Du 20 octobre 2021 au 7 mars 2022 s’est tenue une rétrospective du peintre allemand Georg Baselitz (né en 1938) au Centre Pompidou et je profite de l’occasion des Feuilles allemandes pour évoquer brièvement la visite que j’ai faite de cette exposition à la fin du mois de janvier.
Résumé subjectif de ma visite :
Je ne connaissais quasiment rien de ce peintre avant ma visite et j’ai été pour le moins surprise et effrayée par les deux premières salles qui nous montrent des visions sanguinolentes et repoussantes par lesquelles le peintre a commencé à se faire connaître dans les années 60 en créant la polémique et en choquant le public. Mais les salles suivantes montrent une évolution très nette de son style, même si l’impact de ses tableaux reste toujours fort et marquant. A partir des années 70, il expose souvent ses œuvres à l’envers (paysages, portraits) afin d’échapper à l’opposition figuratif/abstrait et rester à mi-chemin entre ces deux options. Il utilise pour ses toiles des grands formats. Les deux couleurs que l’on retrouve le plus souvent dans ces tableaux : le noir et le jaune, mais les effets obtenus peuvent être assez variés, de la brutalité à l’expressivité. Dans les années 2000, Baselitz revisite certaines de ses anciennes œuvres et en propose des versions renouvelées, qu’il intitule « Remix », et qui sont comme des variations sur les mêmes thèmes, très intéressantes à mettre en parallèle. En définitive, j’ai apprécié cette exposition qui retrace soixante ans de la carrière de ce peintre important et inclassable. Car c’est toujours plaisant de regarder le cheminement d’un artiste et de suivre son évolution depuis ses débuts, même si certaines phases de son travail peuvent nous rebuter au premier abord.
Filles d’Olmo II, 1981
Filles d’Olmo, Remix, 2008
Usine de béton préparé, 1970
Renverser l’image : Baselitz s’obstine à renouveler la peinture quand les tenants de l’art conceptuel la déclarent morte. A 30 ans, il cherche ainsi le moyen de rompre radicalement avec une représentation fidèle de la réalité. « Pour moi, le problème consistait à ne pas peindre de tableau anecdotique ou descriptif. D’un autre côté, j’ai toujours détesté cet arbitraire nébuleux des théories de la peinture abstraite. Le renversement du motif dans le tableau m’a donné la liberté de me confronter à des problèmes picturaux. » Tout en restant à distance du pop-art et du réalisme capitaliste, il produit ses premiers tableaux aux motifs renversés d’après photographies en 1969. Présentés dès 1970 à Cologne par le marchand et collectionneur Franz Dahlem, ils créent l’événement. Dès lors, l’artiste qui peinait encore à vivre de son art va voir les institutions et certains collectionneurs influents s’intéresser à son travail. (Source : un Panneau de l’exposition)
Dans le cadre des Feuilles Allemandes de novembre 2022, organisées par Patrice, Eva et Fabienne, je vous parlerai de la poète juive allemande Gertrud Kolmar (1894- 1943), que j’ai découverte à l’occasion de ce Mois Thématique et qui m’a paru très intéressante.
Note pratique sur le livre
Editeur : Seghers (coll. « Autour du monde ») bilingue Traduit de l’allemand et Postface par Jacques Lajarrige Date de parution en Allemagne : 1947 Date de cette édition en français : 2001 Nombre de pages : 151
Biographie de la poète
Gertrud Kolmar, de son vrai nom Gertrud Chodziesner, est née le 10 décembre 1894 à Berlin, dans une famille juive cultivée et lettrée. Après des études de russe, de français et d’anglais, elle travaille comme interprète pendant la première guerre mondiale, dans des camps de prisonniers. Elle ne parvient pas à émigrer en Angleterre quand les nazis arrivent au pouvoir. Sa sœur, par contre, arrive à passer en Suisse et c’est grâce à elle que les poèmes de Gertrud seront sauvegardés et publiés après la guerre (1947). En 1941, la poète est forcée de travailler dans une usine d’armement. Elle est déportée le 2 mars 1943 vers Auschwitz et gazée dès son arrivée.
Extrait de la Quatrième de couverture
Mondes rassemble dix-sept poèmes composés entre août et décembre 1937 dans une Allemagne déjà livrée depuis quatre ans à la folie destructrice des nazis. Contrairement à l’édition allemande, la présente édition reprend l’agencement des poèmes prévu, à l’origine, par l’auteur. Elle est donc la première conforme à son projet. **
Comme ces poèmes sont longs de plusieurs pages, je vous propose deux extraits : la première moitié du poème « mélancolie » et la première moitié de « L’Ange de la forêt ».
Mélancolie
Je pense à toi, Toujours je pense à toi, Des gens me parlaient, pourtant je n’y prenais garde. Je regardais le profond bleu de Chine du ciel vespéral, où la lune était accrochée, ronde lanterne jaune, Et je songeais à une autre lune, la tienne Qui pour toi peut-être devenait le bouclier luisant d’un héros ironique ou le doux disque d’or d’un auguste lanceur. Dans le coin de la pièce j’étais alors assise sans lampe, fatiguée du jour, emmitouflée, entièrement livrée à l’obscurité, Les mains posées sur mes genoux, mes yeux se fermaient. Pourtant, sur la paroi intérieure de mes paupières, petite et indistincte, ton image était peinte. Parmi les astres je longeais des jardins plus paisibles, les silhouettes des pins, des maisons plates, devenues muettes, des pignons abrupts Dans le sombre manteau douillet que parfois seulement saisissait le grincement d’une bicyclette, que tiraillait le cri de la chouette Et je parlais sans un mot de toi, Amour, le chien silencieux, blanc, aux yeux en amande que j’accompagnais. (…)
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L’Ange de la Forêt
Donne-moi ta main, ta chère main, et viens avec moi ; Car nous voulons partir loin des hommes. Ils sont mesquins et méchants, et leur mesquine méchanceté nous hait et nous tourmente. Leurs yeux sournois rôdent autour de nos visages et leur oreille curieuse palpe les mots de notre bouche. Ils cueillent la jusquiame… Cherchons donc refuge Dans les champs rêveurs qui consolent gentiment la course de nos pieds avec des fleurs et de l’herbe, Au bord du fleuve, qui patiemment sur son dos charrie de pesants fardeaux, de lourds navires regorgeant de marchandises Auprès des animaux de la forêt qui ne médisent pas.
Viens. Le brouillard d’automne humecte et voile la mousse de mates lueurs smaragdines. Le feuillage des hêtres roule, richesse de pièces d’or bronze, Devant nos pas bondit, rouge flamme tremblante, l’écureuil. Des aulnes noirs dardent leurs vrilles dans l’éclat cuivré du soir.
Viens. Car le soleil couchant s’est tapi dans son antre, et sa chaude haleine rougeâtre s’essouffle. Et voilà que s’ouvre une voûte. C’est sous son arcade bleu-gris entre les colonnes couronnées des arbres que se tiendra l’ange, Grand et mince, sans ailes. Son visage est souffrance. Et son habit a la pâleur glaciale des étoiles scintillant dans les nuits d’hiver. (…)
Le défi des « Feuilles allemandes » de Patrice, Eva et Fabienne se déroule en novembre, comme chaque année, mais j’ai pris l’initiative de devancer quelque peu le moment du rendez-vous et surtout d’étaler ma participation sur une période plus longue, qui commence aujourd’hui 22 octobre et finira le 30 novembre. Donc les prochaines semaines seront consacrées à l’Allemagne du point de vue littéraire, poétique, artistique, etc.
M’étant lancée dans l’ascension de « La Montagne magique » de Thomas Mann – qui compte 1103 pages au Livre de Poche – j’ai pensé qu’il serait judicieux de le chroniquer en deux temps, une fois à mi-parcours et une deuxième à la fin de ma lecture, pour une impression d’ensemble.
Note Pratique sur le livre
Editeur : Livre de Poche Date de Parution en Allemand : 1924 (en français : 1931) Nouvellement Traduit de l’allemand par Claire de Oliveira (en 2016) Nombre de Pages : 1103
Un Extrait de la Quatrième de Couverture
(…) Ecrite entre 1912 et 1924, La Montagne magique est l’un des livres majeurs du vingtième siècle. Cette œuvre magistrale radiographie une société décadente et ses malades, en explorant les mystères de leur psychisme. Evocation ironique d’une vie lascive en altitude, somme philosophique du magicien des mots, ce vertigineux « roman du temps » retrouve tout son éclat dans une nouvelle traduction qui en restitue l’humour et la force expressive.
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J’en suis arrivée aujourd’hui à la page 580 et je vais dresser un petit bilan temporaire de cette escalade.
Le Début de l’histoire :
Hans Castorp, le héros, est un jeune homme de vingt-quatre ans, qui est devenu orphelin très jeune et qui a été élevé successivement par son grand-père puis, à la mort de celui-ci, par un oncle. D’origine bourgeoise et relativement aisée, Hans choisit de faire des études d’ingénieur. A l’issue de ces études, il décide de partir pour trois semaines afin de se reposer en haute montagne, au sanatorium de Davos, en Suisse, un endroit luxueux où son cousin Joachim, malade des poumons, se soigne déjà depuis plusieurs mois. Dans ce sanatorium, il découvre un mode de vie assez lent et un emploi du temps toujours égal à lui-même, rythmé par les cinq repas journaliers, les heures de repos sur une chaise longue et les entrevues avec les médecins. Il sympathise également avec plusieurs pensionnaires, hauts en couleur et pittoresques, et tombe amoureux d’une patiente russe au visage énigmatique et aux yeux en amande, Clavdia Chauchat, à laquelle il n’ose pas adresser la parole. (…)
Mon Avis (à mi-parcours) :
C’est un roman ambitieux car il semble aborder la plupart des disciplines, découvertes et théories en vogue à l’époque où Thomas Mann l’écrivait. Ainsi, nous avons des exposés sur la toute récente théorie psychanalytique (inventée par Freud quinze ou vingt ans plus tôt), nous avons des explications médicales, biologiques et astronomiques les plus en pointe du début du siècle dernier (découvertes récentes de la radiographie au rayon X, de certaines planètes du système solaire, de la structure de l’atome et de la cellule des tissus biologiques, etc.). Le héros du roman, Hans Castorp, s’intéresse successivement à plusieurs disciplines scientifiques et il nous fait, de temps en temps, profiter de l’état de ses connaissances. On se rend compte, à travers ces passages scientifiques, que Thomas Mann accordait visiblement une grande importance au Progrès, et qu’il croyait probablement à une grande amélioration de la vie humaine grâce à toutes ces nombreuses découvertes. Dans ce roman, par le biais du personnage de l’homme de lettres italien, Lodovico Settembrini, il y a aussi de nombreuses considérations philosophiques et littéraires au sujet du Temps, de la Mort, de la Vie, de l’Action contre l’Apathie, de notre civilisation et cultures européennes qui sont peut-être en voie de dégénérescence, etc. D’ailleurs, à travers ces thèmes, discrets mais bien présents, de la « pureté » et de la « dégénérescence » on a comme une très lointaine et naïve préfiguration des concepts politiques des années 30, qui allaient donner à ces mots des connotations beaucoup plus précises, racistes, idéologiques et dangereuses. Mais, ici, Lodovico Settembrini ne peut certainement pas être soupçonné de telles idées, lui qui défend la liberté, l’humanisme, la démocratie, la culture, et, en un mot, une vision progressiste de la société, où il cherche à abolir la souffrance. C’est aussi un roman au rythme lent et même d’une lenteur extrême. Dans les premiers temps du séjour d’Hans Castorp au sanatorium, chaque heure de son emploi du temps est méticuleusement décrite, chaque personne qu’il croise et chaque objet qu’il touche sont détaillés de pied en cap et de bout en bout. Par moments, j’ai pensé à Proust qui donne lui aussi l’impression de tout examiner à la loupe ou au microscope, avec un œil hyper vigilant et maniaque, sauf que Proust semble plutôt préoccupé de psychologie, d’impressions subjectives et de vie intérieure, tandis que Thomas Mann m’a semblé plus philosophe et intéressé par les grandes idées générales. Compte tenu des 580 pages que je viens de lire, je dirais qu’il ne s’est pas passé grand-chose, l’histoire se résume à peu d’événements, mais il y a un intérêt réel grâce aux dialogues très riches et aux nombreuses idées qui sont débattues entre les personnages.
Je vous retrouverai pour un deuxième article à la fin des 1103 pages.
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Un Extrait Page 308
« Permettez ! Ingénieur, permettez-moi de vous le dire en confidence : la seule manière de considérer la mort qui soit saine et noble, mais aussi RELIGIEUSE, je l’ajoute expressément, consiste à la saisir et à la percevoir comme une partie intégrante de la vie, un corollaire, un préalable sacré, et non point – ce serait tout sauf sain, noble, raisonnable et religieux – à l’en dissocier par l’intellect, à créer une antinomie, voire à la dresser contre la vie, ce qui serait tout à fait répugnant. Les Anciens décoraient leurs sarcophages de symboles de vie et de procréation, voire d’attributs obscènes, et dans la religion antique, on le sait, le sacré est bien souvent indissociable de l’obscénité. Ces gens-là savaient honorer la mort. La mort force le respect, étant le berceau de la vie, la matrice du renouveau. Séparée de la vie, elle devient un spectre, un atroce rictus, et pis encore. Vue comme une puissance spirituelle autonome, la mort est fort dépravée, et la séduction vicieuse qu’elle exerce est d’une force indubitable ; il n’empêche que sympathiser avec elle est, sans conteste, le plus monstrueux égarement de l’esprit humain. »
Ca fait longtemps que j’entends parler de la poétesse argentine Alejandra Pizarnik et il m’est arrivé plusieurs fois de lire ses poèmes sur des blogues, avec un très grand plaisir. J’ai donc acheté chez Gibert un recueil choisi au hasard, d’après son titre et mon humeur du moment : « Les travaux et les nuits », publié chez Ypsilon dans une traduction de Jacques Ancet, un livre écrit en 1965 par Alejandra Pizarnik, alors qu’elle résidait à Paris.
Cet article s’inscrit dans le Mois sur la Maladie Psychique d’octobre 2022.
Note sur la poète
Alejandra Pizarnik, née en 1936 en Argentine, au sein d’une famille d’immigrants juifs d’Europe Centrale, fait des études de philosophie, de lettres et de journalisme et vit à Paris entre 1960 et 1964, où elle suit des cours à la Sorbonne et fréquente le milieu littéraire. Durant les années suivantes, après être rentrée en Argentine, elle publie ses ouvrages les plus importants. Après deux tentatives de suicide en 1970 et 1972, elle passe plusieurs mois en hôpital psychiatrique et se donne la mort le 25 septembre 1972, à l’âge de trente-six ans.
Note de l’éditeur sur ce livre (Extrait)
Publié en 1965 à Buenos Aires, LES TRAVAUX ET LES NUITS recueille les poèmes qui ont été pour la plus grande partie composés à Paris. Les trois parties qui le constituent évoquent les phases d’un amour marqué d’emblée par le sceau du poème. Une présence petit à petit s’étiole, Alejandra Pizarnik lutte, avec le langage et le corps, pour tenir aux côtés de l’autre d’abord incarné, puis, de plus en plus loin, pour faire face à l’autre de toujours devant le miroir. » Pour elle a pris fin un voyage dont elle ne croit nous livrer qu’un contour, un dessin sur le mur ; pour nous en commence un autre. » écrit Olga Orozco au sujet de ce livre. (…)
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Quelques Poèmes
Révélations
La nuit à tes côtés les mots sont des clés – sont des clés. Le désir de mourir est roi.
Que ton corps soit toujours l’espace aimé des révélations.
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Ta Voix
Embusqué dans mon écriture tu chantes dans mon poème. Otage de ta douce voix pétrifiée dans ma mémoire. Oiseau accroché à sa fuite. Air tatoué par un absent. Montre qui bat avec moi pour que jamais je ne m’éveille.
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Vert Paradis
J’ai été si étrange quand voisine de lointaines lumières je réunissais des mots très purs pour créer de nouveaux silences
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Chambre seule
Si tu oses surprendre la vérité de ce vieux mur ; et ses fissures, ses déchirures, formant des visages, des sphinx, des mains, des clepsydres, sûrement viendra une présence pour ta soif, probablement elle s’en ira cette absence qui te boit.
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Mémoire
Harpe de silence où la peur fait son nid. Plainte lunaire des choses qui signifie l’absence.
Espace à la couleur close. Quelqu’un cloue et prépare un cercueil pour l’heure, un autre cercueil pour la lumière.
Anne Barbusse avait publié l’année dernière aux éditions Unicité un beau « journal psychiatrique » intitulé Moi la dormante, que j’avais beaucoup aimé.
Elle publie en cette année 2022, toujours aux éditions Unicité, la suite de son récit poétique, écrit à l’hôpital en 2004, intitulé « Les accouchantes nues« . Nous y suivons son parcours de vie, de cœur et de santé au long de ces semaines particulièrement riches sur le plan affectif et émotionnel. Des semaines de mars et d’avril qui voient aussi l’éveil de la nature, l’éclosion des bourgeons et des fleurs, qui trouvent un écho émouvant dans ses pensées.
La poète oscille entre le désespoir et l’exaltation amoureuse, et ressent cycliquement un sentiment d’abandon et d’angoisse – que l’on pourrait se contenter de voir comme purement pathologique si l’on adoptait un regard superficiel – mais que l’on peut aussi considérer comme notre sort commun, la condition de notre vie humaine, que nous devons tous affronter un jour ou l’autre, quelle que soit notre santé psychologique. En effet, Anne Barbusse doit faire face à plusieurs ruptures affectives très douloureuses durant cette hospitalisation psychiatrique et l’attitude autoritaire et restrictive des soignants n’arrange pas toujours les choses. Des deuils difficiles à faire, des désirs inassouvis, se mêlent à un grand sens de la beauté, à l’amour de la nature et à la nécessité vitale de l’écriture, poursuivie envers et contre tout. Et même quand le papier manque ou que le précieux cahier est rendu inaccessible par un cadenas bloqué ou que les soignants intrusifs veulent stopper cette création littéraire, l’écriture reste un secours inlassable et indispensable. J’ai senti dans ce recueil essentiellement un désir de vivre, d’aimer, de créer, d’exister pleinement et j’ai trouvé cela magnifique !
Note biographique sur la poète
Anne Barbusse est née en 1969 et habite dans un village du Gard. Agrégée de Lettres classiques, elle enseigne le français langue étrangère aux adolescents migrants. Elle écrit depuis longtemps mais n’a commencé à envoyer ses textes que depuis le printemps 2020, pendant le premier confinement. Publications dans des revues en ligne ou papier, un recueil aux éditions Encres vives, Les quatre murs le seau le lit, collection Encres blanches, décembre 2020, et un recueil aux éditions Unicité, Moi la dormante, septembre 2021. (Source : Site de l’éditeur)
Voici quelques extraits
Page 17
Pourquoi Dieu, dans l’épopée biblique, se repose-t-il le septième jour d’avoir créé le monde ? La création est-elle chose si fatigante ? N’est-ce pas plutôt pour signifier la nécessité du repos, de reposer son corps sur le monde, d’y trouver l’habitation sûre, poser ses membres sur la terre, s’y loger dans l’étroitesse ouverte de la maison-habitation ? Je ne supporte pas cette fierté du dieu biblique à avoir créé le monde. Trop de souffrances. L’artiste n’est jamais satisfait de sa création. Le dieu serait la perfection, preuve qu’il n’existe pas. Et la femme n’a été créée qu’à partir de l’homme, dans la grande dépendance. Le colporteur, l’aède ou l’écrivant de cette Bible était un homme qui, soit n’avait rien compris à l’être-distinct qu’est la femme, soit voulait signifier justement cette dépendance. Mais ne vaut-elle pas dans l’autre sens ? Donc je penche pour la première solution. Une belle histoire certes, mais trop d’assurance, comme dans toute épopée. Que peut en tirer notre univers empli d’hésitation ? Le dieu trouve que le monde est bien fait et justifie trop de souffrance.
Pages 98-99
pluie pluie enfin un accord ma parole accordée à la pluie
pluie le monde m’écoute consolation enfin
après la pluie je ne suis plus toute seule l’accompagnée de l’eau tombante des flaques et des gouttes – monde que j’accepte apaisée d’être rejointe
là où tu fais défaut vient la pluie quand visiteras-tu la malade de toi
grosses gouttes dit-elle comme gros chagrin disent les enfants – enfants et fous dans le dire réel
tu ne cesses plus de m’abandonner l’effondrement s’allonge dans la durée blessée tu ne cesses plus de me signifier que tu te dérobes – et la pluie tombe
Page 109
Etrange cette idée que dorénavant je peux livrer mon corps à n’importe qui puisque tu le dédaignes. Peut-être parce que livré au mépris. Volonté de salir, de souiller ce corps dont tu ne veux plus. Ou de le punir de ne pas t’avoir plu. Ne peux me passer du désir. Je suis désirée donc je suis. Dans la ronde des désirs. Des désirs tournant dans les airs. Que les draps sont froids sans tes bras. Pourquoi ne suis-je pas assez jolie ?
Dans le cadre de mon Mois thématique sur la Maladie psychique (en fait réduit à trois semaines) je vous présente ce recueil de la poète Domi Bergougnoux La Craquelure, publié chez Al Manar en septembre 2021. La poète évoque la maladie psychique de son fils dans des textes très expressifs où les détails du corps du jeune homme et ses attitudes angoissées sont observés avec acuité et compassion. A travers son regard de compréhension douloureuse, la poète exprime à la fois la souffrance de son fils et la sienne propre, se faisant mutuellement écho..
Note sur la Poète
Domi Bergougnoux a publié des textes dans de nombreuses revues et blogs de poésie : Lichen, Le Capital des mots,17 secondes, Poésie première, Recours au Poème, l’Ardent Pays, Possibles. Deux recueils : Où sont les pas dansants ? en 2017 et Dans la tempe du jour en 2020 aux Editions Alcyone.
Quatrième de Couverture
Domi Bergougnoux écrit la souffrance, celle du fils et celle de la mère. L’amour s-y entend comme un cri qui serait murmuré, se dessine en rythmes, en images, en musique. Si l’on devait donner une couleur aux poèmes de Domi Bergougnoux ce serait le bleu, comme le blues, mais aussi comme l’horizon, cette espérance au loin.
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Page 17
Homme ébloui
Il a résisté à l’invasion des rumeurs sous son crâne il a émoussé le tranchant froid des jours
Sur son chemin jalonné de chutes il a joué avec la mort au plus vif au plus intense de son âme il a lancé des prières et des reproches à Dieu et à la lune
Il cache son secret sous des oripeaux d’orgueil il ouvre un tiroir plein de chagrins il regarde un ciel découpé à la fenêtre close
Sa tête toujours trop vide ou trop pleine ses yeux trop fixes ou trop brillants ses mains maculées de cendres et de brûlures il porte son blouson même par grand soleil une sueur âcre imprègne son armure de cuir
Il se débat chaque matin dans un halo de silence et de voix
Quand donc viendra l’amour pour son cœur illuminé cerné de doute
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Page 52
Fou ?
Il était fou peut-être mais les autres ?
Marionnettes asservies yeux recouverts une taie opaque les empêchait de voir le gouffre du réel s’ouvrir sous leurs pieds standardisés normés calibrés
Lui le fou avançait à pas de côté à pas glissés chassés dansés et ses pas de géant traversaient les abîmes
La poète Cécile Guivarch, qui anime également le site Terre à Ciel, m’a prêté ce magnifique livre de la poète américaine Anne Sexton (1928-1974) qui vient de paraître aux éditions des Femmes en 2022 dans une traduction de Sabine Huynh. Dans le cadre de mon Mois sur la Maladie Psychique, je vous propose deux de ses poèmes où il est question de ses hospitalisations psychiatriques et de ses épisodes dépressifs.
Note sur la Poète
Née en 1928, Anne Sexton, de son vrai nom Anne Gray Harvey, souffre de dépression dès 1954 et fait ensuite plusieurs rechutes. C’est à l’hôpital psychiatrique qu’elle commence à écrire de la poésie, à l’occasion d’ateliers d’écriture. En 1948, elle s’était mariée avec Alfred Muller Sexton, avec qui elle aura deux filles, et dont elle divorcera au début des années 70. Ses recueils poétiques remportent du succès, en particulier « Live or die » (« Tu vis ou tu meurs ») qui reçoit le Prix Pullitzer en 1967. Elle a été l’amie de la poète Sylvia Plath. Elle est la représentante principale de la poésie confessionnaliste et a fait entrer dans le champ poétique des sujets typiquement féminins, qui étaient tabous jusque-là, en littérature et dans la société. Anne Sexton s’est suicidée en octobre 1974, à l’âge de 45 ans.
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Page 103
BERCEUSE
C’est un soir d’été. Les phalènes jaunes s’écrasent contre les moustiquaires fermées et les rideaux ternes adhèrent au rebord de la fenêtre, depuis un autre immeuble une chèvre appelle dans ses rêves. C’est la salle de télévision de la meilleure aile de l’asile. L’infirmière de nuit distribue les pilules du soir. Deux gommes amortissent ses pas la portant vers chacune de nous.
Mon somnifère est blanc. C’est une perle splendide ; elle me fait flotter hors de moi, ma peau piquée m’est aussi étrangère qu’un coupon de tissu lâche. Je ne prêterai pas attention au lit. Je suis du linge sur une étagère. Que les autres gémissent en secret ; que toutes les phalènes égarées rentrent chez elles. Vieille tête de laine, prends-moi comme une phalène jaune pendant que la chèvre chante fais dodo.
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Page 72
A DIT LA POETESSE A SON ANALYSTE
Mon affaire, ce sont les mots. Les mots sont comme des étiquettes, ou des pièces de monnaie, ou mieux, un essaim d’abeilles. J’avoue que seules les sources des choses arrivent à me briser ; comme si les mots étaient comptés telles des abeilles mortes dans le grenier, détachées de leurs yeux jaunes et de leurs ailes sèches. Je dois toujours oublier comment un mot est capable d’en choisir un autre, d’en façonner un autre, jusqu’à ce que j’aie quelque chose que j’aurais pu dire… mais sans l’avoir fait.
Votre affaire, c’est de surveiller mes mots. Mais moi je n’admets rien. Je travaille avec ce que j’ai de mieux, par exemple, quand je parviens à écrire l’éloge d’une machine à sous, cette nuit-là dans le Nevada : en racontant comment le jackpot magique est arrivé alors que trois cloches claquetaient sur l’écran de la chance. Mais si vous disiez de cette chose qu’elle n’existe pas, alors je perdrais mes moyens, en me rappelant la drôle de sensation de mes mains, ridicules et encombrées par tout l’argent de la crédulité.
Dans le cadre de mon Mois sur la Maladie Psychique d’octobre 2022, j’ai lu le très célèbre roman, d’inspiration autobiographique, de Sylvia Plath, où elle relate l’histoire de sa très grave dépression, depuis les tout premiers signes, à peine perceptibles, jusqu’à ses plus graves manifestations et les traitements médicaux dont elle fut la victime sous contrainte. Il s’agit de l’unique roman écrit par Sylvia Plath, il fut publié sous le pseudonyme de Victoria Lucas en 1963, à Londres, un mois avant le suicide de son autrice.
Note pratique sur le livre :
Editeur : L’Imaginaire, Gallimard Première date de publication : 1963 Date de première publication en français : 1972 Traduit de l’anglais (américain) par Michel Persitz Préface de Colette Audry Note biographique de Lois Ames Nombre de pages : 267
Rapide présentation :
Esther Greenwood est une brillante étudiante de dix-neuf ans. Avec onze autres concurrentes, elle vient de gagner un concours de poésie organisé par un célèbre magazine de mode féminin. En cette qualité, les jeunes filles sont invitées à New York pour plusieurs semaines mais ce séjour n’est pas vraiment une réussite, bien qu’elles aillent de réceptions en réceptions et de fêtes en fêtes. De retour dans sa petite ville d’origine, chez sa mère, Esther Greenwood sombre dans une grave dépression et les idées suicidaires l’envahissent de manière permanente. La consultation d’un psychiatre aux méthodes radicales et brutales, loin de la guérir, ne fait qu’aggraver son désespoir et son envie d’en finir.
Mon Avis très subjectif
Comme on peut s’y attendre, ce roman d’inspiration autobiographique reflète une grande souffrance et l’écrivaine décrit des événements particulièrement durs, des épisodes désagréables et parfois sanglants de son existence, des tentatives de suicide, des séances d’électro-chocs, des échecs, des incompréhensions avec ses amies ou avec ses possibles prétendants, des heurts avec sa mère, etc. Pourtant, au début du livre, on a l’impression que l’héroïne a « tout pour être heureuse », pour reprendre une expression banale et superficielle. Elle est une étudiante brillante, elle vient de remporter un glorieux Prix de Poésie et se trouve invitée à New York pour festoyer, danser, se faire des relations, s’amuser et mener la belle vie, elle est courtisée par un étudiant en médecine séduisant, qui voudrait l’épouser et dont elle est amoureuse depuis plusieurs années… Et pourtant rien ne va. On sent qu’Esther Greenwood est dégoutée par tout ça. Un dégoût qui trouve son expression littéraire dans la longue scène d’intoxication alimentaire avec le crabe avarié, quand toutes les lauréates du concours n’arrêtent pas de vomir, tombent inanimées et frôlent la mort. Sylvia Plath aborde souvent le sujet de la condition féminine – particulièrement difficile dans les années 1950-60 aux Etats-Unis, la place des femmes étant principalement à la maison, et leurs libertés se trouvant réduites à l’extrême. Ce manque de liberté et ces perspectives restreintes semblent lui peser énormément car elle a visiblement de l’ambition et elle est consciente de son immense talent. Certainement, elle avait un grand appétit de vivre, un fort désir d’épanouissement et de très hautes espérances, mais comme la société de son époque ne lui offrait que des opportunités médiocres et lui demandait de renoncer à beaucoup de ses ambitions, elle ne pouvait que se désespérer. C’est un terrible gâchis, qu’on ait brimé et brisé les femmes de talent durant tant de siècles… Bien que Sylvia Plath ait écrit ce livre dans une période de maladie, j’ai trouvé qu’elle gardait une lucidité et une acuité très vive – visiblement très consciente de tout ce qui lui arrivait – ce qui parait encore plus triste. Un livre dur, éprouvant, mais dont l’écriture riche en images et en métaphores m’a paru superbe.
Un Extrait page 176
(…) Quand les gens se rendraient compte que j’étais folle à lier – et cela ne manquerait pas de se produire malgré les silences de ma mère – ils la persuaderaient de m’enfermer dans un asile où l’on saurait me guérir. Seulement voilà, mon cas était incurable. Au drugstore du coin j’avais acheté quelques livres de poche sur la psychologie pathologique. J’avais comparé mes symptômes avec ceux qui étaient décrits dans les livres, et bien entendu, mes symptômes étaient ceux des cas les plus désespérés. En dehors des journaux à scandales, je ne pouvais lire que des livres de psychologie pathologique. C’était comme si on m’avait laissé une petite faille grâce à laquelle je pouvais tout apprendre sur mon cas pour mieux en finir. Je me suis demandé après le fiasco de la pendaison s’il ne valait pas mieux abandonner et me remettre entre les mains des docteurs. Mais je me suis souvenue du docteur Gordon et son appareil à électrochocs personnel. Une fois enfermée, ils pourraient m’en faire tout le temps. J’ai pensé aux visites de ma mère et de mes amis qui viendraient me voir jour après jour, espérant que mon état allait s’améliorer. Mais leurs visites s’espaceraient et ils abandonneraient tout espoir. Ils m’oublieraient. (…)
Dans le cadre de mon Mois sur la maladie psychique, qui est en fait réduit à une période de trois semaines cette année (1er au 20 octobre 2022), je vous parlerai de la poète suédoise d’origine juive allemande (et de langue allemande) et Prix Nobel de Littérature en 1966, Nelly Sachs (1891 à Berlin -1970 à Stockholm).
Note pratique sur le livre :
Genre : poésie Titre : Partage-toi, nuit Editeur : Verdier Date de Publication en français : 2005 Dates de Publication en allemand : 1961, 1965, 1966, 1971 Traduit de l’allemand par Mireille Gansel (et postface) Nombre de Pages : 227 (235 avec la postface)
Présentation de la poète
Nelly Sachs commence à écrire à l’âge de 17 ans et publie ses premiers textes, nouvelles et poèmes, dès le début des années 1920. Elle reçoit les encouragements et les conseils de Stefan Zweig et de Selma Lagerlöf, avec qui elle se lie. Dès 1940 elle peut échapper aux persécutions nazies en s’exilant à Stockholm avec sa mère mais plusieurs membres de sa famille et quelques uns de ses proches sont déportés dans les camps de concentration et victimes de cette barbarie. Nelly Sachs souffre dès lors de troubles psychiques et commence à témoigner par ses écrits de ces pages historiques douloureuses et tragiques. Amie de Paul Celan, avec qui elle entretient une longue correspondance, leurs œuvres à tous les deux cherchent à exprimer ce deuil insurmontable des survivants de la Shoah et le désir de mémoire. Les dernières années de la vie de Nelly Sachs furent marquées par son combat contre la maladie psychique et les séjours en hôpitaux psychiatriques, dont parlent, entre autres, ses derniers poèmes des années 60.
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Ces trois poèmes sont extraits du dernier recueil de la poète, intitulé « Partage-toi, nuit » (écrits après 1966, jusqu’en 1970) et qui sont, selon l’éditeur, à la fois ses plus douloureux et ses plus émouvants, parmi l’ensemble de son œuvre.
Page 166
Blancheur dans le parc de l’hôpital
I
Dans la neige va la femme elle tient sur son dos mal agrippés en grand secret des rameaux cassés avec leurs bourgeons encore couverts de nuit
Elle cependant dans la démence toute silencieuse dans la neige regardant autour de soi, et grands ouverts les yeux où de tous côtés entre le néant –
Mais à la dérobée les lointains dans sa main se sont mis en mouvement –
II
Le silence abreuvé de tant de blessures religion des orants qu’on a déjà emmenés vit encore du martyre toujours nouveau comme le printemps
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Page 192
Je vous fais ici prisonnières vous paroles tout comme vous en m’épelant jusqu’au sang me faites prisonnière vous êtes les battements de mon cœur vous comptez mon temps ce vide marqué de noms
Laissez-moi voir l’oiseau qui chante sinon je croirai que l’amour ressemble à la mort –
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Page 221
Ô vous mes morts Vos rêves sont devenus orphelins La nuit a recouvert les images Envolée en chiffres, votre langue chante
La cohorte d’exode des pensées votre legs migrant mendie à mon rivage
Je suis inquiète très effrayée de saisir ce trésor avec ma vie si petite
Moi-même dépositaire d’instants de battements de cœur, d’adieux de blessures de mort, où est mon héritage
Dans le cadre de ce Mois sur la Maladie psychique, qui commence aujourd’hui, j’ai vu ce film français de Laurence Ferreira Barbosa qui date de 1993, avec Valéria Bruni-Tedeschi, Melvil Poupaud, Claire Laroche, Frédéric Diefenthal, Marc Citti, Berroyer, et toute une excellente troupe d’acteurs. En fait, j’avais déjà vu ce film à sa sortie et j’en gardais un souvenir flou, mais agréable, donc je l’ai revu ce matin pour me le remettre bien en tête.
Début de l’histoire :
Une jeune femme, Martine (Valeria Bruni-Tedeschi), âgée d’une vingtaine d’années, traverse une période difficile de sa vie. François (Serge Hazanavicius), son compagnon vient de la quitter pour une autre femme (Sandrine Kiberlain), après trois ans de relation. La vie professionnelle de Martine n’est pas très satisfaisante non plus car elle travaille dans une centrale d’appels téléphoniques où elle est supposée vendre des décorations de salles de bains et se fait souvent rabrouer par ses interlocuteurs. Un de ses collègues, très gentil, (Frédéric Diefenthal) est amoureux d’elle sans qu’elle lui prête beaucoup d’attention, malgré une nuit passée ensemble. Un soir, Martine se cogne le crâne, de manière délibérée et avec violence, contre une vitrine de magasin et, après un moment d’inconscience, elle devient partiellement et temporairement amnésique. La police l’amène dans un hôpital psychiatrique où elle va faire connaissance avec un certain nombre de psychotiques qui ont tous des problèmes réels et imaginaires, et qu’elle va essayer d’aider et de soutenir moralement. (…)
Mon avis :
C’est un film qui porte un regard affectueux et tendre sur les malades psychotiques, dont les bizarreries peuvent parfois porter à sourire, car elles semblent saugrenues, et qui sont, à d’autres moments, très émouvantes car révélatrices de grandes souffrances intérieures. A travers cette petite dizaine de portraits de « fous » nous avons une image assez sympathique et empathique de la folie et on sent que la réalisatrice cherche à réhabiliter la vision du psychotique, à rompre totalement avec les figures à la Norman Bates et autres monstres sanguinaires dont a toujours raffolé le cinéma américain, entre autres. En même temps, un certain réalisme semble guider le scénario et plusieurs situations paraissent véritablement inspirées par des scènes vécues ou des personnages rencontrés dans des asiles, et ce sens du réel reste assez frappant, encore de nos jours, alors que le film date de presque trente ans. L’héroïne, jouée par Valéria Bruni-Tedeschi, est supposée être un cas psychologique moins grave que les autres, dans le sens où elle n’est pas enfermée, elle sort de l’hôpital au gré de ses envies, mais son attitude altruiste nous paraît souvent déplacée et exagérée. Très exaltée, émotive, et n’ayant que le mot « amour » à la bouche, elle veut faire le bonheur des autres patients, que ça leur plaise ou non et souvent contre leur volonté, et ne parvient finalement qu’à semer le désordre et l’embarras autour d’elle. D’ailleurs, le personnage de Germain (Melvil Poupaud) la traite à un moment de dictateur, ce qui est assez bien vu, même si son autoritarisme provient d’une générosité mal canalisée. Peut-être que l’héroïne, ayant du mal à trouver des raisons de vivre et traversant, comme elle le dit, une crise existentielle, découvre dans cet univers psychotique et dans la souffrance d’autrui une justification à son existence et une échappatoire à ses propres soucis. Un film qui m’a plu, dans l’ensemble, grâce à son acuité psychologique, quelques moments d’humour, une histoire assez prenante et des portraits qui ne tombent jamais dans la caricature.