Sonnet 21 – Un poème d’amour de Pablo Neruda

pablo_nerudaCe sonnet fait partie de La Centaine d’amour, le célèbre recueil de Pablo Neruda, que l’on trouvera dans la collection Poésie/Gallimard.

 

Sonnet 21

Que tout, que tout l’amour propage en moi sa bouche,
que je ne souffre plus un moment sans printemps,
à la douleur je n’ai vendu que mes mains seules,
maintenant, bien aimée, que tes baisers me restent.

Couvre de ton parfum l’éclat du mois ouvert,
les portes, ferme-les avec ta chevelure,
quant à moi, n’oublie pas : si je m’éveille et pleure,
c’est qu’en dormant je ne suis qu’un enfant perdu

qui cherche tes mains dans les feuilles de la nuit,
et le contact du blé que tu me communiques,
étincelante extase et d’ombre et d’énergie.

Oh ma bien aimée, rien d’autre que de l’ombre,
de l’ombre où tu m’accompagnerais dans tes songes
et là tu me dirais l’heure de la lumière.

Un autre amour – Roman de Kate O’Riordan

UnAutreAmourQuatrième de Couverture :
Connie et Matt Wilson sont parvenus à réaliser leur rêve : ils vivent avec leurs trois enfants dans une charmante maison londonienne. Alors qu’ils profitent d’un week-end pour passer un séjour romantique à Rome, tout bascule : Matt annonce à Connie qu’il ne rentrera pas avec elle. Elle retourne à Londres, retrouvant ses trois garçons, seule.
Un autre amour est le récit intense du désespoir d’une femme dont l’heureux et paisible mariage se trouble. L’auteur explore les sentiments tumultueux de cette épouse qui s’emploiera à faire revenir celui qu’elle aime depuis l’enfance. Kate O’Riordan analyse l’ambiguïté et la fragilité des sentiments à travers l’évocation du passé auquel on ne peut réchapper. Elle fait intervenir des personnages poignants, singuliers ou drôles qui croisent le destin des protagonistes et révèle les failles de la vie qu’ils ont cru se construire.

Mon Avis :
Je suis un peu partagée sur ce livre, même si je l’ai trouvé d’assez bonne qualité et, somme toute, intéressant, avec des analyses psychologiques très touchantes. Mais il y a beaucoup de choses qui m’ont gênée pendant ma lecture et, en particulier, un côté vieillot dans les idées développées par ce roman. Disons que l’ambiance et la situation font tout à fait penser à celles du roman d’Hervé Bazin, Madame Ex, un livre qui est encore tout à fait lisible et intéressant à notre époque, mais qui, avec l’évolution des mœurs de ces quarante dernières années, nous parait aujourd’hui démodé, représentatif d’une tout autre époque.
Dans Un autre amour, le personnage de Connie – l’épouse délaissée – m’est assez vite devenu antipathique, ce qui n’était visiblement pas du tout le but de l’auteure, qui déploie au contraire beaucoup d’efforts pour nous la rendre sympathique. Ce personnage de femme – épouse idéale, mère parfaite, bonne ménagère, bonne cuisinière, amie dévouée – se comporte comme si elle était la propriétaire de son mari et fait montre d’une perpétuelle bonne conscience qui, à la longue, est énervante. Elle vit dans un monde où l’infidélité est une monstruosité impardonnable, où on jouit de tout un ensemble de droits sur son conjoint, où le divorce ne semble pas exister, où on ne se pose pas d’autre question sur soi-même que de savoir si on a bien rempli le réfrigérateur. Bien sûr, Connie est un personnage très crédible, réaliste, que l’auteure a su parfaitement décrire, mais, pour l’héroïne principale d’un roman, j’ai trouvé qu’elle était trop conventionnelle, qu’elle manquait de liberté, et même peut-être aussi d’intelligence.
Pour le personnage du mari, il m’a semblé qu’il n’était pas assez creusé, alors que son rôle est pourtant la clé de l’histoire. S’il est assez bien décrit au début du livre, avec ses tourments et ses doutes, il perd complètement sa personnalité au fil des chapitres, comme si l’auteure devenait peu à peu incapable de se représenter les pensées de ce personnage (S’identifiant trop à Connie sans doute, et plus très capable de se décentrer pour voir ses autres personnages ?).
Par contre, les personnages secondaires (les trois enfants en particulier) sont très bien imaginés, et donnent beaucoup de vie à cette histoire, y rajoutant même un peu d’humour et de légèreté.
Bref, un assez bon roman, mais trop sage à mon goût, trop conventionnel !

Les Chats dans les Fleurs du Mal

baudelaire J’ai choisi trois poèmes des Fleurs du Mal à vous faire lire aujourd’hui – trois poèmes sur les chats, dont Baudelaire a extrêmement bien parlé.

Le Chat

Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de ton corps brun.

*****

Les Chats

Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Erèbe les eût pris pour des coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

*****

Le Chat I

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n’a pas besoin de mots.

Non, il n’est pas d’archet qui morde
Sur mon cœur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu’harmonieux.

*****

Après le tremblement de terre – un livre de Murakami

murakamiQuatrième de Couverture :
Un mois après le tremblement de terre de Kobe en 1995, les secousses continuent dans le cœur des Japonais … Les séismes intérieurs déplacent les solitudes ordinaires, réveillent les consciences endormies ou ravivent le feu de la vie. A travers six variations, Murakami effleure, avec une infinie délicatesse, la faille intérieure présente en tout être.

Mon avis :
Jai lu ce recueil de six nouvelles en deux jours et, le lendemain, quand j’ai voulu écrire un commentaire dessus, je me suis aperçue que j’avais quasiment déjà tout oublié, et j’ai été obligée de feuilleter le livre pour retrouver quelques souvenirs.
Alors, c’est vrai, ces histoires ressemblent un peu à des rêves, et elles font le même effet que lorsqu’une personne que nous ne connaissons pas très bien nous raconte un de ses rêves : on ne se sent pas du tout concerné ! On reste presque totalement étranger au propos.
A aucun moment je n’ai eu le sentiment d’être emportée par ce qui était raconté – même si je tiens à préciser que cette lecture ne m’a pas non plus ennuyée.
Disons que ces histoires réussissent à instaurer un climat, une atmosphère dans laquelle il n’est pas désagréable de plonger, mais sans plus.
J’ai cru comprendre à plusieurs reprises que Murakami voulait créer une sensation d’angoisse chez son lecteur mais, de mon côté, je n’ai rien ressenti de tel.
Je n’ai pas grand chose de plus à rajouter sur ce recueil de nouvelles, qui ne m’a pas donné envie de relire un autre livre de cet auteur.

Voici l’extrait qui m’a le plus convaincue :

page 96 :

– Il m’a parlé des ours polaires, une fois. Il m’a expliqué à quel point c’était des créatures solitaires : ils ne s’unissent qu’une fois par an. Une seule fois ! Dans leur monde, les relations de couple n’existent pas. Sur la grande terre glacée de Laponie, un ours mâle rencontre fortuitement une ourse, et ils copulent. Pas très longuement, d’ailleurs. Dès que l’acte est terminé, le mâle s’écarte rapidement de la femelle comme s’il avait peur, et s’enfuit en courant du lieu de leurs amours. Il se sauve littéralement à toutes jambes, sans se retourner une seule fois. Ensuite, il passe à nouveau une année entière dans la plus grande solitude. La communication mutuelle n’existe absolument pas chez ces animaux. Pas plus que le rapprochement des cœurs. Voilà à quoi ressemble la vie d’un ours blanc. Du moins, d’après ce que mon patron m’a raconté.
– Quelle vie étrange, en effet, dit Satsuki.
– Une vie étrange, certainement, renchérit Nimit, le visage grave. Quand mon patron m’a raconté cette histoire, je lui ai demandé :  » Mais alors, dans quel but les ours polaires vivent-ils ? » Il a souri comme si j’exprimais exactement ce qu’il ressentait, et m’a répondu par une autre question :  » Et nous, Nimit, nous, dans quel but vivons-nous ? »

La Poursuivie de Claude Roy

claude_roy_poésiesLa Poursuivie

Je te poursuis encore sur le versant des songes
mais tu glisses de moi comme sable en la main
et comme un coquillage invente son mensonge
la courbe de ton corps esquive ton dessein

Je te traque et tu fuis  Je te perds et tu plonges
Les forêts des grands fonds ont d’étranges détours
Je marche sur la mer et mon ombre s’allonge
sous le soleil obscur et dans l’ombre des tours

Aux plages de fraîcheur que déroule le lit
la trace de nos corps s’efface avec le jour
Le lit s’enfle et se gonfle aux brises de la nuit
Tristan la voile est noire et tu mourras d’amour

Tristan la voile est noire Iseult ne t’aime plus
La Belle au Bois s’endort du sommeil de l’hiver
Mourir ou bien dormir le flux et le reflux
me ramènent toujours aux lieux où j’ai souffert

Mais que le chant du coq à l’aube revenue
Mais qu’un rai de soleil qu’un pigeon qu’un appel
que le matin léger me rendent l’enfant nue
me voici de nouveau le complice du ciel

Sur son front la couronne invisible des Soeurs
Tristan la voile est blanche au flot des nébuleuses

Le miroir des courtisanes de Sawako Ariyoshi

miroir_courtisanesQuatrième de Couverture : A dix ans, Tomoko est vendue par sa mère à une maison de geishas. Sa beauté et son intelligence lui permettront d’échapper à la prostitution mais le monde « des saules et des fleurs » ne tardera pas à révéler l’impitoyable cruauté que dissimule son apparente frivolité. Ce superbe roman-fleuve est aussi une histoire d’amour, de haine et de jalousie entre une fille et sa mère ; deux destins croisés de femmes dans une société japonaise dominée par l’argent et le pouvoir des hommes. Mais il y a plusieurs romans dans Le Miroir des courtisanes, et la richesse des sujets traités concourt à en faire une œuvre d’une extrême densité dont les diverses facettes sont toutes traitées avec une égale justesse de ton. Tomoko, petite fille intelligente et malheureuse, femme-fleur attachante de droiture et d’authenticité, enfin femme mûre et obstinée dont la réussite sociale n’a pas durci le cœur, est l’héroïne la plus remarquable, la plus « vraie » des romans d’Ariyoshi Sawako, et ne peut que susciter la sympathie et l’admiration.

 

Mon Avis : La partie la plus intéressante de ce long roman est celle consacrée au monde des geishas : un monde parallèle à celui de la prostitution mais qui s’en distingue très nettement. La geisha reçoit en effet, dès sa plus tendre enfance, une éducation artistique très stricte – et même sévère – au cours de laquelle elle est formée à la musique et au chant, et où les patrons de la maison à laquelle elle appartient veillent jalousement sur sa virginité. C’est vers quinze ans qu’elle est déflorée, d’une manière tout à fait officielle, par un homme choisi pour sa position sociale et pour son expérience. A partir de là, elle devient officiellement geisha et un homme riche et puissant sert de protecteur à la jeune femme, et peut même l’entretenir durant de nombreuses années, mais elle est tenue de rembourser sa dette (le prix de son éducation) à la maison de geishas à laquelle elle appartient. Pour reconquérir sa liberté elle doit donc rembourser une somme très importante, et ne peut y parvenir que si elle tombe sur un protecteur très généreux et si elle est elle-même débrouillarde et travailleuse.
Un autre aspect intéressant du livre est la relation chaotique entre Tomoko et sa mère – une relation dans laquelle les sentiments les plus contradictoires sont mélangés – et je pense que beaucoup de lecteurs suivront avec intérêt et empathie cette relation forte entre une fille sensible et une mère aussi cruelle que fantasque.
Le troisième aspect intéressant du Miroir des courtisanes est son côté documentaire et historique : il fourmille effectivement d’une quantité impressionnante de détails sur les us et coutumes japonais au cours de la première moitié du 20è siècle. On trouvera par exemple de très nombreuses explications sur le port du kimono et les couleurs qui conviennent à chaque âge et à chaque situation, mais aussi sur les différents mets dégustés à la période du nouvel an, ou encore sur les soins de beauté que pouvaient utiliser les femmes (je pense par exemple à la coutume qui voulait que les vieilles femmes se passent de la laque noire sur les dents), et, d’une manière générale, j’ai eu la sensation d’être véritablement immergée dans le Japon des années 1920 jusque vers 1950.

Un poème d’amour de Pablo Neruda

pablo_neruda J’ai trouvé ce poème dans le livre La Centaine d’amour (1960), publié chez Poésie/Gallimard. Ce poème fait, plus exactement, partie du recueil Midi.

33

Maintenant, mon Amour, nous retournons chez nous
là où le liseron grimpe par les échelles :
en ta chambre déjà, bien avant ta venue,
est venu l’été nu aux pieds de chèvrefeuille.

Nos baisers voyageurs ont parcouru le monde :
Arménie, goutte épaisse et miel déterré,
Ceylan, verte colombe et Yang-Tsé séparant
les jours d’avec les nuits de sa vieille patience.

Maintenant, bien-aimée, par la mer crépitante
comme deux oiseaux aveugles nous revenons
vers notre mur, notre nid du lointain printemps,

puisque l’amour ne peut voler sans s’arrêter :
notre vie va au mur, aux pierres de la mer,
les baisers sont rentrés à notre territoire.

 

Deux poèmes de Walt Whitman

whitman_gallimard Voici deux poèmes de Walt Whitman, trouvés dans ses Poèmes publiés chez Poésie/Gallimard.

Etes-vous la nouvelle personne attirée vers moi ?

Etes-vous la nouvelle personne attirée vers moi ?
Pour commencer sachez-le, je suis sûrement fort différent de ce que vous supposez ;
Supposez-vous que vous trouverez en moi votre idéal ?
Croyez-vous qu’il soit si aisé de me voir devenir votre amant ?
Croyez-vous que l’amitié mienne serait une satisfaction sans mélange ?
Croyez-vous que je sois sûr et fidèle ?
Ne voyez-vous pas plus loin que cette façade, cette manière à moi douce et tolérante ?
Vous supposez-vous en train d’avancer sur un sol véritable vers un véritable homme héroïque ?
N’avez-vous point le soupçon, ô rêveur, que ce peut être tout maya, illusion ?

 

Poètes à venir

Poètes à venir ! orateurs, chanteurs, musiciens à venir !
Ce n’est pas aujourd’hui à me justifier et répondre qui je suis,
Mais vous, une nouvelle génération, pure, puissante, continentale, plus grande qu’on ait jamais vu,
Levez-vous ! Car vous devez me justifier.
Moi je n’écris qu’un ou deux mots indicatifs pour l’avenir ;
Moi, j’avance un instant et seulement pour tourner et courir arrière dans les ténèbres.
Je suis un homme qui flânant le long, sans bien s’arrêter, tourne par hasard un regard vers vous et puis se détourne.
Vous laissant le soin de l’examiner et de le définir,
En attendant de vous le principal.

Bye bye Blondie – le roman de Virginie Despentes

bye_bye_blondieVirginie Despentes nous parle d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître : la période punk, et je me suis demandé ce qu’un jeune lecteur comprendrait à ce livre et s’il pourrait vraiment apprécier toute la part de révolte et de nostalgie qu’il contient. Pour ce qui me concerne (je suis de la même génération que V. Despentes) j’ai été transportée par ce roman, à la fois drôle et émouvant, qui m’a permis de me replonger dans mes affres adolescentes, à l’époque où j’écoutais les Clash et Siouxsie (j’avoue être passée, à l’époque, complètement à côté des Bérurier Noir, que Bye Bye Blondie cite abondamment) … une période où la notion de révolte (contre les parents, contre l’ordre établi, contre un avenir tout tracé) avait vraiment du sens, et pouvait mener jusqu’à la clochardisation volontaire, ce qui est bien loin de l’état d’esprit – très popote – de notre époque.
L’histoire d’amour entre Gloria et Eric, les deux héros de l’histoire, a quelque chose de très pur et de très passionné, et on sent que l’auteure a une réelle et profonde sympathie pour ses personnages : elle a su les rendre très réalistes et très attachants, et c’est un plaisir de les suivre dans leurs pérégrinations.
Du côté des points négatifs, j’ai trouvé que tout ce qui concerne les retrouvailles de Gloria et d’Eric à l’âge adulte, lorsque, vingt ans après, ils renouent leur histoire d’amour, ne m’a pas autant convaincue que les années d’adolescence car j’y ai trouvé moins d’émotion et, surtout, il m’a semblé que le personnage d’Eric perdait beaucoup de relief et d’intérêt, pendant que celui de Gloria faisait un peu figure d’adolescente attardée, V. Despentes n’ayant visiblement pas trouvé le moyen de la faire évoluer.
Quant au style de ce roman, il correspond au langage parlé des jeunes des années 80 : expressif, outrancier, bourré de verlan, et, finalement, très en adéquation avec l’histoire racontée, même si on a le droit de préférer, dans l’idéal, des styles plus « littéraires » ou plus poétiques …