Le numéro 23 de la revue A l’index

Dans le dernier numéro de la revue A l’index (mars 2013), dirigée par le poète Jean-Claude Tardif, on trouve des poèmes de poètes reconnus, comme Dominique Sampiero ou Werner Lambersy, dont on peut lire un beau poème sur Pina Bausch.
On trouve aussi des poèmes d’auteurs inconnus ou peu connus, dans la rubrique Jeux de Paumes.
Et cette revue publie également deux poètes qui m’ont semblé brésiliens : Antonio Brasileiro et Aleilton Fonseca, en version bilingue, deux poètes que j’ai appréciés.

Voici quelques poèmes extraits de cette belle revue :

Eric Chassefière Nocturnes

On gagne la nuit par de lentes effloraisons de nuages
on a vu d’abord le ciel prendre racine
dans un vaste morcellement d’oranges et de bleus
s’égrenant à l’horizon en un archipel de bulbes roses
puis le soleil a sombré dans l’eau des arbres
les lignes de la terre se sont épurées
les nuages bleu sombre séparés par plans
caravanes de formes glissant en se chevauchant
dans le rapide mouvement de déplacement du train
puis la nuit a tiré un à un ses rideaux
la vitesse s’est dissoute dans la vibration nocturne
on a poursuivi le voyage à l’intérieur des lignes du corps

Cloisons de Pluie de Samuel Dudouit

Si un dieu de la pluie parvenait jusqu’au rire
qui lentement monte en toi
si son odeur de terre lavée et de fougère
et sa chaleur perdue
envahissaient tes mots
tes poèmes iraient seuls sans boussole sans loi
tu pourrais dormir

Poème d’Antonio Brasileiro

Art Poétique

Mes vers sont la pure essence
des poèmes non essentiels.

Ils ne disent rien de vrai
ils ne veulent rien expliquer.

Ils ne racontent pas la clameur des coeurs
ils n’affrontent pas la douleur du monde.

Si parfois ils parlent fort
c’est par pur plaisir, jubilation :

humour qui jaillit de l’intérieur
comme les astres qui se meuvent.

Eux, mes vers, sont la pure
floraison d’irresponsables

fleurs nées dans la mangrove
simplement – mais multicolores,

belles, peu importe que les hommes
les connaissent ou non.

Un beau poème de Philippe Jaccottet

jaccottet_poesie

Comme je suis un étranger dans notre vie,
je ne parle qu’à toi avec d’étranges mots,
parce que tu seras peut-être ma patrie,
mon printemps, nid de paille et de pluie aux rameaux,

ma ruche d’eau qui tremble à la pointe du jour,
ma naissante Douceur-dans-la-nuit… (Mais c’est l’heure
que les corps heureux s’enfouissent dans leur amour
avec des cris de joie, et une fille pleure

dans la cour froide.Et toi ? Tu n’es pas dans la ville,
tu ne marches pas à la rencontre des nuits,
c’est l’heure où seul avec ces paroles faciles

je me souviens d’une bouche réelle… ) Ô fruits
mûrs, source des chemins dorés, jardins de lierre,
je ne parle qu’à toi, mon absente, ma terre…

Ce beau sonnet sans titre est tiré du recueil L’effraie (1946-1950). Il me semble que c’était son premier recueil de poèmes, Philippe Jaccottet avait alors une petite vingtaine d’années.

Journal d’un roman – Numéro 3

Je poursuis cette rubrique aujourd’hui car je traverse une période difficile dans l’écriture de mon roman. J’avais arrêté d’écrire pendant trois jours, puis je m’y suis remise, mais certains soirs j’ai vraiment besoin de me forcer car la motivation n’y est plus tout à fait.
Cela fait maintenant un mois et demi que j’ai commencé ce projet et, comme je m’y attendais dès le départ, je ne ressens plus la grande fougue du début, cela devient un travail un peu pénible.
Il faut dire que j’avais commencé par l’écriture de toutes les scènes les plus essentielles de cette histoire, et donc il ne me reste maintenant que les anecdotes, qui sont moins intéressantes, mais indispensables au déroulement du roman et à la vraie compréhension des personnages. C’est donc normal que je me sente moins passionnée maintenant qu’il y a quelques semaines…
Cette baisse de motivation est d’autant plus bête que je ne suis plus très loin d’avoir terminé le premier jet : j’ai actuellement soixante-seize pages et je pense qu’il ne manque plus qu’une vingtaine – trente au maximum. Ce sera donc un court roman, ce que je ne savais pas avant de commencer (j’imaginais au contraire une histoire de plus de deux cents pages quand je pensais à tout ce que j’avais à raconter et à dire !).
Sinon, mon histoire, qui se voulait un pur récit autobiographique, a légèrement dévié vers l’imaginaire : je ne dis pas toute la vérité et rien que la vérité ! Il m’a semblé qu’en modifiant ou en résumant certains épisodes cela deviendrait plus intéressant pour un éventuel lecteur… la peur d’écrire un roman ennuyeux est en effet très présente !
A propos de lecteur, je commence à avoir hâte de faire lire ce travail à quelqu’un !
A vrai dire, j’avais fait lire déjà une première ébauche à une amie qui avait été encourageante, mais cela fait déjà un mois, et je ne tarderai sûrement pas à solliciter un deuxième avis.

Un beau poème de Jacques Dupin

Tu ne m’échapperas pas, dit le livre. Tu m’ouvres et me refermes, et tu te crois dehors, mais tu es incapable de sortir car il n’y a pas de dedans. Tu es d’autant moins libre de t’échapper que le piège est ouvert. Est l’ouverture même. Ce piège, ou cet autre, ou le suivant. Ou cette absence de piège, qui fonctionne plus insidieusement encore, à ton chevet, pour t’empêcher de fuir.
Absorbé par ta lecture, traversé par la foudre blanche qui descend d’un nuage de signes comme pour en sanctionner le manque de réalité, tu es condamné à errer entre les lignes, à ne respirer que ta propre odeur, labyrinthique. La tempête à son paroxysme, seule, met à nu le rocher, que ta peur ou ton avidité convoitent, sa brisante simplicité, comme un écueil aperçu trop tard.
N’est vivant ici, capable de sang, que ce qui nous égare et nous lie, cette distance froide, neutre, écartelante, jamais mortelle, même si tu m’accordes parfois d’y voir crouler la lumière, et s’efforcer le vent.

J’ai trouvé ce poème dans le recueil Moraines (1969) publié dans Le corps clairvoyant, un livre de Jacques Dupin chez Poésie-Gallimard.
J’ajoute que je préfère le début de ce poème à sa fin, que je trouve moins lisible, moins « borgésien » aussi.

Art de Yasmina Reza

yasmina_reza_theatreSerge, médecin dermatologue, vient d’acheter pour deux cent mille francs un tableau d’un mètre soixante sur un mètre vingt, entièrement blanc, avec de fins lisérés blancs transversaux. Son ami Marc, ingénieur, auquel il montre sa nouvelle acquisition, est consterné qu’il ait pu mettre une telle somme dans un tableau qu’il considère comme une « merde ». Il faut dire que Marc est ennemi de la modernité et du snobisme, tandis que Serge se pique d’être un homme représentatif de son époque – un homme de son temps. Intervient un troisième personnage, Yvan, qui est un ami à la fois de Serge et de Marc, et qui essaye de minimiser le désaccord, pourtant profond, qui existe entre ses deux amis, et qui tente, en vain, de les réconcilier.

Cette pièce avait été créée pour la première fois en 1994 avec Pierre Vaneck dans le rôle de Marc, Fabrice Luchini dans le rôle de Serge et Pierre Arditi dans le rôle d’Yvan.
La pièce avait eu un succès extraordinaire, ce qui était dû, à mon avis, au fait que c’était la première fois que, sur la scène d’un grand théâtre parisien, on disait que l’art contemporain était de la merde et qu’on ne pouvait l’apprécier que par snobisme : une idée extrêmement répandue dans la population, mais que les écrivains sérieux et réputés n’étaient pas supposer reprendre dans leur oeuvre.
Mais, à côté de cet aspect un peu démagogique de cette pièce, j’ai trouvé que c’était au contraire une pièce assez fine sur les rapports humains.

Ce grand tableau blanc est en fait le révélateur des traits de caractère de chacun. Chaque personnage, en exprimant son avis sur le tableau, dévoile le fond de sa personnalité : Serge est un homme sensible et raffiné, Marc est un individualiste qui n’a pas peur d’avoir des opinions tranchées et à contre-courant, et Yvan est un « sans opinion » qui est prêt à donner raison à tout le monde pour éviter les tensions.

J’ai plutôt apprécié le côté humoristique de cette pièce, qui doit beaucoup au personnage d’Yvan, mais j’ai trouvé que le propos sur l’art était un peu faible et que, finalement, il n’en sortait pas de grande idée. Ceci dit, les personnages sont bien campés, les relations entre eux sont intéressantes, et il y a un rythme bien vif dans les dialogues, ce qui rend la lecture très agréable.

Cheveux emmêlés de Yosano Akiko – 2

akiko_cheveux_emmelesCet article est la suite de mon précédent article sur le même thème.
Dans ses tanka, Yosano Akiko se sert souvent de la symbolique de la couleur pour représenter des sentiments : ainsi le blanc symbolise la pureté ou la froideur, le rouge symbolise la passion dans sa dimension charnelle, le violet quant à lui, symbolise le sentiment amoureux.
La première partie de Cheveux emmêlés s’intitule Pourpre, et, dans ce cadre, le pourpre évoque le plus haut degré de l’amour, en associant le rouge de la passion vécue et le violet du sentiment amoureux idéalisé.

Entends le poème !
Qui oserait nier le rouge
Des fleurs dans les champs ?
Savoureuse jeune fille
Coupable dans le printemps

Quand à l’eau je livre
Mes cheveux longs de cinq pieds
Combien sont-ils doux !
Mais mon coeur de jeune fille
Secret je veux le garder

La couleur pourpre,
A qui donc la raconter ?
Tremblements de sang,
Pensées émues de printemps,
En pleine floraison la vie !

Il est temps, je pars,
Et au revoir me dit-il
Ce dieu de l nuit
Dont la manche m’effleura,
Mes cheveux mouillés de larmes

Les cheveux dénoués
Dans la douceur de la pièce
Le parfum des lis
Je crains qu’ils ne disparaissent
Rouges pâles dans la nuit

Toi qui n’as jamais
Touché une peau douce
Où coule un sang chaud,
Ne te sens-tu pas triste,
Et seul, à prêcher la Voie ?

D’un rouge profond
Les deux pétales de rose
Qui forment tes lèvres
Que tu ne chantes un poème
Sans parfum de noblesse !

Frêles d’apparence
Sont les fleurs de l’été
Mais rouges écarlates
Qui comme cet amour d’enfant
Rient au soleil de midi !

Cheveux emmêlés de Yosano Akiko

akiko_cheveux_emmelesEn 1901, Yosano Akiko a vingt-trois ans et elle fait paraître ce recueil de tanka sur le thème de la passion amoureuse, dans un style plein de fougue et de lyrisme, qui est alors très nouveau dans la littérature japonaise.
Yosano Akiko a en effet rencontré l’année précédente Yosano Tekkan, un poète, qui est devenu son amant et qui sera bientôt son mari.

J’ai choisi de présenter aujourd’hui une partie seulement du recueil, je présenterai l’autre moitié dans un deuxième article.

Si pour l’éprouver,
Vous tentiez de toucher à
Des lèvres jeunes,
Vous verriez combien est froide
La rosée des lotus blancs !

J’ai encore douté :
Avec le visage aimé
Tant de ressemblance !
Comme vous vous jouez de moi,
Dieux espiègles de l’amour !

De la chambre d’à-côté
Jusqu’à moi de temps en temps
S’échappait ton souffle
La même nuit je fis le rêve
De brassées de pruniers blancs.

Ramassant la Bible
Que j’avais lancée hier
Dans les profondeurs
Enfant perdue me voilà
Les yeux en larmes vers le ciel

Vous le voyageur,
Pardonnez-moi je vous prie
Ces rêves si minces,
Ces rêves si verts encore
Que je ne sais que vous dire

Ni mot ni poème
A qui je désire confier
Mes pensées profondes
En ce jour en cet instant,
Seul de mon cœur à ton coeur

En définitive
Ce n’était pas des chimères
Que nos illusions
A quel moment la lumière
S’est-elle éteinte, le sais-tu ?

Délicat et blanc
Le voile de ton vêtement,
Si brillant le feu
Qui luit au coin de tes yeux !
Je te maudis mon amant !

Dans les tons de mauve,
Du monde de mon amour
Voici l’aurore ;
Favorable le vent souffle
Sur le parfum de nos mains
Cheveux emmêlés avait paru en 2010 aux éditions Les belles lettres.

Le Chef-d’oeuvre inconnu, de Balzac

balzac_chef_doeuvreCette nouvelle de Balzac a pour cadre le Paris du 17ème siècle, et pour protagonistes trois peintres de l’époque, dont deux ont réellement existé : le jeune Nicolas Poussin, encore inconnu, le futur représentant du classicisme français, et Franz Porbus, le peintre officiel d’Henri IV. Balzac leur adjoint un personnage inventé, le peintre Frenhofer, qui est supposé avoir été le seul élève de Mabuse, et qui est capable de donner des leçons de peinture d’une grande sagacité aux deux grands peintres que sont Poussin et Porbus.
Frenhofer apprend à ses deux amis qu’il travaille depuis vingt ans à un chef-d’œuvre, intitulé La belle noiseuse, qui est l’aboutissement de toutes ses réflexions et de toutes ses recherches, mais il refuse obstinément de leur montrer le tableau.
Poussin, dont la curiosité a été piquée, invente, en se servant de sa maîtresse, Gillette, un stratagème pour pénétrer dans l’atelier de Frenhofer. Mais, quand il y parviendra, sa surprise sera grande.

Une bonne partie du livre est consacrée à la leçon essentiellement théorique, que Frenhofer donne à Porbus et à Poussin, et j’ai trouvé que c’était une introduction brillante pour toute personne souhaitant connaître les idées que l’on se faisait sur l’art au 19ème siècle.
Pour cet aspect théorique, Balzac se serait inspiré des propos de Delacroix ou de Théophile Gautier – ou, en tout cas, des grands débats qui avaient lieu sur la peinture dans les années 1830. Par exemple, il développe le thème de l’opposition entre la couleur et la ligne, ce qui est typique du débat qui existait alors entre les tenants du classicisme – qui privilégiaient la ligne – et les tenants du romantisme – qui privilégiaient la couleur.

A côté de cet aspect historique intéressant, il existe aussi un aspect plus philosophique : Frenhofer est un artiste hanté par l’idée fixe du Beau, mais il est trop théoricien, trop intellectuel, il cherche trop à s’approcher d’une perfection inaccessible, et, pour ces raisons, son œuvre est vouée à l’échec. On peut dire que Frenhofer s’est tellement accroché à son idéal qu’il est devenu fou, ce qui est une vision très romantique de l’artiste.

J’ai lu ce livre dans une édition de poche, où cette nouvelle est suivie de La leçon de violon de E.T.A. Hoffmann – une nouvelle dont Balzac s’est beaucoup inspiré pour Le Chef-d’œuvre inconnu, et j’ai trouvé qu’effectivement le rapprochement entre les deux histoires révélait beaucoup de points communs.

Cette lecture s’est faite, de nouveau, dans le cadre de ma participation au Challenge Balzac organisé par Marie, la créatrice du blog mesaddictions.

Tapisserie de Henri de Régnier

Tapisserie

Un magique jardin aux merveilleuses flores,
Avec des escaliers, des rampes, des bosquets ;
Sur les arbres taillés un vol de perroquets
Mêle un éclat vivant d’ailes multicolores ;

Et, tout au fond, dans les charmilles compliquées
Que l’Automne pique de ses parcelles d’or,
Se dresse, solitaire, un vieux Palais où dort
Un lointain souvenir de fêtes évoquées ;

La dégradation douce d’un crépuscule
Enveloppe le beau jardin et s’accumule
Sur le luxe défunt des fastes accomplis ;

Dans les arbres les perroquets à vifs plumages
Volettent, comme si, troublant les longs oublis,
Quelque Belle y traînait ses robes à ramages.

Henri de Régnier (1846-1936)

Ce poème, d’inspiration symboliste, était dédié à Paul Verlaine.