Il y a presqu’un an, notre ami Goran, homme de cœur et de culture et blogueur de talent, nous quittait, bien trop jeune. En souvenir de son amitié et en son hommage, nous sommes plusieurs blogueurs (en particulier Patrice et Eva) à souhaiter organiser une lecture commune pour la date du 15 septembre – anniversaire de la création du blogue de Goran. Après avoir consulté le Top100 de Goran – la liste de ses cent livres préférés – j’ai pensé que nous pourrions lire Moon Palace de Paul Auster, l’un des écrivains que Goran admirait tout particulièrement. Si vous avez déjà lu ce livre, vous pourrez lire un des livres de La Trilogie new-yorkaise du même auteur, ou tout autre roman de ce célèbre écrivain américain contemporain, à votre convenance.
Pour résumer :
Si vous voulez participer il s’agit donc de lire et de chroniquer Moon Palace de Paul Auster pour le 15 septembre 2022 (ou un autre du même auteur, par exemple un tome de la Trilogie new-yorkaise) et, bien sûr, de me signaler vos chroniques par un petit commentaire sur cette page.
La disparition de Goran mercredi 28 avril a causé un grand choc et une très vive tristesse à tous ceux qui le connaissaient et j’ai une pensée chaleureuse et émue pour sa famille.
Je n’avais encore jamais rencontré Goran mais je correspondais avec lui depuis le printemps 2016, à raison de quatre mails par semaine, et je l’appréciais énormément pour sa gentillesse, son tact, sa perspicacité. Lorsque j’avais un souci ou une baisse de moral, il savait trouver les mots de réconfort et d’encouragement et suggérer les bonnes solutions. Il était extrêmement généreux et faisait à ses amis de superbes cadeaux, choisis avec soin. Son humour irrésistible révélait une grande intelligence. J’admirais sa curiosité intellectuelle : il s’intéressait à tous les domaines de la connaissance, aux sciences, aux arts, à l’économie, à l’architecture, à la politique, à la médecine, à la philosophie et bien sûr à la littérature et au cinéma où sa culture était incroyable. Il avait par moments un penchant vers la nostalgie et la solitude, et il avait développé un sens de la sagesse et une idée de la vie inspirée de Schopenhauer et des stoïciens. D’un tempérament pudique et réservé, il ne se livrait pas beaucoup. Il était aussi un homme très créatif, avec de multiples talents, puisqu’il écrivait des romans et créait des graphismes comme des couvertures de livres, des logos, des tableaux conçus par ordinateur. Il m’avait par exemple offert très généreusement et gentiment le visuel de mon blog et le logo de mon défi « Printemps des artistes ».
Sa personnalité et son amitié vont beaucoup me manquer !
Dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est de Patrice, Eva et Goran, de mars 2021, j’ai lu plusieurs romans intéressants, dont « La Porte » de l’écrivaine hongroise Magda Szabo (1917-2007), qui est son livre le plus connu, paru en 1987 en Hongrie et dont la traduction française a été publiée en 2003 par Viviane Hamy.
Petite présentation de ce roman :
Cette histoire s’articule de bout en bout autour des relations entre deux femmes : la narratrice, une jeune écrivaine hongroise, mariée, sans enfant, qui commence au cours du livre à acquérir une certaine notoriété littéraire, et sa femme de ménage, une vieille dame très courageuse, très travailleuse, qui vient travailler chez elle et se révèle vite indispensable, non seulement par son ménage impeccable mais aussi par sa personnalité forte et réconfortante. Mais cette femme de ménage, prénommée Emerence, a parfois des comportements inexplicables, qui plongent la jeune écrivaine dans le soupçon, dans les doutes et les hypothèses les plus inquiétantes et les plus variées. Emerence a par exemple la manie de ne faire entrer personne chez elle, sous aucun prétexte, et la jeune écrivaine se demande ce qui se cache derrière cette porte obstinément fermée et quels sont ces inavouables secrets. (…)
Mon humble avis :
Ce roman est un très beau portrait de femme, et on sent qu’une personne réelle a servi de modèle au personnage d’Emerence, une personne à qui Magda Szabo voulait rendre un vibrant hommage. Ce portrait est brossé avec amour, minutie et dévotion, au point que les autres personnages du livre paraissent à peine esquissés, presque anodins en comparaison de cette personnalité puissante, je dirais presque omnipotente. On assiste à un curieux renversement de situation entre le début et la fin du livre : au début la narratrice-écrivaine se place dans une posture de juge par rapport à la vieille dame, elle la soupçonne des pires crimes, de complaisance avec les nazis, de traîtrise, de délations, etc. Tandis qu’à la fin, elle ressent une grande culpabilité, et elle place la vieille dame à un degré de pureté et quasiment de sainteté auquel elle-même ne pourra jamais accéder. La femme de ménage ne cesse de grimper dans l’estime de sa patronne, qui se dévalue elle-même d’autant plus, comme par des jeux de vases communicants. Les derniers chapitres sont très émouvants et nous montrent l’incompréhension de la plupart des gens vis-à-vis de la morale très particulière d’Emerence : ils croient lui faire du bien alors qu’ils l’humilient et la détruisent. Un beau livre, une fin touchante.
Extrait page 158 :
La vie suivit son cours avant la conférence, Emerence époussetait nos livres, apportait le courrier, m’écoutait quand je parlais à la radio, mais sans faire de commentaires ; cela ne l’intéressait pas. Elle prenait acte de ce que de temps en temps nous courions à une réunion d’information, assistions à une soirée littéraire, donnions un cours exceptionnel, elle voyait nos noms sur des livres, les rangeait après les avoir époussetés comme elle aurait remis en place un bougeoir ou une boîte d’allumettes, cela lui était égal, c’était à ses yeux un vice pardonnable comme la gourmandise ou la boisson. Par une ambition quelque peu puérile j’aurais aimé la gagner au charme selon moi irrésistible de la littérature hongroise, je lui récitai une fois La poule de ma mère, pensant que ce poème pouvait la toucher, puisqu’elle aimait les bêtes. Elle s’arrêta, le chiffon à poussière en main, me regarda et se mit à ricaner. Eh bien, j’en connaissais des textes incroyables ! Ah, là, là ! « Que diantre ! » Qu’est-ce que ça veut dire, « que diantre » ? Qu’est-ce que c’est ce « vous autres » ? Personne ne parle comme ça. Je quittai la pièce en m’étranglant de fureur. (…)
Je n’avais encore jamais vu de film de Kateshi Kitano, célèbre réalisateur japonais des années 1990-2000, surtout réputé pour ses films de yakuza particulièrement sombres et violents, mais qui a aussi réalisé des films plus paisibles et moins sanglants, comme on peut le constater dans L’été de Kikujiro, une comédie dramatique qui date de 1999, et dont le héros principal est un petit garçon esseulé et en quête de ses origines, prénommé Masao.
Synopsis vu par Allociné :
Masao s’ennuie. Les vacances scolaires sont là. Ses amis sont partis. Il habite Tokyo avec sa grand-mère dont le travail occupe les journées. Grâce à une amie de la vieille femme, Masao rencontre Kikujiro, un yakusa vieillissant, qui décide de l’accompagner à la recherche de sa mère qu’il ne connait pas. C’est le début d’un été pas comme les autres pour Masao…
Mon humble avis :
Voici un film plutôt mignon et sympathique, qui accorde une large part à l’humour, avec de nombreuses séquences amusantes qui se succèdent, un peu dans l’esprit des films à sketchs. Le film accumule les trouvailles visuelles insolites et divertissantes, et je citerai par exemple l’apprentissage de la natation par Kikujiro, ou les personnages déguisés en pastèques, ou en extra-terrestres, ou en poissons géants, etc. Certaines scènes oniriques sont aussi très réussies, avec des danseurs de butô (une danse contemporaine japonaise subversive et impressionnante à voir). Le film repose essentiellement sur le duo formé par le vieux yakuza bourru, au langage pas très délicat, et le petit garçon triste et timide. La dynamique de ce duo fonctionne bien sûr à partir de l’antinomie apparente des deux personnages et, au début de l’histoire, le yakuza profite de sa position de force pour se servir des capacités supposées du petit garçon : il utilise l’enfant comme porte-chance pour jouer à des jeux d’argent, le rabroue, l’insulte, le harcèle. Mais petit à petit, les ressemblances entre les deux personnages se font jour : le yakuza Kikujiro s’identifie à Masao car il a eu le même genre d’enfance que lui, il multiplie les gags car il a envie de « le faire rire », il tente de le protéger à plusieurs reprises contre les vérités blessantes de la vie et il évoque même à un moment l’hypothèse réjouissante d’élever Masao et de jouer pour lui le rôle de père. Mais on s’aperçoit au cours du film que Kikujiro est resté un grand enfant, que la compagnie de Masao a réveillé en lui des blessures secrètes et pas seulement son esprit gaguesque et potache. Ainsi, l’émotion est aussi présente dans ce film, et plusieurs scènes nous le rappellent. Parallèlement à l’évolution de Kikujiro vers plus de douceur et de sensibilité, le petit garçon évolue lui aussi, il devient plus joyeux et semble gagner en maturité. Un film que je suis contente d’avoir vu !
Pour aider le blogueur Max-Louis Marcetteau dont le frère a disparu il y a quelques jours, je publie à mon tour l’avis de recherche et vous invite à le diffuser également si vous le pouvez.
Mon Antonia, de Willa Cather (Payot et Rivages) — ISBN-13 : 9782743628277 —350 pages — 8,50 € — Genre : La petite maison dans la prairie où presque.
Et si je reprenais une bonne vieille habitude ? Une lecture commune avec ma plus fidèle acolyte (ou bien c’est moi qui suis son plus fidèle acolyte ?)… Toujours est-il que me voici de retour avec Marie-Anne, du blog la-bouche-à-oreille, pour vous présenter Mon Antonia de la romancière Willa Cather. N’oubliez pas d’aller lire la critique de Marie-Anne, cela se passe ici.
Le cul de Judas, de Antonio Lobo Antunes (Métailié) — ISBN-13 : 9782864249191 — 220 pages — 9 € — Genre : Troubles psychologiques de guerre.
Me voici de retour pour une lecture commune et comme d’habitude je suis accompagné de Marie-Anne. N’oubliez pas d’aller lire sa critique ici. De plus, avec ce billet, je réponds aussi à mon engagement au challenge Portugal. Ce dernier est organisé par la passionnante Cristie de l’excellent blog « Depuis le cadre de ma fenêtre ».
Voici le duo de choc de la lecture commune qui fait son retour. Marie-Anne et moi, nous allons vous présenter aujourd’hui le roman « Molloy » de l’écrivain irlandais Samuel Beckett, c’est de mon côté la première fois que je parle d’un livre irlandais sur mon blog. Avant d’en venir à l’essentiel, n’oubliez pas d’aller lire la critique de Marie-Anne qui se trouve ici.
Ce n’est pas vrai que tout amour décline,
Ce n’est pas vrai qu’il nous donne au malheur,
Ce n’est pas vrai qu’il nous mène au regret,
Quand nous voyons à deux la rue vers l’avenir.
Ce n’est pas vrai que tout amour dérive,
Quand les forces qui montent ont besoin de nos forces.
Ce n’est pas vrai que tout amour pourrit,
Quand nous mettons à deux notre force à l’attaque.
Ce n’est pas vrai que tout amour s’effrite,
Quand le plus grand combat va donner la victoire.
Ce n’est pas vrai du tout,
Ce qu’on dit de l’amour,
Quand la même colère a pris les deux qui s’aiment,
Quand ils font de leurs jours avec les jours de tous
Un amour et sa joie.
L’écriture la vie est un recueil de poèmes de Valérie Canat de Chizy, qui vient de paraître aujourd’hui même (20 mars 2017) chez les éditions Le petit rameur, avec une préface de Sanda Voïca et une illustration de Sophie Brassart, suivies d’une postface de Mireille Disdero.
L’écriture la vie évoque la difficulté d’être, le désespoir, paradoxal alors que tout resplendit, le cœur étant partagé entre le monde extérieur qui se révèle « barré, figé’ et l’univers du poème qui, lui aussi, a des barreaux qui blessent. Pourtant, la vie est joyeuse mais elle laisse un manque, que seule l’écriture peut combler.
Ambivalence du monde, ambivalence du cœur autant capable de chanter que de crier.
J’ai choisi trois poèmes dans ce recueil :
**
lorsque j’interroge
on me tend un miroir
me disant
que tout va bien
assis quatre autour
d’une table au soleil
autour d’une conversation
saisie par bribes
dont le contenu m’exile.
**
le froid dehors
les lumières de la ville
je tourne mon regard
vers l’intérieur
dans la chaleur du foyer
où le chat dort.
**
être à l’écoute de l’oiseau
assis sur l’échelle du cœur
mais c’est si dur parfois
juste regarder le pommier
et ses nuances d’or
le lierre rouge et ses méandres
le long du mur de la maison
aux volets bleus
mais mon cœur crie.