Deux poèmes écrits en janvier 2015

J’ai écrit ces poèmes entre la fin décembre 2014 et le début janvier 2015. Ils sont encore inédits mais ont été publiés sur certains forums de poésie.

Tableau
(27 décembre 2014)

Le bruit de la pluie est plein de frétillements et de répercussions, on devine les fractures du ciel et les nuages bourgeonnants.
Le bruit de la pluie ondoie comme un pressentiment et je reste hermétique aux réminiscences d’amours passées.
La cigarette a un goût de réglisse usagée, d’insouciance périmée, et la fumée prend la teinte des albums de famille au fond des tiroirs tristes.
Cette nuit, mes rêveries ne me mèneront pas plus loin que la lisière de l’enfance et je reste insensible au vent froid qui se lève à l’orée du trépas.
La chaleur de ton sommeil me ramène aux moissons d’autrefois sur les enluminures.
La tiédeur de ton souffle ranime l’or et la myrrhe sur les toiles flamandes.
Le bruit de la pluie s’effondre sur mes frissons.

Marie-Anne Bruch
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Revue de détail (10/01/2015)
en l’honneur de Charlie Hebdo

L’écho des guerres lointaines se dilue peu à peu dans le ciel impassible et la ville s’enivre du récit de ses fautes supposées.
Nous irons faire du tourisme dans les décombres des citadelles vaincues, nous achèterons des soldats de plomb aux épiciers goguenards.
La paix est une grenade qu’on n’ose pas dégoupiller et qu’on laisse moisir dans un champ en friches.
Les dieux, avec leurs yeux d’acier trempé, ne pleurent pas sur nous et attendent patiemment notre déconfiture.
Notre liberté consiste à nous détailler sans fin dans les miroirs, notre liberté consiste à ressembler éternellement à nous-mêmes.

Marie-Anne Bruch
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Allégeance, un poème de René Char

Char-Fureur-et-mystere
Ce poème d’amour de René Char est extrait du fameux recueil Fureur et Mystère (Editions Gallimard) écrit entre 1938 et 1947.

Allégeance

Dans les rues de la ville, il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima ?

Il cherche son pareil dans le vœu des regards.
L’espace qu’il parcourt est ma fidélité.
Il dessine l’espoir et léger, l’éconduit.
Il est prépondérant sans qu’il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse.
A son insu, ma solitude est son trésor.
Dans le grand méridien où s’inscrit son essor,
Ma liberté la creuse.

Dans les rues de la ville, il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima et
L’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas ?

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Les jeux sont faits, de Jean-Paul Sartre

sartre_les_jeux_sont_faitsCe livre est un roman-scenario de Jean-Paul Sartre, écrit en 1947, et qui a été adapté au cinéma par Jean Delannoy la même année. Son écriture est donc celle d’un scenario, avec beaucoup de dialogues et surtout de jeux de scène, et un découpage de l’histoire en scènes situées dans des lieux bien définis et bien décrits.

L’histoire : Eve Charlier est une grande bourgeoise, très riche, qui est assassinée par son mari. Celui-ci, chef de la Milice, est un homme sans scrupule qui n’a épousé Eve que pour sa dot, et qui convoite maintenant la jeune sœur d’Eve, Lucette, une jeune fille naïve et égoïste. Eve, empoisonnée par son mari, se retrouve, morte, à faire la queue devant le bureau d’enregistrement des morts, impasse de Laguénésie.
Parallèlement, Pierre Dumaine, une homme modeste, qui a fondé « La Ligue » et se bat clandestinement contre la Milice et le Régent qui gouverne le pays, sa fait assassiner par un jeune homme, un de ses anciens amis, qui l’a trahi. Pierre, abattu par une balle, se retrouve, mort, à faire la queue devant le bureau d’enregistrement des morts, impasse de Laguénésie.
C’est ainsi qu’Eve et Pierre se rencontrent, tous deux réduits à l’état de fantômes, et ne tardent pas à tomber amoureux l’un de l’autre.
Grâce à l’article 140 du règlement qui dirige le monde des morts, Eve et Pierre obtiennent le droit de retourner à la vie et de vivre leur amour pour une journée-test qui décidera de leur sort définitif …

Mon avis : L’idée de faire naviguer des personnages entre le monde des morts et celui des vivants est très séduisante, et très poétiquement traitée dans ce scenario.
On retrouve bien sûr, comme souvent chez Sartre, les préoccupations politiques et de conflit entre les classes sociales (Pierre Dumaine, d’un milieu populaire, pense que son amour pour Eve, une grande bourgeoise très fortunée, est voué à l’échec, et les milieux sociaux sont décrits d’une manière assez caricaturale, mais qui reste plausible).
La morale de l’histoire est pessimiste : « les jeux sont faits », autrement dit : il n’y a pas de deuxième chance, il est inutile pour un mort de retourner sur terre. Ou encore, comme le dit un autre personnage, « on rate toujours sa vie » car on meurt toujours trop tôt ou trop tard.
Il n’en reste pas moins que ce livre a beaucoup de charme, car il est plein de sentiments contradictoires, et que l’amour y occupe finalement une grande place.

Liberté de Paul Eluard

Je ne pouvais pas laisser passer cette journée sans partager sur ce blog ce magnifique poème de Paul Eluard.

bougie

Liberté

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul Eluard, Au rendez-vous allemand, 1945, Les Editions de Minuit

Charlie Hebdo

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Pour la défense de nos libertés menacées.
Contre la barbarie et l’obscurantisme.

Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan

rien-ne-s-oppose-a-la-nuit-couvertureC’est peu de temps après le suicide de sa mère que Delphine de Vigan décide de mener une enquête approfondie sur la vie de celle-ci, de son enfance dans les années 50 jusqu’à ses dernières heures le 25 janvier 2008, à l’âge de soixante-et-un ans, et alors qu’elle est atteinte d’un cancer et qu’elle vient de subir une chimiothérapie qui a donné de bons résultats selon les médecins. Pour mener son enquête, l’auteure a la chance de disposer de très nombreux documents : lettres bien sûr, mais aussi films familiaux retranscrits sur DVD, et même des émissions de télévision consacrées à la famille de sa mère quand cette dernière était adolescente, ou encore des enregistrements sonores de son grand père. Le matériel est donc riche et, effectivement, Delphine de Vigan réussit à exploiter tous ces documents en leur donnant une unité et une vie étonnante.
C’est d’abord l’enfance de sa mère qu’elle nous raconte avec beaucoup d’anecdotes amusantes ou graves, dans une famille nombreuse qui a tendance à faire les quatre-cents coups, entre une mère très joyeuse et un père énergique mais au caractère trouble et peut-être un peu manipulateur, comme on le découvre au fil des pages. C’est aussi une enfance marquée par le drame, avec un petit frère mort accidentellement en tombant dans un puits, et qui sera remplacé peu de temps après par un frère nouveau venu, Jean-Marc, ex-enfant martyre, adopté par ses parents, et qui lui aussi connaîtra un destin tragique.
C’est un sort néfaste qui semble peser sur cette famille et Delphine de Vigan évoque une sorte de pacte du suicide qui existerait dans la fratrie de sa mère, pacte dont elle n’a pas la preuve de l’existence mais qu’elle évoque comme une possibilité.
Lucile – la mère de l’auteure – quitte sa famille et se marie assez jeune, elle a rapidement ses deux filles, puis divorce, mais, à l’âge de trente-trois ans elle est frappée brutalement par un délire spectaculaire et se découvre bipolaire. La garde de ses filles lui est enlevée, elle séjourne en psychiatrie plusieurs fois, mais se battra toujours contre la fatalité de la maladie avec un courage qui force l’admiration de ses filles.
Ce livre m’a semblé être un très bel hommage à cette mère disparue, qui avait en elle tant de souffrances et, en même temps, une grande capacité de résister aux épreuves.
J’ai trouvé que Delphine de Vigan réussissait à garder la distance nécessaire pour écrire sur sa mère – par exemple elle ne détaille pas sa vie amoureuse, ne parle pas des difficultés de son mariage – elle ne cherche pas non plus à régler ses comptes avec elle, et n’essaye pas non plus de l’idéaliser.
Un livre d’une grande sincérité et qui sonne vrai.
Un magnifique portrait de femme !

Meilleurs vœux pour 2015 ! Petite chronique et bilan

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En ce premier jour de 2015 je tiens à souhaiter à tous les lecteurs qui me suivent (et aux autres qui sont juste de passage) une superbe année, pleine de lectures enrichissantes, de poésie et de succès personnels !
2014 aura été une année très réussie pour moi, pour ce petit blog, et j’espère que 2015 saura suivre la même pente.

Ces derniers mois, j’ai lu de nombreux livres que je n’ai pas chroniqués dans ce blog, et je voudrais aujourd’hui profiter de ce nouvel article pour noter quelques impressions au sujet de certaines de ces lectures qui m’ont marquée.
Les voici donc en vrac :

– Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau : Un livre de souvenirs du grand écrivain, dans lequel il essaye de prouver aux yeux de ses contemporains et de la postérité qu’il n’est pas un homme méchant – ce dont on l’a accusé à l’époque parce qu’il avait abandonné ses enfants les uns après les autres. C’est un livre extrêmement vivant et agréable à lire, où foisonnent les anecdotes amusantes, et où Rousseau ne cache rien de ses mauvais penchants et de ses petits travers, il n’hésite pas à aborder les thèmes liés à la sexualité en particulier, avec des tendances exhibitionnistes dans son adolescence dont il parle avec un mélange de pudeur et d’humour.
C’est surtout, à mon avis, un livre très passionnant si on cherche à se représenter ce qu’était la vie quotidienne au 18è siècle, avec ses habitudes sociales, ses mentalités, et la manière dont on concevait la psychologie.

– Métaphysique de la mort d’Arthur Schopenhauer.
Je ne suis pas du tout habituée à lire de la philosophie, et je craignais, en commençant ce livre, que ça me passe au-dessus de la tête. Mais j’ai été très vite rassurée : c’est un livre assez facile à lire pour un néophyte en philosophie, et qui ne demande pas trop de connaissances préalables. J’ai été très profondément impressionnée et même bouleversée par ce livre, qui est très stimulant intellectuellement, et donne une vision vraiment plausible de la mort telle qu’elle est peut-être. Selon Schopenhauer, la vie après la mort est une fable, nous n’existerons pas plus après la mort que nous n’existions avant la naissance, mais il est possible que la réincarnation existe et, du point de vue de notre espèce humaine, la mort n’existe pas vraiment dans la mesure où la nature de l’espèce est immuable …

– La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq.
Je n’ai pas chroniqué ce roman car beaucoup de choses pertinentes ont déjà été écrites par la critique et par les commentaires de blogueurs. En fait, ce livre m’a beaucoup plu par son humour et le regard qu’il porte sur l’art contemporain, la célébrité et surtout des passages très forts sur l’euthanasie et la vieillesse. Par contre, il y a une tentative d’histoire d’amour qui selon moi n’est pas très réussie car un peu abstraite et désincarnée ; et puis il y a une tentative d’enquête policière qui n’est pas très palpitante non plus mais, à mon avis, Houellebecq n’avait pas de réelle ambition dans ce domaine. Reste une impression vraiment foisonnante, d’un livre qui essaye de donner une vision globale de la société contemporaine, et qui ne craint pas de combattre les clichés et les idées à la mode.

Voilà pour les trois livres lus et non chroniqués en 2014 et que je conseille vivement !