L’Exposition S.H. Raza au Centre Pompidou

Paysage, 1956

Du 15 février au 15 mai 2023 s’était déroulée une exposition du peintre indien Sayed Haider Raza (1922-2016), qui a séjourné et vécu en France durant une grande partie de sa vie, à partir des années 1950, et qui a appartenu à l' »Ecole de Paris ».

J’ai beaucoup aimé les couleurs chaudes de la plupart de ces œuvres, en particulier les rouges, dont l’intensité surprenante réchauffe le regard sans l’agresser. Des rouges incandescents qui peuvent faire penser aux arts extrême-orientaux et à l’Inde, pays d’origine du peintre. Le thème de la ville semble l’avoir longuement inspiré, prenant des formes variées selon les périodes, parfois géométrique et stylisé, parfois tirant vers une certaine abstraction.

Voici la présentation qu’on pouvait lire sur la petite brochure explicative, distribuée à l’entrée :

Figure majeure de l’art moderne indien, Sayed Haider Raza est né en 1922 à Barbaria, dans l’actuel Etat du Madhya Pradesh. Après des études à la Sir J.J. School of Arts de Bombay, dans le contexte électrique de l’Indépendance et de la Partition, il fonde en 1947 le Progressive Artists’ Group en compagnie de M.F. Husain, F.N. Souza, S.K. Bakre, K.H. Ara et H.A. Gade. Pleinement investi dans la dynamique d’émulation qui règne au sein du groupe, Raza prend part à ses discussions et expérimentations formelles. En 1950, il se rend à Paris à la faveur d’une bourse du gouvernement français. Débute alors un dialogue ininterrompu entre ces deux mondes culturels. Si les effets de matière de ses paysages abstraits empruntent à l’Ecole de Paris, Raza ne cesse de convoquer l’héritage culturel de l’Inde. Ainsi, les vibrations de ses gammes chromatiques évoquent les forêts luxuriantes de son enfance mais aussi les râgas, cadres mélodiques de la musique classique indienne. A partir des années 1970, son oeuvre intègre des éléments thématiques issus du rapport singulier qu’il entretient à la terre, objet d’une série de toiles majeures. Les miniatures rajputes (16e-19e siècle) lui inspirent des procédés radicaux de simplification formelle qui culminent à partir des années 1980 dans le recours systématique au motif géométrique et symbolique du bindu.
(Source : Musée)

**

Carcassonne, 1951
Crucifixion, 1957
La Croix invisible, 1963
Soleil noir, 1968
La terre rouge, 1969

« Lettres à son frère Théo » de Vincent Van Gogh

Mon ami poète Denis Hamel m’avait conseillé depuis déjà quelques années ces lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo. J’ai finalement proposé ce livre à mon cercle de lecture et c’est dans ce cadre stimulant et motivant que j’ai pu me décider à le lire. J’en ai été tout à fait éblouie et émue, découvrant le grand talent littéraire de Vincent Van Gogh, en même temps que sa personnalité attachante, complexe et d’un courage assez admirable!

Cette lecture prend place, bien sûr, dans Le Printemps des artistes.

Et cette chronique rentre aussi dans le cadre du défi « un classique par mois » de l’écrivain, poète, éditeur et blogueur Etienne Ruhaud : il s’agit de découvrir chaque mois un auteur classique que l’on n’a encore jamais lu. Voici le lien vers son blog Page Paysage.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Gallimard (L’Imaginaire)
Date de Publication initiale : 1953 (pour cette version)
Traduit du néerlandais par Louis Roëdlant
Introduction et chronologie de Pascal Bonafoux
Nombre de pages : 567

Quatrième de Couverture

«La première lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo, datée d’août 1872, est envoyée de La Haye. Il a dix-neuf ans. Il ne sait pas qu’il va peindre. La dernière lettre, inachevée, Théo la trouve dans la poche de Vincent qui s’est tiré une balle dans la poitrine le 27 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise. Des dizaines de toiles encombrent sa chambre. Presque quotidiennement, pendant dix-huit ans, Vincent a écrit à Théo. Et Vincent écrit à propos de tout à Théo comme il lui envoie toutes ses toiles. Il lui montre ce qu’il peint comme ce qu’il est. Ces lettres incomparables – des récits, des aveux, des appels – sont nécessaires pour découvrir le vrai Van Gogh devenu mythe… Il n’est pas un peintre fou. Au contraire, solitaire, déchiré, malade, affamé, il ne cesse d’écrire, lucide, comme il traque la lumière.» Pascal Bonafoux.

Mon Avis

On connaît bien sûr les grandes lignes de la biographie de Van Gogh : son désir de devenir prédicateur dans sa jeunesse, sa grande proximité avec son frère Théo qui a subvenu à ses besoins durant toute sa vie, le fait qu’il n’a vendu qu’un seul tableau de son vivant, son atelier à Arles, sa fréquentation régulière des prostituées, son amitié houleuse avec Gauguin qui s’est finie par le coupage de son oreille, ses séjours à l’asile de fous où il continuait à peindre obstinément, son amitié avec le docteur Gachet dont il a fait un célèbre portrait, son suicide par un coup de pistolet dans la poitrine. Et naturellement on retrouve la plupart de ces épisodes racontés par Vincent lui-même à travers cette correspondance, ce qui est assez passionnant car il a une grande intelligence et une sensibilité extrêmement forte, comme on s’en doute.
La chose qui revient le plus souvent dans ces lettres c’est le terrible manque d’argent : sans cesse il demande à Théo une aide supplémentaire. On voit qu’il se prive de la plus simple nourriture et de vêtements corrects pour pouvoir acheter ses pinceaux, ses couleurs et toutes les fournitures nécessaires à son activité.
Dans chacune de ses lettres ou presque il manifeste son besoin de travailler, de peindre, et l’idée qu’il doit s’appliquer à faire des progrès dans son art semble très présente chez lui.
À certains moments il se considère comme un raté et d’autres fois il pense être sur la bonne voie mais devoir encore s’améliorer. Il ne semble pas avoir conscience de son génie et mise avant tout sur un travail acharné, obsessif. Plusieurs fois revient sous sa plume l’idée qu’il n’est qu’un maillon d’une chaîne plus importante, qui dépasse son propre destin individuel. En bref, il ne pense pas être arrivé à quelque chose, lui tout seul, mais il espère que des continuateurs, après lui, parviendront à un résultat – ce qui est tout de même d’une modestie extraordinaire.
Son admiration pour Gauguin paraît très profonde, aussi bien sur le plan artistique que sur le plan amical et humain. Van Gogh nourrit l’espoir de créer un grand atelier à Arles, dans lequel il pourrait inviter plusieurs autres peintres et, ainsi, partager les frais, mais aussi travailler ensemble et se soutenir mutuellement. Il commence à mettre sur pied ce projet, en espérant pouvoir y associer Gauguin, mais tous ces projets échouent lamentablement et on a l’impression qu’il ne va jamais se remettre de cet échec cuisant.

**

Un Extrait page 102

Je t’écris un peu au hasard ce qui me vient dans ma plume, j’en serais bien content si en quelque sorte tu pouvais voir en moi autre chose qu’une espèce de fainéant.
Puisqu’il y a fainéant et fainéant qui forment contraste.
Il y a celui qui est fainéant par paresse et lâcheté de caractère, par la bassesse de sa nature, tu peux si tu juges bon me prendre pour un tel.
Puis il y a l’autre fainéant, le fainéant bien malgré lui, qui est rongé intérieurement par un grand désir d’action, qui ne fait rien, parce qu’il est dans l’impossibilité de rien faire, puisqu’il est comme en prison dans quelque chose, parce qu’il n’a pas ce qu’il lui faudrait pour être productif, parce que la fatalité des circonstances le réduit à ce point ; un tel ne sait pas toujours lui-même ce qu’il pourrait faire, mais il sent par instinct : pourtant je suis bon à quelque chose, je me sens une raison d’être ! Je sais que je pourrais être un tout autre homme ! À quoi donc pourrais-je être utile, à quoi pourrais-je servir ! Il y a quelque chose au-dedans de moi, qu’est ce que c’est donc ?
Cela est un tout autre fainéant, tu peux si tu juges bien, me prendre pour un tel !
Un oiseau en cage au printemps sait fortement bien qu’il y a quelque chose à quoi il serait bon, il sent fortement bien qu’il y a quelque chose à faire, mais il ne peut le faire, qu’est-ce que c’est ? il ne se le rappelle pas bien, puis il a des idées vagues, et se dit : « Les autres font leurs nids et font leurs petits et élèvent la couvée », puis il se cogne le crâne contre les barreaux de la cage. Et puis la cage reste là et l’oiseau est fou de douleur.
« Voilà un fainéant », dit un autre oiseau qui passe, celui-là c’est une espèce de rentier. (…) 

**

Un Extrait page 276
(Année 1883) 

Je vis donc comme un ignorant, qui sait une seule chose avec certitude : je dois achever en quelques années une tâche déterminée ; point n’est besoin de me dépêcher outre mesure, car cela ne mène à rien, je dois me tenir à mon travail avec calme et sérénité, aussi régulièrement et aussi ardemment que possible ; le monde ne m’importe guère, si ce n’est que j’ai une dette envers lui, et aussi l’obligation, parce que j’y ai déambulé pendant trente années, de lui laisser par gratitude quelques souvenirs sous la forme de dessins ou de tableaux qui n’ont pas été entrepris pour plaire à l’une ou l’autre tendance, mais pour exprimer un sentiment humain sincère.
Donc mon œuvre constitue mon unique but – si je concentre tous mes efforts sur cette pensée, tout ce que je ferai ou ne ferai pas deviendra simple et facile, dans la mesure où ma vie ne ressemblera pas à un chaos et où tous mes actes tendront vers ce but. Pour le moment, mon travail avance lentement – raison de plus de ne pas perdre de temps.

*

Un Extrait page 411
(Année 1888)

(…)mon idée serait qu’au bout du compte on eusse fondé et laisserait à la postérité un atelier où pourrait vivre un successeur. Je ne sais pas si je m’exprime assez clairement, mais en d’autres termes nous travaillons à un art, à des affaires, qui resteront non seulement de notre temps, mais qui pourront encore après nous, être continués par les autres.
Toi, tu fais cela dans ton commerce, c’est incontestable que dans la suite cela prendra, alors même qu’actuellement tu as beaucoup de contrariétés. Mais pour moi je prévois que d’autres artistes voudront voir la couleur sous un soleil plus fort et dans une limpidité plus japonaise.
Or si moi je fonde un atelier abri à l’entrée même du Midi, cela n’est pas si bête. Et justement cela fait que nous pouvons travailler sereinement. Ah ! si les autres disent c’est trop loin de Paris, etc., laissez faire, c’est tant pis pour eux. Pourquoi le plus grand coloriste de tous Eugène Delacroix a-t-il jugé indispensable d’aller dans le Midi et jusqu’en Afrique ? Évidemment puisque et non seulement en Afrique, mais même à partir d’Arles, vous trouverez naturellement les belles oppositions des rouges et des verts, des bleus et des oranges, du soufre et du lilas.
Et tous les vrais coloristes devront en venir là, à admettre qu’il existe une autre coloration que celle du Nord. Et je n’en doute pas si Gauguin venait, il aimerait ce pays-ci ; si Gauguin ne venait pas, c’est qu’il a déjà cette expérience des pays plus colorés, et il serait toujours de nos amis et d’accord en principe.

*

Un Extrait page 464
(janvier 1889)

Moi, avec ce petit pays-ci, j’ai pas besoin d’aller aux tropiques, du tout. Je crois et croirai toujours à l’art à créer aux tropiques et je crois qu’il sera merveilleux, mais enfin personnellement je suis trop vieux et (surtout si je me faisais remettre une oreille en papier mâché) trop en carton pour y aller.
Gauguin le fera-t-il ? Ce n’est pas nécessaire. Car si cela doit se faire cela se fera tout seul.
Nous ne sommes que des anneaux dans la chaîne.
Ce bon Gauguin et moi au fond du cœur nous comprenons, et si nous sommes un peu fous, que soit, ne sommes-nous pas un peu assez profondément artistes aussi, pour contrecarrer les inquiétudes à cet égard par ce que nous disons du pinceau.
Tout le monde aura peut-être un jour la névrose, le horla, la danse de Saint-Guy ou autre chose.
Mais le contrepoison n’existe-t-il pas ? dans Delacroix, dans Berlioz et Wagner? Et vrai notre folie artistique à nous autres tous, je ne dis pas que surtout moi je n’en sois pas atteint jusqu’à la moelle, mais je dis et maintiendrai que nos contrepoisons et consolations peuvent avec un peu de bonne volonté être considérés comme amplement prévalents. 

**

Logo du Défi, créé par Goran

« De nos jours » de Hong Sang-Soo

Affiche du film

Hong Sang-Soo (né en 1960) est un cinéaste sud-coréen très réputé, dont j’entendais parler depuis longtemps sans avoir jamais vu de film de lui.
C’est donc grâce à « De nos jours« , son opus de 2023, que j’ai pu le découvrir en salle et je l’ai beaucoup apprécié.
Comme il y est question de poésie, du métier d’actrice, et des existences respectives d’un vieux poète et d’une ancienne comédienne, j’inscris cette chronique dans le cadre du Printemps des Artistes.

Note Pratique sur le film

Nationalité : coréenne (du sud)
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie en France : 19 juillet 2023
Durée du film : 1h24

Résumé de l’intrigue :

Deux histoires parallèles se déroulent dans la ville de Séoul. Dans la première, une ancienne actrice reconvertie dans l’architecture reçoit chez elle une jeune fille qui aspire à devenir actrice. Elle répond à ses questions et essaye tant bien que mal de lui transmettre son expérience. Dans la seconde histoire, un vieux poète, reconnu et admiré par la jeunesse de son pays, doit répondre aux questions d’une gentille étudiante et à celles d’un jeune homme timide et idéaliste. Mais le but principal du vieux poète est de tenir sa résolution d’arrêter le tabac et l’alcool car son médecin l’a mis en garde sur l’état de son cœur.

Mon Avis :

C’est un film au rythme assez lent mais le fait d’alterner les scènes consacrées à l’actrice et celles dédiées au vieux poète imprime une certaine cadence et aiguise l’attention du spectateur, en lui donnant l’idée de comparer ces deux histoires, de voir leurs ressemblances et divergences. Pendant une bonne partie du film je cherchais des indices montrant que l’actrice de la première histoire connaissait de près ou de loin le vieux poète de la deuxième histoire. Et, en effet, nous apprenons que le vieux poète a la manie insolite de mettre une grosse cuillérée de piment dans sa soupe aux nouilles – une manie que l’actrice possède également car elle connaissait quelqu’un qui faisait cela. Signe que, peut-être, l’un et l’autre ont pu se côtoyer dans le passé. Mais cela reste à l’état d’hypothèse jusqu’à la fin.
La principale ressemblance entre les deux histoires tourne autour de la transmission d’une expérience artistique. Transmission à la jeunesse par une personne plus mûre. Forcément, la jeunesse est pleine d’illusions sublimes et d’idéaux très purs… donc, lui transmettre une expérience revient souvent à la désillusionner, à la décevoir. Ainsi, l’actrice reconvertie finit par faire un tableau consternant de ce métier qu’elle a abandonné, au grand désespoir de la jeune fille qui se met à pleurer en l’écoutant. Face aux rêves de la jeune fille, elle oppose une réalité trop réfrigérante. Le vieux poète, quant à lui, n’a pas de réalité décevante à dévoiler mais il est quelque peu nihiliste et, en tout cas, il ne se sent pas en mesure de répondre aux grandes questions existentielles de la jeunesse. A toutes ces interrogations candides, qui se veulent très élevées et spirituelles, il oppose un aquoibonisme, la force d’une évidence, ou tout bonnement une fin de non-recevoir. Et nous nous rendons compte que la sagesse ne consiste pas à savoir répondre aux questions de la jeunesse mais, plus simplement, à ne plus éprouver le besoin de se les poser, à ne plus comprendre leur utilité.
Et, à la fin, on s’aperçoit que ce sont les deux jeunes admirateurs du vieux poète qui lui auront appris quelque chose, involontairement – c’est-à-dire à profiter des plaisirs de la vie, quel qu’en soit le prix – plutôt que le contraire, initialement attendu.
Ce film pose aussi de jolies questions sur la perte d’un être cher, à travers la disparition du chat de l’actrice, lors d’une scène étonnante.
Un très joli film, doté de jeux d’acteurs d’un naturel confondant, d’un humour extrêmement fin, et d’une intelligence désarmante.

**

Logo du Défi, créé par Goran

Des Poèmes de William Carlos Williams sur le peintre Breughel

Couverture, Editions de l’Aubier

Ces deux poèmes sur le peintre flamand du 16e siècle Breughel sont extraits des « Poèmes » de William Carlos Williams paru dans la « collection bilingue » des éditions Aubier. Mon livre date de 1981. La traduction, les notes et l’introduction sont de Jacqueline Saunier-Ollier. 

Cet article prend place dans le Printemps des Artistes puisqu’il est question de peinture. 

Et cette chronique rentre aussi dans le cadre du défi « un classique par mois » de l’écrivain, poète, éditeur et blogueur Etienne Ruhaud : il s’agit de découvrir chaque mois un auteur classique que l’on n’a encore jamais lu. Voici le lien vers son blog Page Paysage.

Biographie du poète 

William Carlos Williams (1883-1963) est un poète, traducteur, critique littéraire et romancier américain.
Il est un des grands représentants du modernisme américain, participant aux mouvements de l’imagisme et de l’objectivisme dont il est l’un des membres fondateurs. Sa poésie est d’abord proche de celle d’Ezra Pound puis s’en éloigne. Il cherche à présenter des objets pour leur valeur propre et non dans une perspective métaphysique. Il s’agit aussi pour lui de rendre compte de l’expérience américaine, alors que beaucoup d’écrivains modernistes sont exilés en Europe.
Peu connu pendant de nombreuses années, il acquiert la reconnaissance après la Seconde guerre mondiale, avec ses poèmes PatersonAsphodèle et Tableaux d’après Breughel, bien que deux de ses poèmes les plus cités, La Brouette rouge et Le Grand Chiffre, aient été publiés dès 1923. Il devient alors une référence majeure pour les écrivains de la Beat Generation.
(Source : Wikipédia)

Biographie succincte de Breughel

Pieter Brueghel ou Bruegel dit l’Ancien, parfois francisé en Pierre Brueghel l’Ancien est un peintre et graveur brabançon né vers 1525 et mort le 9 septembre 1569 à Bruxelles dans les Pays-Bas espagnols.
Avec Jan Van Eyck, Jérôme Bosch et Pierre Paul Rubens, il est considéré comme l’une des grandes figures de la peinture flamande, et l’une des principales de l’Ecole d’Anvers.
Il est le père des peintres Pieter Brueghel le jeune (1564-1636) et de Brueghel de Velours (1568-1625).
(Source : Wikipédia)

**

(Page 205)

La danse

Dans le grand tableau de Breughel, Danse des Paysans,
les danseurs tournent, ils tournent et
retournent, aux accents criards et cuivrés et
nasillards de cornemuse, d’un cor et de violons
basculant leurs panses (rondes comme les chopes
épaisses dont ils endiguent les flots)
leurs hanches et leurs panses
pour les faire tourner. Gambadant et tournoyant
autour du champ de foire, tortillant de la croupe, ces
guiboles doivent être solides pour supporter des
mesures aussi endiablées, tandis que les danseurs caracolent
dans le grand tableau de Breughel, Danse des Paysans.

(1944)

Pieter Brueghel, Danse des Paysans, vers 1568, musée de Vienne

**

(Page 361)

Les chasseurs dans la neige

Partout c’est l’hiver
montagnes glacées
à l’arrière-plan retour

de la chasse c’est le soir
à gauche
de robustes chasseurs ramènent

la meute l’enseigne
qui pend d’un
gond cassé est un cerf un crucifix

entre les bois la froide
cour d’auberge est
déserte seul un énorme feu

flamboie attisé par le vent alimenté par
des femmes qui se serrent
contre lui sur la droite au-delà de

la colline un damier de patineurs
Breughel le peintre
à qui rien n’échappait a choisi

un buisson meurtri par l’hiver comme
premier plan pour
compléter le tableau..

(1960)

Les Chasseurs dans la neige, 1565, musée de Vienne

**

Le Portrait de Nicolas Gogol

J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer ici Les Nouvelles de Pétersbourg de l’auteur romantique russe Nicolas Gogol (1809-1852), à travers quatre d’entre elles : La Perspective Nevski, Le Nez, Le Manteau et Le Journal d’un fou.
Je vous parlerai aujourd’hui d’une cinquième nouvelle – qui se trouve en réalité en troisième position dans l’ordre voulu par l’auteur et qui est également la plus longue de toutes – Le Portrait.
Son héros est un peintre, son enjeu principal est un tableau, et il y est souvent question d’art pictural, aussi cette chronique prend-elle place dans Le Printemps des artistes.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Actes Sud (Babel)
Première date de publication : 1842
Traduit du russe par André Markowicz
Nombre de Pages Total : 376 (+30 pages de Postface)
Nombre de Pages du Portrait : 90

Résumé du début de l’histoire

Un jeune peintre, Tchartkov, talentueux mais pauvre, travaille assidûment au perfectionnement de son art. Il suit le chemin austère de l’exigence artistique, qui n’apporte pas la fortune immédiate mais il en récoltera peut-être de beaux fruits, à force de patience et d’endurance. Il sait que certains peintres obtiennent rapidement la fortune en sacrifiant leur talent aux caprices de la mode, au mauvais goût d’un public qui préfère les couleurs clinquantes, les dessins sans vigueur et les portraits qui les flattent sans vergogne.
Un jour, dans le bric-à-brac d’un marché aux puces, parmi des tas de toiles sans valeur, ce jeune peintre découvre un tableau extraordinaire, le portrait d’un vieil homme, dont les yeux paraissent tellement vivants qu’ils semblent vous regarder réellement. Intrigué, le jeune peintre l’achète. Mais il ne va pas tarder à s’apercevoir du caractère singulier – pour ne pas dire surnaturel et inquiétant ! – de ce tableau.
Et, effectivement, la vie de Tchartkov va changer du tout au tout après cette néfaste acquisition.

Mon Avis

C’est une nouvelle construite en deux parties. Dans la première, nous avons donc l’histoire de ce jeune peintre talentueux, Tchartkov, qui achète un portrait maléfique dans un marché aux puces et qui, à partir de cet achat, va complètement gâcher son talent en se compromettant avec les facilités de la mode et les mondanités. À la fin de sa vie il aura sacrifié son art à l’appât du gain et, comme il s’en rendra compte, il nourrira une jalousie destructrice contre les plus beaux tableaux.
Dans la deuxième partie, nous avons l’histoire de ce portrait maléfique : comment et par qui il a été peint. Nous apprenons aussi que ce tableau a fait de nombreuses autres victimes que le peintre de la première partie.
Ce qui m’a semblé le plus original dans cette nouvelle c’est le mélange de fantastique, de religiosité et la réflexion très développée sur l’art. Selon Gogol, le talent artistique est un don divin et il est diabolique de le compromettre. L’artiste doit garder une âme pure et travailler sans vanité et sans esprit mercantile. Gogol ne nous cache pas sa passion pour les plus grands peintres de la Renaissance : Raphaël, Titien, Corrège. Il pense que les artistes de son temps doivent s’inspirer de ces grands modèles du passé, faire le voyage à Rome pour étudier les maîtres, et qu’il n’y a pas d’autre voie vers l’excellence. C’était d’ailleurs l’opinion la plus largement répandue au 19ème siècle et Gogol ne fait pas preuve, en cela, d’une grande originalité. Opinion qui, de nos jours, semble assez absurde et tout à fait obsolète – mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque.
J’ai admiré la construction savante et intelligente de cette nouvelle et son pouvoir d’évocation dès qu’il s’agit de la figure du diable – de sa carrure imposante et de ses yeux extraordinaires.
J’ai pensé que Gogol avait pu être influencé par le Faust de Goethe, avec cette même idée de pacte diabolique et de vendre son âme pour obtenir la fortune et la célébrité. 
Il est aussi intéressant de noter que Gogol semble tenir la fortune et la gloire artistique comme des choses assez ignobles. Il ne fait pas grand cas des institutions artistiques prestigieuses et autres écoles des Beaux-Arts. En effet, c’est au moment où Tchartkov est arrivé au dernier degré de compromission et de dégradation de son art, qu’il obtient justement les plus hautes distinctions et un poste de professeur dans l’une de ces grandes écoles… critique cinglante de l’art officiel russe, ces vénérables dignitaires ont dû être ulcérés s’ils ont lu cette nouvelle !
Un livre qui m’a beaucoup plu et que j’ai d’ailleurs lu deux fois, à quelques semaines d’intervalle, car j’avais envie d’en approfondir la compréhension !

*

Un Extrait page 126

L’âme oppressée, il se résolut à se lever de son lit, saisit un drap et, s’approchant du portrait, le recouvrit totalement.
Cela fait, il se recoucha plus serein, et pensa à la misère et au destin lamentable des artistes, au chemin semé d’épines qui leur est échu en ce monde ; et malgré tout, ses yeux, sans le vouloir, regardaient par l’interstice du paravent, le portrait enveloppé dans le drap. L’éclat de la lune renforçait la blancheur, et il lui semblait que les yeux effrayants commençaient même à luire à travers le tissu. Terrorisé, il fixa des yeux encore plus attentifs, comme s’il cherchait à se convaincre que c’étaient des sottises. Mais, finalement, voilà, non, pour de vrai… il voit, il le voit clair et net : le drap n’est plus là… le portrait est découvert et ce portrait regarde, par-delà tout ce qui est autour, directement sur lui, regarde tout simplement au fond de lui… Son cœur se mit à vaciller. Qu’est ce qu’il voit ? Le vieillard se met à bouger et, soudain, il s’appuie, de ses deux mains, sur le cadre. Enfin, il se soulève, à la force de ses bras, et, ressortant ses deux jambes, saute hors du cadre… À travers l’interstice du paravent, on ne voit plus que le cadre vide. La chambre s’emplit d’un bruit de pas qui se rapproche de plus en plus du paravent. Le cœur du pauvre peintre bat de plus en plus fort. (…)

Un Extrait page 160-161

Un instant, immobile et inerte, il resta au milieu de son atelier somptueux. Toute l’essence, toute l’âme de sa vie s’était réveillée en une seconde, comme si la jeunesse venait de lui revenir, comme si les étincelles éteintes du talent venaient de se rallumer. Un bandeau, d’un coup, était tombé de ses yeux. Mon Dieu ! et tuer d’une façon aussi impitoyable les meilleures années de sa jeunesse ; exterminer, étouffer l’étincelle de cette flamme, qui, peut-être, couvait dans sa poitrine, une flamme qui, peut-être, aujourd’hui, aurait brûlé en grandeur, en beauté, une flamme qui, elle aussi, peut-être, aurait pu faire jaillir des larmes de stupeur et de reconnaissance ! Avoir tué tout cela, l’avoir tué sans la moindre pitié ! C’était comme si, aurait-on dit, à cet instant, il avait senti, d’un coup, en même temps, ressusciter dans son âme toutes ces tensions, tous ces élans qu’il avait connus jadis. Il saisit un pinceau et s’approcha d’une toile. La sueur de l’effort perla sur son visage ; il se transforma tout entier en un désir, s’enflamma d’une seule pensée : il voulait représenter un ange déchu. C’est cette idée qui s’accordait le plus à l’état de son âme. Mais, hélas ! ses figures, ses postures, les groupes, les pensées, tout se montrait contraint, incohérent. Son pinceau et son imagination s’étaient trop enfermés dans un seul moule, et l’élan impuissant à franchir les frontières et les entraves dont il s’était accablé tout seul se ressentait lui-même d’une erreur, d’un manque de rigueur. Il avait méprisé l’échelle longue et fatigante des acquis graduels et des premières lois essentielles de la future grandeur. La rage l’envahit. (…) 

 

**

Logo du Défi, créé par Goran

L’Exposition Nicolas de Staël au Musée d’Art Moderne (hiver 2023-24)

Sicile, 1954

J’ai visité cette grande rétrospective du peintre Nicolas de Staël (1914-1955) vers la mi-novembre 2023, au musée d’Art Moderne de la ville de Paris.
Cette exposition réunissait environ deux cents tableaux, représentatifs des différentes périodes stylistiques du peintre, influencées par les divers endroits où il a vécu et travaillé (Paris, Île de France, Provence, Nord de la France, Sicile, Antibes, …)

Présentation de l’exposition par le musée

Organisée de manière chronologique, l’exposition retrace les évolutions successives de l’artiste, depuis ses premiers pas figuratifs et ses toiles sombres et matiérées des années 1940, jusqu’à ses tableaux peints à la veille de sa mort prématurée en 1955. Si l’essentiel de son travail tient en une douzaine d’années, Staël ne cesse de se renouveler et d’explorer de nouvelles voies : son « inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond » le conduit à produire une œuvre remarquablement riche et complexe, « sans esthétique a priori ». Insensible aux modes comme aux querelles de son temps, son travail bouleverse délibérément la distinction entre abstraction et figuration, et apparaît comme la poursuite, menée dans l’urgence, d’un art toujours plus dense et concis : « c’est si triste sans tableaux la vie que je fonce tant que je peux », écrivait-il. La rétrospective permet de suivre pas à pas cette quête picturale d’une rare intensité, en commençant par ses voyages de jeunesse et ses premières années parisiennes, puis en évoquant son installation dans le Vaucluse, son fameux voyage en Sicile en 1953, et enfin ses derniers mois à Antibes, dans un atelier face à la mer.
(Source : Site du Musée d’Art Moderne)

Mon Avis

J’ai adoré cette exposition par la grande diversité des œuvres présentées, leur beauté, leur lumière, leur poésie. Les couleurs, souvent éclatantes et franches, vont de pair avec un immense raffinement, une élégance incroyable. Dans les tableaux réalisés en Sicile, en particulier, il ose des juxtapositions de couleurs qui paraitraient criardes chez n’importe quel autre peintre – des jaunes, rouges, violets, verts très vifs – mais lui réussit à créer l’harmonie, à faire chanter les teintes sans qu’elles s’étouffent mutuellement. Il semble d’ailleurs être toujours en quête de nouvelles couleurs à utiliser, renouvelant sans cesse sa palette – tel ce « Paysage sur fond rose » (cf. ci-dessous) qui étonne ! – et je n’ai pas pu m’empêcher de penser que nombre de peintres abstraits du 20è siècle avaient réduit leur palette aux seules couleurs primaires (Mondrian, par exemple) quand d’autres bannissaient certaines autres, mal-aimées, comme le vert (détesté, entre autres, par Kandinsky). Tandis que Nicolas de Staël semble vouloir accueillir sur ses toiles toutes les nuances possibles de la nature et de la vie et c’est cette ouverture au monde qui m’a séduite et touchée.
J’ai aimé, aussi, regarder ces toiles de très près pour admirer leur belle texture : la peinture semble avoir été étalée au couteau, d’un geste sûr, net et précis, qui ne souffre pas, ou très peu, de repentir. On ne peut pas s’empêcher de voir un côté « maçonné » dans certaines toiles, et, bizarrement, ce maçonnage – évocateur d’un ouvrier maniant sa truelle – donne un effet extrêmement délicat, poétique et doux.
Toutes ces alliances de contrastes, d’ambiguïtés, de paradoxes, m’ont paru caractéristiques de cet artiste rare, génial, et de ses superbes tableaux.

**

Les Toits, Paris, 1951
Paysage, 1952
Arbre rouge, Provence, 1953
Paysage, Provence, 1953
Agrigente, 1953-54
Paysage sur fond rose, Ménerbes, 1954
Coin d’Atelier, Fond bleu, Antibes, 1955

Des Poèmes de Mutsuo Takahashi sur la Renaissance Italienne

Aujourd’hui, je vous propose deux poèmes japonais contemporains de l’écrivain Mutsuo Takahashi (né en 1937). Ces textes sont extraits du recueil « Printemps florentin choix de poèmes » publié aux Presses Sorbonne Nouvelle en 2020, dans une traduction de Bruno Smolarz.

Je vous avais déjà parlé de ce recueil en janvier dernier, lors du Mois Thématique sur le Voyage, mais ses poèmes sur Masaccio et sur Botticelli sont parfaitement en adéquation avec ce Printemps des Artistes.

Début de la quatrième de Couverture

Anthologie de courtes poésies en vers libres, ce recueil suit les jalons de la vie, réelle ou imaginaire, de l’un des auteurs majeurs du Japon depuis l’après-guerre, TAKAHASHI Mutsuo. Pour la première fois, un aperçu de son œuvre prolifique et protéiforme, qui inclut poésies traditionnelles, poèmes narratifs, essais, romans, théâtre,… est ici présenté en français.

Masaccio Adam et Eve chassés du Paradis

ii – Aspergé d’eau
Masaccio (1401-1428)

Je connais de nombreux matins mais
le Quattrocento florentin aube du renouveau
est particulièrement beau et douloureux
il est ce nu sur le panneau du bas les bras croisés
attendant tremblant d’être aspergé d’eau
il est le couple nu effaré de honte et d’appréhension
qui s’en va chassé hors du jardin
ce sont là variations de son jeune et fragile talent
après ce baptême il s’en est allé
la trop lumineuse beauté du jour
déplorant son passage trop rapide
se prolonge

**

iii – En allé on ne sait où
Pour chérir la mémoire de Botticelli

L’hiver d’avant avait été long et rigoureux mais
l’été suivant ne lui cédant en rien fut un tyran cruel et tenace
entre les deux un printemps très beau très bref
les arbres en fleurs les herbes fleuries rivalisaient
au fond des bois où les oiseaux chantaient à qui mieux mieux
entouré de déesses parfumées
et déguisé en Hermès juvénile
toi sagace et curieux soudain vieilli
t’appuyant sur une canne traînant la jambe
tu montras un visage de circonstance à l’assemblée des artistes
avant de t’en aller on ne sait où

**

Botticelli – Le Printemps

Showing Up de Kelly Reichardt

Affiche du film

Ayant vu ce film à sa sortie en salles au mois de mai 2023, j’ai pensé qu’il rentrerait parfaitement dans le cadre du « Printemps des artistes » de cette année, puisque l’héroïne est une sculptrice en train de préparer une exposition.

Note pratique sur le film

Date de sortie en salles : 3 mai 2023
Nationalité : américaine
Durée : 1h48

Synopsis d’après AlloCiné

A quelques semaines du vernissage de son exposition, le quotidien d’une artiste et son rapport aux autres. Le chaos de sa vie va devenir sa source d’inspiration.

Le début de l’histoire d’après moi

Une femme d’âge moyen, Lizzie (Michelle Williams), sculptrice à l’humeur bougonne, vit dans une assez grande solitude, célibataire et apparemment sans beaucoup d’amis, dans sa maison, avec son chat. Ne gagnant pas sa vie avec la sculpture, elle occupe un petit emploi de secrétariat dans l’école d’art de la ville, dirigée par sa mère. Elle doit présenter une exposition de ses sculptures quelques semaines plus tard, dans une galerie d’art de la ville, mais elle doit encore créer la plupart des œuvres à exposer et elle cherche à dégager du temps libre pour y travailler. Parallèlement, elle s’inquiète pour son père qui héberge un couple d’amis car elle pense que ce sont des pique-assiettes. Elle a des relations ambiguës avec sa voisine Jo (Hong Chau), qui s’avère être également sa propriétaire et se montre tantôt amicale tantôt hautaine, étant une artiste contemporaine très en vue, avec une notoriété et un succès bien supérieurs à ceux de sa locataire. Même s’il n’y a pas de rivalité explicite entre elles, on sent parfois une légère irritation. Un jour, le chat de Lizzie attaque un pigeon, laissant son aile blessée, et Lizzie, dégoûtée par la scène, jette le volatile hors de chez elle, sur des buissons. Mais il est recueilli par Jo, qui demande le lendemain à Lizzie de garder la boîte où le pigeon bandé doit entamer sa convalescence. (…)

Mon avis

C’est un film sans brutalité et qui avance à un rythme calme et doux. Dans ce sens il tranche complètement avec la plupart des films américains actuels et j’avoue que je ne m’en plaindrai pas !
Parfois on a l’impression d’être dans des scènes de la vie quotidienne normale, presque dans un documentaire, qui n’appartiennent ni au genre de la comédie ni au drame et on se demande quelle émotion la réalisatrice cherche à provoquer en nous, mais peut-être justement qu’elle recherche une objectivité et une forme de neutralité, peut-être qu’elle souhaite rester discrète dans ses intentions et qu’elle veut nous laisser libres de nos interprétations.
L’héroïne est une femme intéressante et complexe, on voit bien au début du film son mauvais caractère, et sans doute un genre de misanthropie. Elle s’habille mal et ne fait pas d’efforts pour s’arranger car toutes ses préoccupations vont vers la création de ses sculptures. Ses relations avec sa voisine et propriétaire, Jo, sont également complexes : il y a une forme d’amitié entre elles mais on sent certaines tensions latentes, comme lorsque Jo retarde pendant de longues semaines le remplacement du chauffe-eau de Lizzie et que celle-ci ne peut plus prendre de douches ou qu’elle doit se laver ailleurs que chez elle.
J’ai aimé aussi les relations de Lizzie avec sa famille : le père (joué par Judd Hirsch) apporte une note d’humour bienvenue, le frère (John Magaro) amène la pointe de drame et d’inquiétude propice à maintenir notre intérêt et la mère nous conduit à nous poser quelques questions sur la créativité et la bizarrerie psychologique.
Les scènes où l’on voit l’héroïne en train de modeler la terre et réaliser ses sculptures m’ont particulièrement plu car il y a beaucoup de grâce et de douceur dans ses gestes et l’on peut suivre le cheminement de sa création, les étapes de sa réflexion et éventuellement ses repentirs ou ses trouvailles spontanées.
Un joli film, agréable, contemplatif, nuancé, qui ne cherche pas à juger ses personnages ou à proposer de discours sur l’art contemporain mais qui nous laisse regarder, comprendre et apprécier par nous mêmes.

**

Logo du Défi, créé par Goran

« Le Printemps des Artistes » est de retour en 2024

Vous vous souvenez peut-être des précédentes éditions du défi de lecture « Le Printemps des artistes ».
Je le recommence cette année, entre le 1er avril et le 1er juin inclus.
C’est l’occasion de vous rappeler le principe :
1 – Lire un livre ou voir un film dont un des personnages principaux est artiste (écrivain, poète, peintre, sculpteur, architecte, musicien, comédien, chanteur, danseur, cinéaste, photographe, …) – que ce personnage soit réel ou fictif – ou qui aborde un thème artistique de manière assez développée.
2 – Ecrire une chronique sur ce livre ou sur ce film entre le 01/04/2024 et le 01/06/2024.
N.B : Vous pouvez aussi chroniquer une exposition (artistique, bien sûr…) ou publier un poème qui parle d’art.
3 – Me signaler votre chronique grâce à un commentaire.

Si cela vous dit de participer, pour vous donner des idées de livres/films, voici les liens vers les bilans des années précédentes :

Bilan 2023 : Le lien ici

Bilan 2022 : Le lien ici

Au plaisir de vous retrouver à cette occasion et de découvrir vos articles !

Logo du Défi, créé par Goran

Voyage en Italie de Roberto Rossellini

Affiche du Film

Comme je consacre ce mois de janvier au thème du voyage, il m’a semblé opportun de voir ce grand classique italien des années 1950 : « Voyage en Italie » de Roberto Rossellini (1906-1977). Pour en avoir déjà vu de nombreux extraits, je savais à peu près de quoi il retournait et j’en avais gardé en mémoire quelques images fortes, mais, bien sûr, le visionnage complet m’a réservé de nombreuses surprises et des sujets d’intérêt inattendus.

Note Pratique sur le film

Nationalité : Italien
Date de sortie initiale : 1954
Noir et Blanc, V.O. Italienne sous-titrée français
Rôles principaux : Ingrid Bergman (1915-1982) et George Sanders (1906-1972)
Durée : 1h20

Quatrième de Couverture du DVD

Un couple de bourgeois anglais arrive à Naples pour régler une affaire d’héritage. Leur découverte de l’Italie ira de pair avec la mise à nu de leur mariage et la prise de conscience de leur incommunicabilité… Intégrant le néo-réalisme à l’étude psychologique, Rossellini instaure avec Voyage en Italie une nouvelle forme de narration cinématographique qui préfigure tout autant le cinéma d’Antonioni que celui de la Nouvelle Vague.
(Source : DVD)

Mon Avis

Dans cette histoire, le thème du voyage est au moins aussi important que celui du mariage en crise. C’est à cause de ce voyage à deux que tous les problèmes de ce couple éclatent au grand jour et prennent de plus en plus d’ampleur. Comme ils le disent dès les tout débuts du film, ils sont mariés depuis huit ans et n’ont pas l’habitude, dans leur vie quotidienne, de se retrouver en tête-à-tête car une société nombreuse gravite autour d’eux. Mais, avec ce voyage, ils sont obligés de se parler seul à seul et leurs conversations finissent toujours en incompréhension ou en dispute. Sur le fond, leurs caractères divergent profondément : il reproche à sa femme d’être trop sentimentale, trop éprise de choses « poétiques », tandis qu’elle reproche à son mari d’être trop froid, trop attaché à son travail, à la notion de devoir. En même temps, chacun nourrit une certaine jalousie et soupçonne l’autre de vouloir le tromper, de se montrer trop accueillant avec les possibilités de flirts.
Pendant ce voyage, ils vont vivre des expériences séparément, chacun selon ses aspirations. Pendant que le mari essayera de nouer des liaisons féminines extra-conjugales, sans grand succès, la femme va multiplier les visites culturelles et touristiques à Naples et dans les alentours. La plupart de ces excursions, en compagnie d’un guide occasionnel, seront marquées de plus en plus nettement par l’idée de la mort (Vésuve en ébullition, catacombes, ruines de Pompéi avec les corps pétrifiés). Ces visites culturelles sont comme une échappée de la fiction vers le pur documentaire et le spectateur a l’impression assez étrange de se promener dans les musées napolitains des années 1950 ou de déambuler au milieu des squelettes avec un commentaire de l’époque. Mais nous nous rendons compte que ces multiples rappels de notre mortalité vont avoir un fort impact sur cette touriste anglaise et lui rappeler, peut-être, les choses les plus essentielles à ses yeux.
Un autre thème intéressant, même s’il est plus discret, est celui de la naissance, de la maternité et des petits enfants. En effet, ce couple n’a pas d’enfant et, lorsque la dame anglaise se promène en voiture dans les rues de Naples, elle ne peut s’empêcher de remarquer, avec un sourire de sympathie, les nombreuses femmes enceintes et toutes les promeneuses qui s’accompagnent de poussettes. Et, à la fin du film, nous comprenons qu’il y avait là un des principaux problèmes de ce couple, un non-dit parmi tant d’autres, qui envenimait leurs relations.
(J’ajoute que j’étais bien contente de constater qu’un film d’1h20 peut être un des chefs d’œuvre du septième art, ce qui contraste avec la mode actuelle des films deux à trois fois plus longs et qui ne sont pas toujours aussi beaux…)
Un film magnifique, aux dialogues très riches, aux images et aux lumières sublimes, et que je reverrai certainement avec le même plaisir et le désir de saisir ce qui a pu m’échapper aujourd’hui !

**

Scène du film (en voiture)

**

Je profite de cet article, programmé de longue date, pour lui ajouter quelques vœux de circonstances. Je vous souhaite à tous une excellente année 2024, une santé resplendissante, de l’amour, de l’amitié, des projets épanouissants et de la poésie sous toutes ses formes : que les belles choses de l’existence vous accompagnent !