La revue Décharge et les éditions Gros Textes font paraître quatre fois par an les petits livres de la collection « Polder » – deux au printemps et deux en automne. J’ai apprécié celui de la poète Hélène Miguet, intitulé Comme un courant d’air, qui montre une vivacité dans le maniement des mots et une façon de jongler avec les images qui réveille l’esprit et qui parait très entraînante. Ce recueil est paru en novembre 2022 et c’est le Polder numéro 195.
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J’avais déjà publié sur ce blog, il y a longtemps (2013), des poèmes sur le thème de la passante – répartis sur deux articles – et je vous en donne les liens pour rappel : Premier Article – Deuxième Article – Comme vous le voyez, Hélène Miguet se situe par ce thème dans une longue tradition héritée des romantiques, mais sa vision de la passante est tout à fait contemporaine, personnelle et renouvelée.
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Page 29
Nous sommes de ce monde où tout passe les anges le temps les voitures tunées et même les femmes
elles sont le sillage des villes évanescence faite charme ou parfum et si rien de tout cela un peu d’entêtement né de l’écume d’un trottoir
elles passent et laissent dans leur sillage une empreinte légère qu’elles ne connaissent pas
parfum de nuages volé au temps
ce peu de traces n’est au fond qu’une façon de s’effacer suavement
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Page 32
Passantes pâles éternellement hantées par les heures citadines si vite transparentes que la ville les oublie mangées par une rue de brume un soir tombé trop tôt sur un quai noir
alors fantômes élancés elles en perdent la tête se diluent n’emportant avec elles qu’un réverbère au côté gauche
L’écrivain et éditeur Etienne Ruhaud m’a fait l’honneur et le plaisir de m’interviewer pour le site d’actualités littéraires « Actualitté« , au sujet de mon recueil poétique La Portée de l’Ombre, paru aux éditions Rafael de Surtis. Merci à lui pour cette invitation et pour ses questions !
Le numéro 84 de la revue « Poésie Première », paru en janvier 2023, avait pour thème le Voyage et j’ai l’honneur et le bonheur de figurer à son sommaire, avec un de mes poèmes écrits à l’été 2022 et jusqu’ici inédit.
C’est un heureux hasard que le thème de la revue rejoigne celui du Mois Thématique de mon blog – de même que celui de mon poème – et on croirait presque à une sorte de conjonction zodiacale spécifique… si on était superstitieux.
Trains de haut vol
Dans le train de mon âge à vitesse grand V J’ai souvent végété sous les couleurs du vent Le temps venu par vagues emmêlait nos cheveux Et nous devions pouvoir et nous voulions dévier. (Le rêve m’entortille et le réveil m’embrouille.)
C’est le V de l’envol qui referme son aile Et la nuit de velours épaissit ses volutes Et la nuit envoûtait nos fatigues voûtées Nuits de mica doré refondues en plomb gris C’est l’alchimie de l’aube et des ères trop neuves.
Dans le train de mon âge et au son du roulis J’ai perdu mon bagage et gagné un parcours Vases communicants entre l’esprit et l’âme De l’un à l’autre j’ai mis de l’eau dans mon cœur Oui tant d’eau a passé sous les ponts innocents Tant de sang fut pressé pour le vin de l’histoire.
J’avais déjà parlé de ce recueil Le huitième pays en automne dernier et je vous propose d’en lire aujourd’hui trois autres poèmes, où il est question de l’exil et de la nostalgie du pays natal. Voici un petit rappel biographique de la poète.
Note sur la poète
Jila Mossaed est née à Téhéran en 1948. Elle publie ses premiers poèmes à l’âge de 17 ans. Suite à la prise de pouvoir par Khomeini en 1979, elle trouve refuge en Suède. Elle écrit en suédois depuis 1997 et entre à l’académie suédoise en 2018. « Chaque langue qui me donne la liberté de m’exprimer contre l’injustice est la langue de mon cœur » dit-elle à propos de son œuvre poétique où l’exil occupe une place essentielle. (Source : éditeur)
Note pratique sur le livre :
Editeur : Castor Astral Année de publication en France : 2022 (en Suède : 2020) Traduit du suédois par Françoise Sule Préface de Vénus Khoury-Ghata Nombre de pages : 140
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Page 125
Ils étaient silencieux La montagne que j’ai cachée dans ma valise La mer que j’ai emportée avec moi sous mon sein gauche Et le rossignol dans mes rêves
Ils reprennent vie Nous campons ici au-delà du passé Bien loin de nos vagues dans le ventre vide du présent
Nous créons un pays au-delà de toutes les frontières Racontons les histoires que maman racontait au cours des nuits sombres
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Page 115
Je vais chercher la valise qui a longtemps attendu dans le coin de l’angoisse
Je la place au milieu de la pièce bouche ouverte Entreprends de la remplir
Quelqu’un nous attend-il Est-ce que tout sera comme avant Reste-t-il quelque chose de ce que nous avons laissé
Moi et la valise nous avons répété cette scène tellement de fois pour les rideaux silencieux et les murs en larmes Plus tard nous nous endormons toujours au fond de nos rêves réciproques
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Une corbeille à la main elle sortait chaque matin de l’ombre rouge du cerisier
On jouait dans le corps asséché de la rivière Nous ramassions des petits cailloux faisions semblant d’être sourdes quand les bombes explosaient
Je me créais un abri au plus profond de moi Déconnectais tous mes nerfs mes sens Entrais dans un autre monde Parfois j’étais partie plusieurs minutes
Maintenant j’ai l’impression d’avoir vécu une autre vie Celle d’une autre qui n’a pas voulu me suivre ici
J’ai entendu parler de ce livre sur le blog de Kévin, « Comme au Japon », consacré à la culture japonaise, que vous pouvez consulter ici, si vous voulez. Colette Fellous est une écrivaine et femme de radio française, née à Tunis en 1950. Elle raconte ici son voyage au Japon, en compagnie de sa petite fille prénommée Elyssa, ce qui est l’occasion d’un vagabondage à travers la culture japonaise (art du haïku, gastronomie, cerisiers en fleurs, etc). Ce voyage lui permet aussi d’évoquer des souvenirs de jeunesse ou d’enfance. Le livre est illustré de photos en noir et blanc, prises au cours de ce séjour japonais par l’écrivaine elle-même.
Mon humble avis
L’écriture de ce livre n’est pas désagréable mais pas géniale non plus. Il y a pas mal de phrases qui comportent des énumérations, ce qui n’est pas forcément attrayant à mes yeux. Un certain manque de concision et même une tendance au délayage verbal m’ont un petit peu ennuyée. Souvent, l’écrivaine parle d’éléments et de caractéristiques très – trop – connus de la culture japonaise sans ajouter de vision personnelle ou de ressenti original et elle a tendance à énoncer des choses rebattues et convenues, du déjà-vu-déjà-lu qui m’a franchement cassé les pieds. Parfois, elle parle de choses intimes et personnelles, par exemple un abus sexuel dans son enfance ou, quelques chapitres plus loin, son accouchement où elle a failli mourir ou encore la mort de sa mère et on se demande pourquoi elle veut nous faire partager ça, quel rapport avec son voyage au Japon, qu’est-ce qu’elle veut nous dire à travers ces récits ? On reste un peu gêné et dubitatif car ça tombe là comme un cheveu sur la soupe et ensuite elle ne parle plus du tout de ces sujets. A un moment, elle évoque le côté aléatoire des choses et j’ai pensé que, peut-être, elle avait voulu faire ici un livre avec une construction aléatoire, mais ça n’a pas suffi à me réveiller ou à me sortir de ma complète léthargie. J’ai abandonné cette lecture 20 ou 30 pages avant la fin.
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Voici un passage qui ne m’a pas déplu :
Un Extrait page 189
Ce soir-là, j’avais donc rencontré trois hommes. L’un a été mon amour, l’autre mon ami et le troisième aurait pu être mon mari, si j’avais dit oui. C’est juste un exemple. Un exemple de ce qui pouvait à tout moment se glisser dans un roman, sans prévenir, de façon purement aléatoire, une histoire qui m’avait fait signe alors que, sous la pluie fine, je traversais avec Lisa le carrefour Hyakumanben pour acheter des confiseries aux noix. Claude était un maître de la physique théorique et des mouvements aléatoires, ses travaux ont marqué l’avancée de la recherche au-delà de la France. Ce soir-là, il avait joué sa vie et mis en pratique l’aléatoire, il ne me l’avait avoué que plus tard. Je l’avais revu une ou deux fois après la fête, nous avions dîné un jour ensemble et en me raccompagnant en bas de mon immeuble, dans la voiture, les phares et le moteur éteints, il m’avait demandé de sa belle voix grave si je ne voulais pas l’épouser. Il était timide mais il s’était lancé, moi aussi j’étais timide. C’était si incongru que j’ai ri, un peu gênée, je pensais que c’était une blague. (…)
Comme j’apprécie beaucoup le blog Nervures et Entailles de l’écrivaine Joséphine Lanesem, je voudrais aujourd’hui vous parler de son dernier recueil Calendrier des couleurs, un très joli ensemble de proses poétiques où la signification et la saveur des couleurs, mises en relation avec les mois de l’année, nous sont très subtilement dépeintes. C’est un livre de perceptions et de sensations, c’est-à-dire des phénomènes habituellement trop fugitifs et trop épidermiques pour être exprimés verbalement, et qui restent généralement en-deçà de la conscience, mais la poète parvient à trouver les justes évocations par la magie de ses mots. Les couleurs, nous croyons en connaître la symbolique approximative de manière plus ou moins innée et spontanée, mais ce recueil nous fait pénétrer dans un monde de nuances, de correspondances finement observées et de sensibilité attentive qui vont au-delà de nos impressions ordinaires. Chacun de ces douze textes est comme un tableau aux mille petits détails complexes – un tableau plein de lumière, de mouvement, et de vitalité. Le plus étrange, c’est que ce recueil m’a appris à aimer (ou en tout cas : à considérer avec un œil bien plus favorable) des couleurs que je n’aimais pas jusqu’à présent et dont il m’a révélé les beautés cachées, par exemple le marron, le gris ou le jaune. C’est d’ailleurs un extrait du texte sur le Marron que je vous propose de lire ci-après, car il m’a particulièrement frappée et séduite.
Vous pouvez également la contacter sur son blog pour l’achat du recueil au format papier.
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Un Extrait du Deuxième Texte
Marron – Novembre
Marron brûle doigts engourdis et lèvres gercées. Le mot comme la chose nous vient des Alpes, ou des Pyrénées. Il en garde un goût de vie sauvage.
Matière première de notre monde qui modèle la terre, le bois ou le pelage. Craquèlement des croisements qui deviennent croissance. Couleur la plus commune, si commune qu’elle sert de camouflage : rien de mieux pour se fondre dans la foule ou le paysage. Il est la nature sans atours, nue et grelottante, telle qu’elle se montre en novembre ; et son obscurité appelle le toucher plus que le regard : la main qui flatte l’animal, serre la peluche, caresse le bois, creuse un sillon, égraine la semence.
Point où la couleur sombre dans la non-couleur, ou bien degré de mélange entre les couleurs où elles s’abolissent l’une l’autre. En effet, aucune trace de lui dans l’arc-en-ciel, mais c’est qu’il est trop modeste pour figurer au ciel. Il appartient au bas-monde, à l’humble labeur, aux métiers sans éclat, à ceux qui n’avaient pas de quoi teindre leurs habits ; et il rappelle l’ancien temps, quand les teintures manquaient, le clair-obscur des torches ou des chandelles, les variétés de l’ombre autour du foyer, les visages auréolés dans les ténèbres et les pigments empruntés au sol pour peindre nos passions. Rien ne lui est plus contraire que l’électricité.
Depuis une dizaine d’années, j’avais essayé déjà deux fois de lire des bouquins de Philippe Sollers, et j’avais abandonné assez rapidement, terrassée par l’ennui. Finalement, grâce à cette mince « Légende » qui vient de sortir en poche, en Folio, j’ai pu arriver jusqu’au bout de cette troisième tentative – mais je me demande un peu pourquoi je me suis obstinée et à quoi ça m’a servi.
De quoi ça parle ?
De tout et de rien. On saute du coq à l’âne sans rime ni raison. C’est un peu comme un exercice de « libre association » pratiquée par un patient bavard dans un cabinet de psychanalyse : ça parle de n’importe quoi, de tout ce qui lui passe par la tête, et après on essaye de trouver des relations artificielles et tirées par les cheveux entre ces différents sujets. Le narrateur-auteur nous parle de sa sexualité avec une fierté et une gourmandise égrillarde très typiques du siècle dernier – mais qui peut s’intéresser à ça ? Le narrateur-auteur nous parle de quelques grands poètes français du 19è siècle : Baudelaire, Rimbaud, Hugo, mais il n’a rien de nouveau à en dire et nous jette seulement des éléments biographiques archi-connus et rebattus. Il nous parle de la PMA – qui visiblement lui fait horreur parce qu’elle entend gommer la présence du père – il nous parle de Dieu (« Notre Père qui êtes aux cieux »), l’idée de la paternité a l’air de beaucoup le travailler mais on ne sait pas trop ce qu’il en pense vraiment, au final. D’ailleurs, on ne peut pas dire qu’il écrive des « pensées » – ce serait plutôt des petites saillies verbales où les jeux de mots et les pirouettes sémantiques sont censés tenir lieu de réflexion, dans une esbrouffe poussive et fatigante qui sonne creux. Le narrateur nous fait savoir que sa maîtresse actuelle (ou, peut-être, plus exactement, une de ses maîtresses) est une lesbienne qui trompe sa femme avec lui et ça a l’air de le réjouir particulièrement et de flatter son sens des valeurs. Car en digne représentant de la génération des soixante-huitards machistes, qui voulaient jouir sans entraves et interdire d’interdire, il déteste notre époque : trop féministe, trop favorable aux LGBT, trop hostile au patriarcat, trop propice aux me-too. Un livre ringard, ennuyeux, auto-satisfait et auto-complaisant, où on n’apprend rien et où on est pressé d’arriver à la fin pour passer à autre chose.
Il y a une page du livre qui m’a tiré un vague petit sourire – une seule page sur 130 ! – que je me suis naturellement empressée de corner et que je me propose de recopier ici :
Page 53
Tableau
J’ai devant moi un paquet de cigarettes sur lequel est écrit, en gros caractères, « Fumer augmente le risque d’impuissance ». Je m’émerveille aussitôt d’une société qui, se reproduisant de façon de plus en plus technique, fait ouvertement de la publicité pour le coït normal, avec érection mâle et pénétration fécondante. On n’imagine pas une inscription du genre « Fumer augmente les risques de frigidité », même si, sur un autre paquet, je peux lire cette déclaration humaniste « Arrêtez de fumer, restez en vie pour vos proches ». Suis-je sûr que mes proches souhaitent que je reste en vie ? J’en doute. Quant à « Fumer nuit à la santé de l’enfant que vous attendez », je m’incline. Je n’attends pas d’enfant, et ne suis pas donneur pour une procréation médicalement assistée. Sur quoi, j’allume une cigarette, la meilleure étant celle d’après l’amour, comme chacun ou chacune le sait. (…)
J’ai eu le plaisir de découvrir en novembre le dernier recueil poétique de Thierry Roquet, intitulé sobrement « Promiscuités » et paru aux éditions du Cactus Inébranlable en automne 2022. Et j’ai eu envie de partager ici quelques uns des textes qui m’ont le plus plu.
Quatrième de Couverture
Thierry Roquet est un spécialiste du texte bref, voire excessivement bref. Il manie l’art de la concision à la perfection et s’inspire de chaque rencontre, de chaque observation, de chaque réflexion pour écrire une histoire dont on sort, à peine rentré. Cela tient de la performance…
Mon Avis en bref
Bien que ces proses soient courtes, et parfois très courtes, elles sont extrêmement diversifiées par leurs tons, leurs ambiances, leur aspect tour à tour descriptif, narratif, réflexif. Certaines penchent du côté de l’absurde, de l’étrangeté, d’autres jouent habilement sur les mots, d’autres encore mettent en relief nos petits travers humains, voire les incongruités de nos sociétés, avec une pointe d’ironie dépourvue d’aigreur ou d’acrimonie. Ça se lit très agréablement, et ça gagne même à être relu car certains de ces textes ne se révèlent vraiment qu’à la deuxième ou troisième reprise.
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Page 18
La promesse en l’air s’en alla rejoindre, au ciel, le cimetière aux promesses qui s’étendait à perte de vue.
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Elle était tellement en avance sur son temps qu’elle ne croisa jamais ses contemporains.
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Page 19
« Il faut prendre les choses du bon côté » me dit-elle. Je n’écoutai qu’à moitié, lui tournant déjà le dos.
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Page 34
Ils discutèrent à bâtons rompus. Puis ils allèrent chercher d’autres bâtons.
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Page 37
Effet-papillon?
Un train en cache un autre qui peut cacher l’arbre cachant la forêt qui cacherait la gare et les voyageurs qui pourraient ne plus savoir l’heure du départ que cacherait cette drôle d’impression de déjà-vu.
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Page 43
Mon premier dernier petit-déjeuner
On nous réveilla en sursaut. « Préparez-vous vite ! ». Les informations annonçaient l’imminence de la fin du monde, un événement à ne manquer sous aucun prétexte. J’eus tout juste le temps de boire un café noir sans sucre, en y trempant une délicate biscotte, tartinée de beurre demi-sel et de confiture à la rhubarbe. Puis : l’attente. Puis… On nous réveilla en sursaut.
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Page 63
« Va de l’avant ! » dit le père, assis sur sa chaise depuis des heures.
Anne Barbusse avait publié l’année dernière aux éditions Unicité un beau « journal psychiatrique » intitulé Moi la dormante, que j’avais beaucoup aimé.
Elle publie en cette année 2022, toujours aux éditions Unicité, la suite de son récit poétique, écrit à l’hôpital en 2004, intitulé « Les accouchantes nues« . Nous y suivons son parcours de vie, de cœur et de santé au long de ces semaines particulièrement riches sur le plan affectif et émotionnel. Des semaines de mars et d’avril qui voient aussi l’éveil de la nature, l’éclosion des bourgeons et des fleurs, qui trouvent un écho émouvant dans ses pensées.
La poète oscille entre le désespoir et l’exaltation amoureuse, et ressent cycliquement un sentiment d’abandon et d’angoisse – que l’on pourrait se contenter de voir comme purement pathologique si l’on adoptait un regard superficiel – mais que l’on peut aussi considérer comme notre sort commun, la condition de notre vie humaine, que nous devons tous affronter un jour ou l’autre, quelle que soit notre santé psychologique. En effet, Anne Barbusse doit faire face à plusieurs ruptures affectives très douloureuses durant cette hospitalisation psychiatrique et l’attitude autoritaire et restrictive des soignants n’arrange pas toujours les choses. Des deuils difficiles à faire, des désirs inassouvis, se mêlent à un grand sens de la beauté, à l’amour de la nature et à la nécessité vitale de l’écriture, poursuivie envers et contre tout. Et même quand le papier manque ou que le précieux cahier est rendu inaccessible par un cadenas bloqué ou que les soignants intrusifs veulent stopper cette création littéraire, l’écriture reste un secours inlassable et indispensable. J’ai senti dans ce recueil essentiellement un désir de vivre, d’aimer, de créer, d’exister pleinement et j’ai trouvé cela magnifique !
Note biographique sur la poète
Anne Barbusse est née en 1969 et habite dans un village du Gard. Agrégée de Lettres classiques, elle enseigne le français langue étrangère aux adolescents migrants. Elle écrit depuis longtemps mais n’a commencé à envoyer ses textes que depuis le printemps 2020, pendant le premier confinement. Publications dans des revues en ligne ou papier, un recueil aux éditions Encres vives, Les quatre murs le seau le lit, collection Encres blanches, décembre 2020, et un recueil aux éditions Unicité, Moi la dormante, septembre 2021. (Source : Site de l’éditeur)
Voici quelques extraits
Page 17
Pourquoi Dieu, dans l’épopée biblique, se repose-t-il le septième jour d’avoir créé le monde ? La création est-elle chose si fatigante ? N’est-ce pas plutôt pour signifier la nécessité du repos, de reposer son corps sur le monde, d’y trouver l’habitation sûre, poser ses membres sur la terre, s’y loger dans l’étroitesse ouverte de la maison-habitation ? Je ne supporte pas cette fierté du dieu biblique à avoir créé le monde. Trop de souffrances. L’artiste n’est jamais satisfait de sa création. Le dieu serait la perfection, preuve qu’il n’existe pas. Et la femme n’a été créée qu’à partir de l’homme, dans la grande dépendance. Le colporteur, l’aède ou l’écrivant de cette Bible était un homme qui, soit n’avait rien compris à l’être-distinct qu’est la femme, soit voulait signifier justement cette dépendance. Mais ne vaut-elle pas dans l’autre sens ? Donc je penche pour la première solution. Une belle histoire certes, mais trop d’assurance, comme dans toute épopée. Que peut en tirer notre univers empli d’hésitation ? Le dieu trouve que le monde est bien fait et justifie trop de souffrance.
Pages 98-99
pluie pluie enfin un accord ma parole accordée à la pluie
pluie le monde m’écoute consolation enfin
après la pluie je ne suis plus toute seule l’accompagnée de l’eau tombante des flaques et des gouttes – monde que j’accepte apaisée d’être rejointe
là où tu fais défaut vient la pluie quand visiteras-tu la malade de toi
grosses gouttes dit-elle comme gros chagrin disent les enfants – enfants et fous dans le dire réel
tu ne cesses plus de m’abandonner l’effondrement s’allonge dans la durée blessée tu ne cesses plus de me signifier que tu te dérobes – et la pluie tombe
Page 109
Etrange cette idée que dorénavant je peux livrer mon corps à n’importe qui puisque tu le dédaignes. Peut-être parce que livré au mépris. Volonté de salir, de souiller ce corps dont tu ne veux plus. Ou de le punir de ne pas t’avoir plu. Ne peux me passer du désir. Je suis désirée donc je suis. Dans la ronde des désirs. Des désirs tournant dans les airs. Que les draps sont froids sans tes bras. Pourquoi ne suis-je pas assez jolie ?
Dans le cadre de mon Mois thématique sur la Maladie psychique (en fait réduit à trois semaines) je vous présente ce recueil de la poète Domi Bergougnoux La Craquelure, publié chez Al Manar en septembre 2021. La poète évoque la maladie psychique de son fils dans des textes très expressifs où les détails du corps du jeune homme et ses attitudes angoissées sont observés avec acuité et compassion. A travers son regard de compréhension douloureuse, la poète exprime à la fois la souffrance de son fils et la sienne propre, se faisant mutuellement écho..
Note sur la Poète
Domi Bergougnoux a publié des textes dans de nombreuses revues et blogs de poésie : Lichen, Le Capital des mots,17 secondes, Poésie première, Recours au Poème, l’Ardent Pays, Possibles. Deux recueils : Où sont les pas dansants ? en 2017 et Dans la tempe du jour en 2020 aux Editions Alcyone.
Quatrième de Couverture
Domi Bergougnoux écrit la souffrance, celle du fils et celle de la mère. L’amour s-y entend comme un cri qui serait murmuré, se dessine en rythmes, en images, en musique. Si l’on devait donner une couleur aux poèmes de Domi Bergougnoux ce serait le bleu, comme le blues, mais aussi comme l’horizon, cette espérance au loin.
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Page 17
Homme ébloui
Il a résisté à l’invasion des rumeurs sous son crâne il a émoussé le tranchant froid des jours
Sur son chemin jalonné de chutes il a joué avec la mort au plus vif au plus intense de son âme il a lancé des prières et des reproches à Dieu et à la lune
Il cache son secret sous des oripeaux d’orgueil il ouvre un tiroir plein de chagrins il regarde un ciel découpé à la fenêtre close
Sa tête toujours trop vide ou trop pleine ses yeux trop fixes ou trop brillants ses mains maculées de cendres et de brûlures il porte son blouson même par grand soleil une sueur âcre imprègne son armure de cuir
Il se débat chaque matin dans un halo de silence et de voix
Quand donc viendra l’amour pour son cœur illuminé cerné de doute
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Page 52
Fou ?
Il était fou peut-être mais les autres ?
Marionnettes asservies yeux recouverts une taie opaque les empêchait de voir le gouffre du réel s’ouvrir sous leurs pieds standardisés normés calibrés
Lui le fou avançait à pas de côté à pas glissés chassés dansés et ses pas de géant traversaient les abîmes