratique quotidienne. Mon père n’a jamais eu de corps. Pour un ignorant, je trouve qu’il s’en est fabuleusement bien tiré. (…)

Disparaître d’Étienne Ruhaud

Couverture chez Unicité

J’ai lu ce roman car il m’a été conseillé par mon ami l’écrivain et poète Denis Hamel. Je n’avais encore jamais lu cet auteur et j’ai été contente de le découvrir.

Note Pratique sur le livre

Éditeur : Unicité.
Date de parution : 2013
Préface de Dominique Noguez
Nombre de pages : 112

Présentation de l’auteur

Né en 1980, résidant à Paris, Étienne Ruhaud a suivi des études de Lettres, et publié un recueil poétique (Petites fables, Rafael de Surtis, 2009), ainsi qu’un essai (La poésie contemporaine en bibliothèque, L’Harmattan, 2012). Il collabore régulièrement à plusieurs revues, et anime un blog. Disparaître est son premier roman. (Source : Site de l’éditeur)

Présentation du début de l’histoire

Un jeune homme de 28 ans perd son emploi à la Poste, où il avait un contrat précaire. Originaire de Brive, où vivent encore ses parents, il envisage maintenant d’y retourner puisqu’il est au chômage. En effet, son appartement est un logement de fonction qui appartient à la Poste et qu’il va donc devoir quitter en même temps que son emploi. Mais il hésite à appeler ses parents à son secours car ce nouvel échec professionnel et social risque de les décevoir et le jeune homme a honte de cette situation. Il reste enfermé chez lui sans oser sortir car il a peur d’être mis à la porte par le concierge qui le surveille. En attendant cette expulsion tant redoutée, il boit de grandes quantités d’alcool et fume de la drogue, tout en se remémorant sa vie. Pendant longtemps il a rêvé de devenir écrivain mais ça n’a pas marché. (…)

Mon petit avis

C’est un livre assez sombre, que l’on pourrait qualifier de drame social ou même de tragédie car la chute du héros semble inéluctable du début à la fin et, même quand des lueurs d’espoirs ont l’air d’apparaître par instants pour ce jeune chômeur, il leur tourne le dos et s’enfonce toujours davantage dans son marasme, par un effet de sa profonde dépression qui l’empêche de saisir sa chance ou de se raccrocher à quelque chose. Aussi, dans les premières pages du livre, nous assistons à son entretien avec une conseillère de Pôle emploi et nous pouvons ressentir son pessimisme et son incrédulité quant à un possible avenir. Il dit lui même qu’il se force à jouer la comédie devant cette conseillère pour avoir l’air positif et plein d’initiative. Et c’est sans doute une façon de nous montrer la perversité d’un système qui fait tout pour nous désespérer et qui nous demande en plus d’en avoir l’air content et enthousiaste – sous peine de finir sur le trottoir.
Derrière cette critique sociale très dure, l’auteur nous montre l’extrême fragilité de nos situations de vie : en très peu de temps on peut se retrouver à la rue et tout perdre, disparaître corps et biens.
J’ai beaucoup aimé les descriptions urbaines qui se succèdent tout au long du roman et qui nous présentent des paysages de banlieues d’une manière très puissante et évocatrice : Croissy, Nanterre, Montreuil, La Défense ou encore Maisons-Alfort nous sont ainsi présentés avec leurs mornes et glauques particularités – leur peu séduisante véracité. Mais on sent que l’auteur connaît parfaitement ces banlieues et leurs atmosphères, les habitudes de leur population, aux différentes heures du jour et de la nuit.
Un livre très prenant et qui m’a semblé donner une vision naturaliste et sans complaisance de notre monde contemporain.

Un Extrait (Page 30)

Se retrouver à la rue… C’est bien ce qui risque de m’arriver. Ayant été renvoyé, je n’appartient plus à la Poste, et, à ce titre, n’ai pas le droit de garder la chambre, qui reste réservée aux agents. Où aller ? Je n’ai pas suffisamment d’argent pour dormir dans un hôtel correct et je ne peux non plus me rendre dans un foyer Sonacotra, conçu pour les travailleurs immigrés. Il y a toujours le recueil social de la ville, mais je n’ai pas le courage d’échouer là bas, dans une ancienne prison du XVIIIe siècle, avec des vagabonds, au milieu de l’alcool et des bagarres, dans la crasse, la misère. Le plus sensé serait évidemment de téléphoner immédiatement à mes parents qui m’enverraient un mandat, se débrouilleraient pour m’aider. Hélas je n’ai pas le courage d’avouer ce nouvel échec professionnel, d’entendre dans leur voix une déception justifiée. Je fuis, donc, ce que j’ai toujours plus ou moins fait.