Quelques définitions utiles

Ayant cherché récemment sur Wikipédia « la Liste des formes de gouvernements » – ne me demandez pas pourquoi – j’ai eu envie de vous faire part de certaines définitions qui méritent, à mon avis, réflexions et méditations.
Car, finalement, on croit connaître tout ça par cœur depuis belle lurette mais la lecture des définitions permet de préciser les choses avec une clarté désarmante.

Je rends donc grâce à Wikipédia qui m’a fourni l’intégralité du contenu de cet article !
Je n’ai rien modifié et me suis contentée de sélectionner.

L’oligarchie, qui signifie « règle du petit nombre », est une forme de structure de pouvoir dans laquelle le pouvoir appartient à un petit nombre de personnes. Ces personnes peuvent se distinguer par la noblesse, la richesse, les liens familiaux, l’éducation ou le contrôle des entreprises, de la religion ou de l’armée.

Une dictature est un régime politique dans lequel une personne ou un groupe de personnes exercent tous les pouvoirs de façon absolue, sans qu’aucune loi ou institution ne les limitent ; il faut préciser que même un régime autoritaire peut avoir des lois, des institutions, voire un parlement avec des députés élus, mais pas librement et ne représentant donc pas des contre-pouvoirs. Ce régime politique a fréquemment été violemment critiqué ; ainsi, Hannah Arendt affirme que les lois qu’il promulgue sont éthiquement illégitimes, et que les institutions y sont factices.

L’autocratie est un système de gouvernement dans lequel le pouvoir suprême (social et politique) est concentré entre les mains d’une seule personne ou d’une seule entité politique, dont les décisions ne sont soumises ni à des contraintes juridiques externes ni à des mécanismes réguliers de contrôle populaire (à l’exception peut-être de la menace implicite d’un coup d’État ou d’une insurrection de masse).

La ploutocratie (du grec ploutos : dieu de la richesse et kratos : pouvoir) consiste en un système de gouvernement où la richesse constitue la base principale du pouvoir politique.

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La démocratie : Système où les citoyens élisent des représentants parmi eux pour former un organe directeur, tel qu’un parlement. La démocratie est parfois appelée « règle de la majorité ».

La démocratie peut être aussi définie par opposition, notamment dans la classification d’Aristote et de Polybe :

  1. aux systèmes monarchiques, où le pouvoir est détenu par un seul (μόνος/monos = seul, unique) ;

2. aux systèmes oligarchiques, où le pouvoir est détenu par un groupe restreint d’individus (ὀλίγος/oligos = en petite quantité, peu abondant) ;

3. aux systèmes de dictature ou de tyrannie. Karl Popper, par exemple, considère qu’un régime est démocratique s’il permet aux citoyens de contrôler ses dirigeants et aussi de les évincer sans recourir à la violence. Karl Popper a présenté cette théorie dans plusieurs ouvrages dont La leçon de ce siècle et Toute vie est résolution de problèmes. En démocratie, le problème n’est pas de savoir « qui doit gouverner » mais « comment empêcher ceux qui ont le pouvoir d’en abuser ». Le peuple a le pouvoir et le devoir d’évaluer les dirigeants, mais il est impossible que tout le monde dirige en même temps ;

4. aux systèmes aristocratiques, où le pouvoir est détenu par ceux considérés comme « les meilleurs ». Francis Dupuis-Déri considère qu’en France ou aux États-Unis au xviiie siècle, l’aristocratie héréditaire (sous le régime monarchique) a été remplacée par une aristocratie élue : selon lui, l’élection, mécaniquement, consiste à choisir les meilleurs pour des fonctions qui exigent des connaissances et elle est une procédure d’auto-expropriation du pouvoir par les citoyens, qui le confient aux élus4 ;

5. aux systèmes ploutocratiques, où le pouvoir est détenu par ceux qui possèdent le plus de richesses.

Par ailleurs, le terme de démocratie ne se réfère pas uniquement à des formes de gouvernement mais peut aussi désigner une forme de société ayant pour valeurs l’égalité et la liberté (c’est notamment l’usage qu’en fait Alexis de Tocqueville, qui s’attache plus aux dimensions culturelles et psychologiques qu’au système politique en lui-même).

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En bref : quand on voit ce qu’on voit, qu’on entend ce qu’on entend et qu’on lit ce qu’on lit, on a raison de penser ce qu’on pense !

Parmi la jeunesse russe, d’Ella Maillart

Couverture chez Payot

Je consacre ce mois de janvier 2023 au thème du voyage et, dans ce cadre, je me suis intéressée à l’écrivaine et voyageuse suisse du 20ème siècle, Ella Maillart, et plus précisément à son tout premier récit de voyage, écrit en 1930, dans ce que l’on nommait à l’époque l’URSS, et qui suscitait une grande curiosité (et, souvent, de l’hostilité) dans le reste de l’Europe et du monde.
Quelques mots d’abord sur l’écrivaine :

Ella Maillart (1903 à Genève – 1993 à Chandolin en Suisse) est une voyageuse, écrivaine et photographe suisse. Grande sportive, elle pratique le ski alpin, la voile et l’alpinisme. Elle participe aux régates Olympiques de 1924. De 1931 à 1934, elle défend les couleurs de la Suisse aux premiers Championnats du Monde de ski.
Attirée par le cinéma russe, elle part en reportage à Moscou, qui sera le sujet de son premier livre « Parmi la jeunesse russe », publié en 1932. Ses voyages la mènent ensuite, pendant les années 30, en Asie Centrale, en Mandchourie, en Chine, en Inde, puis en Afghanistan et jusqu’en Turquie.
Elle passe cinq ans en Inde de 1940 à 1945, auprès de maîtres spirituels.
Le village suisse de Chandolin, à 2000 mètres d’altitude, constitue son principal point de chute entre ses divers périples et il accueille ses dernières années de vie.
(Source : Wikipédia)

Quatrième de Couverture

« Je veux être avec la jeunesse russe et pas avec les six mille Américains qui envahissent Moscou. »
Ella Maillart à sa mère, 25 août 1930

Douze ans après la révolution, le régime soviétique reste une énigme pour des Occidentaux fascinés par Eisenstein et le cinéma russe. Ella Maillart a vingt-six ans. Elle obtient un visa et débarque à Moscou en 1930, dans un pays bouleversé, frappé par la famine. Elle loue une paillasse dans le deux-pièces de la comtesse Tolstoï, vit de thé et de pain noir, rame sur la Moskova avec de jeunes ouvriers et passe des heures dans la cabine de montage du réalisateur Vsevolod Poudovkine. Avec fraîcheur, elle note ce qu’elle voit, et parvient à se joindre à un groupe qui part découvrir la Svanéthie, traversant le massif central du Caucase à pied. Ce voyage sera aussi pour elle l’occasion de découvrir les superbes images mongoles de Tempête sur l’Asie qui lui donneront un avant-goût de cet Orient qui bientôt deviendra sa vie.

Mon humble Avis

Dans les années 30, il n’était pas courant pour une femme seule de voyager, surtout pas dans des pays lointains ou réputés dangereux, et on ne peut qu’admirer le courage et l’intrépidité d’Ella Maillart au cours de son périple en URSS. Plusieurs fois, elle se trouve dans des situations difficiles, devant lesquelles la plupart des gens reculeraient, mais elle décide d’aller de l’avant malgré tout et ne se décourage pas. Ainsi, quand elle décide d’escalader avec un groupe de jeunes russes plusieurs montagnes du Caucase, elle se fait mordre très gravement à la jambe par un chien mais, loin de rebrousser chemin et de chercher un médecin, elle continue son ascension et ses performances sportives, parfois même à cloche-pied tellement la douleur est intense.
La partie du livre qui m’a le plus intéressée est la première, où elle séjourne à Moscou et où elle relate beaucoup d’anecdotes sur la vie quotidienne des moscovites aux premiers temps du communisme : les queues devant les magasins, les difficultés pour trouver des produits de nécessité courante, les logements souvent collectifs, le grand effort de la politique soviétique en faveur de l’éducation des plus défavorisés et en faveur du sport.
Ella Maillart a l’air, dans l’ensemble, plutôt enthousiaste devant ce pays en plein bouleversement, où tout se construit et se modernise rapidement et où la jeunesse a pris le pouvoir. Elle ne semble pas du tout pressentir les horreurs staliniennes (en 1930, Staline est déjà au pouvoir depuis un an) et ne s’offusque pas non plus de la propagande d’Etat ou des possibles surveillance ou emprisonnement de certains citoyens rétifs au régime. Mais il est vrai qu’elle parle assez peu de politique et presque pas du Gouvernement russe. Ce qui l’intéresse c’est surtout la découverte de la vie quotidienne, de rencontrer des Russes, principalement des jeunes, de discuter avec eux et de vivre parmi eux, en immersion complète.
On peut admirer aussi la sociabilité et la bonne maîtrise linguistique d’Ella Maillart, qui parvient à se lier d’amitié presque partout où elle va, qui s’intègre à de nouveaux groupes de jeunes russes avec une facilité étonnante et qui tient avec eux des conversations soutenues et complexes.
L’écriture est très agréablement ciselée mais j’ai regretté parfois la trop grande place accordée aux descriptions, d’ailleurs très réussies, au détriment peut-être de la réflexion. Trop de place pour le monde extérieur au détriment de l’intériorité, ce qui est sans doute une caractéristique de nombreux récits de voyage. D’un autre côté, j’ai bien compris qu’Ella Maillart voulait rester au plus proche des gens et des faits réels objectifs, comme dans un documentaire ou un reportage, mais parfois on se dit qu’un petit peu plus d’analyse et de prise de recul ne feraient pas de mal…
J’ai tout de même beaucoup apprécié ce livre, qui se lit avec grand plaisir, car l’écrivaine voyageuse possède de très nombreux centres d’intérêt (culture, sport, littérature, cinéma, etc.) et qu’elle envisage la vie et les gens avec curiosité, donc son récit aborde des sujets multiples et variés et sa manière de raconter les choses est pleine de vivacité et de passion.

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Un Extrait Page 35

Au début, j’allais moi-même aux provisions. Le matin, pour ce que j’avais à acheter, cela se passait sans encombre ; la plupart des ouvrières étant au travail, je rencontrais surtout d’anciennes bourgeoises ou des servantes (celles-ci forment un groupe syndiqué). Il faut souvent attendre pour être servi, le personnel étant insuffisant. Les vraies queues, celles qui sont exténuantes, me semblent provoquées par les distributions spéciales, annoncées à l’avance : vêtements, chaussures.
Crise du cuir. Tout le monde veut des bottes. Sur 160 millions d’habitants, l’URSS compte environ 120 millions de paysans. Autrefois, seuls quelques privilégiés pouvaient s’acheter des bottes ; les autres allaient chaussés de sandales d’écorce. Autres temps, nouveaux moyens, nouveaux besoins : il faut aujourd’hui botter un continent. Tout en reformant le cheptel !

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Un autre Extrait page 38

-Es-tu de Moscou ? me demande une petite brune aux cheveux ébouriffés.
-Non, je suis étrangère ; et toi ?
-Je viens de Kharkov, mais quel est ton pays ?
Au mot « étrangère », propagé comme une traînée de poudre, tous ont suspendu et leurs phrases et le cours de leur pensée ; chacun arrête le bouillonnement de vie qui lui est propre pour laisser le champ libre à la curiosité. Ils se sont retournés, ils se battent pour m’approcher, pour me toucher ; yeux, odorat, oreilles tendus vers l’inconnue.
-Comment t’appelles-tu ?
-Où travailles-tu ?
-Te plais-tu chez nous ?
-Est-ce aussi bien chez toi ?
Les jeunes ne mettent pas en doute que le monde entier s’intéresse à la Russie. Mais les vieux demandent toujours :  » Pourquoi diable venez-vous dans ce pays-ci ? »
Comment répondre à chacun d’une manière satisfaisante ? Je me désole de n’y pouvoir parvenir.

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Un Troisième Extrait page 211

L’express de Leningrad lutte contre le vent invisible, remonte le fleuve de nuit impénétrable ; il ponctue son avance de mugissements angoissés, profonds comme ceux d’un vapeur dans le brouillard.
Je suis partie de Moscou sans bien m’en rendre compte ; je n’ai pas quitté la ville pour de bon, avec le regard circulaire d’adieu dont on enveloppe Athènes ou Amsterdam. J’ai l’impression d’y devoir revenir prochainement, rappelée par les êtres que j’y laisse et qui sont devenus partie de moi-même. Certes, je reviendrai…
Pourquoi même suis-je partie ? Trop d’habitudes trop anciennes me ramènent-elles dans mes longitudes ? Ou peut-être la peur de ne pas trouver de travail intéressant avant de mieux savoir le russe ? Ou suis-je simplement tenaillée par le besoin qui pousse les fidèles de la despote aventure, besoin d’aller toujours vers l’inconnu ?

L’Art d’avoir toujours raison de Schopenhauer

Dans le cadre des Feuilles allemandes, le défi organisé par Eva, Patrice et Fabienne, j’ai choisi d’ouvrir et de clore ce mois de novembre 2022 avec le philosophe Arthur Schopenhauer.
Si je vous parlais il y a environ trois semaines des Aphorismes sur la sagesse dans la vie, je vous présente aujourd’hui L’art d’avoir toujours raison, qui est un livre plus court mais tout aussi percutant et qui a l’avantage d’avoir des applications pratiques tout à fait possibles et utiles dans nos vies quotidiennes.

Note pratique sur le livre

Genre : Philosophie (Essai)
Editeur : 1001 Nuits
Date de publication originale : 1831
Traduit de l’allemand par Dominique Laure Miermont
Nombre de pages : 76

Présentation du livre

Dans ce court essai, Arthur Schopenhauer explore trente-huit stratagèmes pour remporter une joute oratoire et imposer son point de vue dans une controverse.
Il ne s’agit pas ici d' »avoir raison » dans le sens de « prouver une vérité objective » mais plutôt de river son clou à son adversaire et d’avoir le dernier mot, même si on défend une thèse douteuse ou carrément fausse. Comme le dit Schopenhauer (je résume grossièrement), on peut avoir raison sur le fond et, malgré tout, se laisser écraser dans un débat parce qu’on n’a pas utilisé les bonnes tactiques.
Ce sont justement ces tactiques et ces stratégies que le philosophe nous expose : libre à nous de les appliquer si nous ne sommes pas trop scrupuleux (la plupart sont de la pure mauvaise foi) ou, au contraire, si nous voulons rester honnêtes, de les repérer chez nos contradicteurs pour mieux les déjouer et nous en prémunir.
C’est donc, en quelque sorte, un petit guide pratique, bien utile si nous devons nous mêler à des polémiques où règnent l’intimidation et les manœuvres de mauvaise foi.

Mon humble avis :

Schopenhauer a généralement une image austère, voire sinistre, mais ce petit livre a un côté très amusant et j’ai souvent souri en reconnaissant certains stratagèmes largement employés par les actuels hommes et femmes politiques de tous bords, dont les débats pourraient servir d’illustration à chaque page. Ce livre m’a aussi évoqué certaines polémiques sur les réseaux sociaux, comme quoi, du 19ème siècle au 21ème les mentalités et les caractères n’ont pas beaucoup changé et on emploie toujours les mêmes petites astuces pour enfoncer ses adversaires et opposants.
Agréable à lire et très court, cet essai ne nécessite pas une grande culture philosophique ; il est très accessible.
Un livre intelligent et réjouissant !

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Un Extrait page 52

Stratagème 31

Si on ne sait pas quoi opposer aux raisons exposées par l’adversaire, il faut, avec une subtile ironie, se déclarer incompétent :  » Ce que vous dites-là dépasse mes faibles facultés de compréhension ; c’est peut-être tout à fait exact, mais je n’arrive pas à comprendre et je renonce à tout jugement. » De cette façon, on insinue, face aux auditeurs qui vous apprécient, que ce sont des inepties. C’est ainsi qu’à la parution de La Critique de la raison pure, ou plutôt dès qu’elle commença à faire sensation, de nombreux professeurs de la vieille école éclectique déclarèrent « Nous n’y comprenons rien », croyant par là lui avoir réglé son compte. Mais quand certains adeptes de la nouvelle école leur prouvèrent qu’ils avaient raison et qu’ils n’y comprenaient vraiment rien, cela les mit de très mauvaise humeur.
Il ne faut utiliser ce stratagème que quand on est sûr de jouir auprès des auditeurs d’une considération nettement supérieure à celle dont jouit l’adversaire. Par exemple, quand un professeur s’oppose à un étudiant. A vrai dire, cette méthode fait partie du stratagème précédent et consiste, de façon très malicieuse, à mettre sa propre autorité en avant au lieu de fournir des raisons valables. (…)

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Des Poèmes de Jean-Luc Despax

Couverture au Temps des Cerises

J’ai trouvé ces poèmes dans le recueil « Le poète n’est le chien de personne » qui était paru en 2020 chez l’éditeur « Le temps des cerises ».
Humour, esprit caustique et jeux de mots facétieux caractérisent ce recueil, de même que les thèmes d’actualité politique ou sociale, l’observation des outrances médiatiques, les errements des réseaux sociaux et autres absurdités de la presse. Allitérations, rythmes rapides, vocabulaire actuel ou d’origine anglo-saxonne, jeux sur les sonorités contribuent à donner une musicalité contemporaine à beaucoup de ces textes.

Quatrième de Couverture

On retrouve dans ce livre de poèmes ce qui fait la touche personnelle de Jean-Luc Despax : la verve satirique, le regard décalé sur l’actualité, le jeu apparemment décontracté, mais en réalité savant, avec le langage d’aujourd’hui. Ce livre cependant marque un tournant, dans sa défense absolue de la liberté de chaque être à aimer comme il le souhaite et à rechercher, en un mot, le bonheur. La première partie explore l’actualité de ces dernières années. La deuxième partie offre de réjouissantes fables contemporaines. La troisième partie, des Amours du poète en quelque sorte, fait la part belle à l’érotisme, sans lesquels la liberté et la poésie ne sauraient aller. La quatrième offre un compagnonnage avec le pictural et le surréel. La dernière partie affirme résolument que décidément, un poète n’est le chien de personne, en ce qu’il ne se rendra jamais mais restituera le plus honnêtement possible la réalité, pour la travailler dialectiquement à sa façon.

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(Page 134)

Pour une Saint-Valentin Future

Tu voudrais que l’amour soit une fenêtre
La vitre vers l’Infini
Tu te plains de tomber sur un mur
Sur un couac, dans un Quick
Sans Musset ni Kerouac
Tu dis :
J’aurais dû tomber amoureux d’une porte
Parce qu’on peut sortir avec
Ou bien se la fermer
Pour longtemps
Et puis un jour tu aimes
Tu es aimé en retour
Et l’inverse
Ou ni l’un ni l’autre :
Qu’il n’y ait plus de portes

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(Page 26)

Liberté d’Expression

Il convoqua la presse
Pour annoncer
Qu’il se retirait
De la vie médiatique
La pria
De vérifier régulièrement
Qu’il tiendrait parole

Revint quinze jours plus tard

Philosophie des Lumières ?
Hédonisme des projecteurs.

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(Page 176)

Se Sentir Mieux Après Avoir Arrêté le Poème

20 minutes après le dernier poème
On récupère un peu ses esprits
8 heures après le dernier poème
On se fout de savoir si ça s’écrit poème ou poéme
3 jours après le dernier poème
Regarder la télé redevient plus facile : il était temps !
2 mois après le dernier poème
On trouve que le volume 2 de la super trilogie à la
mode, c’est vachement bien
1 an après le dernier poème
Le risque de s’être fait une intelligence critique
diminue de moitié
5 ans après le dernier poème
Le risque de réinventer le monde diminue presque
de moitié
10 ans après le dernier poème
Le risque d’être un animal politique est le même que
pour celui qui est un animal tout court
15 ans après le dernier poème
Le risque de crise cardiaque est le même que pour
ceux qui n’ont plus de cœur depuis longtemps.

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Licorice Pizza, un film de Paul Thomas Anderson

Affiche du film

J’ai vu ce film en janvier, dès la première semaine de sa sortie en France, et j’ai décidé de vous en parler quelques mois plus tard, à l’occasion de mon Mois Américain de juin 2022 dont c’est aujourd’hui le dernier jour et le dernier article.

Note pratique sur le film :

Nationalité : américain
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie aux Etats-Unis : 26 novembre 2021
Date de sortie en France : 5 janvier 2022
Durée : 2h13mn

Résumé de l’histoire (situation de départ)

Du côté de Los Angeles, autour de 1973, Gary Valentine est un adolescent de quinze ans, lycéen sûr de lui et acteur à ses heures perdues. Un jour, dans son lycée, il croise Alana Kane, une jeune photographe de vingt-cinq ans, venue faire des photos de classes pour tous ces lycéens. Il est très attiré par elle mais leur différence d’âge maintient une certaine distance entre eux et ils se limitent à des liens d’amitié et de complicité platonique. Au fur et à mesure du temps, ils partagent des expériences de vie plus ou moins décevantes et sont souvent emportés, chacun de son côté, dans des aventures curieuses ou risquées. Mais la vie finira par les rapprocher.

Mon Avis :

Avant de voir ce film, et au vu de son résumé, je pensais que son sujet principal était « l’histoire d’amour compliquée entre une jeune femme et un ado », avec toutes les entraves et barrières possibles dressées devant eux pour les empêcher de s’aimer. Mais, en réalité, la différence d’âge entre les deux personnages, loin d’être soulignée, est sans cesse gommée, puisque l’adolescent se comporte tout à fait comme un adulte – il est dynamique, ambitieux et sûr de lui, il crée et dirige des entreprises, fait des affaires, gagne de l’argent sans problème, il conduit sa voiture, il donne des conseils aux adultes de son entourage, etc. – tandis que la jeune femme ne semble pas très mûre ni très réfléchie – et finalement on ne voit pas trop où est le nœud du problème ou même s’il y a un problème à résoudre entre eux.
Plusieurs fois pendant ces deux heures et quart de film, je me suis demandé : « Mais quel est le sujet de ce film ? Où est l’intrigue ? A quoi sommes-nous censés nous accrocher ? » et, pour tout dire, je m’ennuyais et j’hésitais à quitter la salle – mais je suis tout de même restée jusqu’au bout, par scrupule et par curiosité.
Certes, il se passe pas mal de choses dans ce scenario, qui nous montre ces deux personnages en train de chercher leur voie professionnelle et amoureuse – et échouer dans cette recherche la plupart du temps, malgré leur ambition (qui est le principal point commun de leur caractère), que ce soit ensemble ou séparément – mais l’intérêt est assez fluctuant selon les épisodes.
Du côté des points positifs, j’ai apprécié les nombreuses chansons des années 70 qui accompagnent l’image, avec une mention spéciale pour Les Doors et David Bowie, et qui, avec les costumes aux formes amples et aux couleurs acidulées, nous replongent dans ces années psychédéliques et pop et nous réveillent de notre torpeur. Ceci dit, l’état d’esprit hippie, cool et fortement contestataire des années 70 n’est pas restitué dans ce film, et les effets de nostalgie restent donc plutôt en surface et décoratifs.
Du point de vue des dialogues, je dirais qu’on sent à plusieurs reprises l’influence d’un humour décalé à la Tarantino ou inspiré des frères Coen, mais en beaucoup moins réussi car ça tombe souvent à plat.
Bref, un moment de cinéma dont j’aurais aussi bien pu me passer !

Les Illusions perdues de Xavier Giannoli

Affiche du film

J’ai vu ce film en novembre 2021, au moment de sa sortie, et j’ai planifié cette chronique plus de six mois en avance, car elle s’inscrit très bien dans le cadre de mon Printemps des Artistes 2022.
Comme j’ai déjà parlé il y a quelques jours des « Illusions perdues » de Balzac, je tâcherai de parler de cette adaptation sans trop répéter ce que j’avais déjà raconté dans ce premier article.

Note technique sur le film :

Durée : 2h29
Date de sortie : 20 octobre 2021
Genre : Drame historique
Scénario : Xavier Giannoli, d’après Balzac

Présentation succincte du début de l’histoire :

A Angoulême, un jeune homme, Lucien Chardon (Benjamin Voisin), imprimeur de son état mais poète à ses heures perdues, rêve de gloire littéraire. Il a la chance qu’une aristocrate de la ville, la belle Madame de Bargeton (Cécile de France) admire ses talents d’écriture et soit, en plus, sa maîtresse très aimante. Bientôt, le couple prend la fuite vers Paris, pour échapper au vieux mari jaloux (Jean-Paul Muel) de Madame de Bargeton et obtenir pour le jeune homme un triomphe à la hauteur de son talent. Tous les deux pensent, en effet, que la vie culturelle et artistique ne s’épanouit vraiment que dans la capitale. A Paris, Lucien – qui se fait appeler du nom de sa mère « de Rubempré » – essaye de faire son entrée dans le grand monde, lors d’une soirée à l’opéra, mais il passe pour ridicule à cause de son manque d’élégance et de distinction. A la suite de cette soirée, Madame de Bargeton a honte de son jeune protégé et le laisse tomber. Il se retrouve seul et sans argent, sans aucune relation ni soutien dans Paris. Il va devoir se débrouiller par lui-même car il est toujours aussi ambitieux. Heureusement, il fait la connaissance d’un jeune journaliste, Etienne Lousteau (Vincent Lacoste), qui va l’introduire dans le milieu du journalisme et de la critique culturelle. (…)

Mon avis :

J’avais un apriori très négatif sur ce film car je croyais dur comme fer que le chef d’œuvre de Balzac, un monument littéraire de huit cent pages, fourmillant de personnages et d’intrigues multiples, n’était pas transposable au cinéma.
Par ailleurs, je trouve souvent que les adaptations cinématographiques de la littérature française du 19ème siècle, qui fonctionnent à grands renforts de hauts-de-forme et de crinolines, ont quelque chose de scolaire et de compassé, où les dialogues sonnent faux et les allures sont guindées.
Eh bien, ce film m’a vraiment épatée ! Il m’a très heureusement surprise. Car il m’a semblé à la hauteur du roman de Balzac, tout à fait convaincant et réussi.
Les lumières chatoyantes et tamisées, parmi les décors joliment reconstitués et les costumes délicatement inventifs, font de la plupart des images des tableaux très artistiques, où les visages et les corps sont bien mis en valeur et comme sculptés par le clair-obscur.
La musique est également bien choisie et pas trop envahissante. Elle est plutôt caractéristique du 17ème siècle que du 19ème, mais ce choix sonore est agréable et en harmonie avec les images.
Le scénario m’a semblé tirer un très bon parti du roman de Balzac, en simplifiant ce qui aurait trop rallongé l’histoire et en conservant les lignes de force du roman et les idées porteuses de sens et d’émotions. Xavier Giannoli a eu raison de concentrer son propos sur la deuxième partie du roman, car c’est sans conteste la plus somptueuse et spectaculaire et celle dont les thèmes sont les plus modernes, avec ses références claires au capitalisme corrupteur, aux journalistes, aux critiques culturels et aux éditeurs exclusivement intéressés par l’argent ou par des jeux de relations et ignorants de la beauté et de l’art. Le réalisateur profite d’ailleurs de quelques dialogues à double sens et jeux de mots bien tournés pour asséner quelques coups de griffe de-ci de-là à quelques figures de notre actualité médiatique (entre autres : les fake news, les canards enchaînés, le masque et la plume, …et même Macron se prend une petite allusion piquante).
Par dessus tout, j’ai beaucoup aimé les acteurs, qui incarnent les personnages de Balzac avec le naturel, l’énergie et le panache qu’il faut. De ce point de vue, Vincent Lacoste, dans le rôle d’Etienne Lousteau, m’a paru particulièrement brillant, retors et drôle mais Benjamin Voisin réussit très bien également à montrer l’insouciance naïve de Lucien de Rubempré et la plupart des autres rôles sont tout à fait crédibles – je pense aussi à Gérard Depardieu, excellent en Dauriat, l’éditeur cupide, sans scrupules et grand amateur d’ananas.
On pourrait bien sûr trouver des petits défauts de temps en temps, une voix-off qui pourrait être moins présente par exemple, ou des petits détails dans les dialogues qui sonnent un peu trop contemporains, mais ce serait vraiment chercher la petite bête et on ne peut pas s’arrêter à ça.
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce film !

Les Illusions perdues de Balzac

couverture des Illusions Perdues chez Folio

Je voulais lire « les Illusions perdues » depuis plusieurs années mais je repoussais de saison en saison à cause de son imposant volume (près de 800 pages), heureusement mon actuel défi « Le Printemps des artistes » m’a permis de réaliser enfin mon vœu.

Ce roman a pour cadre le début des années 1820, c’est-à-dire la période de la Restauration . A ce moment-là, Napoléon a été déchu et exilé cinq ans plus tôt (1815) et la monarchie a été rétablie sur le trône avec l’aîné des frères de Louis XVI : Louis XVIII, qui règnera jusqu’à sa mort en 1824.

Voici une petite présentation des Illusions Perdues :

Ce livre se compose de trois parties :
Dans la première, située à Angoulême, nous suivons la trajectoire de deux jeunes gens, très amis, et tous les deux poètes : Lucien Chardon et David Séchard.
Lucien est un beau jeune homme, très talentueux et extrêmement ambitieux. Tandis que David, qui a un caractère plus prudent et plus raisonnable que son ami, s’occupe de l’imprimerie qu’il a rachetée à son père à un prix exorbitant et ne cherche pas particulièrement la gloire littéraire.
Bientôt David épouse la sœur de Lucien, Eve, une jeune fille droite et honnête, et les deux amis deviennent donc beaux-frères.
Pendant que David et Eve essayent de vivre tant bien que mal de l’imprimerie familiale, malgré les manigances de l’imprimerie concurrente des affreux frères Cointet et l’avarice maladive du Père Séchard (le père de David), Lucien essaye de faire connaître et apprécier ses œuvres poétiques et romanesques auprès de la riche noblesse d’Angoulême.
Lucien trouve bientôt une protectrice et une muse en Madame de Bargeton, une noble dame, mariée, plus âgée que lui, qui organise une soirée littéraire en son honneur et cherche à faire reconnaître son génie parmi ses amis.
Comme ils sont tous les deux amoureux l’un de l’autre (platoniquement) Lucien et Louise de Bargeton décident de fuir à Paris où, pensent-ils, leurs amours illégitimes seront mieux acceptées et, surtout, la gloire littéraire attend les jeunes provinciaux talentueux.

La deuxième partie se déroule entièrement à Paris et nous suivons l’extraordinaire ascension de Lucien Chardon, devenu Lucien de Rubempré, où il a l’occasion de fréquenter le milieu fourbe et cupide des éditeurs, celui des écrivains intègres et géniaux qui vivent dans la misère, celui des journalistes corrompus et malhonnêtes, des salles de spectacle prêtes à tout pour un succès, des jeunes actrices au grand cœur et de leurs riches protecteurs dont il faut s’accommoder, des dandys élégants de la noblesse parisienne dont les moqueries et médisances sont particulièrement perfides, etc.
Mais Lucien, sans vraiment s’en douter, se sera fait une énorme quantité d’ennemis durant sa rapide ascension sociale, qui sera donc suivie d’une chute d’autant plus rude et fulgurante.
Après sa ruine, Lucien n’a plus d’autre choix que de rentrer à Angoulême auprès de sa famille.

La troisième partie se passe de nouveau à Angoulême. Et nous allons suivre de plus près les affaires de David Séchard et de sa femme, Eve. Car leur imprimerie leur pose de gros soucis et David essaye de mettre au point un nouveau procédé de fabrication du papier, grâce auquel il pense faire fortune.

Mes impressions de lecture :

Ce livre nous plonge dans la France de 1820 et nous en donne une description d’un réalisme saisissant. Divers milieux sociaux et une multitude de personnages sont successivement décrits, avec le regard neuf et assez innocent de Lucien de Rubempré, qui nous en montre les rouages, la psychologie, les habitudes comme si nous y faisions un reportage pris sur le vif.
Tout est décrit avec précision, depuis les vêtements des personnages jusqu’aux meubles des diverses habitations, les quartiers de Paris et leur architecture, aucun détail matériel n’est laissé au hasard et nous sentons que, pour Balzac, ces questions vestimentaires et mobilières sont très importantes car elles révèlent les valeurs morales, les défauts et qualités des personnes, et leur degré de réussite ou d’appartenance à telle ou telle catégorie.
Les différents aspects de la société et de ses règles du jeu sont bien mis en valeur : pour réussir socialement et matériellement il ne faut avoir aucune morale, aucun idéal, tous les coups sont permis pour accumuler toujours plus d’argent, et les hommes les plus malhonnêtes peuvent s’appuyer sur le droit et la justice pour consolider leur pouvoir.
Le milieu de l’édition est décrit comme essentiellement mercantile, peu soucieux de qualité littéraire, ne lisant pas les ouvrages qu’on leur confie et ne misant que sur des auteurs déjà très connus et dont le succès est assuré (Balzac parle bien ici des années 1820 mais on pourrait s’y tromper !)
Le milieu journalistique est présenté comme complètement pourri, sans la moindre déontologie, faisant chanter tout le monde et se vendant au plus offrant, mais constituant le meilleur marchepied vers la fortune, à condition de ne pas se faire trop d’ennemis et d’être protégé politiquement.
Lucien est un personnage dont Balzac souligne souvent l’ambiguïté : il pense bien mais agit mal ; il est à la fois intelligent et idiot. Il a le cœur bon mais il est doué pour écrire des critiques féroces et, avec une grande naïveté, ne se doute pas que ses articles assassins peuvent lui attirer beaucoup de haines. Bref, il ne calcule jamais les conséquences de ses actes et semble tout à fait irresponsable et dépourvu de psychologie.
J’ajoute que ce roman avait été initialement publié en feuilleton dans des journaux, c’est-à-dire que Balzac l’a conçu pour tenir les lecteurs en haleine en leur proposant de fréquents rebondissements : on ne s’ennuie donc pas un seul instant.
Un roman vraiment passionnant, d’une actualité étonnante – un chef d’œuvre palpitant !

Un Extrait page 158 :

(…) Pendant sa lecture, Lucien fut en proie à l’une de ces souffrances infernales qui ne peuvent être parfaitement comprises que par d’éminents artistes, ou par ceux que l’enthousiasme et une haute intelligence mettent à leur niveau. Pour être traduite par la voix, comme pour être saisie, la poésie exige une sainte attention. Il doit se faire entre le lecteur et l’auditoire une alliance intime, sans laquelle les électriques communications des sentiments n’ont plus lieu. Cette cohésion des âmes manque-t-elle, le poète se trouve alors comme un ange essayant de chanter un hymne céleste au milieu des ricanements de l’enfer. Or, dans la sphère où se développent leurs facultés, les hommes d’intelligence possèdent la vue circumspective du colimaçon, le flair du chien et l’oreille de la taupe ; ils voient, ils sentent, ils entendent tout autour d’eux. Le musicien et le poète se savent aussi promptement admirés ou incompris, qu’une plante se sèche ou se ravive dans une atmosphère amie ou ennemie. Les murmures des hommes, qui n’étaient venus là que pour leurs femmes, et qui se parlaient de leurs affaires, retentissaient à l’oreille de Lucien par les lois de cette acoustique particulière ; de même qu’il voyait les hiatus sympathiques de quelques mâchoires violemment entrebâillées, et dont les dents le narguaient. (…)

Ce livre a été lu dans le cadre de mon « Printemps des artistes » puisque le héros est un poète et écrivain et qu’il est beaucoup question du monde des arts (théâtre, édition, journalisme, critique littéraire, etc.)

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La Vie est ailleurs de Milan Kundera

Couverture chez Folio

Dans le cadre de mon Printemps des Artistes de 2022, je vous propose ce roman de Kundera dont le personnage principal est un jeune poète tchèque, prénommé Jaromil, et qui nous est présenté comme un homme tout à fait odieux, narcissique, imbu de lui-même, arriviste et immoral.

Note pratique sur le livre

Première date de parution : (en Tchéquie) 1969 (en France) 1973.
Editeur : Folio
Nombre de pages : 463
Prix Médicis étranger 1973

Quatrième de Couverture

L’auteur avait tout d’abord pensé intituler ce roman L’âge lyrique. L’âge lyrique, selon Kundera, c’est la jeunesse, et ce roman est avant tout une épopée de l’adolescence ; épopée ironique qui corrode tendrement les valeurs tabous : l’Enfance, la Maternité, la Révolution et même – la Poésie. En effet, Jaromil est poète. C’est sa mère qui l’a fait poète et qui l’accompagne (immatériellement) jusqu’à ses lits d’amour et (matériellement) jusqu’à son lit de mort. Personnage ridicule et touchant, horrible et d’une innocence totale («l’innocence avec son sourire sanglant» !), Jaromil est en même temps un vrai poète. Il n’est pas salaud, il est Rimbaud. Rimbaud pris au piège de la révolution communiste, pris au piège d’une farce noire.

Mon avis très subjectif

On sent à travers ce roman que Milan Kundera a une très grande connaissance de la psychanalyse car son personnage de poète narcissique, Jaromil, semble être un cas d’école, un archétype assez saisissant (mais tout de même caricatural, je pense) qui pourrait servir d’objet d’étude pour un psy, par son rapport fusionnel avec sa mère abusive, sa jalousie maladive et morbide envers les femmes, son imagination lyrique et révolutionnaire, son ambition démesurée et son arrivisme forcené, sans aucun scrupule… et ce sont donc tous ses traits de caractère qui sont détaillés et analysés les uns après les autres, comme des petites facettes qui s’agrègent les unes aux autres et vont en s’aggravant puisque le portrait est de plus en plus repoussant et ignoble.
Kundera nous explique clairement au cours du roman que le personnage de Jaromil lui a été fortement inspiré par les modèles de Rimbaud, de Lermontov, de Maïakovski, de Hugo, et de tous les grands poètes lyriques qui se sont mis, un jour ou l’autre, au service d’une révolution, du communisme (plus exactement, qui se sont compromis avec un pouvoir dictatorial) et qui ont essayé de mélanger le rêve et la réalité, l’idéal et le pragmatisme.
J’avais déjà vu dans son Art du roman que Kundera déteste le lyrisme, le romantisme, le sentiment (qu’il soit synonyme de sentimentalité ou d’engagement sérieux), aussi ses romans ont tendance à être toujours ironiques, désabusés, sceptiques et on retrouve dans La Vie est ailleurs cet esprit de dérision, d’incrédulité et de causticité. On est donc ici face à un écrivain qui n’aime pas ses personnages et qui les décortique cruellement, sans leur épargner le moindre ridicule ou la description de leur moindre bassesse.
Du côté des nombreux points positifs : c’est un roman extrêmement brillant, intelligent, remarquablement construit, très cultivé, très freudien. Mais il défend des points de vue sur la poésie parfois discutables…
Et je me suis demandé si un personnage vraiment aussi avide de pouvoir, d’autorité et de gloire que ce méchant Jaromil ne se tournerait pas vers la direction d’un parti politique ou d’une milice quelconque plutôt que vers une activité aussi infortunée et décriée que la poésie…
Peut-être aussi que la haine de l’écrivain envers ses personnages est trop criante et immodérée… et que, pour une fois, il aurait pu instiller un tout petit peu plus de sentiment et de compassion…

Un Extrait page 320

La poésie est un territoire où toute affirmation devient vérité. Le poète a dit hier : La vie est vaine comme un pleur, il dit aujourd’hui : la vie est gaie comme le rire et à chaque fois il a raison. Il dit aujourd’hui ; tout s’achève et sombre dans le silence, il dira demain : rien ne s’achève et tout résonne éternellement et les deux sont vrais. Le poète n’a besoin de rien prouver ; la seule preuve réside dans l’intensité de son émotion.
Le génie du lyrisme est le génie de l’inexpérience. Le poète sait peu de choses du monde mais les mots qui jaillissent de lui forment de beaux assemblages qui sont définitifs comme le cristal ; le poète n’est pas un homme mûr et pourtant ses vers ont la maturité d’une prophétie devant laquelle il reste lui-même interdit.
(…)
L’immaturité du poète prête sans doute à rire mais elle a aussi de quoi nous émerveiller : il y a dans les paroles du poète une gouttelette qui a surgi du cœur et qui donne à ses vers l’éclat de la beauté. Mais cette gouttelette, il n’est nullement besoin d’une véritable expérience vécue pour la tirer du cœur du poète, nous pensons plutôt que le poète presse parfois son cœur à la façon d’une cuisinière pressant un citron sur la salade. (…)

Logo du Défi, créé par Goran

Le Cœur à rire et à pleurer de Maryse Condé

Note pratique sur le livre

Année de parution originale : 1999
Editeur : Pocket (initialement, Robert Laffont)
Nombre de pages : 155

Note biographique sur l’écrivaine

Maryse Condé est née en Guadeloupe en 1937. Elle a étudié à Paris, avant de vivre en Afrique – notamment au Mali – d’où elle a tiré l’inspiration de son best-seller Ségou (Robert Laffont, 1985). Ses romans lui ont valu de nombreux prix, notamment pour Moi, Tituba sorcière (grand prix de la littérature de la Femme, 1986) et La Vie scélérate (Prix Anaïs Ségalas de l’Académie Française, 1988).
En 1993, Maryse Condé a été la première femme à recevoir le prix Putterbaugh décerné aux Etats-Unis à un écrivain de langue française. Lus dans le monde entier, ses romans s’interrogent sur une mémoire hantée par l’esclavagisme et le colonialisme, et, pour les descendants des exilés, sur une recherche identitaire.
Après de nombreuses années d’enseignement à l’Université de Columbia à New-York, elle partage aujourd’hui son temps entre la Guadeloupe et New-York. Elle a initié la création du prix des Amériques insulaires et de la Guyane qui récompense tous les deux ans le meilleur ouvrage de littérature antillaise.
(Source : éditeur)

Brève présentation :

Dans ce récit, dédié à sa mère, Maryse Condé retrace ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, dans les années quarante et cinquante, sur l’île de la Guadeloupe, jusqu’à ses premières années d’études à Paris, d’abord en Lettres Classiques puis en Anglais. Peu à peu, l’écrivaine se construit une identité, en opposition à ses parents, tout en renouant avec leurs racines.

Mon humble avis :

C’est un livre très agréable à lire, de par son écriture extrêmement fluide et d’une brillante clarté. La présence d’expressions typiquement guadeloupéennes – peu fréquentes mais tout de même régulièrement distillées au cours du récit – ne sont pas très difficiles à comprendre dans leur contexte et elles nous font entrer dans le mode de vie et le langage des personnages. Il y a d’ailleurs un bref glossaire en fin d’ouvrage, mais je n’ai eu besoin d’y recourir que deux ou trois fois.
Ces souvenirs d’enfance sont, comme l’indique le titre, à la fois doux et amers, souriants et tristes.
La petite fille est élevée par des parents très francophiles, dont la culture française et la passion de « la Métropole » surpasse très certainement celles de nombreux français hexagonaux. Mais, en grandissant, la fillette puis l’adolescente prend conscience de ses origines, auxquelles ses parents n’ont jamais fait allusion. Son frère lui dit que leurs parents sont des « aliénés » et elle commence à s’interroger. Elle a bien remarqué que, sur l’île, les Noirs, les Mulâtres et les « Blancs-pays » ne se fréquentent pas et elle cherche dès lors à comprendre les raisons, héritées de l’Histoire, avec le racisme, l’esclavage et la colonisation, dont la découverte simultanée la bouleverse.
Bien sûr, ce récit autobiographique n’évoque pas que l’aspect politique ou historique des choses, loin de là. Les liens affectifs avec la mère, une femme forte et d’une autorité sans doute assez effrayante, ou avec la meilleure amie Yvelise, ou encore avec la nourrice très aimée, Mabo Julie, donnent lieu à de très beaux chapitres.
Et justement, cette manière d’imbriquer dans un même récit le côté politique et affectif, l’un éclairant l’autre, m’a semblé extrêmement intéressant et riche.
Le caractère de l’écrivaine, très épris de vérité et d’une franchise mal comprise par les autres, m’a été tout à fait sympathique et facilement imaginable – il m’a semblé la « rencontrer » d’une manière presque concrète.
Un livre que j’ai vraiment beaucoup aimé !

Un Extrait page 117

(…)
Ceux qui n’ont pas lu La Rue Cases-Nègres ont peut-être vu le film qu’Euzhan Palcy en a tiré. C’est l’histoire d’un de ces « petits-nègres » que mes parents redoutaient tellement, qui grandit sur une plantation de canne à sucre dans les affres de la faim et des privations. Tandis que sa maman se loue chez des békés de la ville, il est élevé à force de sacrifices par sa grand-mère Man Tine, ammareuse en robe matelassée par les rapiéçages. Sa seule porte de sortie est l’instruction. Heureusement, il est intelligent. Il travaille bien à l’école et se prépare à devenir petit-bourgeois au moment précis où sa grand-mère meurt. Je pleurais à chaudes larmes en lisant les dernières pages du roman, les plus belles à mon avis que Zobel ait jamais écrites.
« C’étaient ses mains qui m’apparaissaient sur la blancheur du drap. Ses mains noires, gonflées, durcies, craquelées à chaque repli, et chaque craquelure incrustée d’une boue indélébile. Des doigts encroûtés, déviés en tous sens ; aux bouts usés et renforcés par des ongles plus épais, plus durs et informes que des sabots… « 
Pour moi toute cette histoire était parfaitement exotique, surréaliste. D’un seul coup tombait sur mes épaules le poids de l’esclavage, de la Traite, de l’oppression coloniale, de l’exploitation de l’homme par l’homme, des préjugés de couleur dont personne, à part quelquefois Sandrino, ne me parlait jamais. (…)

La lucidité de José Saramago

couverture du roman de José Saramago

J’aime bien l’écrivain portugais José Saramago (1922-2010), Prix Nobel de Littérature en 1998, dont j’avais déjà chroniqué ici le célèbre roman L’aveuglement puis l’excellent Tous les noms – deux livres que j’avais lus avec énormément de plaisir.
Aussi, lorsque Goran et moi nous sommes mis d’accord sur La lucidité de ce même écrivain pour une lecture commune, j’étais tout à fait enthousiaste et impatiente de découvrir cette histoire.

Avant de vous présenter ma chronique, je vous invite à prendre connaissance de celle de Goran ici : sur le blog « des livres et des films »

La Situation de départ de ce livre est particulièrement alléchante et semble promettre une histoire captivante :
Dans un pays indéterminé, qui pourrait être le Portugal ou la France – en tous cas, un pays occidental apparemment démocratique -, à l’occasion d’une élection municipale dans la capitale, on enregistre un taux record de votes blancs : 70%.
Le gouvernement décide de faire revoter la ville mais la proportion de votes blancs s’aggrave puisqu’elle atteint cette fois 84%.
Nous assistons aux manigances et aux vilains procédés du gouvernement pour reprendre le contrôle de la situation : tentatives policières de détecter la présence de perturbateurs anarchistes, espionnage des habitants, discrédit jeté sur « les blanchards » pour les faire passer pour des dangereux séditieux, etc.
Après réflexion, le gouvernement décide de déserter la ville, de changer de capitale, et de livrer les habitants à eux-mêmes, sans police, sans armée, sans maire ni gouvernement, en espérant engendrer un chaos suffisant pour ramener le peuple à la raison et rétablir l’ordre.
Mais les choses ne se passent pas aussi mal que prévu et le gouvernement va utiliser des moyens toujours plus autoritaires, criminels et cyniques pour rétablir la situation à son profit.
(…)

Mon humble Avis :

Il m’a semblé que ce roman n’était pas très vraisemblable : la tentative du gouvernement de faire passer les votes blancs pour des dangereux anarchistes et des brutes sanguinaires ne parait pas crédible quand ces votes blancs représentent 84% de la population.
A priori, si le peuple a voté blanc dans son écrasante majorité, il est bien placé pour savoir ses propres motivations, intentions et besoins politiques donc on imaginerait des assemblées citoyennes qui se mettraient en place, des nouveaux partis qui verraient le jour, et une prise en main populaire du destin commun.
Mais dans ce roman de Saramago, ce n’est pas du tout comme ça que les choses se passent : au contraire, le peuple se montre très passif, naïf et manipulable, ne cherche pas à s’organiser ou à élire des porte-paroles et le gouvernement en place s’oriente vers une attitude de plus en plus autoritaire et dictatoriale pour garder le pouvoir.
Je suis peut-être trop optimiste sur la capacité de réaction des peuples mais j’ai eu du mal à entrer dans cette histoire pour cette raison.
Vers la moitié du livre, l’auteur donne une orientation tout à fait différente à son histoire : on se dirige plus vers une enquête policière traditionnelle et l’aspect politique de satire des partis en place et des démocraties occidentales est moins présent.
A ce moment-là, on s’aperçoit que La Lucidité a été conçue comme la suite du roman le plus célèbre de Saramago : L’aveuglement, puisqu’on retrouve les mêmes personnages et que leur groupe est accusé d’avoir un rôle prépondérant dans le triomphe du vote blanc.
C’est vraiment très peu crédible selon moi, je n’ai pas vraiment accroché à cette intrigue tirée par les cheveux.
Par contre, j’ai, une nouvelle fois, beaucoup apprécié l’écriture de cet auteur, ses longues phrases très complexes, pleines de subordonnées et de digressions inattendues, au vocabulaire recherché et à l’humour pince-sans-rire – un style extrêmement savoureux qui donne envie d’aller jusqu’au bout !
Remarquons aussi, pour rendre justice à ce roman, que cette interrogation sur le vote blanc et les institutions politiques de plus en plus éloignées du peuple, ces crises de la démocratie représentative, sont tout de même intéressantes et ont le mérite de nous faire réfléchir et imaginer des alternatives.

Extrait page 333 :

A présent le commissaire va de nouveau sortir. Il a glissé les deux lettres dans une des poches intérieures de son veston, il a enfilé sa gabardine bien que la météorologie soit plus agréable qu’on ne pourrait s’y attendre en cette période de l’année, comme il put d’ailleurs le vérifier de visu en ouvrant la fenêtre et en observant les lents nuages blancs épars qui passaient en haut du ciel. Il se peut qu’une autre raison puissante ait pesé, en fait la gabardine, surtout dans sa version imperméable avec ceinture, constitue une sorte de signe distinctif des détectives de l’ère classique, tout au moins depuis que raymond chandler a créé le personnage de marlowe, si bien qu’en voyant passer un individu coiffé d’un feutre au bord abaissé sur le front et vêtu d’une gabardine dont le col est relevé, le fait de proclamer aussitôt que c’est humphrey bogart qui darde obliquement son regard pénétrant entre le bord du chapeau et celui du col est une science à la portée de n’importe quel lecteur de romans policiers, section mort violente. Ce commissaire-ci ne porte pas de chapeau, il est tête nue, la mode d’une modernité qui abhorre le pittoresque en a décidé ainsi et, comme on dit, vise à la tête avant même de demander si la cible est encore vivante. (…)

La Lucidité de José Saramago a été publié pour la première fois en 2004, et je l’ai lu chez Points dans une édition de 2006 où il compte 370 pages.