Dans le cadre du Printemps des Artistes, je vous propose la lecture de l’un de mes poèmes. Il est extrait du recueil La Portée de l’Ombre, publié en 2020 chez Rafael de Surtis, et que l’on peut commander sur leur site en suivant le présent lien.
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Without your love, Billie Holiday – 1937
C’est une voix chargée de sanglots et de nostalgie mais qui garde un détachement pudique, une hauteur de vue, peut-être un flegme aristocratique. On sent dans cette voix le poids d’un passé amer, une grande expérience de la vie à cause de laquelle on ne se fait plus aucune illusion et on craint de voir le bonheur s’échapper quand on le croise, parce qu’on n’en a pas l’habitude et parce que jusque-là quelqu’un vous l’a toujours gâché, ce qui empêche de faire confiance au présent et, encore moins, à l’avenir. C’est la voix d’une femme trop profondément meurtrie pour être encore capable d’évacuer sa tristesse dans des larmes – elle ne sait plus pleurer mais les sons qui sortent de sa gorge pleurent à sa place. Cette voix caressante et veloutée, pleine de douces inflexions, est pourtant tout le contraire d’une voix suave ou lisse : elle possède un grain très subtil et texturé comme le grain d’une photo en noir et blanc aux ombres tamisées. J’ai découvert cette chanson il y a une vingtaine d’années et, même si je suis tout de suite tombée sous son charme, je n’ai commencé à évaluer la complexité et la richesse de cette voix qu’au fur et à mesure des années.
J’avais déjà parlé de ce recueil Le huitième pays en automne dernier et je vous propose d’en lire aujourd’hui trois autres poèmes, où il est question de l’exil et de la nostalgie du pays natal. Voici un petit rappel biographique de la poète.
Note sur la poète
Jila Mossaed est née à Téhéran en 1948. Elle publie ses premiers poèmes à l’âge de 17 ans. Suite à la prise de pouvoir par Khomeini en 1979, elle trouve refuge en Suède. Elle écrit en suédois depuis 1997 et entre à l’académie suédoise en 2018. « Chaque langue qui me donne la liberté de m’exprimer contre l’injustice est la langue de mon cœur » dit-elle à propos de son œuvre poétique où l’exil occupe une place essentielle. (Source : éditeur)
Note pratique sur le livre :
Editeur : Castor Astral Année de publication en France : 2022 (en Suède : 2020) Traduit du suédois par Françoise Sule Préface de Vénus Khoury-Ghata Nombre de pages : 140
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Page 125
Ils étaient silencieux La montagne que j’ai cachée dans ma valise La mer que j’ai emportée avec moi sous mon sein gauche Et le rossignol dans mes rêves
Ils reprennent vie Nous campons ici au-delà du passé Bien loin de nos vagues dans le ventre vide du présent
Nous créons un pays au-delà de toutes les frontières Racontons les histoires que maman racontait au cours des nuits sombres
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Page 115
Je vais chercher la valise qui a longtemps attendu dans le coin de l’angoisse
Je la place au milieu de la pièce bouche ouverte Entreprends de la remplir
Quelqu’un nous attend-il Est-ce que tout sera comme avant Reste-t-il quelque chose de ce que nous avons laissé
Moi et la valise nous avons répété cette scène tellement de fois pour les rideaux silencieux et les murs en larmes Plus tard nous nous endormons toujours au fond de nos rêves réciproques
** Page 81
Une corbeille à la main elle sortait chaque matin de l’ombre rouge du cerisier
On jouait dans le corps asséché de la rivière Nous ramassions des petits cailloux faisions semblant d’être sourdes quand les bombes explosaient
Je me créais un abri au plus profond de moi Déconnectais tous mes nerfs mes sens Entrais dans un autre monde Parfois j’étais partie plusieurs minutes
Maintenant j’ai l’impression d’avoir vécu une autre vie Celle d’une autre qui n’a pas voulu me suivre ici
J’ai eu envie de consacrer ce mois de janvier au thème du Voyage, et j’ai donc regardé en DVD ce film de 2020 de Caroline Vignal, qui est essentiellement l’histoire d’une jeune femme partie en randonnée à travers la campagne, en compagnie d’un âne.
Notes techniques sur le film :
Genre : Comédie Date de Sortie en salle : 2020 Français, Couleur Durée : 1h37
Présentation du DVD (Quatrième de Couv) :
Des mois qu’Antoinette attend l’été et la promesse d’une semaine en amoureux avec son amant, Vladimir. Alors quand celui-ci annule leurs vacances pour partir marcher dans les Cévennes avec sa femme et sa fille, Antoinette ne réfléchit pas longtemps : elle part sur ses traces ! Mais à son arrivée, point de Vladimir – seulement Patrick, un âne récalcitrant qui va l’accompagner dans son singulier périple…
Mon Avis :
Ce film avait eu un très grand succès en France au moment de sa sortie, qui tombait peu après le confinement (si je me souviens bien), et qui avait l’avantage d’apporter de la gaité et des escapades en pleine nature et en liberté pendant une période où nous nous sentions tous moroses, coincés et entravés. Un bol d’air frais, en quelque sorte. N’ayant pas vu ce film à sa sortie, mais seulement deux ans plus tard, cet effet post-confinement est sûrement moins prégnant, mais j’ai tout de même apprécié ce périple à travers les superbes paysages des Cévennes ainsi que le formidable jeu d’actrice de Laure Calamy qui passe de l’émotion au comique (et, souvent, les deux en même temps) avec un grand naturel. L’amitié très forte qu’Antoinette noue avec son âne m’a un peu fait penser au vieux film avec Fernandel, « La Vache et le prisonnier », même si le contexte de ces deux histoires est complètement différent. Le face à face affectueux humain-animal a tendance à susciter la sympathie du spectateur en toutes circonstances. Et on peut dire que, dans « Antoinette dans les Cévennes« , les relations de la jeune femme avec son âne paraissent nettement plus importantes que ses relations avec son amant, et en tout cas plus profondes, plus passionnelles et plus durables. Il m’a semblé que, dans ce film, Antoinette apprivoise peu à peu cet animal et apprend à composer avec son caractère têtu et réfractaire et, ce faisant, elle apprend aussi à composer avec la réalité, à accepter la vie telle qu’elle, c’est-à-dire souvent frustrante, insatisfaisante. C’est peut-être une faiblesse du film, de ne pas avoir un peu plus approfondi le personnage de l’amant et de ne pas avoir davantage creusé cette relation amoureuse qui est supposée être le moteur de l’intrigue et à laquelle on ne croit pas vraiment. Car, au final, on se demande pourquoi la jeune femme (Laure Calamy) est ainsi partie dans les Cévennes et s’est embarquée dans une aussi grosse galère à la poursuite d’un amant si falot et si peu intéressant. Alors, oui, elle est sûrement très impulsive et irréfléchie, écervelée, mais ça parait par moment incohérent, d’autant qu’elle n’a plus quinze ans… Ceci dit, j’ai trouvé ce film assez agréable, sympathique, bon enfant… mais je n’aurai pas envie de le voir une deuxième fois.
** Sans rapport avec le film chroniqué ci-dessus :
Je profite de cet article pour vous adresser mes meilleurs vœux de bonne et heureuse année pour 2023 ! Santé, affection, paix, inspiration et belles lectures poétiques, réussites dans vos projets et découvertes culturelles enrichissantes…
Ces poèmes sont extraits de « L’unique réponse » parue chez Gallimard en 2020.
Présentation du livre par l’éditeur (trouvée sur le site de Gallimard)
La vie est une seule et grande question, qui attend de nous plus et mieux que des réponses ponctuelles, Elle attend cette unique réponse que toutes les autres nous cachent en nous leurrant. C’est sur et autour de ce thème que l’auteur a constitué cet ensemble de poèmes en vers ou versets et en prose de haute tenue. La beauté calme et ce qui la fonde, l’intensité de l’instant, les premières fois, la rencontre et l’approche de l’autre, la naissance chaque jour à la vie, la mort, voilà quelques-unes des facettes du thème. On découvre ici un poète qui a du métier et de la grâce, une délicatesse de touche, une élégance et une maîtrise de la langue, bref, de quoi donner au lecteur le sentiment de glisser comme une eau fraîche entre les rives de l’été.
Note biographique sur le poète
Jean Marc Sourdillon est un écrivain né en 1961. Il enseigne les lettres en khâgne à Saint-Germain-en-Laye après avoir enseigné à l’Institut français de Madrid et à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. Jean-Marc Sourdillon a également traduit María Zambrano et édité les Œuvres de Philippe Jaccottet dans la Pléiade. En 2009, il reçoit le prix du Premier recueil de poèmes avec Les tourterelles, publié aux éditions La dame d’Onze heures. (Source : site du Printemps des Poètes).
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(Page 58)
Vers les passerelles
Qu’est-ce qu’un vers ? Une passerelle. L’une de ces légères passerelles que le pas efface à mesure qu’il les révèle. Et la poésie ? Une suite de lancers de passerelles ou de pieds d’appel. Il s’agit de prendre élan, une succession d’élans pour s’aider à bondir et à atteindre l’autre rive, à la deviner en s’élançant vers elle, à fonder son bond dans l’air en s’appuyant sur ce qu’on devine d’elle, avant de s’apercevoir, au milieu d’un bond, que, non, finalement ce n’était pas la rive qu’on visait mais inconsciemment l’estuaire, que c’est pour l’estuaire qu’on écrivait, qu’on construisait des vers comme des passerelles pour courir dessus, le plus vite qu’on pouvait et s’élancer au bout, tout au bout, là où ils se brisent et où on ne peut plus atteindre aucune rive même vue en rêve, même anticipée.
L’autre rive est prise dans le brouillard ; l’élan est en nous mais il est sous-jacent. Il faut dégager les deux, l’élan, la rive, d’un même mouvement, voilà à quoi servent les passerelles – à traverser.
Qu’est-ce qu’un poème ? Une suite de passerelles formant plongeoir. Des passerelles alignées, parallèles, entrecroisées ou superposées, et ne menant nulle part à proprement parler. Tant de passerelles, tant de possibles. Faire jouer les passerelles entre elles.
On écrit, ça chante dans sa tête, mais on est déjà plus loin, là-bas dans l’espace en avant de soi où l’on sait que quelque chose ou quelqu’un nous attend. On ne sait pas quoi, on ne sait pas qui, mais on le pressent. Quelqu’un, quelque chose de plus haut se penche sur soi. Ou, de plus bas, tout en bas, ouvre les bras.
On passe à la ligne avant la fin pour arriver plus vite au bout, à l’instant du saut.
On est dans l’imminence. Là est notre temps, là notre régime. L’halètement est notre respiration. Un halètement lent. On se prépare à l’apnée finale. On se dispose à être reçu ou accueilli même si on sait que, peut-être, il n’y aura rien.
(…)
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(Page 89)
L’Elan
Tout poème est précédé d’un élan parti de tellement loin qu’on ne sait plus ni d’où ni de quand il vient, mais qui a traversé tant de pays et connu tant de visages qu’il en garde l’empreinte en lui comme le parfum des corps et l’éclat des espaces dans le vent qui les a frôlés. C’est tout cela que l’on voit nous aussi quand on écrit monter à la surface entre les mots du poème comme l’élan sur le visage plein d’équilibre et de calme du danseur sur le lac, qui lentement au-dessus de la glace tourne et se déploie avec des gestes d’arbre.
J’ai trouvé ce recueil en flânant dans le rayon poésie de la librairie Gibert. Comme le nom de cette poète suédoise m’était inconnu, j’ai feuilleté ce « huitième pays » et j’ai été attirée par cette écriture, par ses images éloquentes, insolites, et par une émotion retenue et discrète mais toujours bien présente. Ayant acheté ce livre et de retour chez moi, j’ai été séduite par la grande diversité des thèmes abordés – qui recouvrent tous les aspects de la vie, et où la poète adopte un regard personnel, original, éloigné de toute facilité ou de toute banalité, et cependant avec une profonde simplicité. J’ai aimé ce recueil, qui mérite d’être relu plusieurs fois car une seule approche n’en épuise pas le sens et, souvent, les mots semblent désigner une voie vers une vérité enfouie et insoupçonnée.
Note sur la poète
Jila Mossaed est née à Téhéran en 1948. Elle publie ses premiers poèmes à l’âge de 17 ans. Suite à la prise de pouvoir par Khomeini en 1979, elle trouve refuge en Suède. Elle écrit en suédois depuis 1997 et entre à l’académie suédoise en 2018. « Chaque langue qui me donne la liberté de m’exprimer contre l’injustice est la langue de mon cœur » dit-elle à propos de son œuvre poétique où l’exil occupe une place essentielle. (Source : éditeur)
Note pratique sur le livre :
Editeur : Castor Astral Année de publication en France : 2022 (en Suède : 2020) Traduit du suédois par Françoise Sule Préface de Vénus Khoury-Ghata Nombre de pages : 140
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Page 31
Dans ce jardin-là aucune fleur ne naît L’arbre n’a pas d’ombre et le vert a peur du rouge
Pourquoi les morts sont-ils si seuls Les voix se transforment en cris la nuit La pluie efface tous les noms
Nous nous perdons de vue dans la nuit absolue qui est le septième stade de la peur
J’incline le miroir vers le brouillard dans l’attente de la lumière
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Page 79
Si tous les humains sur terre meurent un jour les mots disparaîtront
Tout perdra son nom et la nature deviendra sourde
C’était une journée sans mots Je suis sortie sans papier ni crayon Sans mon cœur
Le soir venu des centaines de lettres faisaient la queue pour trouver place sur le séduisant papier blanc
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Page 133
J’ai dormi sur la partie la plus douce de la cuisse de la rivière Dans la gorge de l’eau là où les petits muscles des vagues tremblent de désir
L’eau a son propre son Des notes illisibles impossibles à imiter
Je m’étends sur la poitrine blanche de la rivière savoure les caresses J’entends des chants que même la terre ne connaissait pas
Ces deux poèmes sont extraits du livre « L’autre moitié du songe m’appartient » paru chez nrf Poésie/Gallimard en 2020. La plupart des textes de cet ouvrage sont assez longs et donc difficiles à diffuser sur un blog, donc j’ai choisi, d’un point de vue pratique, de recopier deux poèmes relativement courts – qui se trouvent d’ailleurs (heureuse coïncidence) parmi mes préférés. D’une manière générale, j’ai préféré ses poèmes en prose à ses vers libres et mes choix reflètent cette préférence.
Note sur Alicia Gallienne (1970-1990)
Atteinte d’une maladie du sang qui devait l’emporter à l’âge de 20 ans, le 24 décembre 1990, Alicia Maria Claudia Gallienne a écrit des centaines de poèmes à partir de 1986 et jusqu’à sa mort. « Qu’importe ce que je laisserai derrière moi, pourvu que la matière se souvienne de moi, pourvu que les mots qui m’habitent soient écrits quelque part et qu’ils me survivent », écrivait-elle . Elle était la cousine de l’acteur, comédien et réalisateur célèbre, Guillaume Gallienne.
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Page 63
La Moitié d’un Songe
Souvent, je me surprends à philosopher sur la vie, à vouloir tout tout de suite et à imaginer la nécessité. Je monte toujours un grand escalier qui craque : chaque pas me fait mal car je me retiens pour abreuver le silence. Cet escalier est si haut qu’il m’est impossible d’en deviner ni le début, ni la fin. A vrai dire, je ne sais pas très bien si l’on peut jamais arriver ; pourtant, je veux parvenir à tout prix au sommet de l’escalier. Je le veux si fort que je ne sens même plus mon désir et, je suis prise de vitesse pour imiter le temps. Je grimpe, mais pour atteindre quoi ? Seule cette vérité subsiste en bas : je l’effleure des pieds mais ma tête est ailleurs. Je cours à l’ultime protection, pour moi et les miens. Je monte parce que le sens commun descend et qu’il est encore temps sans doute de sauver ce qui reste.
L’autre moitié du songe m’appartient.
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Page 108
Il est facile de se noyer dans un verre d’eau mais qu’il doit être difficile d’y nager. Pourtant, ce serait une solution : on prendrait conscience de l’étroitesse de la situation, on se trouverait ridicule et on arrêterait de tourner en rond. En se diminuant ainsi, sans doute est-il plus aisé de reconquérir son espace vital et de reconsidérer ce verre d’eau qui, même s’il est rempli de larmes ou de pluie, n’est jamais qu’un verre d’eau. Il est des fois où je voudrais boire la douleur dans tes yeux…
J’ai trouvé ces poèmes dans le recueil « Le poète n’est le chien de personne » qui était paru en 2020 chez l’éditeur « Le temps des cerises ». Humour, esprit caustique et jeux de mots facétieux caractérisent ce recueil, de même que les thèmes d’actualité politique ou sociale, l’observation des outrances médiatiques, les errements des réseaux sociaux et autres absurdités de la presse. Allitérations, rythmes rapides, vocabulaire actuel ou d’origine anglo-saxonne, jeux sur les sonorités contribuent à donner une musicalité contemporaine à beaucoup de ces textes.
Quatrième de Couverture
On retrouve dans ce livre de poèmes ce qui fait la touche personnelle de Jean-Luc Despax : la verve satirique, le regard décalé sur l’actualité, le jeu apparemment décontracté, mais en réalité savant, avec le langage d’aujourd’hui. Ce livre cependant marque un tournant, dans sa défense absolue de la liberté de chaque être à aimer comme il le souhaite et à rechercher, en un mot, le bonheur. La première partie explore l’actualité de ces dernières années. La deuxième partie offre de réjouissantes fables contemporaines. La troisième partie, des Amours du poète en quelque sorte, fait la part belle à l’érotisme, sans lesquels la liberté et la poésie ne sauraient aller. La quatrième offre un compagnonnage avec le pictural et le surréel. La dernière partie affirme résolument que décidément, un poète n’est le chien de personne, en ce qu’il ne se rendra jamais mais restituera le plus honnêtement possible la réalité, pour la travailler dialectiquement à sa façon.
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(Page 134)
Pour une Saint-Valentin Future
Tu voudrais que l’amour soit une fenêtre La vitre vers l’Infini Tu te plains de tomber sur un mur Sur un couac, dans un Quick Sans Musset ni Kerouac Tu dis : J’aurais dû tomber amoureux d’une porte Parce qu’on peut sortir avec Ou bien se la fermer Pour longtemps Et puis un jour tu aimes Tu es aimé en retour Et l’inverse Ou ni l’un ni l’autre : Qu’il n’y ait plus de portes
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(Page 26)
Liberté d’Expression
Il convoqua la presse Pour annoncer Qu’il se retirait De la vie médiatique La pria De vérifier régulièrement Qu’il tiendrait parole
Revint quinze jours plus tard
Philosophie des Lumières ? Hédonisme des projecteurs.
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(Page 176)
Se Sentir Mieux Après Avoir Arrêté le Poème
20 minutes après le dernier poème On récupère un peu ses esprits 8 heures après le dernier poème On se fout de savoir si ça s’écrit poème ou poéme 3 jours après le dernier poème Regarder la télé redevient plus facile : il était temps ! 2 mois après le dernier poème On trouve que le volume 2 de la super trilogie à la mode, c’est vachement bien 1 an après le dernier poème Le risque de s’être fait une intelligence critique diminue de moitié 5 ans après le dernier poème Le risque de réinventer le monde diminue presque de moitié 10 ans après le dernier poème Le risque d’être un animal politique est le même que pour celui qui est un animal tout court 15 ans après le dernier poème Le risque de crise cardiaque est le même que pour ceux qui n’ont plus de cœur depuis longtemps.
J’avais découvert cette écrivaine japonaise, Mieko Kawakami, avec son premier roman, Seins et œufs, que j’avais beaucoup aimé en 2014, puis j’avais apprécié, quelques mois plus tard, son roman suivant De toutes les nuits, les amants. Vous pouvez d’ailleurs retrouver les chroniques que j’avais consacrées à ces deux livres en cliquant ici : Chronique de Seins et œufs Chronique de Toutes les nuits les amants Je me réjouissais donc à l’idée de découvrir celui-ci, même si le titre et la couverture ne m’attiraient pas particulièrement.
Note pratique sur le livre :
Editeur : Actes Sud Année de publication au Japon : 2015 Année de publication en France : 2020 Traducteur : Patrick Honnoré Nombre de pages : 223
Note de l’éditeur sur l’autrice :
Mieko Kawakami (née en 1976) est diplômée de philosophie. Musicienne, poète et romancière, elle occupe une place de choix sur la scène artistique et intellectuelle japonaise. Elle a reçu le prestigieux Prix Akutagawa en 2007 pour son premier roman, « Seins et œufs« .
Quatrième de Couverture :
Deux enfants d’une douzaine d’années deviennent amis, non sans pudeur et timidités gardées. Solitaires l’un et l’autre, ils ont pour point commun d’avoir perdu l’un de leurs parents. Mais ils n’en parlent pas. Pourtant, au tournant de l’enfance, Hegatea et Mugi ressentent le besoin de nommer leurs émotions, de se lancer dans la transparence du langage pour circonscrire les vertiges de l’imaginaire. Car jusqu’alors, Mugi dessinait les événements de sa vie, tentait d’atteindre par la couleur et ses nuances les revers du vocabulaire ; et son amie Hegatea, passionnée de cinéma, rejouait devant lui avec une perfection glaçante certaines scènes dans lesquelles elle trouvait peut-être l’exact reflet de ses joies et de ses peines. Ainsi, de jour en jour, tous deux commencent à placer des mots sur les graves non-dits et les mensonges ordinaires des adultes. Dans ce quatrième livre traduit en français, Mieko Kawakami déploie encore davantage son propos sur le langage. Telle une passerelle vertigineuse entre le monde adulte et celui des adolescents, tel un voyage philosophique dans la forêt des mots, l’histoire de cette amitié est un bonheur de sensations qui soudain s’éclairent comme s’ouvre une porte sur la lumière.
Mon humble avis :
A la lecture de la quatrième de couverture j’ai été un peu ébahie car je n’ai absolument pas remarqué dans ce roman de « passerelle vertigineuse » ou de « voyage philosophique » et encore moins de « transparence de langage pour circonscrire les vertiges de l’imaginaire » – et je reconnais que l’éditeur a vraiment un style très lyrique et très éloquent pour essayer de mettre en valeur et de vendre ce roman – qui ne mérite pas tant de compliments et de fioritures langagières, malheureusement ! D’une part, le style employé dans ce livre est très pauvre. L’écrivaine nous inflige de longs dialogues entre adolescents de douze ans, avec leur vocabulaire familier, leur syntaxe approximative et leurs préoccupations enfantines. D’autre part, la construction du roman m’a semblé problématique, avec des péripéties ou des morceaux d’intrigues qui sont seulement esquissés ou amorcés et qui ne trouvent pas leur résolution par la suite, comme si l’autrice les avait oubliés en cours de route ou qu’elle ne parvenait pas à relier tous les personnages et tous les événements les uns aux autres, dans un ensemble cohérent, ce qui est pourtant la base du travail d’un romancier, normalement – si je ne me trompe ? J’ai conscience, ceci dit, de ne pas être forcément le public visé par ce livre : il me semble en effet que des ados ou des jeunes adultes pas trop exigeants pourraient éventuellement l’apprécier. Bref, cette lecture a été pour moi sans grand intérêt et j’ai failli l’abandonner en cours de route (mais j’ai tenu jusqu’au bout car je suis une blogueuse consciencieuse). Disons que Mieko Kawami m’avait habituée à beaucoup mieux et que je suis déçue.
Un Extrait page 114
De là où je suis quand je suis couchée, je vois un sapin. Un faux sapin de Noël, évidemment. Il y a longtemps, je pensais qu’il était vachement grand, mais récemment, je le trouve de plus en plus petit. C’est parce que moi je deviens plus grande. Depuis quand j’étends mon futon devant le sapin de Noël pour dormir ? Je ne m’en souviens pas. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dormi ici, alors peut-être bien que ça fait depuis que je suis née. Dans ma chambre à l’étage, celle où se trouve mon bureau, je fais mes devoirs, je me change et c’est tout. Mais c’est ici que je dors. Quand j’étais petite, papa aussi étendait son futon ici et on dormait tous les deux côte à côte. Puis, quand j’étais en deuxième année d’école primaire, papa est allé dormir dans sa chambre à l’étage, et depuis je dors toute seule. Une seule fois, j’ai parlé du sapin de Noël avec papa. Maman est morte l’hiver avant que j’aie quatre ans, juste après Noël, il paraît. J’avais dit que je voulais un grand sapin de Noël plein de lumières qui brillent, alors ils m’avaient emmenée au magasin. Et on avait choisi ce sapin tous les trois, on l’avait décoré tous les trois et on était si heureux, il m’a raconté. (…)
J’ai trouvé ces quelques poèmes en prose dans le recueil Vous qui rampez sous ma peau, paru en novembre 2020 chez les éditions du Contentieux.
Dans ce recueil très original, Julien Boutreux passe en revue les diverses créatures de son bestiaire personnel, en général de petites bêtes plus ou moins urticantes, que l’on peut interpréter diversement selon ses propres phobies persistantes ou anxiétés passagères.
Un recueil qui ne se prive pas de nous démanger les méninges, en jouant avec les mots et en se jouant de nos perceptions épidermiques !
J’ai apprécié particulièrement les magnifiques descriptions de ces animaux, comme des peintures hyperréalistes, qui m’ont parfois évoqué le Parti Pris des choses de Ponge, avec un sens de l’observation et un pouvoir d’évocation très frappants.
Julien Boutreux (né à Tours en 1976) a publié des poèmes et nouvelles en recueils collectifs et en revues web ou papier. Il vit dans la région tourangelle.
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Page 19
Crabes
crabes aux yeux bleus crabes épineux dans vos carapaces grises, rouge vif dans les cuves bouillonnantes où vous mourez, vivants dans l’odeur de mer viciée, vivants dans la senteur âcre dans le vert des noyés, ô crabes au ventre ouvert ô chair ferme et luisante enfouie dans huit longues pattes, crabes aux yeux bleus crabes épineux, vous ambre grise et corail, vous chair intense et blanche immaculée, ô bleu gris qui vivez ô rouge vif qui mourez ô ventres ouverts ô chair, chers yeux de crabes gris, si bleus qu’on vous mangerait.
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Page 35
Lézards
lézards d’argent bleu de gris mercure et de bronze vert, je vous devine tapis dans l’herbe et vous observe glisser sur la pierre, morts ou vifs vous frétillez comme des gardons dans une eau claire, lézards d’argent bleu de gris mercure et de bronze vert, je vous vois happer l’air d’une bouche molle désespérée par l’asphyxie perpétuelle de la canicule et dans la lumière de plomb vos couleurs sont métalliques, vous êtes les rejetons difformes du soleil, vous êtes le minerai des fissures, vous êtes l’esprit des murs la fonction caudale des pierres, lézards ô pièces d’orfèvrerie voilà tout ce que j’ai su dire de vous du trait que vous faites dans l’herbe et sur la pierre, de ce vif-argent que vous êtes
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Page 39
sur le sujet des mantes sacrées nul ne s’étendra, car en face de ce vert divin, de cet oxymore immobile et fulgurant, de cette majesté monstrueuse et de cette dévoration ultime, tous tremblent, tous s’inclinent et tous se taisent
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Page 51
Salamandres
votre peau noire et jaune et le feu que vous couvez, salamandres toxiques ô pièces d’or dans un coffre d’ombre mausolées vifs de flammes moribondes, si je les vois et les trouve je les veux, votre méandre et votre cendre urodèle, et puis la braise venimeuse la gemme noire l’amande humide de vos yeux
J’ai trouvé ces cinq poèmes dans le recueil « Tout le monde est tout le temps en voyage » publié par les éditions Al Manar en novembre 2020, avec des dessins de Tereza Lochmann. J’ai particulièrement apprécié ce recueil, pour le côté insolite de ses images, la finesse de son humour.
Note sur le Poète : Emmanuel Moses, poète, traducteur, romancier, est né à Casablanca en 1959, a passé sa petite enfance à Paris et sa jeunesse en Israël. Il a d’abord publié des poèmes, puis des romans : depuis 1988, une quarantaine d’ouvrages (chez Al Manar, Le voyageur amoureux, 2014 ; Ivresse, 2016 ; Le Paradis aux acacias, 2018). Il est également traducteur, notamment de l’hébreu moderne. Emmanuel Moses poursuit à Paris, où il vit et travaille, la construction d’une œuvre singulière où se mêlent et se côtoient abstrait et concret, imaginaire et réel, horreur et humour, passé et présent.
Note sur l’illustratrice :
Tereza Lochmann est une jeune artiste tchèque diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, qui vit, travaille et expose en France.
Voici quelques poèmes extraits de ce recueil :
page 17
Où que j’aille les moineaux me suivent Comme une langue maternelle Comme un souvenir Un chagrin Et je les nourris Comme ma langue Mes souvenirs Mes chagrins
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page 31
Un moustique a dépassé Dieu Mais peu importe au fond Je ne sais pas pourquoi je vous annonce cette nouvelle De toute façon il n’y a rien à voir.
** Page 32
Tout allait bien jusqu’au moment où tu es mort : C’est alors que les choses se sont compliquées : Personne ne t’avait appris à te débrouiller Sans tes cinq sens, A voler hors de l’espace ni à nager hors du fleuve du temps. Et pourtant, tu t’en es sorti, Oiseau, poisson de l’éternité !
** Page 55
Maintenant le jour se montre plus généreux Les arbres eux aussi regardent moins à la dépense Mystérieusement, les poissons renaissent dans les bassins et les étangs Les oiseaux ont ôté de leur bec le bâillon de l’hiver La nature n’a pas secoué toute sa torpeur Elle titube encore sous la lumière pâle Pourtant elle s’est mise en chemin Je perçois déjà son souffle, j’entends ses pas Le printemps va passer sous mes fenêtres. ** Page 58
Les mots sont des revenants Auxquels nous donnons une nouvelle vie Une fois que nous les avons dits Nous en faisons des fleurs, des fruits Eux qui pendaient morts à un arbre mort Nous les transplantons Et greffés en nous Ils reprennent couleur, saveur Sont de saison Dans notre saison d’homme.