2015 en révision

Les lutins statisticiens de WordPress.com ont préparé le rapport annuel 2015 de ce blog.

En voici un extrait :

Le Concert Hall de l’Opéra de Sydney peut contenir 2 700 personnes. Ce blog a été vu 19 000 fois en 2015. S’il était un concert à l’Opéra de Sydney, il faudrait environ 7 spectacles pour accueillir tout le monde.

Cliquez ici pour voir le rapport complet.

Dans les ruines, un recueil de Jean-Pierre Thuillat

Dans-les-ruines-precede-de-MarmaillesDans les ruines est un recueil de poèmes paru en 2015 chez l’Arrière-Pays. Il est précédé du recueil Marmailles et suivi de Mutants. J’ai choisi trois poèmes au gré de ma lecture, au fil de ces trois recueils.
Jean-Pierre Thuillat est poète et dirige la revue Friches.

***

Nous aimions la lenteur des feuilles
qui ne poussent que quand les hommes
ont le dos tourné et s’affairent
à leurs vraies tâches dérisoires.

Nous allions guetter sur les arbres
dans le printemps qui se dandine
la façon dont grandit le monde
et comment le vert vient au jour.

***

Ce visage qui se dessine
au fond du puits
si pâle encore sur le miroir que le contour
en demeure aussi flou que celui du Suaire

la nuit seule saura en préciser les traits
et lui donner cette aura de lumière
d’autant mieux définie que le noir

se fera plus profond par-dessus ton épaule
en étirant son ombre au bord de la margelle
jusqu’à dissoudre le cri des pierres.

***

Dans la vitre aucune ombre
hormis celle de ce corps de femme
aux contours dessinés d’une simple caresse

mais que tu viens rechercher chaque soir
au plus profond de ton désarroi d’homme
alors même que le ciel si limpide

ne suffit plus à dicter un poème
et que la lumière pleut sur toi
avec la cruauté d’une mer déchaînée.

Jean-Pierre Thuillat

***

Quelques poèmes de Cédric Landri

J’ai découvert ces poèmes dans le joli petit recueil L’envolée des libellules, paru chez La Porte en 2015.
J’apprécie leur fraîcheur et leur clarté, qui font penser à La Fontaine, de même que leurs thèmes bucoliques et champêtres.
Cédric Landri est un jeune poète contemporain qui écrit également des haïkus et des fables et qui est un lecteur régulier de ce blog (j’en profite pour lui adresser un petit salut amical).

**
Rechercher
dans le simple et sage
visage de la vache
un éclair de génie
et ne même pas y déceler
le balbutiement d’une vague
lumière.

Rends-toi à l’évidence
sa caboche carillonne
comme un vide
presque interstellaire.

Elle approuve
elle hoche la tête.

**

Tracer sur le sol
terre qui s’effiloche
des mots poussières
qui s’éclipseront
à la première brise
au premier pas
pourquoi ?

¨Parce que je crois que partout
le texte a sa place
même dans les coins
où seuls vivent
les cailloux les herbes
les libellules.

Te voilà bibliothécaire de nature.

**

Les roseaux là-bas
avec leurs têtes brunes
ressemblent à des messieurs
papotant sur la place d’un village.

De quoi parlent-ils donc ?

De la pluie et du beau temps
comme les hommes
mais ils commentent aussi
le saut d’une grenouille
l’errance d’un poisson
l’envolée d’une libellule.

Et le passage de deux bavards.

**

Quelques poèmes contemporains parus au Castor Astral

Ce-qui-est-ecrit-Castor_AstralJ’ai trouvé ces poèmes dans l’anthologie Ce qui est écrit change à chaque instant, parue en 2015 chez l’éditeur Le Castor Astral, et qui réunit « quarante ans d’édition / 101 poètes », qui ont tous en commun d’avoir publié au moins un livre chez cet éditeur.
On y trouvera des poètes aussi différents que Daniel Biga, Guy Goffette, Jacques Roubaud, ou Tomas Tranströmer …

J’aurai l’occasion de reparler de cette anthologie puisque je compte y puiser encore quelques autres poèmes.
C’est une anthologie qu’on lit et relit avec plaisir, et en y trouvant toujours matière à étonnement.

***

Puzzle

Combien de vies dans une vie ?
C’est comme demander combien de pièces
dans un puzzle, dit-il. L’un en compte douze,
l’autre douze fois plus, il en faudra mille ici,
là quarante. Et chemin faisant,
on comprend que chacun aura
très exactement le temps
de compléter le sien, et que le nombre
de pièces n’aura rien signifié,
et que le temps lui-même,
cent ans, dix secondes, n’aura jamais été
qu’un instant,
une fabuleuse fraction
d’éternité.

Francis Dannemark

**

Je suis probablement un homme mauvais.

Grinçant de haine quand ma salive malade coule de mes lèvres, là, sur ma poitrine.

Demandez-moi d’être heureux et me voici lamentable et quelconque, vie ne se vaut qu’en lambeaux épars sur un mur lépreux.

Enfant, j’aimais l’intimité des bas noirs, il m’en reste une attirance envers ce qui brûle, ce qui exalte, ce qui fuit, hélas.

A pleine bouche je mords de rage, puis solitaire, toujours vers l’ombre, m’enfuis.

J’ai peur. Je pleure. Ah, trop sensible suis.

Franck Venaille

**

L’amour a commencé bien avant nous. D’étage en étage, il glisse le long des nues
scintille sur la goutte qui lentement se forme au bout de la branche, puis roule au creux de nos mains.
L’amour vient d’en-haut. Il est tout ce qui tombe, tout ce qui plie ou descend.
Le cœur va vers le haut. Il monte comme la flamme. Il aspire vers le haut pour le rejoindre à mi-chemin.

L’amour est simple. Il dort dans les replis de nos travaux. Entre nos gestes, entre nos pensées hésitantes, il emplit tous les vides que nous laissons.
Il somnole sur les étagères. Dans le désordre immobile d’une après-midi silencieuse. Plus léger, plus libre et plus insaisissable que les brefs éveils qui parfois nous traversent et font gémir nos chairs.

Philippe Mac Leod

****

Parution d’un recueil de Denis Hamel chez Polder (n°168)

polder_denis_hamel

J’ai déjà eu le plaisir de publier sur ce blog des poèmes de Denis Hamel, aussi je tiens à vous annoncer qu’il vient de publier un premier recueil, intitulé Saturne, et dont voici la couverture et les premières strophes.

Saturne est paru chez Polder (cf. le site de la revue Décharge pour vous procurer un exemplaire) en novembre 2015.

***

 

mon nouveau domicile nullement
ne dépare n’était mon rachis tortueux
ma chère couleuvre ou la force
brutale de quelques mauvais garçons
les longs cheveux

nouveau mur les points gris piqués
sur la peau cette douleur solidifiée
comme l’écoulement des jours
substance sans étendue dis-tu
ah rosée aube fraîche aurore dans

la symétrie de ses traits point comme
une larme de mort nectar qui sait
forêt ocre lacrymale
ancolie dans l’âme le
n’en pas démordre

rêve dans la clairière hivernale
à petit feu dans l’âme
la dame de jade imagina
les fleurs fanées
gloire du matin

endommagé peut-être il les vivra
sa belle élégie sa belle envie
quel horizon limité quel regret ingrat
et ne nous soumets pas à la tentation
dans la coexistence de plusieurs mondes

(…)

Denis Hamel

***

Des poèmes parus dans Traction-Brabant n°65

Je vous propose aujourd’hui deux poèmes parus dans le numéro 65 de la revue poétique Traction-Brabant, un numéro sorti en novembre 2015 et que j’ai lu, comme toujours, avec intérêt.

 

Je me suis endormie dans la douceur des chats, la télé contre leur pelage.
J’ai écrit comme on rêve, la lumière m’a rassurée.
J’ai gravi bien des escaliers, j’ai pleuré sur bien des tombes.
Je me suis sentie espionnée, comme par l’œil d’un poisson mort.
La belle pluie bleue m’a lavée de tous ces mystères, m’a défaite comme une fleur.
Maintenant qu’il fait nuit, dans la compagnie d’un chat blanc et roux, j’égrène des fruits de mémoire, je tâche d’attendre le jour.
Il viendra, avec ses voitures et ses paroles, déchirant le foulard d’un songe, crevant la rue de Klaxons et de détritus.
Le chat s’est endormi, la nuit est comme un ventre de Mère, oui je vais l’attendre
encore, dans l’odeur des tilleuls, de la menthe, dans la dentelle des papillons.

 

Michelle CAUSSAT
le 14 septembre 2015, à 3h du matin

**

MOUVEMENT DE VOILE

Si les poissons-clowns font rire les baleines
Si les bouées tintent sous le flot des proues
Si les pieds-de-biches jouent à tire-d’aile
A danser au rythme des requins-marteaux

Que les poissons-lunes éclairent l’abîme
Que l’étoile de mer colmate le rafiot
Que tes doigts d’oursin comme des algues vives
Caressent les vagues qui lorgnent ma peau

Christophe REAL

Texaco de Patrick Chamoiseau

chamoiseau_texacoQuatrième de Couverture :
« Une vieille femme câpresse, très grande, très maigre, avec un visage grave, solennel, et des yeux immobiles. Je n’avais jamais perçu autant d’autorité profonde irradier de quelqu’un … Elle mélangeait le créole et le français, le mot vulgaire, le mot précieux, le mot oublié, le mot nouveau … » Et c’est ainsi que Marie-Sophie Laborieux raconte à l’auteur plus de cent cinquante ans d’histoire, d’épopée de la Martinique, depuis les sombres plantations esclavagistes jusqu’au drame contemporain de la conquête des villes.
D’abord les amours d’Esternome, le « nègre-chien » affranchi, avec la volage Ninon qui périt grillée dans l’explosion de la montagne Pelée, puis avec Idoménée l’aveugle aux larmes de lumière, qui sera la mère de Marie-Sophie. Dans les temps modernes, Marie-So erre d’un maître à l’autre, au gré de mille et un « djobs » qui l’initient à l’implacable univers urbain. Ses amours sont sans lendemain. Devenue l’âme du quartier de Texaco, elle mène la révolte contre les mulâtres de la ville, contre les békés qui veulent s’approprier les terres, contre les programmes de développement qui font le temps-béton.
C’est cette femme de combat que le Christ (un urbaniste chargé de raser le quartier de Texaco) affrontera lors d’une ultime bataille où les forces de la Parole resteront la seule arme.
Patrick Chamoiseau a sans doute écrit, avec Texaco, le grand livre de l’espérance et de l’amertume du peuple antillais, depuis l’horreur des chaînes jusqu’au mensonge de la politique de développement moderne. Il brosse les scènes de la vie quotidienne, les moments historiques, les fables créoles, les poèmes incantatoires, les rêves, les récits satiriques. Monde en ébullition où la souffrance et la joie semblent naître au même instant.

Mon avis :
J’ai recopié la quatrième de couverture car elle rend parfaitement compte à la fois des thèmes, du souffle épique, et de l’importance de ce livre du point de vue littéraire. Je ne pouvais pas dire mieux.

Je crois que c’est un des romans les plus extraordinaires que j’aie lus depuis bien des années : il m’a rappelé par plusieurs aspects Cent ans de Solitude mais je l’ai trouvé plus touchant, plus prenant que le livre de Garcia Marquez, dans le sens où les personnages ont une réelle épaisseur et semblent dotés d’une vie intérieure et d’une mémoire qui contribue à leur bâtir un destin.

Si vous voulez en savoir plus sur la culture et l’histoire martiniquaises, si vous aimez les histoires de zombis, de volcans en éruption, d’esclaves affranchis, si vous voulez savoir quels sont les pouvoirs d’un Mentô, ce roman vous comblera, mais, bien au-delà, on assiste grâce à ce livre à une épopée humaine, à un combat pour la liberté qui semble universel.

Le style de Chamoiseau est tout à fait extraordinaire, mêlant français et créole, usant de mots composés pour rapprocher deux idées ou deux objets. Les serpents sont les « bêtes-longues », la ville est l' »En-ville », etc. Parfois, on ne comprend pas certains mots mais cela n’empêche pas la compréhension de l’idée générale ou de la description.

Un livre tout à fait unique et magnifique, hors norme à tous les points de vue !

 

Texaco avait obtenu Le Prix Goncourt en 1992, année de sa parution chez Gallimard. Il est disponible en livre de poche.

 

Un poème en vers libres d’Antonin Artaud

L-Ombilic-des-limbesJe me suis dit qu’il était temps de faire une petite place à la poésie surréaliste, et pourquoi pas à Antonin Artaud, qui occupe une place marginale (et donc intéressante) dans ce mouvement.
Je n’ai pas trouvé beaucoup de poèmes en vers libres de ce poète, et celui que j’ai choisi est extrait de L’Ombilic des Limbes (surtout composé de textes inclassables, de lettres et de poèmes en prose – si tant est qu’on puisse appeler « poèmes » des textes que l’auteur estimait en dehors de la littérature).
Vous trouverez L’Ombilic des Limbes publié chez Poésie Gallimard.

**

Poète Noir

Poète noir, un sein de pucelle
te hante,
poète aigri, la vie bout
et la ville brûle,
et le ciel se résorbe en pluie,
ta plume gratte au cœur de la vie.

Forêt, forêt, des yeux fourmillent
sur les pignons multipliés ;
cheveux d’orage, les poètes
enfourchent des chevaux, des chiens.

Les yeux ragent, les langues tournent
le ciel afflue dans les narines
comme un lait nourricier et bleu ;
je suis suspendu à vos bouches
femmes, cœurs de vinaigre durs.

Antonin Artaud

**