« Mon Individualisme » de Natsume Sôseki

Cela faisait longtemps que je n’avais pas fait d’incursion du côté du Japon, et je suis toujours contente de retrouver cette littérature, l’une de mes préférées.

Comme je suis encore pour quelques jours dans « Le Printemps des Artistes » j’ai choisi un livre de Natsume Sôseki où il évoque sa propre jeunesse, son parcours difficile d’étudiant en Lettres et en Littérature anglaise, la naissance de sa vocation d’écrivain, ses réflexions personnelles sur des notions comme l’individualisme, le nationalisme, l’éthique, le pouvoir, l’argent, la pédagogie, etc.

Note pratique sur le livre

Editeur : Rivages poche
Traduit du japonais et présenté par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura
Nombre de pages : 112

Biographie succincte de l’auteur

De son vrai nom, Kinnosuke Natsume, il nait et meurt à Tokyo (1867-1916). Après des études d’anglais et d’architecture, il se consacre à l’enseignement. En 1888, il prend le pseudonyme de Sôseki. En 1905 il obtient une brusque célébrité avec son roman « Je suis un chat« . Romancier et nouvelliste, il est aussi l’auteur de plus de 2500 haïkus. Considéré comme l’un des principaux écrivains classiques du Japon, il a importé dans son pays des influences littéraires et culturelles occidentales. Il est mort à l’âge de 49 ans.

Un Extrait de la Quatrième de Couverture

En 1914, le romancier Sôseki (1867-1916), alors très célèbre, est invité à donner une conférence à l’École des Pairs, où il a failli enseigner dans sa jeunesse. Avec humour et profondeur, il explique aux étudiants, qui constituent une élite intellectuelle, sa conception de l’individualisme. Partant de son expérience personnelle d’étudiant et de jeune enseignant, il raconte son cheminement, rappelant certains de ses livres (Botchan) où il s’est tourné lui-même en dérision et, peu à peu, d’anecdotes en fables, il parvient à un véritable petit traité de morale, qui définit l’autonomie, la tolérance, les limites de l’individualisme en collectivité et la nécessité de recourir à une éducation intériorisée et non pas seulement conformiste.

Mon Avis

Ce livre est très court mais d’une grande densité et il va vraiment à l’essentiel alors qu’on a l’impression au début que l’auteur ne sait pas où il veut en venir et qu’il va se perdre en cours de route. Mais en réalité, il ne se perd pas du tout et son discours est extrêmement bien construit et rigoureusement mené.
Dans la première partie, il nous relate quelques étapes marquantes de sa jeunesse : les difficultés auxquelles il se confrontait dans sa vie d’étudiant, ses doutes, ses erreurs, et l’état psychologique de confusion – et sûrement aussi de déprime – contre lesquels il essayait de lutter vainement. L’enseignement universitaire de Littérature anglaise qu’on lui prodiguait n’était pas, à ses yeux, satisfaisant, mais il ne parvenait pas à savoir ce qui lui conviendrait. Jusqu’au jour où il comprend qu’il est, dans sa vie intellectuelle, beaucoup trop tributaire des autres, qu’il lui manque la liberté de pensée indispensable à son épanouissement. Jusque-là, il se contentait de répéter les jugements des uns et des autres – professeurs, spécialistes en littérature, écrivains et critiques européens – dans un esprit d’imitation, mais il se rend compte tout à coup que c’est la cause de son mal-être, qu’il désire se forger sa propre opinion, choisir sa voie individuelle, indépendante de celle des autres. Ce désir d’autonomie le mène sur le chemin de l’écriture.
A la suite de cette première partie autobiographique, qui nous montre la naissance de sa vocation d’écrivain, la deuxième partie élargit et amplifie son propos : il explicite la notion d’individualisme telle qu’il la conçoit et qui rejoint beaucoup l’idée de liberté.
Sachant que les étudiants auxquels il s’adresse pendant cette conférence seront amenés après leurs études à exercer de hautes fonctions dans la société, Sôseki se penche sur les notions de pouvoir et d’argent, qui sont selon lui indissociables de la morale, et de la notion de devoir (envers les autres). Il défend un individualisme respectueux de la liberté d’autrui et conscient de ses responsabilités.
Comme cette conférence a été donnée en 1914, dans une atmosphère belliqueuse et guerrière, et que les Japonais défendaient alors un nationalisme extrêmement étroit, Sôseki essaye de concilier son individualisme avec cet état d’esprit général, et il tente de réconcilier les valeurs occidentales avec le collectivisme japonais, d’une manière fine et habile.
Un livre qui m’a énormément plu et qui restera marquant dans ma mémoire, sans aucun doute !

**

Un Extrait page 54

À partir du moment où j’ai eu à portée de main ce concept d’autonomie, je me suis senti très fort. Je ne me laissais plus impressionner par eux. J’étais jusqu’alors amorphe et découragé et cette notion m’a littéralement indiqué comment reprendre pied et quel chemin choisir.
Je dois avouer que ce mot a été pour moi un nouveau départ. Il était absurde de s’agiter vainement en chaussant les bottes d’un autre : voilà un argument à toute épreuve pour ne pas imiter les Occidentaux et, sachant la jubilation que j’aurais et ferais naître autour de moi en le leur lançant à la figure, j’ai décidé de considérer que l’œuvre de ma vie serait de parvenir à cette autonomie, entre autres, à travers l’écriture.

**

Un Extrait page 78

Pour lever tout malentendu, j’aimerais ajouter un mot : quand on parle d’individualisme, on peut laisser entendre que c’est le contraire du nationalisme et qu’il a pour but de le démolir ; mais ce n’est pas aussi déraisonnable et décousu. Au fond je n’aime pas beaucoup les mots en isme et je doute que l’humanité puisse se réduire à un isme quelconque, mais pour les besoins de l’explication, je suis forcé de faire appel à ces notions. Certains prétendent qu’aujourd’hui le Japon n’est plus viable sans le nationalisme ou le pensent carrément. Nombreux sont ceux qui prophétisent que le pays va sombrer si l’on ne réprime cet individualisme. Mais rien n’est plus absurde que cela. En réalité, nous pouvons être nationalistes et mondialistes et, en même temps, individualistes.

 **

Logo du Défi, créé par Goran

Le Motif dans le Tapis d’Henry James

Couverture chez Folio

Une amie m’a dit le plus grand bien de cette nouvelle d’Henry James et, comme il y est question d’un écrivain et de son œuvre vue par les critiques littéraires de son temps, j’ai décidé de vous la présenter pour « Le Printemps des Artistes« .

Note Pratique sur le Livre

Genre : Nouvelle
Editeur : Folio (2 euros)
Date de Publication originale : 1896
Traduit de l’américain par Pierre Fontaney
Nombre de pages : 95

Biographie d’Henry James

Né en 1843 à New-York et mort en 1916 à Chelsea, H. James est un écrivain américain naturalisé anglais en juillet 1915, six mois avant sa mort. Ses premières publications datent de 1864. Dès 1871, son talent d’écrivain est reconnu. Homme de lettres prolifique, il est l’auteur d’une vingtaine de romans, d’une centaine de nouvelles, de textes critiques, d’œuvres dramatiques, d’une autobiographie ainsi que d’un journal. Il voyage énormément tout au long de sa vie, vivant tour à tour à Paris, Rome ou Londres et rencontrant écrivains et artistes de son temps. (Sources : éditeur et Wikipédia)

Quatrième de Couverture

Un soir, l’écrivain Hugh Vereker fait une révélation à un critique littéraire. Son œuvre tout entière serait traversée et guidée par une «chose particulière» qui, bien qu’elle y soit «contenue aussi concrètement qu’un oiseau dans une cage», n’aurait jamais été aperçue. C’est pourtant elle, explique-t-il, qui «commande chaque ligne», «choisit chaque mot», «met le point sur chaque i», «place chaque virgule»! Le jeune critique ne cessera dès lors de chercher, désespérément, cet énigmatique oiseau, ce motif caché…

Une fascinante méditation sur la lecture par l’auteur du Tour d’écrou.

Mon Avis

Henry James semble vouloir dresser un portrait bien peu flatteur des critiques littéraires : ils sont vaniteux, prétentieux, jaloux les uns des autres, calculateurs, et ils ne ressentent d’intérêt pour les œuvres littéraires que dans la mesure où elles leur permettent de se mettre eux-mêmes en valeur et de faire briller aux yeux de tous l’étendue de leur intelligence et l’acuité de leur perspicacité. Mais cette perspicacité est un leurre, un grossier mensonge : en réalité le critique littéraire ne comprend strictement rien aux œuvres qu’il examine, et ce sont les écrivains qui sont les mieux placés pour savoir ce qu’il y a à comprendre dans leurs livres et l’intention avec laquelle ils les ont écrits, donc également les mieux placés pour prendre ces critiques littéraires en défaut et les ridiculiser comme il se doit.
J’ai trouvé intéressant qu’Henry James nous propose une conception de l’œuvre d’un écrivain comme une énigme à décrypter, un secret à dévoiler. Il semble penser que chaque écrivain possède une sorte de principe fondateur, une idée unique sur laquelle est bâtie toute l’œuvre, depuis ses débuts jusqu’à son dernier souffle. Cela m’a donné à imaginer qu’Henry James parlait également pour lui-même et que cette nouvelle-ci constituait une sorte de défi aux critiques et aux lecteurs que nous sommes : le défi de retrouver dans son œuvre « la petite idée » qui en forme l’arrière-plan et la ligne directrice. En même temps, il nous prévient avec un certain humour que nous avons très peu de chances – pour ainsi dire aucune chance – de percer à jour le mystère et de comprendre ce qu’il y avait à comprendre, ou du moins : ce que l’auteur espérait y mettre.
Peut-être faut-il entendre à travers ce texte que la littérature est un continuel malentendu entre les écrivains et les lecteurs, où les uns essayent en vain de se faire comprendre, tandis que les autres sont absolument aveugles à toute lumière et ne s’en rendent même pas compte.
Et je me demande naturellement, en rédigeant cette chronique, si je suis à côté de la plaque et si Henry James s’est joué de moi, à sa façon.
Une nouvelle très passionnante, à l’écriture sophistiquée et aux tournures de phrases souvent complexes – à la façon du 19ème siècle -, qui m’a permis de découvrir cet écrivain et qui m’a donné envie de relire, un jour prochain, une autre de ses œuvres.

Un Extrait page 26-27

J’écoutai avec un immense intérêt – intérêt qui alla grandissant au fur et à mesure qu’il parlait. « Vous, un échec ?… Grands dieux Mais quelle peut bien être votre « petite idée » ?
– Faut-il vraiment que je vous l’expose, après toutes ces années et tout ce labeur ? »
Il y avait dans cet amical reproche, plaisamment exagéré, quelque chose qui me fit – jeune et féru de vérité que j’étais – rougir jusqu’aux oreilles. Je suis resté dans la même ignorance qu’alors, quoique, le temps passant, je me sois en un sens accoutumé à ma propre cécité ; sur le coup, toutefois, le ton réjoui de Vereker me fit paraître à moi-même – et sans doute l’étais-je également à ses yeux – comme un âne de la plus belle espèce. J’étais sur le point de m’exclamer : « Ah non ! Ne me dites rien ! Pour mon honneur, pour celui de la profession, ne me dites rien ! », lorsqu’il poursuivit d’une manière qui montrait qu’il avait lu ma pensée et avait son point de vue ben arrêté sur nos chances, à nous les jeunes qui montions, de nous racheter un jour. « Par ma petite idée, j’entends… comment vous dire ?… la chose particulière en vue de laquelle j’ai principalement écrit mes livres. N’y a-t-il pas pour chaque écrivain une chose particulière de cette sorte, la chose qui l’incite à la plus grande concentration, la chose sans laquelle, s’il ne faisait effort pour l’atteindre, il n’écrirait pas du tout, la passion même au cœur de sa passion, la part de son métier dans laquelle, pour lui, brûle le plus intensément le feu de l’art ? Eh bien, c’est de cela qu’il s’agit ! »

**

Logo du Défi, créé par Goran

Des Poèmes de Matthieu Lorin sur des écrivains (Souvenirs de Lecture)

Couverture chez Sous le sceau du Tabellion

Ayant lu avec plaisir « Souvenirs et grillages » du poète Matthieu Lorin, mon attention s’est portée sur un ensemble de ses textes en proses titrés « Souvenirs de lecture« , où il rend hommage à certains grands écrivains du passé (Faulkner, Musil, Agota Kristof, Emmanuel Bove, Alfred Döblin, Giono, Nabokov, entre autres).
Dans le cadre de mon « Printemps des Artistes » je vous propose la lecture de deux d’entre eux.

Note pratique sur le livre :

Genre : Poésie
Editeur : Sous le sceau du Tabellion
Date de publication : 2022
Nombre de pages : 106

Biographie du poète

Matthieu Lorin est né en 1980 en Normandie.
Il vit et enseigne à Chartres.

Note sur Richard Brautigan (1935-1984)

Ecrivain et poète américain. Issu d’un milieu défavorisé de la Côte Ouest des Etats-Unis, il trouve dans l’écriture sa raison d’être et rejoint le mouvement littéraire de San Francisco en 1956. Il fréquente les écrivains de la Beat Generation et participe à de nombreux événements de la contre-culture. En 1967, il est révélé au monde par son best-seller La Pêche à la truite en Amérique et il est surnommé « le dernier des Beats ». Ses écrits suivants ont moins de succès et il tombe peu à peu dans l’anonymat et l’alcoolisme. Il se suicide en 1984. (Source : Wikipédia)

Note sur Jim Harrison (1937-2016)

Ecrivain, poète et essayiste américain. Il fait des études de Lettres mais renonce à une carrière universitaire. Ses influences littéraires sont nombreuses, en particulier parmi les poètes européens (Rimbaud, Rilke, René Char, Maïakovski, Yeats, etc.) Il publie des romans, des poèmes, travaille à l’écriture de scénarios et d’articles. Une grande partie des récits de Harrison se déroulent dans des régions peu peuplées d’Amérique du Nord ou de l’Ouest. Il partage son temps entre le Michigan, le Montana et l’Arizona. Il est l’un des principaux représentants du nature writing. (Source : Wikipédia)

**

Page 19

Souvenir de lecture
Richard Brautigan

J’ai hypothéqué mon inspiration en te lisant. Alors j’observe ma main, me persuadant que la chorégraphie a plus d’importance que le scénario. Peut-être faisais-tu de même, et je serais heureux que des convergences s’établissent entre nous.

Tu es rangé dans ma bibliothèque et je suis seul à observer tes lunettes cerclées de souvenirs.

Il est temps que je m’allonge sous les planches, que tes poésies prennent le pas sur les chevilles du mur et que tout s’effondre.

Je finirai alors comme Pasolini, ton voisin d’étagère : écrasé par le désastre de la vie

**

Page 38

Souvenir de lecture
Jim Harrison

Je me souviens de ces matins bleus comme un naevus, de mes entrailles en barbelés et de mes avis sur tout. Depuis la fenêtre, je charriais l’air à pleines pelletées et les décisions que je prenais n’engendraient même pas le griffonnage d’un bout de papier.
Je me souviens de l’appétit que j’avais en découvrant ces nuages au fond de l’assiette – nous mangions dehors à cette époque – et l’eau me paraissait salée. Le parasol jouait son numéro de derviche sous nos yeux disciplinés et mon cœur l’accompagnait d’entrechats secrets.
Je me souviens de ces jours humides – nous ne mangions plus à l’extérieur – où, allongé en plein jour, j’engageais avec la page un combat à l’issue incertaine.

Mais je ne me souviens plus de mes chagrins d’enfance, de mes rêves qui s’envolaient avec la même lourdeur qu’une punaise diabolique, ni de mes lectures d’alors. Quelles furent les transitions, les terminaisons nerveuses qui m’amenèrent jusqu’à Jim Harrison dont j’ai acheté le livre aujourd’hui ?
Oubliées…

**

Logo du Défi, créé par Goran

« Le Métier d’écrivain » de Hermann Hesse

J’ai trouvé ce livre par hasard, en flânant dans une librairie, et son titre m’a tout de suite intéressée car j’aime connaître les pensées des écrivains sur leur art, sur leur façon d’envisager la littérature, sur le langage, etc.
J’avais déjà lu un livre de Hermann Hesse (Allemagne, 1877- Suisse, 1962) – « Knulp« , un court roman dont vous pouvez retrouver ma chronique ici – et cela m’a permis de mieux situer ces réflexions générales et de les appliquer à quelques souvenirs précis.

Note Pratique sur le Livre

Genre : Essai
Editeur : Bibliothèque Rivages
Année de Publication (initiale, en Allemagne) : 1977, chez Rivages : 2021
Traduction, préface et notes de Nicolas Waquet
Nombre de pages : 83

Quatrième de Couverture

Etre écrivain, c’est être lecteur. Lecteur des autres, lecteur de soi, lecteur de tout : des ouvrages des hommes comme des œuvres de la nature. Alors comment bien lire et bien écrire ? Qu’est-ce qu’un bon texte, une bonne critique ? Quelles sont les peines et les joies que son métier réserve à l’écrivain ? Autant de questions que Hermann Hesse n’a cessé de se poser la plume à la main, questions qu’il soulève et auxquelles il répond au détour de cinq textes qui éclairent sa pratique et jalonnent sa carrière.

Mon Avis

Ce livre se compose de cinq textes de réflexions sur l’écriture, rédigés entre les années 1920 et les années 1960.
Celui qui parle de la critique littéraire est particulièrement intéressant car Hermann Hesse a une idée très claire et très précise de ce que doit être ce métier et de la bonne manière de l’exercer. Selon lui, le bon critique doit inscrire les œuvres littéraires et les écrivains dans l’histoire des Lettres et des idées, leur donner la juste place qui leur revient dans un panorama plus vaste. Son rôle est donc important, quoiqu’il ne soit pas toujours conscient de sa responsabilité. Le critique doit savoir reconnaître la nouveauté, l’originalité d’un livre – gages de qualité – et attirer l’attention des lecteurs sur lui. Mais Hesse déplore que les vrais bons critiques sont rares et que la plupart sont davantage attirés par les renvois d’ascenseurs et autres échanges de bons procédés mondains que par une scrupuleuse honnêteté intellectuelle. Hermann Hesse écrit à ce sujet des dialogues fictifs entre un écrivain et un critique, qui sont d’une intelligence formidable et qui posent des questions que l’on pourrait encore tout à fait se poser actuellement (cf. l’extrait ci-dessous).
Parmi les autres thèmes abordés dans ces textes : celui du Romantisme allemand, un mouvement artistique auquel Hermann Hesse semble très attaché et sur lequel il propose une réflexion approfondie, en le comparant avec le Classicisme, qui relève d’une conception de l’existence radicalement opposée. Ainsi, il explique et développe les similitudes entre Romantisme et Philosophie Orientale, d’une manière très intéressante.
Hermann Hesse se définit lui-même comme un héritier du Romantisme et un poète (même dans ses romans) c’est-à-dire un auteur qui parle avec son âme, et il regrette que son époque ait jeté le discrédit sur le Romantisme en le taxant de bourgeois, sentimental, risible, démodé, alors que, selon lui, c’est tout le contraire : la beauté et l’expression de l’âme humaine, une des principales émanations de la culture allemande, représentée par des génies intemporels, aussi bien en littérature qu’en musique et dans la plupart des autres arts.
Une autre page de réflexion m’a frappée, à propos du langage et de ses ambiguïtés, que tout auteur doit apprendre à maîtriser et à déjouer.
Hesse nous parle également de ses habitudes d’écriture, du point de vue pratique et rituel, de son emploi du temps et des éventuelles phases critiques (ou moments de crise) dans son travail – des périodes décisives et de grande urgence, où le livre qu’il est en train de créer prend toute sa signification et son poids – et j’ai trouvé ces passages particulièrement éclairants et profonds.
Un livre à conseiller chaudement à tous ceux qui aiment écrire et à ceux qui s’interrogent sur le métier d’écrivain.

Un Extrait Page 44-45

L’écrivain : Mais vous connaissez Les Affinités électives et le Berthold ?
Le critique : Les Affinités électives, oui, naturellement, mais pas le Berthold.
L’écrivain : Et vous, pensez-vous pourtant que le Berthold surpasse les livres que l’on écrit de nos jours ?
Le critique : Oui, c’est ce que je pense, par respect pour Arnim et plus encore par respect pour la puissance littéraire dont faisait montre autrefois l’esprit allemand.
L’écrivain : Mais pourquoi, dans ce cas-là, ne lisez-vous pas Arnim et tous les vrais écrivains de son temps ? Pourquoi passez-vous votre vie à vous occuper de livres que vous considérez vous-même comme des œuvres mineures ? Pourquoi ne dites-vous pas à vos lecteurs :  » Regardez, voici des livres dignes de ce nom, laissez tomber la camelote qu’on écrit aujourd’hui et lisez Goethe, Arnim et Novalis ! »
Le critique : Je ne suis pas là pour ça. Je me dispense peut-être de le faire pour les mêmes raisons que vous vous dispensez d’écrire des livres comme Les Affinités électives.
L’écrivain : Voilà qui me plait ! Mais comment expliquez-vous alors que l’Allemagne ait produit autrefois des écrivains de cette trempe ? Leurs livres étaient une offre sans demande ; personne ne les avait réclamés. Ni Les Affinités électives ni le Berthold n’ont été lus par leurs contemporains, pas plus qu’on ne les lit aujourd’hui.
Le critique : Les gens, à l’époque, ne se souciaient guère de littérature et ne s’en préoccupent pas plus de nos jours. Notre peuple est comme ça. Peut-être que tous les peuples sont comme ça. Du temps de Goethe, on lisait une foule de livres charmants et distrayants. Et c’est la même chose aujourd’hui. Ces livres sont lus et critiqués. Ni le lecteur ni le critique ne les prennent vraiment au sérieux, mais ils répondent à un besoin. On lit et on paye les écrivains qui nous changent les idées ; ce que l’on fait aussi pour ceux qui critiquent leurs écrits : on les lit et ils tombent aussitôt dans l’oubli.
L’écrivain : Et les livres dignes de ce nom ?
Le critique : Ils sont écrits pour l’éternité, pense-t-on. Notre époque ne se croit donc pas obligée d’y prêter attention.

**

Un Extrait page 62

Maintenant, considérer que la rose est une rose, l’homme un homme, le corbeau un corbeau, que les formes et les limites de la réalité sont des données solides et sacrées, c’est le point de vue classique. Il reconnaît les formes et les propriétés des choses ; il reconnaît l’expérience ; il cherche l’ordre, la forme, la loi, et il les établit.
Ne voir au contraire dans la réalité qu’apparences, mutabilité ; douter au plus haut point de la différence entre les plantes et les animaux, l’homme et la femme ; accepter à chaque instant que toutes les formes se dissolvent et se confondent, c’est se conformer au point de vue romantique.
En tant que visions du monde, philosophies, fondements sur lesquels l’âme prend position, ces conceptions sont aussi bonnes l’une que l’autre, c’est indéniable. (…)

**

Le Conteur, la nuit et le panier de Patrick Chamoiseau

Couverture aux éditions du Seuil

Une amie m’a offert ce livre sur la création littéraire et poétique et, comme j’aime beaucoup le style et la pensée de Patrick Chamoiseau, j’étais très heureuse de ce cadeau.
J’ai choisi de recopier plusieurs extraits assez longs et de limiter mes propres commentaires à peu de choses car ce livre est un monde en soi, qui se suffit à lui-même, et qui laisse le lecteur profondément charmé, impressionné et envoûté, c’est-à-dire dans un état peu propice à écrire des critiques (aussi positives qu’elles puissent être).

**
Rapide présentation

Dans ce livre, Patrick Chamoiseau parle de sa pratique de l’écriture, du dilemme qui a longtemps été le sien entre la langue créole (la langue dominée) et la langue française, dominante, celle du colonisateur. Il part de la position du conteur créole, au temps de l’esclavage, dans la plantation des Antilles, pour analyser la situation et le rôle de l’écrivain actuel ou du créateur en général. Dans ce sens, le conteur créole, qui n’intervenait que la nuit et durant une veillée mortuaire, est comme l’archétype ancestral de tous les écrivains – et tous peuvent se retrouver en lui, par une inspiration semblable et une même approche des mystères de l’Impensable. Patrick Chamoiseau évoque aussi sa « sentimenthèque » : les écrivains qu’il aime et qui ont été importants dans sa vie – en particulier Césaire et Glissant, qui furent décisifs pour lui.
Un très beau livre, à la langue envoûtante, et aux pensées très fouillées.
**

Des Extraits

Pages 34-35

Dans une colonie, il existe toujours une langue dominée et une langue dominante. Pour moi, la langue dominée (langue maternelle, langue matricielle), fut la langue créole. Elle est apparue dans la plantation esclavagiste, c’est-à-dire dans la surexploitation des écosystèmes naturels, la déshumanisation ontologique des captifs africains, le racisme institutionnel et les attentats permanents du colonialisme. La langue dominante, le français, me fut enseignée, assénée, à l’école. Par elle, je découvris la lecture, l’écriture, la littérature, l’idée du Vrai, celle du Beau, du Juste, un ordre du monde ciselé par les seules valeurs du colonisateur.
La langue dominante n’était donc déjà plus une simple langue.
C’était une arme.
Si l’Ecrire n’est en soi pas facile, se débattre à la plume dans un tel arsenal est une tragédie que tous les écrivains des pays colonisés ont endurée, ou qu’ils supportent encore. L’Ecrire c’est souvent cela : désarmer certaines langues.

Page 64

Le rythme bien plus lent de la main crée une autre économie que celle du clavier. Ce dernier caracole avec l’idée, la dépasse dans une sorte d’élan, jusqu’à l’accrocher vaille que vaille et revenir trottiner dans les eaux mécanisées de la dactylographie. La main, en revanche, déblaie les algues devant l’idée qui s’inaugure, lustre son amorce, la sent se constituer, l’enveloppe sans interrompre la moindre ligne de fuite, accompagne ses miroitements trompeurs, en capte ce qu’elle peut et considère le sillage de ce qui s’est enfui… (…)

Page 85

Pour Deleuze, l’angoisse de la page blanche qui caractérise le tourment de l’écrivain en asphyxie d’inspiration provient non pas de ce que cette page blanche soit vide, mais au contraire de ce qu’elle soit déjà trop pleine : pleine du déjà-vu, déjà-dit, déjà entendu, déjà-pensé, déjà-peint, déjà-écrit, déjà-et-caetera… une catastrophe est nécessaire, non plus comme calamité naturelle, cyclone ou tremblement de terre, mais comme phénomène inaugural du geste créateur, une salutation grandiose qui vise à renouveler, à amplifier notre perception de nous-mêmes et du monde. Toute création conséquente nous offre une strate additionnelle de la connaissance, sachant que cette dernière ne fait que nous approcher des grands mystères irréductibles. (…)

Page 231

La splendeur narrative du conteur créole affronte cet impensable : la plantation esclavagiste. L’esthétique flamboyante de Césaire en foudroie un autre : le colonialisme et la négation de l’Afrique. L’inépuisable poétique de Glissant confronte des impensables en devenir, encore insoupçonnés : le Tout-monde, la Relation… Les impensables surgissent si souvent dans le fil de nos vies, à différentes intensités, à différentes ampleurs, dans différents domaines, qu’on peut leur attribuer une matrice majuscule : celle de l’Impensable. C’est la force immanente à nos certitudes, à nos possibles, nos entendements, nos devenirs… un « inlocalisable » susceptible à tout moment de les invalider. Un peu comme cette manière noire qui compose à près de quatre-vingt-dix pourcents de notre Univers. Elle est l’échafaudage du cosmos observable et de son au-delà, mais on ne la voit nulle part. Silencieuse, invisible, impalpable, indétectable. (…)

Un Poème Japonais contemporain sur le Voyage

J’ai trouvé ce poème dans l’anthologie « 101 Poèmes du Japon d’aujourd’hui » publiée aux éditions Philippe Picquier en 2014 dans sa traduction française par Yves-Marie Allioux et Dominique Palmé, et originellement publié au Japon en 1998.
J’ai trouvé ce poème intéressant et beau, par les liens qu’il tisse entre voyage, écriture, blessure, mère et pays d’origine, et aussi la référence à Paul Celan.
Comme il m’a touchée et que je ne connaissais pas du tout ce poète japonais, j’ai eu envie de le diffuser ici.

**

Iijima Kôichi (1930-2013)
Poète, romancier et traducteur japonais, il fut enseignant à l’Université de Tokyo. Il était membre de la Japan Art Academy. D’abord proche du surréalisme, il a traduit ou écrit à propos d’écrivains ou d’artistes comme Henri Barbusse, Antonin Artaud, Joan Miro, Brassaï, Henry Miller, Apollinaire, Marcel Aymé, etc.
(Source : Wikipédia et éditeur)

Langue Maternelle

Pendant mes six mois de séjour à l’étranger
Pas une seule fois je n’ai eu envie
D’écrire des poèmes
Ayant tout oublié de moi-même
Je marchais et marchais encore
Quand on me demandait pourquoi je n’écrivais pas de poème
Je n’étais jamais capable de répondre.

Après mon retour au Japon
Bientôt
L’envie d’écrire des poèmes m’est revenue
A présent enfin
Je comprends ces six mois
Pendant lesquels j’ai pu marcher sans écrire de poèmes.
Car me voici de retour
Dans la langue du pays de ma mère.

« Langue maternelle », où sont unis
La mère, le pays et la langue
De ma mère, de mon pays et de ma langue
Je suis coupé, n’ai-je cessé de me redire pendant les six mois
Où j’ai marché au sein de la réalité
Sans me blesser.
Sans presque ressentir le besoin
D’écrire des poèmes.

En avril Paul Celan
S’est suicidé en se jetant dans la Seine,
Et cet acte du poète d’origine juive,
J’ai l’impression de le comprendre.
La poésie, c’est quelque chose de triste
La poésie, cela sert, dit-on, à corriger la langue de la nation
Mais pas pour moi
Moi, avec ma langue maternelle, je me blesse chaque jour
Moi je suis obligé de repartir
Chaque soir vers une autre langue maternelle
C’est ce qui me pousse à écrire des poèmes – ce qui me pousse à exister davantage.

(1974)

**

J’ai publié cet article pour mon Mois Thématique sur le voyage de janvier 2023.

Des Poèmes de Jean Marc Sourdillon sur la poésie

Couverture chez Gallimard

Ces poèmes sont extraits de « L’unique réponse » parue chez Gallimard en 2020.

Présentation du livre par l’éditeur (trouvée sur le site de Gallimard)

La vie est une seule et grande question, qui attend de nous plus et mieux que des réponses ponctuelles, Elle attend cette unique réponse que toutes les autres nous cachent en nous leurrant. C’est sur et autour de ce thème que l’auteur a constitué cet ensemble de poèmes en vers ou versets et en prose de haute tenue. La beauté calme et ce qui la fonde, l’intensité de l’instant, les premières fois, la rencontre et l’approche de l’autre, la naissance chaque jour à la vie, la mort, voilà quelques-unes des facettes du thème. On découvre ici un poète qui a du métier et de la grâce, une délicatesse de touche, une élégance et une maîtrise de la langue, bref, de quoi donner au lecteur le sentiment de glisser comme une eau fraîche entre les rives de l’été.

Note biographique sur le poète

Jean Marc Sourdillon est un écrivain né en 1961. Il enseigne les lettres en khâgne à Saint-Germain-en-Laye après avoir enseigné à l’Institut français de Madrid et à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. Jean-Marc Sourdillon a également traduit María Zambrano et édité les Œuvres de Philippe Jaccottet dans la Pléiade. En 2009, il reçoit le prix du Premier recueil de poèmes avec Les tourterelles, publié aux éditions La dame d’Onze heures. (Source : site du Printemps des Poètes).

**

(Page 58)

Vers les passerelles

Qu’est-ce qu’un vers ? Une passerelle. L’une de ces légères passerelles que le pas efface à mesure qu’il les révèle. Et la poésie ? Une suite de lancers de passerelles ou de pieds d’appel. Il s’agit de prendre élan, une succession d’élans pour s’aider à bondir et à atteindre l’autre rive, à la deviner en s’élançant vers elle, à fonder son bond dans l’air en s’appuyant sur ce qu’on devine d’elle, avant de s’apercevoir, au milieu d’un bond, que, non, finalement ce n’était pas la rive qu’on visait mais inconsciemment l’estuaire, que c’est pour l’estuaire qu’on écrivait, qu’on construisait des vers comme des passerelles pour courir dessus, le plus vite qu’on pouvait et s’élancer au bout, tout au bout, là où ils se brisent et où on ne peut plus atteindre aucune rive même vue en rêve, même anticipée.

L’autre rive est prise dans le brouillard ; l’élan est en nous mais il est sous-jacent. Il faut dégager les deux, l’élan, la rive, d’un même mouvement, voilà à quoi servent les passerelles – à traverser.

Qu’est-ce qu’un poème ? Une suite de passerelles formant plongeoir. Des passerelles alignées, parallèles, entrecroisées ou superposées, et ne menant nulle part à proprement parler. Tant de passerelles, tant de possibles. Faire jouer les passerelles entre elles.

On écrit, ça chante dans sa tête, mais on est déjà plus loin, là-bas dans l’espace en avant de soi où l’on sait que quelque chose ou quelqu’un nous attend. On ne sait pas quoi, on ne sait pas qui, mais on le pressent. Quelqu’un, quelque chose de plus haut se penche sur soi. Ou, de plus bas, tout en bas, ouvre les bras.

On passe à la ligne avant la fin pour arriver plus vite au bout, à l’instant du saut.

On est dans l’imminence. Là est notre temps, là notre régime. L’halètement est notre respiration. Un halètement lent. On se prépare à l’apnée finale. On se dispose à être reçu ou accueilli même si on sait que, peut-être, il n’y aura rien.

(…)

*

(Page 89)

L’Elan

Tout poème est précédé d’un élan parti de tellement loin qu’on ne sait plus ni d’où ni de quand il vient,
mais qui a traversé tant de pays et connu tant de visages qu’il en garde l’empreinte en lui comme le parfum des corps et l’éclat des espaces dans le vent qui les a frôlés.
C’est tout cela que l’on voit nous aussi quand on écrit monter à la surface entre les mots du poème
comme l’élan sur le visage plein d’équilibre et de calme du danseur sur le lac, qui lentement au-dessus de la glace
tourne et se déploie avec des gestes d’arbre.

**

Joseph Karma de Denis Hamel

Couverture chez Petit Pavé

Mon ami le poète et écrivain Denis Hamel vient de faire paraître, en avril 2022, un roman « Joseph Karma » aux éditions du Petit Pavé, dans la collection « Derrière les pages du Semainier », dirigée par le poète Jean Hourlier.
Il s’agit d’un récit autofictif, où l’écrivain nous invite à suivre le parcours mouvementé d’un poète en quête d’un hypothétique mieux-être. Cet homme, fonctionnaire de son état, peine à trouver sa place dans le monde amoureux, social, spirituel, intellectuel, mais il poursuit son chemin avec un courage assez surprenant et avec un humour distancié, qui vise juste.

Quatrième de Couverture

Joseph Karma est un récit autobiographique en partie fictionnel. Le narrateur y conte les déboires, déconvenues, désillusions du personnage éponyme, un anti-héros, double de l’auteur Denis Hamel. Au fil d’une chronique de l’échec sans larmoiements ou apitoiement sur soi-même, le lecteur est invité à suivre en observateur impliqué la dérive d’un fantôme de nulle part perdu dans le champ de bataille de l’existence.
Le récit – en un contraste éclatant avec le thème de l’échec – est une si incontestable réussite qu’on ne sait ce qu’il faut admirer le plus : l’acuité critique du regard posé sur la comédie sociale, le pied de nez assumé aux recettes conventionnelles du succès et leur démythification ; la poésie urbaine et ses croquis inoubliables (le portrait du clochard, par exemple, nouveau Diogène) ; la vivacité et le dépouillement de la narration ; la capacité d’auto-analyse et d’auto-dérision sérieuse du narrateur ; la solidité et la profondeur d’une réflexion s’insurgeant tranquillement contre diverses entreprises de déshumanisation (notamment dans le champ de l’art).
Un entretien sur la poésie fait suite au récit. L’un et l’autre sont marqués au même coin de l’exigence, et de l’aspiration sobrement ardente à un plus grand raffinement esthétique et moral.

J. H.

**

Avis et Critiques :

Comme je suis personnellement impliquée dans ce roman, en tant qu’amie de l’auteur et illustratrice, je préfère laisser la parole à d’autres critiques et chroniqueurs.

Je vous invite à lire l’article de Frédéric Perrot du blog « Bel de Mai » à propos de « Joseph Karma » en suivant ce lien.

Un autre article a été écrit sur le site Sitaudis par Christophe Stolowicki et vous pouvez le consulter ici.

**

Un Extrait page 36

Quelques temps plus tard, alors qu’il se promenait près du Luxembourg, en revenant de son travail, Karma fut attiré par une affiche promouvant des conférences données par une nonne bouddhiste et destinées à améliorer son existence, dans le respect de l’éthique proposée par la voie du mahayana, ou bouddhisme du grand véhicule. Il avait lu plusieurs ouvrages sur le sujet et pensa que ce serait une bonne chose d’entendre de vive voix les conseils d’une personne expérimentée. La première conférence l’enthousiasma. Cela se déroulait dans un local polyvalent, près de la gare Montparnasse. On enlevait ses chaussures à l’entrée, ce qui provoquait des exhalaisons assez désagréables, mais que la lourde odeur d’encens qui régnait dans la salle faisait vite oublier. La nonne Guen Loma était une jeune femme anglaise d’une trentaine d’années, vêtue de la toge orange traditionnelle et le crâne rasé, parlant un français impeccable. (…)

Un autre Extrait, pages 43-44

Sa poésie [celle de Joseph Karma], plutôt classique, était en contradiction totale avec les canons de la plupart des éditeurs et revues subventionnés, qui privilégiaient un formalisme basé sur la primauté du signifiant et dénigraient les notions d’émotion et d’expérience vécue, dans la lignée des objectivistes américains et de la poésie conceptuelle […] Sur certains sites de critiques d’avant-garde, l’adjectif « lyrique » était employé comme une insulte, synonyme de petit-bourgeois. Tout cela déplaisait souverainement à Karma et lui paraissait ne pouvoir donner naissance qu’à des œuvres mort-nées et déshumanisées, créées mécaniquement d’après des lois rigides alors que lui voulait encore croire aux vieux concepts d’inspiration, de maturation et de nécessité, si décriés et raillés par les auteurs en vogue.

**

Ce livre parle de poésie et retrace le cheminement d’un écrivain, il s’inscrit donc très bien dans le « Printemps des artistes ».

Logo du Défi, créé par Goran

Martin Eden de Jack London

J’ai lu le célèbre roman de Jack London « Martin Eden » dans le cadre de mon Printemps des Artistes puisque ce livre nous raconte le parcours littéraire d’un jeune homme pauvre mais très obstiné, intelligent et volontaire, de ses débuts difficiles à son ascension remarquable.

Note Pratique sur le Livre :

Editeur : 10-18
Traduit de l’américain par Claude Cendrée
Nombre de Pages : 479

Présentation de l’auteur :

Jack London (1876-1916) né John Griffith Chaney, est un écrivain, romancier et novelliste américain dont les thèmes de prédilection sont l’aventure et la nature sauvage. Grand voyageur, il pratiqua également le journalisme. Par les succès retentissants de plusieurs de ses romans, comme l’Appel de la forêt (1903) ou Croc-Blanc (1906) il devint vite un écrivain riche, célèbre et couvert de gloire. Certaines de ses œuvres sont très engagées et marquées par ses convictions socialistes. Il est mort à seulement 40 ans d’une crise d’urémie.

Présentation du roman :

Martin Eden est un jeune homme de vingt ans, pauvre et peu éduqué, un ancien marin qui a beaucoup voyagé et qui a une grande expérience de la vie malgré son jeune âge. Au cours d’une bagarre, il a l’occasion de sauver un jeune homme du mauvais pas où il s’est engagé et celui-ci, par reconnaissance, l’invite à diner dans sa très bourgeoise famille. C’est à cette occasion que Martin rencontre Ruth Morse, la sœur du jeune homme qu’il a défendu, une très belle jeune fille qui étudie la littérature à l’Université et qui lui parait particulièrement raffinée et brillante, bien au-dessus des filles vulgaires qu’il côtoie d’habitude. Martin tombe follement amoureux de Ruth et décide de la conquérir en s’élevant au-dessus de sa condition d’ouvrier et en devenant écrivain. Il entreprend de se forger une culture en autodidacte, avec l’aide de Ruth qui corrige son mauvais anglais et avec les conseils de son bibliothécaire, qui oriente ses lectures. (…)

Mon humble avis :

Le personnage de Martin Eden est très idéaliste au début du roman, il se fait des illusions sur la bourgeoisie, sur le milieu littéraire, sur les critères de jugement des éditeurs, et sur la nature humaine en général. Plus que tout, il se fait une image merveilleuse, éthérée et pure de la jeune fille qu’il aime sous prétexte qu’elle est d’une classe sociale prétendument « supérieure » et qu’elle a fait beaucoup plus d’études que lui. Il se voit lui-même tel que les bourgeois le voient : comme un ignorant, un genre de brute épaisse au langage argotique et sans savoir-vivre. En même temps, Martin Eden ne doute pas de ses capacités à réfléchir, à apprendre, à se cultiver et à s’élever rapidement au niveau de cette classe bourgeoise qu’il admire tant. Grand adepte de Nietzsche, il déploie des efforts véritablement surhumains pour parvenir à ses objectifs, il consent d’énormes sacrifices pour produire inlassablement des œuvres littéraires et les envoyer à des revues, à des éditeurs, au point de dépenser tout son argent à cet effet et de se priver de tout, même de nourriture et du plus élémentaire confort. Mais plus ses réflexions vont s’affiner au contact de la littérature et de la philosophie, plus il va remettre en cause ses illusions initiales et s’apercevoir de la mesquinerie et de la stupidité de la bourgeoisie. Toutes ces valeurs, ces institutions et ces personnes soi-disant supérieures vont révéler à Martin Eden leur vrai visage. Et finalement, il se retrouve seul et amèrement déçu, conscient de sa propre supériorité, mais ne pouvant rien faire de cette supériorité car personne ne le comprend.
Ce livre est largement inspiré de la propre expérience de Jack London et de ses débuts littéraires misérables, et en effet cela se sent à travers les descriptions très réalistes et les situations saisissantes de vérité, qui contribuent à créer aux yeux du lecteur un monde véridique où l’on entre directement et sans effort.
Un roman très poignant, que j’ai vraiment beaucoup aimé, et que je conseille tout particulièrement aux écrivains et poètes en herbe – non pas pour les désespérer mais pour les éclairer et les faire réfléchir.

Un Extrait Page 205-206

Ce fut une heure exquise pour la mère et la fille et leurs yeux étaient humides, tandis qu’elles causaient dans la pénombre, Ruth tout innocence et franchise, sa mère compréhensive, sympathisant doucement, expliquant tout et conseillant avec calme et clarté.
– Il a quatre ans de moins que toi, dit-elle. Il n’a ni situation, ni fortune. Il n’a aucun sens pratique. Puisqu’il t’aime, il devrait, s’il avait du bon sens, faire quelque chose qui lui donnerait un jour le droit de t’épouser, au lieu de perdre son temps à écrire ces histoires et à faire des rêves enfantins. Martin Eden, je le crains, ne sera jamais sérieux. Il n’envisage nullement l’idée d’un métier convenable comme l’ont fait certains de nos amis – M. Butler, par exemple. Martin Eden, je le crains, ne sera jamais riche. Et dans ce monde, l’argent est nécessaire au bonheur. Oh ! je ne parle même pas d’une énorme fortune ! mais d’une fortune suffisante à assurer un confort convenable. Il… il n’a jamais parlé ?…
– Il ne m’a jamais dit un mot ; mais, s’il le faisait, je l’arrêterais, car, tu sais, je ne suis pas amoureuse de lui !
– Tant mieux. Je ne serais pas contente de voir mon enfant, ma fille unique, si nette, si pure, aimer un homme pareil. Il existe, de par le monde, des hommes nets, fidèles, virils. Attends un de ceux-là. Tu le trouveras un jour, tu l’aimeras et il t’aimera et vous serez aussi heureux ensemble que ton père et moi l’avons été. (…)

Le Hibou et la baleine de Patricia Plattner


Ce film de Patricia Plattner date de 1993, il s’agit d’un documentaire sur l’écrivain suisse et francophone Nicolas Bouvier (1929-1998), qui est essentiellement composé d’entretiens, entrecoupés parfois de quelques musiques et/ou peintures.

Note technique sur le film :

Nationalité : suisse.
Langue : français (possibilité de sous-titres anglais, allemands ou espagnols)
Durée : 57 minutes.
Couleur.
Genre : documentaire

Note sur la réalisatrice :

Patricia Plattner (1953-2016) est une réalisatrice, scénariste, photographe, historienne de l’art suisse (genevoise). Elle a réalisé aussi bien des documentaires que des longs-métrages de fiction, comme Les petites couleurs (2002) et Bazar (2009). Elle avait créé en 1985 sa propre maison de production (Light Night Production).

Quatrième de Couverture :

Nicolas Bouvier, un grand poète, a aussi toujours été un voyageur et un chasseur d’images, et ses textes sur ses séjours en Asie et à l’ouest ont une ampleur et un rythme sans commune mesure avec les récits hâtifs d’un globe-trotter pressé. Le personnage, fascinant par ses dons et ses facettes multiples, était iconographe par goût de la photographie et des bibliothèques, mais aussi pour gagner sa vie. Dans ce film, tourné en 1992, il s’exprime sur sept thèmes au centre de son œuvre, paroles ponctuées par des images emblématiques et des musiques aimées.
En parallèle au film, un livre a été publié sous le même titre aux éditions Zoé. Nicolas Bouvier avait toujours souhaité éditer un tel album de textes et d’illustrations, comme un livre d’enfant, où l’on découvrirait les images qui ont accompagné son œuvre.

Mon humble avis :

Quand on aime le style de Nicolas Bouvier, très poétique, subtil et plein de notes d’humour, et quand on a apprécié quelques uns de ses livres, il est très intéressant de regarder ce documentaire où le grand écrivain voyageur se livre avec sincérité et simplicité. Il nous reçoit dans son bureau et nous dévoile quelques uns de ses objets usuels, comme sa machine à écrire, son environnement domestique et son décor quotidien.
Pendant qu’il nous parle, on le voit fumer cigarette sur cigarette et beaucoup tousser, et on ne peut pas s’empêcher de penser que le film a été tourné seulement cinq ans avant sa mort et qu’il n’a déjà pas l’air en très bonne santé, les traits du visage creusés et marqués , bien qu’il conserve toute son acuité et sa vivacité intellectuelles.
Il parle à bâtons rompus de toutes sortes de sujets : de sa passion pour la musique – j’ignorais qu’il avait failli devenir musicien professionnel, ayant un très haut niveau pianistique – de tout ce que les voyages lui ont appris – il dit par exemple qu’il n’aurait sans doute pas écrit s’il n’avait pas voyagé, ce que j’ai un peu de mal à imaginer – il nous parle de la mort de son père, de sa rencontre avec sa femme, de la naissance de ses enfants, et de tas d’événements intimes, avec un regard toujours tendre, où l’amusement se mêle parfois à la tristesse.
Il parle aussi de ses livres : L’Usage du monde (1963), Chroniques japonaises (1975), Le Poisson-scorpion (1981), Journal d’Aran (1990) et il donne sur chacun d’eux un éclairage très intéressant et inattendu sur leur contexte d’écriture, mais sans s’étendre trop longuement sur le contenu des livres eux-mêmes (sans doute pour nous donner envie de les lire).
Un documentaire intime et attachant, qui montre Nicolas Bouvier sous un jour chaleureux et sympathique (tel que ses écrits nous le laissaient imaginer) et qui donne vraiment envie de partir plus profondément dans l’exploration de son œuvre.