La revue Décharge et les éditions Gros Textes font paraître quatre fois par an les petits livres de la collection « Polder » – deux au printemps et deux en automne. J’ai apprécié celui de la poète Hélène Miguet, intitulé Comme un courant d’air, qui montre une vivacité dans le maniement des mots et une façon de jongler avec les images qui réveille l’esprit et qui parait très entraînante. Ce recueil est paru en novembre 2022 et c’est le Polder numéro 195.
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J’avais déjà publié sur ce blog, il y a longtemps (2013), des poèmes sur le thème de la passante – répartis sur deux articles – et je vous en donne les liens pour rappel : Premier Article – Deuxième Article – Comme vous le voyez, Hélène Miguet se situe par ce thème dans une longue tradition héritée des romantiques, mais sa vision de la passante est tout à fait contemporaine, personnelle et renouvelée.
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Nous sommes de ce monde où tout passe les anges le temps les voitures tunées et même les femmes
elles sont le sillage des villes évanescence faite charme ou parfum et si rien de tout cela un peu d’entêtement né de l’écume d’un trottoir
elles passent et laissent dans leur sillage une empreinte légère qu’elles ne connaissent pas
parfum de nuages volé au temps
ce peu de traces n’est au fond qu’une façon de s’effacer suavement
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Passantes pâles éternellement hantées par les heures citadines si vite transparentes que la ville les oublie mangées par une rue de brume un soir tombé trop tôt sur un quai noir
alors fantômes élancés elles en perdent la tête se diluent n’emportant avec elles qu’un réverbère au côté gauche
Dans le cadre du Mois de L’Europe de l’Est organisé par Eva et Patrice du blog « Et si on bouquinait un peu », j’ai choisi de lire l’un des écrivains albanais les plus connus : Ismail Kadaré, que je n’avais encore jamais lu mais dont je n’avais entendu dire que du bien.
Note Pratique sur le livre
Editeur : Zulma poche Date de publication initiale : 1978 (date de la présente édition : 2022) Traduit de l’albanais par Jusuf Vrioni Nombre de Pages : 173
Quatrième de Couverture
Par une nuit de brume, Doruntine se présente chez sa mère après trois ans d’absence. Son frère Konstantin l’aurait ramenée des lointaines contrées de Bohême où elle s’est mariée. Il en avait certes fait le serment, mais chacun sait qu’entre-temps il est mort à la guerre. Sommé par les autorités d’élucider l’affaire pour mettre fin aux superstitions et aux plus folles rumeurs, le capitaine Stres soupçonne une imposture de haute volée. Il n’a qu’une obsession : retrouver le cavalier de Doruntine… Au cœur de l’Albanie légendaire, entre croyances et fantasmes, mystère et rationalité, Kadaré transforme un mythe fondateur en une enquête palpitante.
Né en 1936 dans le Sud de l’Albanie, traduit dans plus de quarante langues, Ismail Kadaré est considéré comme l’un des plus grands écrivains européens contemporains.
Mon humble avis
J’ai d’abord été très emballée par ce roman, qui est un peu comme une enquête policière, avec un fort suspense et un certain nombre de mystères qui nous sont habilement exposés et qui m’ont tenue en haleine pendant presque la moitié du livre. Mais il m’a semblé que ce suspense ne réussissait pas à se maintenir sur la durée et, au bout d’un moment, l’histoire se met à patiner, on n’avance plus beaucoup et on se dit que l’auteur est un peu en panne d’idées. Et c’est surtout la fin qui est très décevante et frustrante car l’intrigue ne trouve pas son dénouement : nous n’aurons pas l’explication de cette affaire et l’auteur nous laisse en plan, avec une fin en queue de poisson qui est supposée élever le débat et élargir notre vision mais qui, en réalité, ne parvient pas à convaincre et laisse le lecteur sur sa faim. Malgré tout j’ai apprécié les talents de conteur de cet écrivain, sa manière de nous conduire de péripéties en péripéties et de nous ménager des surprises et de faire naître des craintes. J’ai trouvé surtout qu’il aimait bien jouer avec les convictions et déductions du lecteur – avec ses désirs de rationalité ou au contraire ses élans vers le surnaturel – en le ballottant sans cesse de l’un vers l’autre et en le renvoyant finalement à ses propres attentes et croyances personnelles. Un livre qui a donc de nombreuses qualités mais dont la fin n’est pas tellement satisfaisante et qui laisse trop de questions sans résolution.
Un Extrait page 12
Continuant de conjecturer sur ce choc que la mère et la fille se seraient mutuellement causé (par déformation professionnelle, Stres et son adjoint donnaient de plus en plus à leurs propos le tour d’un rapport d’enquête), ils reconstituèrent approximativement la scène qui avait dû se produire au beau milieu de la nuit. Des coups avaient été frappés à la porte de la vieille maison, à une heure insolite, et, à la question posée par la vieille dame : « Qui est là ? », une voix au-dehors avait répondu : « C’est moi, Doruntine. » En allant ouvrir, la vieille, troublée par ces coups soudains et convaincue que ce ne pouvait être la voix de sa fille, demande, comme pour s’ôter un doute : « Qui t’a ramenée ? » Il faut dire qu’il y a trois ans que, cherchant consolation à sa douleur, elle attend en vain la venue de sa fille. De l’extérieur, Doruntine répond : « C’est mon frère Konstantin qui m’a ramenée. » Là, la vieille reçoit le premier choc. Peut-être, malgré son ébranlement, a-t-elle eu encore la force de répondre : « Mais qu’est-ce que tu me chantes là ? Konstantin et ses frères reposent depuis trois ans sous terre. » C’est maintenant le tour de Doruntine d’être atteinte. Si elle a vraiment cru que c’était son frère Konstantin qui l’avait ramenée, le choc pour elle est double, car elle apprend que Konstantin et ses autres frères sont morts et elle prend simultanément conscience qu’elle a voyagé avec un fantôme. (…)
Cécile Guivarch est une poète dont je suis les publications depuis plusieurs années et je me suis aussi intéressée ces derniers temps à ses deux premiers livres, que je ne connaissais pas encore, « Terre à ciels » (2006) et « Te visite le monde » (2009) et c’est de ce deuxième livre qu’il est question aujourd’hui.
Mon Avis
Dans ce recueil, la poète parle à sa petite fille, et nous parle d’elle en même temps, de sa naissance et des premières étapes de sa croissance – premiers regards, premiers pas, premiers mots – avec beaucoup de gaité, de malice et de tendresse. Le langage poétique est très élaboré, autour de ce babil enfantin et de ces gazouillis du premier âge qui s’y incorporent gracieusement, et c’est un grand plaisir de plonger dans cette connivence, cette complicité affectueuse entre une poète et sa fille. Un très joli livre, lumineux, chaleureux, réconfortant.
Note sur le livre
Editeur : Les Carnets du Dessert de Lune Date de publication : 2009 Préface de Perrine Le Querrec Illustration de Fanny Wuyts Nombre de Pages : 42
Note sur la poète
Cécile Guivarch est née en 1976 près de Rouen et vit depuis plusieurs années à Nantes. Le jour, elle travaille dans les chiffres et le soir elle se passionne pour la lecture et l’écriture. Elle a créé et co-anime le site Terre à Ciel. Diverses publications en revues (…). (Source : éditeur)
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Page 17
tu ris chante areuh babou pour rien moins que cela le soleil dans ta chambre
dire qui quoi comment au monde ce qui à tes yeux n’est pas rien le visage ta mère le tien
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c‘est fou ton air fripouille tes yeux tu nages au bord à rire comme pas deux
tes salades elle les avale ta mère du bout du nez tu tires la ficelle le chat s’en va bien fait pour toi
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yeux tout plein étincellent le visage flou tes parents le cœur palpite comme
frison d’arbre elle te regarde ta bouche en forme de O ta teinte plus claire que le cœur
Dans le cadre du MoisdeL’Europedel’Est organisé par Eva, Patrice et Fabienne je vous présente aujourd’hui le premier recueil de nouvelles de Nicolas Gogol, écrit alors qu’il n’avait que vingt-deux ans, et qui lui a valu d’emblée un grand succès.
J’ajoute que c’est grâce à Ana Cristina, animatrice très amicale de mon cercle de lecture, que j’ai eu l’idée de lire ces nouvelles, et je l’en remercie !
Note Pratique sur le livre
Editeur : folio classique Genre : nouvelles (ou contes) Première date de publication : 1831 Traduction du russe et préface par Michel Aucouturier Nombre de Nouvelles : huit Nombre de pages : 268
Note biographique sur l’écrivain
Nicolas Gogol nait en 1809, aîné de douze enfants, dans une famille de petits fonctionnaires anoblis. Sa santé est fragile. Il fait ses premiers pas littéraires en 1829, s’essaie à la poésie mais sans succès. À partir de 1830 il occupe des emplois dans des ministères et commence à écrire des nouvelles ukrainiennes. En 1831 il fait plusieurs rencontres importantes dans le monde littéraire et en particulier Pouchkine qui l’encourage. C’est à ce moment qu’il publie Les Soirées du hameau (1831 et 1832). Il donne des cours d’histoire et s’intéresse de plus en plus au mysticisme religieux et aux livres saints. Il voyage dans de nombreux pays d’Europe. Il publie en 1835 le recueil Arabesques qui contient, entre autres, Le Journal d’un fou, Le Portrait et La Perspective Nevski. En 1836 il fait scandale avec la pièce de théâtre Le Revizor et il se sent incompris, même par ses défenseurs. Il passe les dernières années de sa vie principalement à Rome et il tente de se consacrer à son dernier chef d’œuvre, Les Âmes mortes, dont il finira par jeter au feu une bonne partie, plongé dans un délire mystique. Il meurt à l’âge de quarante-deux ans, en 1852, des suites de mauvais traitements médicaux.
Quatrième de Couverture :
C’est en 1831 que paraissent à Saint-Pétersbourg Les Soirées du hameau, publiées par Panko le Rouge, éleveur d’abeilles. Derrière ce sobriquet se dissimule un écrivain de vingt-deux ans, qui utilise ses souvenirs d’enfance et le folklore de l’Ukraine.
Gogol devient aussitôt célèbre avec ces courts récits qui plaisent à la fois au public populaire et à Pouchkine : « Voici de la vraie gaieté, sincère, sans contrainte. »
Mon Avis
N’ayant encore jamais lu Nicolas Gogol, et plutôt habituée au style de Dostoïevski parmi les classiques russes (ou ukrainiens), j’ai été décontenancée par la première nouvelle et il m’a fallu un petit moment d’adaptation à cette écriture très artistement ciselée, abondamment imagée, d’un romantisme pittoresque qui rappelle parfois les poèmes en prose d’Aloysius Bertrand et surtout à ces histoires qui mêlent les notations humoristiques, les événements fantastiques pleins de diableries, de sorcelleries, de métamorphoses ou encore de fantômes. Mais, passé la surprise de la première nouvelle, je suis totalement rentrée dans cet univers insolite, et j’ai vraiment apprécié cette lecture qui a l’avantage d’être très dépaysante et qui me changeait complètement les idées à chaque fois que je m’y plongeais. Plus que des nouvelles, il me semble que ces histoires sont plutôt des contes pour adultes, avec tout un folklore et une imagerie typiquement ukrainiens (d’ après ce que j’ai pu lire dans les notes et la préface), une bonne place accordée aux Cosaques, à leurs danses, à leurs chansons, à leurs costumes et à leurs traditions. J’ai apprécié aussi les portraits psychologiques des différents personnages de ces histoires – alors que, souvent, dans les contes il y a peu de finesses psychologiques et les êtres sont stéréotypés – mais, ici, il y a au contraire une grande recherche de véracité dans les caractères et, surtout, certains défauts ou tempéraments qui peuvent prêter à sourire. Les deux nouvelles que j’ai le plus aimées sont la troisième et la cinquième, c’est-à-dire « La Nuit de mai ou la noyée » et « La Nuit de Noël », l’une pour sa poésie et son côté merveilleux, et l’autre pour son inventivité débordante et réjouissante, avec même une incursion chez la tzarine, la grande Catherine II, qui donne ses chaussures au héros. La nouvelle que j’ai un petit peu moins aimée est la sixième, « Une terrible vengeance » qui est dans un registre purement dramatique, sans aucune ironie, et où le côté horrifique est plus marqué et pris au premier degré, m’a-t-il semblé. Une excellente lecture, qui m’a donné envie de connaître d’autres œuvres de Gogol.
UnExtrait page 83
– Il faut croire que les gens ont raison de dire que les jeunes filles sont possédées d’un diable qui attise leur curiosité. Eh bien, écoute. Il y a longtemps de cela, mon petit cœur, cette maison était habitée par un centenier. Ce centenier avait une fille, une belle demoiselle blanche comme la neige, blanche comme ton joli visage. La femme du centenier était morte depuis longtemps ; et il avait décidé de se remarier. « Me câlineras-tu comme par le passé, mon père, lorsque tu auras pris une autre femme ? — Oui, ma fille, oui ; et je te serrerai encore plus fort contre mon cœur. Oui ma fille, je t’offrirai des boucles d’oreilles et des perles plus brillantes encore que par le passé. » Le centenier amena la jeune épouse dans sa nouvelle maison. Elle était belle, la jeune épouse. Elle avait les joues roses et le teint blanc, la jeune épouse ; mais elle lança à sa belle-fille un regard si chargé de menaces que celle-ci poussa un cri en la voyant ; et, de toute la journée, pas un mot ne sortit des lèvres de la rude marâtre. Vint la nuit ; le centenier se retira dans sa chambre avec sa jeune épouse ; la blanche demoiselle s’enferma elle aussi dans sa chambrette. La tristesse l’envahit et elle se mit à pleurer. Mais que voit-elle soudain ? Un effrayant chat noir s’avance vers elle à pas feutrés ; son poil est de flamme et ses griffes de fer résonnent sur le plancher. Terrifiée, elle saute sur le banc, et le chat la suit. D’un bond, elle est sur la soupente ; le chat la suit toujours, et, se jetant brusquement à son cou, il essaie de l’étouffer. (…)
UnExtraitpage241
La tante Vassilissa Kachporovna avait alors près de cinquante ans. Elle ne s’était jamais mariée et disait généralement que la vie de jeune fille était ce qu’elle avait de plus cher au monde. Du reste, autant que je m’en souvienne, personne n’avait jamais demandé sa main. La raison en était que tous les hommes se sentaient pris devant elle d’une sorte de timidité : ils avaient beau faire, ils ne trouvaient pas le courage de lui faire leur déclaration. « C’est une personne qui a vraiment beaucoup de caractère, Vassilissa Kachporovna » disaient les partis et ils avaient parfaitement raison, parce que Vassilissa Kachporovna savait rabattre son caquet à n’importe qui. Du meunier, qui n’était jadis qu’un ivrogne et un bon à rien, elle avait fait, à force de lui tirer chaque jour le toupet de sa main virile, un homme en or. Sa taille était quasiment gigantesque, son embonpoint et sa force parfaitement en rapport. Il semblait que la nature avait commis une erreur impardonnable en lui assignant de porter en semaine une capote brun foncé à petits volants, et un châle de cachemire rouge le dimanche de Pâques et le jour de sa fête, à elle qui était faite pour porter des moustaches de dragon et des bottes de cavalerie. (…)
A l’occasion de la Journée des Femmes, je consacre un article aux artistes femmes des années folles, à travers une exposition vue l’année dernière.
Du 2 mars au 10 juillet 2022 s’était tenue au Musée du Luxembourg à Paris l’exposition « Pionnières » qui présentait des peintures, sculptures, photographies, œuvres textiles et littéraires créées par des femmes artistes dans les années 1920-30. Ces pionnières, comme Tamara de Lempicka, Sonia Delaunay, Tarsila do Amaral ou encore Chana Orloff, nées à la fin du XIXè siècle ou tout début du XXè, accèdent enfin aux grandes écoles d’art, jusque-là réservées aux hommes. Au cours de ces années folles, les femmes acquièrent de nouvelles libertés, elles possèdent leurs propres ateliers, participent aux mouvements d’avant-garde, vivent comme elles l’entendent, font du sport, gagnent leur vie de manière autonome, se coupent les cheveux, etc. (Source : Site du Musée et moi)
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Je recopie ici un des Panneaux de l’Exposition :
Les Garçonnes
Après les traumatismes de la Grande Guerre et de la grippe espagnole qui avaient entraîné une profonde récession mondiale, s’installe une croissance économique et technique jamais vue auparavant.
Les artistes se saisissent de nouveaux sujets, tels que le travail et le loisir des femmes, transformant au féminin le modèle du sportif masculin, représentant le corps musclé à la fois compétitif, élégant et décontracté.
Joséphine Baker incarne cette « nouvelle Eve » qui découvre le plaisir de se prélasser au soleil (c’est le début de l’héliothérapie), utilise son nom pour développer des produits dérivés, pratiquant aussi bien le music-hall la nuit que le golf le jour. Véritable entrepreneuse, Baker ouvre un cabaret-restaurant, fonde un magazine et devient l’une des artistes les mieux payées d’Europe.
Ces « garçonnes » (mot popularisé par le roman de Victor Margueritte en 1922), sont les premières à gérer une galerie ou une maison d’édition, à diriger des ateliers dans des écoles d’art. Elles se démarquent en montrant des corps nus, tant masculins que féminins, en interrogeant les identités de genre. Ces femmes vivent leur sexualité, quelle qu’elle soit, s’habillent comme elles l’entendent, changent de prénom (Anton Prinner naît Anna Prinner, Marlow Moss naît Marjorie Moss) ou de nom (Claude Cahun est le pseudonyme de Lucy Schwob, Marcel Moore celui de Suzanne Malherbe, sa compagne de vie et de travail.) Leur vie et leur corps, dont elles sont les premières à revendiquer l’entière propriété, sont les outils d’un art et d’un travail qu’elles réinventent complètement.
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Jacqueline Marval – Baigneuse au maillot noir – 1923
Claude Cahun – Autoportrait – Photographie
Mon Avis
Cette exposition, organisée de manière thématique, réunissait des artistes extrêmement différentes les unes des autres par leurs styles, leurs tendances esthétiques, certaines très abstraites dans le style de Mondrian comme Marlow Moss ou plus proches des Delaunay comme Anna Beothy-Steiner (cf. tableau ci-dessus), d’autres aux styles figuratifs multiples et variés. Je ne sais pas si ces femmes auraient apprécié d’être ainsi mises « toutes dans le même sac » sous le seul étendard de leur identité de genre et en dehors de critères artistiques. Mais, malgré ce petit bémol, c’était une exposition intéressante où j’ai apprécié de découvrir certaines artistes que je ne connaissais pas, comme Mela Muter, Amrita Sher-Gil ou Irène Codreano, et où j’étais heureuse de retrouver des femmes peintres bien connues et admirables, comme Marie Laurencin, Suzanne Valadon ou Tamara de Lempicka.
Marie Laurencin – Femmes à la Colombe – 1919
Suzanne Valadon – La Chambre bleue – 1923
Tamara de Lempicka – La belle Rafaela – 1927
Irène Codreano – Portrait de Daria Gamsaragan – 1926
Dans le cadre du « Mois de l’Europe de l’Est« , auquel je participe chaque année au mois de mars, organisé par Patrice et Eva du blog « Et si on bouquinait un peu« , j’ai lu cette nouvelle de Dostoïevski, La Douce, qui raconte l’histoire d’un mariage malheureux, par une suite de malentendus et d’incompréhensions mutuelles.
Note Pratique sur le livre :
Editeur : Babel (Actes Sud) Première date de publication : 1876 Traduction du russe par André Markowicz Récit suivi de notes préparatoires et variantes Nombre de Pages : 72 pour la nouvelle, et environ 50 pages de notes.
Quatrième de Couverture
« Figurez-vous un mari dont la femme, une suicidée qui s’est jetée par la fenêtre il y a quelques heures, gît devant lui sur une table. Il est bouleversé et n’a pas encore eu le temps de rassembler ses pensées. Il marche de pièce en pièce et tente de donner un sens à ce qui vient de se produire. » Dostoïevski lui-même définit ainsi ce conte dont la violence imprécatoire est emblématique de son oeuvre. Les interrogations et les tergiversations du mari, ancien officier congédié de l’armée, usurier hypocondriaque, retrouvent ici – grâce à la nouvelle traduction d’André Markowicz – une force peu commune. Le texte de La Douce est suivi de versions préparatoires et de variantes – véritables invites à pénétrer dans la « fabrique de littérature » dostoïevskienne.
Mon humble avis
C’est un court roman où on retrouve le ton passionné, tourmenté et nerveux, typique de Dostoïevski. Le personnage principal a poussé sa femme au suicide, comme par un long processus enclenché dès le début de leur mariage, en soufflant successivement le chaud et le froid, en la contrariant sans cesse, en la désespérant, mais il n’a pas l’air d’en avoir conscience et il s’interroge sur les causes de son suicide alors qu’il est en réalité le vrai instigateur de ce geste. On se demande jusqu’à quel point il se rend compte de sa cruauté, ou s’il est tout à fait inconscient et agissant sans réelle préméditation, par impulsions, par réflexes. Dès le début de leurs relations, les choses ne commencent déjà pas très bien : comme elle est une jeune fille pauvre et maltraitée par ses tantes, il se présente comme un sauveur, le seul recours possible, et elle accepte de l’épouser, parce qu’elle n’a pas vraiment le choix. Ensuite, il s’emploie à se faire détester et mépriser par elle, alors qu’elle était disposée à l’aimer, et nous entrons peu à peu dans les méandres de sa psychologie bizarre, entre amour-propre et auto-flagellation, entre sadisme et masochisme. Dostoïevski a choisi la forme d’un monologue intérieur, le personnage principal se parle à lui-même (peut-être à voix haute) sous le coup de l’émotion, bouleversé par le drame qu’il a lui-même provoqué, et ainsi nous pouvons suivre pas à pas les mouvements désordonnés de ses pensées, le fil exact de ses souvenirs, dans leur succession bousculée. C’est donc un rythme haletant, très vivant et fortement émotionnel qui nous est proposé dans ce livre, comme si nous avions ce personnage devant nous et qu’il implorait notre attention et notre écoute apitoyée. J’ai compris ce roman comme une sorte d’étude psychologique sur le mal, la manière dont chacun de nous peut faire le mal en toute bonne conscience et sans y comprendre grand chose. Il y a sans doute des conclusions très morales à tirer de la lecture de ce roman, comme s’il nous montrait tous les détails d’un exemple à ne pas suivre, pour notre édification. Du moins, je l’ai interprété de cette façon. Un livre puissant et touchant, qui sonde les aspects sombres de l’âme humaine avec une grande profondeur.
Un Extrait page 41
Maintenant, ce souvenir terrifiant… Je me suis réveillé le matin, je pense à sept heures passées, il faisait presque jour dans la chambre. Je me suis réveillé net, avec ma pleine conscience, et j’ai ouvert les yeux d’un coup. Elle était devant la table, et elle tenait le révolver dans ses mains. Elle n’avait pas vu que j’étais réveillé, et que je regardais. Soudain, je la vois qui s’approche, avec le revolver. J’ai vite fermé les yeux, et j’ai fait semblant de dormir profondément. Elle est venue jusqu’au lit, elle s’est arrêtée devant moi. J’entendais tout ; un silence de mort venait de tomber, mais je l’entendais, ce silence. Il y a eu là un mouvement instinctif–soudain, irrésistiblement, j’ai ouvert les yeux, malgré moi. Elle me regardait en face, droit dans les yeux, le revolver était déjà sur ma tempe. Nos regards se sont croisés. Mais nous ne nous sommes pas regardés plus d’une seconde. J’ai mis tous mes efforts pour refermer les yeux, et, au même instant, j’ai décidé, de toutes les forces de mon âme, que je ne bougerais plus, que je n’ouvrirais plus les yeux, quoi qu’il puisse m’advenir. (…)
Vous aurez peut-être remarqué que j’aime bien Modiano, ayant déjà chroniqué cinq ou six de ses romans, et c’est toujours un plaisir particulier de retrouver l’atmosphère de ses livres, d’explorer avec lui divers quartiers de Paris, de partir sur les traces en partie effacées d’un personnage, d’un souvenir, d’une affaire plus ou moins louche. Et on retrouve en effet tous ces éléments dans « L’horizon », qui nous promène, entre autres, du Parc Montsouris aux Jardins de l’Observatoire puis du quartier de Bercy à l’Allemagne et qui propose quelques va-et-vient des années 60 à notre époque contemporaine.
Note Pratique sur le livre
Editeur : Folio (initialement, Gallimard) Année de publication : 2010 Nombre de Pages : 167
Résumé succinct de l’histoire
Le héros, Jean Bosmans, est un libraire parisien et il s’essaye à l’écriture. Sa librairie dépend des Editions du Sablier, spécialisée dans les sciences occultes et l’ésotérisme. Il a une relation avec une jeune secrétaire et occasionnellement gouvernante, Margaret Le Coz, qui travaille dans un bureau avec une bande de collègues inquiétants. Nos deux héros sont pourchassés depuis plusieurs années par des importuns malveillants : Margaret par un homme dénommé Boyaval et Jean Bosmans par sa mère, une femme agressive aux cheveux rouges, accompagnée par un homme qui a l’air d’un prêtre défroqué. Le jeune couple croise parfois par hasard ces ennemis potentiels ou réels, mais il arrive toujours à leur échapper et il déménage dans un autre quartier.
Mon Avis
Le livre instaure un climat d’étrangeté et surtout de menace, qui pourrait évoquer très vaguement une ambiance de roman policier, sauf qu’aucun crime ne se produit. Le jeune couple de héros ne cesse de fuir des personnages prétendument menaçants, voire dangereux, mais on se demande jusqu’à quel point ces dangers existent et si notre jeune couple ne fait pas une montagne de choses pas très graves, comme s’ils étaient tous deux un peu obsessionnels ou parano. Le fait que Jean Bosmans ait tellement peur de sa mère aux cheveux rouges et d’un prêtre défroqué, qui veulent le faire chanter et lui demandent de l’argent, a aussi quelque chose de névrotique ou, en tout cas, de bizarre, qui aurait intéressé Freud, même si l’auteur ne souligne à aucun moment ces incongruités et qu’il raconte tout cela très naturellement. J’ai été intrigué par le nom du héros, Jean Bosmans, qui est aussi le nom du héros de « Chevreuse« , un autre roman de Modiano, postérieur à celui-ci puisqu’il date de 2021, mais dont aucun autre personnage ou évocation géographique ne correspond à ceux de « L’horizon« , comme si ce Jean Bosmans avait une mémoire pleine de compartiments qui ne communiquent pas entre eux. J’ai aimé la manière elliptique dont sont décrits les personnages, à partir de deux ou trois mots Modiano brosse un portrait complet ou il dessine une silhouette reconnaissable. Il laisse aussi travailler l’imagination du lecteur et compléter les lacunes de l’intrigue, car beaucoup de choses sont passées sous silence ou seulement effleurées laconiquement. Ainsi, il n’est dit à aucun moment du livre que Jean Bosmans et Margaret Le Coz sont en couple, amoureux l’un de l’autre, et leurs relations sont vraiment décrites avec une froide parcimonie, mais on comprend tout de même très bien la profondeur de leurs sentiments, et encore davantage dans les dernières pages, qui sont très belles.
Un Extrait Page 51
Lointain Auteuil… Il regardait le petit plan de Paris, sur les deux dernières pages du carnet de moleskine. Il avait toujours imaginé qu’il pourrait retrouver au fond de certains quartiers les personnes qu’il avait rencontrées dans sa jeunesse, avec leur âge et leur allure d’autrefois. Ils y menaient une vie parallèle, à l’abri du temps… Dans les plis secrets de ces quartiers-là, Margaret et les autres vivaient encore tels qu’ils étaient à l’époque. Pour les atteindre, il fallait connaître des passages cachés à travers les immeubles, des rues qui semblaient à première vue des impasses et qui n’étaient pas mentionnées sur le plan. En rêve, il savait comment y accéder à partir de telle station de métro précise. Mais, au réveil, il n’éprouvait pas le besoin de vérifier dans le Paris réel. Ou, plutôt, il n’osait pas.
L’écrivain et éditeur Etienne Ruhaud m’a fait l’honneur et le plaisir de m’interviewer pour le site d’actualités littéraires « Actualitté« , au sujet de mon recueil poétique La Portée de l’Ombre, paru aux éditions Rafael de Surtis. Merci à lui pour cette invitation et pour ses questions !
J’avais présenté l’année dernière « Madame de » (1953) de Max Ophuls (1902-1957) et j’ai eu envie de voir un autre film de lui. « La Ronde » de 1950, avec son casting prestigieux – les plus célèbres acteurs et actrices de l’époque sont présents ici, de Simone Signoret à Gérard Philipe, en passant par Jean-Louis Barrault ou Danielle Darrieux, et c’est un plaisir de les voir évoluer dans ces costumes et décors surannés, d’un style surchargé et tarabiscoté, dans l’esprit des années 1890 ou 1900, plein d’arabesques et de fanfreluches qui sont très décoratives, plaisantes à regarder.
Présentation rapide de l’intrigue
Le sujet qui court tout au long de ce film est la vie amoureuse et plus exactement la sexualité : les différentes manières de traiter l’autre (le partenaire sexuel), dans une phase de séduction ou au cours d’une rupture, au sein du mariage ou d’une liaison extraconjugale, avec une prostituée ou avec une jeune fille d’un milieu modeste, dans un couple d’artistes ou dans les liens de domination entre un bourgeois fils de famille et la femme de chambre de ses parents, etc. La prostituée (Simone Signoret) couche avec le soldat (Serge Reggiani) qui couche ensuite avec une jeune fille, une femme de chambre, rencontrée dans un bal (Simone Simon) qui couche ensuite avec le jeune fils de famille bourgeois (Daniel Gélin) qui couche ensuite avec l’élégante femme mariée (Danielle Darrieux) qui discute ensuite (sans coucher) avec son mari Fernand Gravey, etcetera jusqu’au personnage du comte (Gérard Philipe) qui couchera avec la prostituée du début (retour à Simone Signoret) et la boucle sera bouclée.
Mon humble avis
Ce film est parait-il tiré d’une pièce de l’écrivain autrichien Arthur Schnitzler (que je n’ai pas lue) et qui a fait scandale au moment de sa création puisqu’on a accusé l’écrivain de rien moins que de pornographie à son propos. Au vu du film d’Ophuls, c’est difficile d’imaginer que cette pièce ait pu choquer qui que ce soit à une époque quelconque car tout est pudiquement caché, allusif, et même les dialogues restent d’une sagesse exemplaire. Dans la scène où Daniel Gélin se met à parler de Stendhal à Danielle Darrieux pour expliquer avec des mots choisis pourquoi il vient d’avoir « une panne » (c’est moi qui emploie ce mot, il n’est pas dans le film) et que c’est, au fond, parce qu’il la désire trop, j’ai trouvé que c’était joliment tourné mais d’un style suranné étonnant. Du moins, on se rend compte à quel point le cinéma des années 50 restait corseté et pudibond et on comprend mieux pourquoi les années soixante et soixante-dix ont voulu briser les tabous et montrer à l’écran tout ce qu’il était impossible de filmer jusque-là. J’ai particulièrement aimé la séquence du couple marié car leur dialogue à propos de la fidélité, du mariage et de l’adultère est assez fin et profond. Par ailleurs, cette séquence montre l’hypocrisie qui règne alors dans les ménages bourgeois : chacun trompe l’autre mais fait semblant d’être au-dessus de tout soupçon et le mari donne des leçons de vertu à sa femme, qui l’écoute avec des airs candides et lui pose des questions faussement innocentes. D’une manière générale, toutes les scènes montrent les femmes soumises au bon plaisir des hommes : ils sont les maîtres et ils disposent d’elles à leur guise. On peut remarquer que le film évolue peu à peu d’un milieu social très défavorisé (la prostituée et le soldat) vers les strates les plus élevées de la société (le comte et la comédienne célèbre) et peut-être que la classe supérieure sait davantage mettre les formes et utiliser un langage policé, mais cela n’empêche pas les hommes de se comporter généralement comme des égoïstes dominateurs et sans scrupule, qui ne pensent qu’à se débarrasser de leur conquête dès que le moment crucial est passé, quelle que soit la classe sociale. J’ai bien aimé le personnage du narrateur-auteur, qui se présente lui-même comme « n’importe qui ou tout le monde » et qui est à la fois en dehors de la ronde des amants et le maître de jeu, l’instigateur et le commentateur de cette intrigue. Les scènes où il est présent sont très poétiques et d’une jolie esthétique. Il faut remarquer aussi que la chanson de « la ronde », qui est comme un leitmotiv au cours de l’histoire, ressemble un petit peu à l’air de La Barcarole des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, c’est-à-dire l’air le plus doux et le plus mélancolique de l’un des compositeurs les plus joyeux, ce qui semble significatif de l’atmosphère de ce film, léger et grave à la fois. Il me semble que j’ai tout de même préféré « Madame de », dont le personnage principal m’a plus touchée. Mais, bien sûr, celui-ci est un très beau film, aux lumières et aux images dignes de tableaux anciens, et aux dialogues très écrits, subtils et littéraires.
Danielle Darrieux et Fernand Gravey dans une scène conjugale
Ce livre m’a été offert par ma mère et c’est effectivement un très joli objet, avec de belles illustrations, de belles mises en page et typographies, un papier de qualité. Et ce qui est encore mieux à mes yeux : le texte est vraiment éclairant, érudit dans le bon sens du terme, agréablement ciselé. Les choix de poèmes m’ont beaucoup plu, et le tout forme un ensemble très réussi, qu’on peut lire et relire avec un plaisir renouvelé.
Extrait de la Quatrième de couverture
Qu’est-ce qu’un haïku ? C’est, en quelques mots, la saisie poétique instantanée d’un événement personnel, si modeste soit-il. Le haïku nous apprend souvent à ressentir ce qui est devenu invisible aux yeux de tous. La tradition littéraire japonaise a codifié ce mode d’expression selon des règles simples qu’Alain Kervern nous dévoile dans ce très beau recueil de présentation, agrémenté d’exemples de haïkus anciens et contemporains. La structure de ce livre s’inspire de celle de l’almanach poétique du Japon (saïjiki) qui répertorie l’ensemble des mots de saison caractérisant les émotions saisonnières vécues au long d’une année. (…)
Mon avis en bref
Le choix de présenter les différents « mots de saison » nous permet de nous imprégner des us et coutumes japonais. Par exemple, le choix du mot « lanterne » pour l’automne nous renvoie à Le Fête des morts du 20 septembre, aux ornementations des temples et jardins ou encore aux quartiers de plaisir (aujourd’hui disparus) des villes animées. Tout cela nous est expliqué dans le texte et nous permet de mieux comprendre et saisir le contexte des haïkus qui suivent. D’autres mots tout aussi emblématiques de la culture japonaise, comme chrysanthème, sourire de la montagne, premier rêve de l’an, etc. sont ainsi mis en valeur à travers ces pages. J’ai appris aussi, grâce à ce livre, l’existence d’une « cinquième saison » qui est en réalité le jour de l’an, c’est-à-dire à peu près la période de nos Fêtes de fin d’année, où fleurit tout un vocabulaire particulier lié à des activités rituelles. Un livre que je conseille sans réserve, pour son intérêt culturel autant que littéraire.
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mot de saison : « Lune de printemps »
Lune gorgée de printemps que je la touche et de l’eau en coule
Kobayashi Issa (1763 – 1827)
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Lune de printemps d’un jaune peu ordinaire serait-elle malade ?
Matsumoto Takashi (1906-1956)
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mot de saison : Herbes d’été
Une fois fauchées les herbes d’été mille parfums se libèrent
Hosomi Ayako (1907-1997)
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Dans les herbes d’été une chèvre comme tissée de coton
Ueno Yasushi (1918-1973)
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mot de saison d’automne : Lanterne
Un premier amour sous la même lampe visage contre visage
Taïgi (1709-1771)
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Plus que la magnificence des lanternes cette lumière qui serre le coeur
Masaoka Shiki (1867-1902)
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mot de saison : glaçons en suspens (tsurara)
Pas de frise de glaçons au bord du toit mais de nouveau le couchant.
Rankô (1726-1798)
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Il n’a aucune intention meurtrière le lourd rideau de glace sous lequel je passe
Kodama Niro
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Lointaine maison perles de glace en feston dans des chutes de lumière
Takahama Toshio (1900-1980)
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mot de saison : premier rêve de l’an (hatsuyume)
Premier rêve de l’an en larmes j’y ai vu mon pays natal
Kobayashi Issa (1763-1827)
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Premier rêve de l’an je le garde pour moi et j’en souris tout seul