Quelques nouvelles du Coronavirus

Rappelez-vous, le 5 mars 2020, le gouvernement français interdisait les rassemblements de plus de 5000 personnes. 5000, oui. A 4900 personnes il était donc évident que le virus ne passerait pas …
Quelques jours après, on interdisait les rassemblements de mille personnes, et les organisateurs de spectacles en tous genres méditaient sur des salles de 999 personnes où, bien sûr, le virus ne se propagerait pas.
Tout cela nous semble bien étrange et effrayant, quelques semaines plus tard, à la lumière de ce qui nous est arrivé depuis.

Début mars, ne nous parlait-on pas de « gripette », sans gravité, dont tout le monde se sortirait sans mal sauf quelques vieillards croulants du quatrième âge, pleins de comorbidités incurables ?
Quelques semaines plus tard, on s’aperçoit que le tableau est beaucoup plus sombre, que tous les âges sont touchés et même des personnes dans la force de l’âge et en pleine santé.

Quelles bêtises ne nous a-t-on pas racontées pour nous faire tenir tranquilles et nous leurrer totalement ?

Je vous invite à visiter un petit site, découvert par hasard, et qui récapitule justement les événements tels qu’ils se sont passés depuis l’apparition du virus en Chine, en décembre.
En espérant que ça vous donne à méditer et à prendre du recul sur cette terrible période que nous vivons :

Vous pouvez cliquer ici :

https://soliloquesfous.wordpress.com

 

Noces au Paradis de Mircea Eliade

Le mois de mars n’est pas encore fini et je reste donc avec les auteurs d’Europe de l’Est, grâce au défi de Patrice, Eva et Goran.

Je vous parlerai aujourd’hui de littérature roumaine, avec l’écrivain Mircea Eliade (1907-1986) connu principalement comme historien des religions, mythologue, philosophe mais également romancier, auteur entre autres de La Nuit Bengali.

Quatrième de Couverture :

Dans un refuge des Carpates, au cours d’une interminable nuit blanche, deux hommes se racontent l’amour de leur vie.
Peu à peu, on comprend que Lena, héroïne de la seconde histoire, et Ileana, héroïne de la première, ne sont qu’une seule et même personne. Mais ces  » noces au paradis  » ne sont pas de ce monde, elles ne pouvaient pas durer… Noces au paradis est, certes, un beau roman d’amour, un beau roman de l’amour. On ne peut oublier l’évocation très raffinée du personnage de l’héroïne montrée à trois étapes de sa vie de jeune femme, tout d’élégance, de finesse, d’intelligence, mis en valeur dans une manière que l’on peut qualifier de proustienne.
Mais cette évocation extraordinaire contraste très fortement avec l’atmosphère tourmentée, presque démente, où peu à peu s’enlise ce double amour  » parfait « , gâché sans gloire par l’égoïsme, par l’orgueil du mâle, par la goujaterie des deux héros, dont on ne peut s’empêche de penser qu’une force surnaturelle, une force diabolique, les pousse irrésistiblement vers leur  » chute « , faute de pouvoir reconnaître à temps le  » miracle  » qui leur est destiné.

Mon Avis :

J’ai bien aimé ce roman mais il m’a semblé à plusieurs reprises que l’auteur ne nous donnait pas toutes les clés nécessaires à sa compréhension pleine et entière. J’ai eu le sentiment bien des fois d’être face à des symboles, à des mystères, que l’auteur voulait instiller dans nos esprits le doute et une certaine confusion. Les personnages ont une grande profondeur psychologique, et sont dévoilés peu à peu dans toute leur complexité, mais les motifs de leurs actions nous échappent quelque peu.
On se dit par moments au cours de la lecture que toute cette histoire doit receler un sens profond dans l’esprit de l’auteur, que ces personnages doivent représenter certaines valeurs morales ou spirituelles mais, jusqu’au bout, je suis restée dans l’expectative, sans voir arriver aucune élucidation du mystère. Pourquoi Ilena-Lena se promène-t-elle parfois avec un homme, en cachette de son compagnon ? Cet homme est-il vraiment son cousin, comme elle le prétend, ou est-il un de ses amants, comme le soupçonne le narrateur ? Et que vient faire là cette bague d’émeraude à laquelle Ilena-Lena semble tenir énormément ? Et cette femme veut-elle vraiment un enfant ? Est-elle stérile comme on tendrait à le penser ? Mystères, mystères !
Malgré toutes ces incertitudes et ces interrogations sans réponses, ce livre est agréable à lire et ces histoires d’amour possèdent une certaine beauté, un souffle poétique.
J’ai aimé aussi le conflit entre la création artistique solitaire et la vie amoureuse qui absorbe complètement le narrateur.
Un roman que j’aurais sans doute encore mieux aimé s’il avait été plus explicite !

Extrait page 231

C’était le printemps. Je m’étais arrêté par hasard devant la vitrine d’un bureau de voyage. Je ne sais pourquoi j’étais littéralement fasciné par une grande réclame en couleurs : sur le versant d’une montagne couverte de neige un couple de skieurs, tête nue, glissait vertigineusement. Ce qui m’attirait dans ce dessin conventionnel, ce n’était nullement la tentation d’un voyage ou d’un séjour dans une station de sports d’hiver célèbre. La couleur violente, le dessin sommaire, les visages des jeunes, leur sourire éclatant de santé, tout semble-t-il était fait pour m’inciter à la réflexion.
Au bout d’un moment j’entendis derrière moi des voix de jeunes. Je me retournai avec une curiosité inhabituelle. Deux jeunes filles, accompagnées de deux jeunes gens, se préparaient bruyamment à traverser la Calea Victoriei. Je les regardai longuement, et à cet instant une mélancolie étrange m’envahit. (…)

Le Conservateur de Nadine Gordimer

Prix Nobel de Littérature en 1991, écrivaine militante engagée contre l’Apartheid et amie de Nelson Mandela, Nadine Gordimer (1923- 2014) est une des grandes figures de la littérature du 20ème siècle et de l’histoire sud-africaine, et j’étais très curieuse de découvrir son oeuvre.
C’est la raison pour laquelle j’ai lu Le Conservateur, publié initialement en 1974, qui est l’un de ses romans les plus connus et l’un de ceux dont l’autrice était la plus satisfaite.

J’ajoute que cette lecture participe au défi de Madame lit pour mars 2020 où il était question de lire un auteur nobelisé.

Disons-le tout de suite : je n’ai pas du tout aimé ce livre, qui a été pour moi une longue corvée, et dont j’étais pressée de voir la fin pour passer à autre chose.
Je me suis terriblement ennuyée, pour diverses raisons que je vais tenter de vous expliquer.

Remarquons déjà qu’il s’agit d’un roman sans intrigue : au tout début de l’histoire nous apprenons qu’un Noir est retrouvé mort dans un champ, sur la propriété de Monsieur Mehring (c’est lui le conservateur, un terme à comprendre dans le sens politique), mais ce crime initial ne donne lieu à aucune enquête, on enterre le cadavre sans cérémonie et on n’en parle quasiment plus durant trois-cents pages. Les autres rares événements qui jalonnent les chapitres, par exemple un incendie, ou encore des inondations, n’ont pas davantage de répercussions sur les uns ou les autres : on leur consacre quelques pages – d’ailleurs très belles, avec des descriptions très fortes – mais on n’en parle plus ensuite.
Je note aussi que les personnages sont un peu fades, peu caractérisés, et que j’ai eu beaucoup de mal à m’intéresser à leur existence. Le seul personnage vraiment omniprésent dans ce roman, c’est le propriétaire Blanc, le fermier qui profite du régime de l’apartheid pour s’enrichir : Mehring. Pour autant, s’il profite du système, il n’est pas présenté comme raciste ou méchant ou stupide. C’est un type banal, plutôt sympathique avec ses employés Noirs, qui n’hésite pas à prendre pour maîtresse une militante anti-apartheid, et qui voit son fils s’éloigner de lui sans que ça semble tellement le bouleverser. Les personnages Noirs ne sont pas très creusés, on ne connaît pas leurs sentiments ou leurs avis à propos de l’apartheid ou de leur vie quotidienne, car ils sont regardés du point de vue des Blancs. On voit juste qu’ils essayent de se débrouiller et de survivre comme ils peuvent, mettant à profit les absences du Propriétaire Blanc pour s’accorder plus de libertés, mais tout de même consciencieux et respectueux vis-à-vis de leur maître.
J’ai tout de même voulu lire ce roman jusqu’au bout car je pensais que les derniers chapitres m’éclaireraient sur la signification profonde de toute cette histoire. Et, effectivement, il se passe beaucoup de choses décisives dans les deux derniers chapitres. Malheureusement, il y a aussi beaucoup de confusion : l’auteur s’amuse à embrouiller les pronoms personnels, de sorte qu’on ne sait plus très bien de qui elle parle. J’ai tout de même compris le message de Nadine Gordimer sur le fait que les Noirs meurent sur la terre de leurs ancêtres, dans une longue appartenance héréditaire, alors que les Blancs enterrés en Afrique du Sud tomberont dans l’oubli, sans les honneurs de leur descendance.

J’aurais en fait souhaité un roman plus axé sur la lutte des Noirs pour leurs droits et, là, j’ai été déçue par la place très restreinte qui leur est accordée, par le regard porté sur eux;

Un livre que je ne conseille pas, malgré une très belle écriture et de magnifiques descriptions, mais le reste ne suit pas.

Voici un extrait page 327 :

La nuit, les cris des grenouilles étaient les ronflements du sommeil hébété de la terre noyée. Les pâturages et les champs étaient des marécages ; sous un chaud soleil, la surface inondée, plus étendue que ne l’avait été la surface incendiée, se réduisait chaque jour, laissant derrière elle une lisière tachée et détrempée. Sur le terrain le plus élevé les sabots du bétail parqué pataugeaient pas à pas, chaque empreinte effaçant ou détruisant les rebords renflés de l’autre, pétrissant un mélange gras de boue noire et de bouse qui exsudait un lait caillé brunâtre. Le tas de cendres qu’avaient édifié des années de feux de camp avait été emporté par l’eau et recouvrait d’une pâte grise toute la superficie de la cour du compound. Les volailles avaient des airs de plumeaux mouillés. La rangée en équerre de cabanes en parpaing se reflétait dans des mares et, lorsqu’on en frappait les murs, remplis d’humidité, ceux-ci ne rendaient aucun son. (…)

Le Conservateur de Nadine Gordimer, est disponible chez Grasset (Les Cahiers rouges) dans une traduction d’Antoinette Roubichou-Stretz et publié en 2009.

Le Piège Walt Disney de Zoran Feric

J’ai lu ce livre croate de l’auteur Zoran Feric (né en 1961) dans le cadre du mois de l’Europe de l’Est de Patrice, Eva et Goran, un défi auquel vous aurez remarqué que je participe fidèlement chaque année.

Le Piège Walt Disney est paru en 2019 aux éditions de L’Eclisse, sous une jolie couverture et un format agréable à manier.

Il n’est, en général, pas très facile de rendre compte d’un recueil de nouvelles à cause de la diversité des histoires et des thèmes abordés, mais dans celui-ci il faut noter une grande unité de ton, un style très personnel, un regard très acéré de l’auteur sur le monde qui l’entoure.
L’humour grinçant, très noir, frôle parfois le mauvais goût mais reste suffisamment distancié pour ne pas y tomber. Comme dans cette nouvelle La Femme dans le miroir où une bague malencontreusement glissée dans un pâté donne lieu à toutes sortes d’interprétations plus ou moins effrayantes.
Nous sommes souvent déstabilisés par ces nouvelles, étonnés, bousculés, partagés entre l’amusement, l’incrédulité, et l’impression que l’auteur risque d’aller trop loin, toujours sur le fil du rasoir. Comme dans cette nouvelle Les Faux-Monnayeurs, où un camp de concentration nazi se transforme peu à peu, par d’insensibles glissements, en société capitaliste actuelle. Un parallèle pour le moins osé et transgressif – critique acerbe de notre Europe néo-libérale et mondialisée. Ou dans cette autre nouvelle Alexis Zorba, presque aussi cruelle, où un musicien de rue, clochard solitaire, devient une star de la télé-réalité au cours de scènes burlesques et presque oniriques (ou cauchemardesques !).
Pas question de raffinements psychologiques ou de problèmes métaphysiques dans ces nouvelles, nous sommes plutôt dans l’action et dans un prosaïsme assez brutal, mais qui se lit sans déplaisir.
J’ai plutôt aimé cette charge de nos sociétés contemporaines, qui ose prendre le risque d’aller trop loin, et je trouve que cet état d’esprit caustique fait du bien.

Premier livre croate que je lis, et une tentative fort intéressante !

Extrait page 173

A Amsterdam, Paris ou Rome, on donne la pièce aux musiciens de rue pour qu’ils vous régalent de mélodies inattendues. A Athènes, on leur donne pour qu’ils se taisent. C’est une ville qui, en sus de l’Acropole et des gyros, est connue pour le commerce du silence.
L’un des vendeurs les plus connus de cette rare matière première est le grec Zorba. On l’appelle ainsi car il officie dans les voitures du métro d’Athènes, en général tôt le matin, tenant sur l’épaule un radiocassette dont s’échappe un sirtaki au volume sonore insupportable. Par bonheur, la musique ne dure jamais plus d’une minute en principe avant que Zorba n’éteigne son radiocassette. Ensuite, comme s’il faisait un sermon, il explique aux voyageurs d’une voix calme qu’il voyagera avec eux en musique jusqu’au Pirée, à moins qu’ils ne consentent à lui céder quelques pièces. (…)

Deux poèmes sur le confinement

photo d’un magnolia

Voici deux poèmes de circonstances que j’ai écrits entre hier et aujourd’hui.
L’obligation de rester chez moi a orienté mon écriture dans des directions un peu inhabituelles.
J’espère que ces textes trouveront quelque écho auprès de certains lecteurs puisque, après tout, nous en sommes tous au même point.

**

Le monde s’est calfeutré, reclus en ses pénates, et le silence des rues résonne entre nos incertitudes. A l’extérieur, les arbres courbaturés et livrés à eux-mêmes attendent notre retour avec toute leur ancestrale patience – leur pachydermique sagesse. A l’intérieur, nous guettons les premiers indices des quintes fatales et retenons nos souffles jusqu’aux fièvres estivales qui nous délivreront du mal.
Du moins n’aurons-nous pas l’esprit trop confiné : musiques et livres propageront nos libertés jusqu’aux confins des mondes invisibles.

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Le printemps radieux passe à travers les mailles de nos renoncements. Par la fenêtre se déroulent nos espoirs sans personne ; par la fenêtre se promènent nos avenirs incertains. Aurons-nous une dérogation pour nous aimer, toi et moi, dans la nullité de cette ville perdue ? Le cul vissé à nos fauteuils, ce sont nos cœurs à l’amende qui errent et déambulent dans le sur-place d’une angoisse banale.
L’obscurité ne remédie plus à rien : la nuit passe à travers les mailles ô combien lâches de nos cauchemars.

Marie-Anne BRUCH

Textes et Photo sont soumis au droit d’auteur, merci de le respecter.

Le dernier loup de Laszlo Krasznahorkai

Vous n’ignorez pas qu’en ce mois de mars, la littérature d’Europe de l’Est est à l’honneur, avec le défi de Patrice, Eva et Goran.
Je vous présente donc aujourd’hui un livre de l’écrivain hongrois Laszlo Krasznahorkai, dont j’avais déjà parlé il y a quelques années dans une chronique sur son fameux roman Guerre et Guerre, qui m’avait beaucoup plu.

Le dernier loup est une novella de 70 pages environ qui ne se compose que d’une unique phrase. Dialogues, descriptions, et réflexions s’enchaînent donc dans un même flot ininterrompu qui nous emporte d’une manière un peu chaotique et décousue mais surtout très dynamique, et ne nous laisse pas le temps de souffler.
Je dirais donc pour décrire ce livre qu’il s’agit d’abord d’un rythme haletant, d’une course vers l’avant, où on se sent conduit du coq à l’âne et de l’âne vers le dernier loup qui, d’ailleurs, n’est peut-être pas vraiment le dernier.
Dans ce livre, le héros est un ancien professeur de philosophie qui est un peu revenu de tout et se contente de trainer sa vie de bars en bars et qui raconte à un barman berlinois le voyage surprenant qu’il a été amené à faire dans une région reculée d’Espagne, l’Estrémadure, où il a été invité par une mystérieuse fondation pour des raisons qui lui échappent complètement.
Arrivé en Estrémadure, on met à sa disposition une interprète, un chauffeur, une voiture, et tous les avantages dont on croit devoir le gratifier en tant que célèbre et grand philosophe, ce qui ne laisse pas de l’inquiéter et de le tracasser.
Dans l’incertitude de ce qu’on attend de lui et de ses capacités à y répondre, il s’intéresse bientôt au dernier loup de cette région, tué plusieurs années plus tôt, et dont la disparition semble fort mystérieuse.

Mon avis :

Laszlo Krasznahorkai réussit à happer son lecteur en le menant de surprises en surprises et d’interrogations en fausses pistes. On croit parfois comprendre un symbole, une signification philosophique ou métaphysique, mais l’auteur prend plaisir à nous égarer et à nous balloter sans fin, comme pour mieux nous étourdir. Y a-t-il un sens profond à cette lecture ou tout cela n’est-il qu’un jeu verbal un peu gratuit, teinté d’écologie et de défense animale ? Je ne sais pas mais en tout cas on ressent beaucoup de plaisir et de curiosité tout au long de ces pages.
Le tour de force stylistique qui consiste à faire tenir tout un roman et de multiples scènes simultanées dans une seule phrase est aussi très impressionnant, très artistement réalisé, mais, là encore, je me suis demandé si ce n’était pas un peu gratuitement spectaculaire …
Il m’a semblé que Guerre et Guerre du même auteur était tout de même supérieur à celui-ci.
Malgré tout, ce livre se lit agréablement, suscitant de nombreuses questions sans réponses, ce qui laissera certains lecteurs perplexes, et plaira aux autres.

Extrait page 36

(…) voyez-vous, tout cela, cette Estrémadure se trouve en dehors du monde, Estrémadure se dit en espagnol Extramadura, et Extra signifie à l’extérieur, en dehors, vous comprenez ? et c’est pourquoi tout y est si merveilleux, aussi bien la nature que les gens, mais personne n’a conscience du danger que représente la proximité du monde, ils vivent sous la menace d’un terrible danger en Estrémadure, vous savez, ils n’ont pas la moindre idée de ce qui les guette s’ils laissent faire les choses, de ce à quoi ils s’exposent s’ils laissent les autoroutes et les magasins envahir leurs terres(…)

Le dernier loup, publié en 2009 en Hongrie, est paru chez Cambourakis en 2019, dans une traduction française de Joëlle Dufeuilly.

La Musique d’Une Vie, d’Andreï Makine

J’ai voulu lire ce roman d’Andreï Makine pour le défi de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran, et puis je me suis rendu compte que cet auteur est français depuis bien longtemps (1996), lui qui a reçu le Prix Goncourt en 1995 et qui a été élu à l’Académie Française en 2016.
D’un autre côté, cette histoire a pour cadre l’Union Soviétique de Staline et porte sur l’histoire et le peuple russes un regard très familier et solidaire, fraternel.
Je laisse donc à Eva, Patrice et Goran le soin de décider si La Musique d’une Vie peut participer au défi …

Voici la Quatrième de couverture :

Au cœur de la tempête, dans l’immensité blanche de l’Oural, des voyageurs transis attendent un train qui ne vient pas. Alors que s’étire cette nuit sans fin, un vieux pianiste remonte le fil de son histoire, des prémisses d’une grande carrière au traumatisme de la guerre.
Guidés par une musique intérieure, les souvenirs d’Alexeï nous révèlent la force indomptable de l’esprit russe.

Le début de l’Histoire :

Dans une gare, la nuit, le narrateur rencontre un homme déjà assez âgé, un pianiste, qui lui raconte son histoire. Dans sa jeunesse, pendant les années 30, il était promis à un brillant avenir de concertiste mais la répression stalinienne a fait dévier son destin d’une manière bien différente. Il a dû se cacher pour échapper à une arrestation. Puis, au moment de la guerre, il a usurpé l’identité d’un soldat mort et a endossé ce destin militaire avec courage. Il était contraint d’oublier son passé, la musique, sa famille – autant d’éléments qui auraient pu trahir sa vraie identité et l’envoyer pour longtemps au goulag. Il s’est habitué aux horreurs de la guerre, a appris à ne pas trop s’attacher aux êtres et aux choses. (…)

Mon Avis :

C’est un livre très dur, réaliste, mais que l’écriture ciselée et poétique rend malgré tout très agréable. Dans ce roman, les paysages sont hostiles, le pouvoir politique est implacable, et les êtres humains sont marqués par l’égoïsme et la froideur. Le personnage principal du vieux pianiste a renoncé à être lui-même pour survivre, s’est renié lui-même en tournant le dos à son talent, et on ne peut s’empêcher de penser que sa vie est absurde, en tout point opposée à celle qu’il devrait mener normalement. C’est bien sûr le Cours de l’Histoire – la terreur stalinienne, puis la deuxième guerre mondiale – qui a broyé cet homme, sa carrière et sa vie affective. Mais cette histoire tragique nous est contée sans aucun pathos, et même avec une douceur d’autant plus poignante.
Un beau et grand roman, que je conseille chaudement !

***

Extrait page 48 :

Alexeï quittait l’allée principale pour prendre un raccourci quand soudain se détacha d’une rangée d’arbres une silhouette qu’il reconnut tout de suite : leur voisin, un retraité qu’on voyait souvent assis dans la cour, penché sur un échiquier. A présent, il avançait d’un pas pressé et bizarrement mécanique, venait droit à sa rencontre et, pourtant, semblait ne pas le remarquer. Alexeï s’apprêtait déjà à le saluer, à lui serrer la main, mais l’homme sans le regarder, passa outre. C’est au tout dernier instant de cette rencontre manquée que les lèvres du vieillard bougèrent légèrement. Tout bas, mais très distinctement, il souffla : « Ne rentrez pas chez vous. » Et il marcha plus vite, tourna dans une étroite allée transversale. (…)

Deux poèmes d’amour d’Elizabeth Browning

En ce 8 mars, je souhaitais mettre à l’honneur une femme-poète célèbre.

J’ai trouvé ces deux poèmes dans le recueil Quelqu’un plus tard se souviendra de nous, publié chez Poésie-Gallimard en 2010. Ce recueil est une anthologie de quinze poètes-femmes de l’Antiquité à nos jours, c’est-à-dire de Sapphô à Kiki Dimoula, en passant par Louise Labé, Emily Brontë, Marina Tsvetaieva, etc.
Elizabeth Browning est une poète anglaise née en 1806, morte en 1861.
Ces deux poèmes sont extraits des « Sonnets portugais » (1850).

***

Si pour toi je quitte tout, en échange
Seras-tu tout pour moi ? N’aurais-je point
Regret du baiser que chacun reçoit
A son tour, et ne trouverais-je étrange,
Levant la tête, de voir de nouveaux murs ?
Comment … Une autre maison que celle-ci ?
Combleras-tu cette place auprès de moi
Pleine de trop tendres yeux pour changer ?
C’est le plus dur. Si vaincre l’amour est
Eprouvant, vaincre la peine plus afflige ;
Car la peine est amour et peine aussi.
Las, j’ai souffert et suis rude à aimer.
Mais aime-moi – Veux-tu ? Ouvre ton cœur,
Et drape en lui les ailes de ta colombe.

***

Comment je t’aime ? Laisse-m’en compter les formes.
Je t’aime du fond, de l’ampleur, de la cime
De mon âme, quand elle aspire invisible
Aux fins de l’Etre et de la Grâce parfaite.
Je t’aime au doux niveau quotidien du
Besoin, sous le soleil et la chandelle.
Je t’aime librement, comme on tend au Droit ;
Je t’aime purement, comme on fuit l’Eloge.
Je t’aime avec la passion dont j’usais
Dans la peine, et de ma confiance d’enfant.
Je t’aime d’un amour qui semblait perdu
Avec les miens – je t’aime de mon souffle
Rires, larmes, de ma vie ! – et, si Dieu choisit,
Je t’aimerai plus encore dans la mort.

***

Le Cap des Tempêtes de Nina Berberova

J’ai lu ce roman de Nina Berberova dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran de mars 2020.

L’histoire tient en peu de mots car ce sont surtout les réflexions des personnages qui importent ici : méditations sur le bonheur, sur le bien et le mal, liberté et questions métaphysiques.
Le Cap des Tempêtes met en scène trois sœurs, nées de trois mères différentes, et qui sont toutes trois des exilées russes, vivant ensemble avec leur père et sa dernière épouse, dans un petit appartement parisien dans les années 1920. Chacune a son caractère bien tranché : Dacha est une nature harmonieuse, faite pour le belles actions, Sonia est au contraire une nature pessimiste, dotée d’une philosophie douloureuse de la vie, et la plus jeune sœur, Zaï (diminutif d’Elisabeth) qui semble être le double de Nina Berberova, est une jeune fille imaginative, très vivante, au tempérament artiste, pas toujours très sérieuse dans ses choix.
Nous suivons leurs destins entrecroisés, leurs rencontres heureuses ou malheureuses, leurs quêtes de vérité et d’identité.

Mon Avis :

J’ai adoré ce roman, d’une grande profondeur, où la psychologie des personnages est extrêmement fouillée et ne tombe jamais dans le manichéisme, bien que le sujet s’y prête. En effet, Dacha et Sonia ne peuvent pas se résumer seulement à des identités opposées, la première lumineuse et la seconde ténébreuse, les desseins des deux jeunes filles sont bien plus complexes et chacune est traversée par le doute, le chagrin et un sentiment d’échec. Le personnage de Zaï est aussi intéressant car elle est l’élément le plus mobile de l’histoire, celle qui déploie le plus d’activités vers l’extérieur, la plus imprévisible, et elle rajoute un grand dynamisme dans cette histoire, comme un contrepoint au caractère statique de certaines pages plus réflexives et philosophiques. C’est donc un roman tout à fait captivant, sans longueur.
L’écriture de Nina Berberova est très belle, parfois imagée et poétique, utilisant un langage simple pour des sentiments fort complexes.
J’ajoute que j’avais lu L’accompagnatrice de la même Nina Berberova quelques jours avant Le Cap des Tempêtes, et j’ai largement préféré celui-ci, doté d’une ampleur et d’un souffle bien plus grands.
Un chef d’oeuvre – selon moi !

Un baiser s’il vous plait, d’Emmanuel Mouret

Voici un film français d’Emmanuel Mouret, qui date de 2007, et que j’ai vu pour la première fois en DVD il y a quelques jours.

Synopsis du début :

En déplacement pour un soir à Nantes, Emilie (Julie Gayet) rencontre Gabriel (Mickael Cohen). Séduits l’un par l’autre, mais ayant déjà chacun une vie, ils savent qu’ils ne se reverront sans doute jamais.
Il aimerait l’embrasser. Elle aussi, mais une histoire l’en empêche : celle d’une femme mariée (Judith, Virginie Le Doyen) et de son meilleur ami (Nicolas, Emmanuel Mouret) surpris par les effets d’un baiser.
Un baiser qui aurait dû être sans conséquences…

(Source du Synopsis : Allociné)

Mon humble avis :

C’est un film qui me semble rejoindre une certaine tradition du cinéma français, dans la lignée par exemple de Rohmer, avec des chassés-croisés amoureux soutenus par des dialogues très littéraires, qui cherchent à nous amuser et surtout à nous faire réfléchir – et qui, du reste, y parviennent.
La sensualité est présente de bout en bout, mais elle reste très intellectuelle et il faut parler durant de longues heures avant de se mettre d’accord sur les modalités précises de l’échange d’un simple baiser.
Le but du film est d’ailleurs de nous expliquer qu’un baiser n’est absolument pas simple, qu’il ne peut être donné à la légère, qu’il est infiniment dangereux et inflammable, comme les produits chimiques que Judith (Virginie Ledoyen) ne cesse de manipuler dans son laboratoire.
Le désir est dangereux parce qu’il peut susciter l’amour et que l’amour adultère risque de faire du mal aux amours légitimes. Tout cela est finalement très moral mais le ton décalé et ironique de la mise en scène donne une atmosphère légère et très « second degré ».
Au fur et à mesure qu’on avance dans le film, et avec l’apparition du personnage de Claudio ( le mari de Judith, Stefano Accorsi) le film gagne en épaisseur et devient vraiment très touchant, avec le face-à-face entre ce personnage et Frédérique Bel que j’ai trouvée également excellente.
Un film que j’ai trouvé charmant et délicat, mais qui déplaira aux adeptes de cinéma plus « musclé » ou aux contempteurs des marivaudages sensuels.