Quelques uns de mes derniers haïkus

nuage_haiku Je ne sais plus si je vous l’avais dit, mais j’ai commencé à écrire des haïku depuis environ six mois. Je le fais de manière très irrégulière : je peux en écrire quinze en une après-midi puis ne plus rien écrire pendant six semaines.
En voici donc une petite sélection pour vous, sur des thèmes essentiellement météorologiques mais pas seulement :

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Disque du soleil
dans la trouée d’un nuage :
brillante boutonnière.

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Que pèse un nuage ?
A peine plus lourd que cette
question dans ma tête.

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Un long sillage blanc
file derrière l’avion
– tel un escargot.

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Les nuages passent
avec la pompeuse lenteur
d’un cortège nuptial.

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Toutes ces abeilles
tanguent, dansent et tournicotent
ivres de soleil.

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Ciel incendié
fumées rousses du couchant
– pavillon des tabacologues.

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Chercher le sujet
d’un prochain poème
me ramène vers toi.

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La poésie
n’est ni un métier
ni un loisir.

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Rayons intermittents
le soleil tente peut-être
de rapiécer les nuages.

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N’hésitez pas à me laisser vos commentaires : le(s)quel(s) de ces haïkus préférez-vous ?

Trois poèmes d’Abdellatif Laâbi

laabi_principe J’ai trouvé ces trois poèmes dans le recueil Le principe d’incertitude publié aux éditions de la Différence en 2016.
Abdellatif Laâbi, né à Fes en 1942 est à la fois poète, romancier, dramaturge et essayiste. Il a obtenu le Prix Goncourt de la Poésie en 2009 et le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française en 2011.

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Au miroir incorruptible de la page
impossible de mentir
Je sais maintenant
qu’aucun calcul savant
aucune intelligence supérieure
ne pourront m’éclairer
de mon vivant
sur l’énigme de l’Univers
Devant celle-ci
même la poésie la plus aventureuse
doit honnêtement rendre les armes
Je mourrai donc
idiot

***

Les mots que j’ai élevés
nourris, vêtus, soignés
et lancés dans la langue
ne me reconnaissent plus
Je les soupçonne de nourrir à mon égard
de noirs desseins
Qu’ils aillent au diable !
Je n’aurai qu’à rendre mon tablier
remiser mes outils
me glisser dans la peau de l’animal
le plus proche de ma sensibilité
puis apprendre le cri qui va me distinguer
et me faire comprendre
au sein de ma nouvelle espèce

***

Tu n’as pas senti passer le temps !
Banalité des banalités
Mais comment dire la chose autrement ?
Tu sors du berceau de l’enfance
et tu fais ta toilette
devant le miroir de la jeunesse
Au moment de t’habiller
ce sont les vêtements de l’adulte
que tu revêts
Tes cheveux ont déjà blanchi
quand tu prends ton petit déjeuner
Et voilà que tu sors de la maison
les pieds devant
Tu n’as ni déjeuné ni dîné
Tu n’as pas suivi
la course du soleil dans le ciel
et tu n’as pas goûté
à la douceur de la nuit
Un jour
ne serait-ce qu’un jour
t’aurait suffi
en guise d’éternité

Deux poèmes de Raymond Queneau

antho_20eme J’ai trouvé ces deux poèmes dans l’anthologie de la poésie française du 20è siècle (de Paul Claudel à René Char) chez Poésie/Gallimard.
Raymond Queneau (1903-1976), poète et romancier, est l’auteur, entre autres, des Exercices de style et de Zazie dans le métro.

L’Amphion

Le Paris que vous aimâtes
n’est pas celui que nous aimons
et nous nous dirigeons sans hâte
vers celui que nous oublierons

Topographies ! itinéraires !
dérives à travers la ville !
souvenirs des anciens horaires !
que la mémoire est difficile …

Et sans un plan sous les yeux
on ne nous comprendra plus
car tout ceci n’est que jeu
et l’oubli d’un temps perdu

du recueil Les Ziaux (1943)

***

Un poème c’est bien peu de chose
à peine plus qu’un cyclone aux Antilles
qu’un typhon dans la mer de Chine
un tremblement de terre à Formose

une inondation du Yang Tse Kiang
ça vous noie cent mille Chinois d’un seul coup
vlan
ça ne fait même pas le sujet d’un poème
Bien peu de chose

On s’amuse bien dans notre petit village
on va bâtir une nouvelle école
on va élire un nouveau maire et changer les jours de marché
on était au centre du monde on se trouve maintenant
près du fleuve océan qui ronge l’horizon

Un poème c’est bien peu de chose

du recueil L’instant fatal (1948)

***

Deux poèmes de Jean-Claude Pirotte

autres_sejours_pirotte J’ai trouvé ces deux poèmes dans le recueil Autres séjours de Jean-Claude Pirotte, qui date de 2010 et qui avait été publié chez Le temps qu’il fait.
Ce recueil est un des derniers de Jean-Claude Pirotte, décédé en 2014.

***

Un vol de pigeon s’abat
dans la rue où luit la pluie
la jument du vigneron
est morte au lever du jour

le deuil s’étend sur les monts
les bêtes les gens partagent
le temps des morts et l’hiver
mais chacun garde les yeux secs

chacun se tient au cœur de l’âge
et de si loin l’enfance encore
têtue anime les visages
avant de mourir à son tour

***

toujours et toujours
la même musique
la rengaine des jours
le ronronnement triste

des tristes alentours
et le gris des bâtisses
et l’éternel retour
des médiocres supplices

de séjour en séjour
présumés rien n’existe
sinon le ciel autour
d’un fanal de lampiste

***

Et voici un petit troisième, pour la route :

à l’origine des tempêtes
se trouve un verre d’eau
jamais nous n’entendrons
parler d’une tempête
dans un verre de vin

Le Peintre de la vie moderne, de Charles Baudelaire

baudelaire_peintre

L’autre jour, je suis allée me promener dans une de mes librairies préférées du quartier Mouffetard (Paris 5ème) et je suis allée faire un tour du côté des écrits sur l’art, qui occupent une petite travée au fond du magasin.
C’est là que je suis tombée en arrêt sur ce très joli petit livre publié aux éditions Mille et une nuits, dans un format qui tient dans le creux dans la main : Le peintre de la vie moderne, un essai sur l’art de Charles Baudelaire.

Dans ce livre au ton guilleret et sympathique (un ton dont je ne soupçonnais pas Baudelaire capable), il est question d’un certain illustrateur et graveur, M. C. G. qui ne souhaite pas qu’on divulgue son nom par modestie, mais qui est, selon Baudelaire, un peintre de génie, excellent observateur de la vie moderne.
Nous apprendrons dans la postface que ce M. C. G. est en fait Constantin Guys, que je considérais jusque là comme un artiste mineur mais peut-être étais-je dans l’erreur à son sujet.
Baudelaire admire chez Guys sa manière de peindre les caractéristiques de la vie présente dans ses moindres détails, d’observer les différentes classes de la société, les colifichets de la mode, et de savoir en extraire des éléments de beauté.
Selon Baudelaire, la nature de l’art est double : il doit à la fois rendre compte de son époque (un peu d’ailleurs comme un journaliste ou un chroniqueur) et rendre compte de l’aspect éternel de la beauté.

En ce sens, Baudelaire s’oppose à l’art officiel de son époque – art classique inspiré de l’Antiquité gréco-latine, tournant résolument le dos à la vie moderne.

Mais il ne préfigure pas encore l’Impressionnisme, dans le sens où il rejette la peinture en plein air et l’observation sur le vif : selon lui, des travaux préparatifs peuvent être croqués d’après le réel mais le tableau final doit être réalisé en atelier, d’après un travail d’imagination.

Ce petit livre, écrit dans les débuts des années 1860, donne sans doute une bonne idée des concepts les plus novateurs dans le domaine des beaux-arts à l’époque du Réalisme de Courbet, Daumier, Guys …

Un petit livre bien agréable à lire, d’autant qu’il y est aussi question des dandys, de la mode et du maquillage, du triomphe nécessaire de l’artifice sur le naturel, des courtisanes, etc.

Fanazo et Books tags

Je me suis inspirée du blog de Goran pour ce tag, puisqu’il autorisait ceux qui le suivent de reprendre son tag.
Voici le lien vers son article : https://deslivresetdesfilms.com/2016/05/27/fanazo-books-tag/

1/ EN PRIVÉ OU EN PUBLIC, AS-TU L’HABITUDE DE SENTIR TES LIVRES ?

L’habitude, non, mais il a pu m’arriver de respirer l’intérieur d’un vieux livre.

2/ COMMENT ORGANISES-TU TA BIBLIOTHÈQUE ? (GENRE, MAISONS D’ÉDITIONS, COULEURS, ETC.) ?

J’organise assez peu ma bibliothèque. A l’origine les livres étaient classés par genre puis par auteur, dans un ordre alphabétique. Mais, à l’usage mon classement est devenu un peu hasardeux. A l’intérieur du classement pas genre j’ai aussi un classement par siècles, qui me satisfaisait assez du temps où ma bibliothèque était bien rangée.

3/ TES LIVRES RESTENT-ILS PRÉCIEUSEMENT À LA MAISON OÙ ILS T’ACCOMPAGNENT PARTOUT ?

Non, ils m’accompagnent où je vais, aussi bien en week-end qu’en vacances.

4/ AS-TU DÉJÀ ACHETÉ UNE AUTRE ÉDITION D’UN ROMAN (OU SÉRIE) PARCE QUE TU N’AIMAIS PAS PARTICULIÈREMENT CELLE QUE TU AVAIS DÉJÀ ?

Je ne crois pas. Par contre, j’ai dû acheter trois éditions différentes des oeuvres complètes de Rimbaud, mais ça doit être le seul cas.

5/ DEPUIS COMBIEN DE TEMPS COLLECTIONNES-TU LES LIVRES ? EST-CE QUE BOOKTUBE T’AS BEAUCOUP INFLUENCÉE ?

Je ne collectionne pas les livres. J’en achète en grande quantité, nuance.

6/ TU AS ACHETÉ UN LIVRE IL Y A UN BON MOMENT ET IL ATTEND SAGEMENT QUE TU LE LISES… MAIS IL NE T’ATTIRE PLUS DU TOUT. TU LE GARDES JUSTE AU CAS OÙ ? TU T’EN DÉBARRASSES ?

Je ne me débarrasse pas des livres que je n’ai pas lus.

7/ PLUTÔT DONNER, REVENDRE OU ENTASSER LES LIVRES LUS ?

Entasser.

8/ LIVRE ET ADAPTATIONS CINÉMATOGRAPHIQUES : SACRILÈGE, BON FILON, OU GRAND PLAISIR DE RETROUVER L’UNIVERS SUR GRAND ÉCRAN ?

Je n’aime généralement pas retrouver sur grand écran une histoire que j’ai lue dans un roman, je trouve qu’on y perd beaucoup.

9/ TU PRÉFÈRES LES LIVRES D’OCCASION OU LES LIVRES NEUFS ?

Peu m’importe, du moment que le livre est en bon état et a toutes ses pages.
D’une manière générale, j’aime bien les livres bon marché.

10/ EST-CE QUE TU CORNES OU ÉCRIS SUR TES LIVRES OU EST-CE QUE C’EST SACRILÈGE POUR TOI ?

Oui, je corne mes livres car j’ai la manie de perdre mes marque-pages. Mais je n’écris pas sur les livres, sauf ceux dont je suis l’auteur pour faire une dédicace.

11/ PARLES-TU À TES LIVRES DURANT TES LECTURES ?

Drôle de question. Non. Par contre, je peux leur rire au nez ou leur sourire.

12/ PEUX-TU PRÊTER UN LIVRE DE TA BIBLIOTHÈQUE QUE TU N’AS PAS ENCORE LU OU EST-CE QUE CELA TE DÉRANGE ?

Bien sûr que je peux prêter mes livres.

13/ PARMI LES 5 SENS, LEQUEL DÉFINIT LE MIEUX TON RAPPORT AUX LIVRES ?

La vue…

14/ QUELLE EST POUR TOI LA PLUS BELLE BIBLIOTHÈQUE DU MONDE ? (IMAGINAIRE OU RÉELLE)

La plus belle bibliothèque au monde serait plutôt petite car je n’aime pas les lieux gigantesques, et on y trouverait absolument tous les livres qu’on cherche, donc ce serait plus ou moins une utopie !
Je crois, ceci dit, que la plus belle bibliothèque est celle qui réunit les livres qu’on a aimés ou qu’on envisage de relire …

Merci de m’avoir lue. Tous ceux qui me suivent peuvent reprendre ce tag livresque.

Note de lecture sur le recueil Saturne de Denis Hamel

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Notes sur Saturne de Denis Hamel

Saturne de Denis Hamel ressemble beaucoup à un collage, comme si un ensemble de divers poèmes avait été découpé et rabouté dans le désordre, ou plus exactement dans un ordre d’apparente incohérence.
Au sein d’une même strophe, on peut en effet trouver une formule toute faite telle qu’elle apparaîtrait dans un article de journal ou un ouvrage de philosophie, une description d’un lieu réel ou rêvé qui nous permet de visualiser l’environnement du poète, un constat sur son état psychologique, une notation sur ses lectures (« ma tête est dans le monde », et quelques vers plus loin, « mais le monde est dans ma tête »), une sensation musicale ou visuelle, ou encore une réflexion sur la société ou sur le sens de l’existence.
Cet effet de collage donne le sentiment d’avoir une connaissance totale du monde du poète au moment où il écrit : on a une vision à la fois de ses pensées, de ses sensations, de l’endroit où il écrit, de ce qu’il a sous les yeux, des souvenirs qui l’assaillent, etc. mais de manière éclatée et fragmentaire.
Cet effet de collage renforce aussi l’impression d’échos et de correspondances que les vers entretiennent les uns avec les autres, mais également les grincements et les dissonances, et on ne sera pas étonné d’apprendre que Denis Hamel a étudié la musique et qu’il a envisagé la création de Saturne comme une composition musicale.
Un autre effet de cette impression que nous avons affaire à un collage, c’est que Saturne semble pouvoir être lu dans n’importe quel sens – et pas forcément linéaire – dans la mesure où nous retrouvons les mêmes thèmes obsédants d’un bout à l’autre du recueil, revenant de manière cyclique avec des variations et des déclinaisons plus ou moins enrichies. Ainsi, « les mêmes saisons qui se redéploient sans cesse » (p.18) et « la torsion des jours tous identiques comme un chiffon gris celui qu’on jette » se retrouve pratiquement à l’identique page 44 : « peindre le gris sur le gris » et « aux détours mille fois suivis/ la répétition des jours ». De même, la « question de système nerveux central » de la page 29 semble se retrouver sans grand changement dans « cette déclivité nerveuse » de la page 49.
Ces thèmes obsédants, qui nous accompagnent de loin en loin tout au long de ce recueil, et forment comme un arrière-plan de questionnements, ce sont : la répétition monotone des jours, l’opposition et en même temps la ressemblance entre le corps et la machine, la métamorphose et la mutilation, l’opposition et l’interpénétration entre la cité et la nature, l’impression que tout est cyclique et peut-être sans issue, l’appel impuissant d’une spiritualité, le souvenir pas toujours agréable de l’enfance, le besoin de fuir une société oppressante par le vin et la drogue, la solitude, la promenade ou l’errance près d’une voie ferrée, et bien d’autres encore.

De temps en temps, au cours du recueil, le poète éprouve le besoin de se regarder écrivant, comme pour prendre du recul par rapport à l’acte d’écrire, ou bien pour rappeler au lecteur qu’il se trouve bien dans un poème et pas en dehors :
Ainsi page 24 :
« Il est tard maintenant pour la main qui écrit » (noter l’alexandrin au passage).
ou page 39
« les derniers mots raturés à la table/
seul avec les cris d’oiseaux mêlés /
au crissement de la plume »

Au fil de la lecture, certains vers s’imposent plus fortement, un peu comme des formules-chocs ou des slogans (un exemple parmi beaucoup d’autres : « la douleur voluptueuse le plaisir aigre » page 31) , et où le poète semble en même temps vouloir nous renseigner sur ses buts d’écriture, ainsi :
plus rien ne fera sens
la réalité crue ma seule religion ( page 19)
Où l’on peut d’ailleurs s’interroger sur une certaine ironie de l’auteur.

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Cette note de lecture fait suite à l’article que j’avais consacré à ce recueil au moment de sa parution : il était grand temps que j’en donne un commentaire !