Des Poèmes d’Emily Dickinson

Couverture chez Flammarion

Dans le cadre de mon Mois Thématique sur les Etats-Unis, la poésie et la littérature américaines, je vous propose la lecture de quelques poèmes d’Emily Dickinson, choisis parmi ses Œuvres Complètes, publiées en 2020 chez Flammarion, et qui fait presque 1500 pages.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Flammarion
Edition Bilingue
Traduit de l’anglais par Françoise Delphy
Nombre de pages : 1467

Note de l’Editeur sur le Livre

Emily Dickinson (1830-1886) n’est pas seulement l’un des plus grands poètes américains : c’est aussi un personnage mythique. Toujours vêtue de blanc, cette femme mystérieuse, à l’âge de trente ans, se mura à jamais dans la demeure familiale d’Amherst, son village natal, en Nouvelle-Angleterre, et passa le reste de sa vie à contempler le monde depuis sa fenêtre. Lorsqu’un ami lui rendait visite, il lui arrivait même de refuser de sortir de sa chambre pour l’honorer de sa présence. Celle que ses proches surnommaient la «poétesse à demi fêlée» ou la «reine recluse» n’avait qu’une obsession : écrire – elle a laissé des milliers de lettres et de poèmes. Ironie de l’histoire : sur les deux mille poèmes ou presque que nous lui connaissons, six seulement furent publiés de son vivant. Les autres ne furent découverts qu’à sa mort.
L’œuvre poétique complète d’Emily Dickinson était jusqu’à présent inédite en France : cette traduction par Françoise Delphy, fondée sur l’édition définitive des poèmes de Dickinson publiée aux États-Unis en 1999, entend donner à découvrir au public français, en version intégrale et bilingue, la poésie de cet écrivain hors du commun.
(Source : Site de Flammarion)

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Page 437

« Pourquoi c’est Vous que j’aime », Monsieur ? 
Parce que –
Le Vent n’exige pas de l’Herbe 
Qu’ elle explique – Pourquoi quand Il passe 
Elle ne tient pas en Place. 

Car Il sait – et
Pas Vous –
Et pas Nous –
Il Nous suffit 
Que la Sagesse soit telle –

L’Éclair n’a jamais demandé à un Œil 
Pourquoi il se fermait – à Son passage –
Car Il sait qu’il ne parle pas –
Et que parmi les raisons que les Mots – n’expriment pas –
Il en est – que les Gens plus Délicats préfèrent –
Le Lever du soleil – Monsieur – Me contraint –
Parce qu’Il est le Lever du soleil – c’est pourquoi –
Je vois – Moi –
Que je T’aime –

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Page 525

Poème N°560

Si Nos Meilleurs Moments duraient –
Ils supplanteraient le Ciel –
Que peu se procurent – et non sans Risque –
C’est pourquoi – ils ne sont pas donnés –

Si ce n’est pour nous stimuler – en
Cas de Désespoir –
Ou de Stupeur – Ces moments –
Célestes servent de Réserve –

Un Don du Divin –
On est Sûr quand il Vient –
Qu’il partira – et laissera l’Âme éblouie
Dans ses Chambres désertées –

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Page 563

Poème n°603

Flamme – Rouge – c’est le Matin –
Violette – c’est le Midi –
Jaune – le Jour – tombe –
Après cela – plus Rien –

Sauf des kilomètres d’Étincelles – le Soir –
Révélant la Surface qui a brûlé –
Le Territoire Argenté – qui n’est pas encore – consumé –

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Page 507

Poème n°540

Si ce que nous pouvons – était ce que nous voulons –
Le Critère – est étroit –
Le Comble de la Parole –
C’est l’Impuissance à Dire –

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La Plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr

Couverture chez Philippe Rey

Il est assez rare que je lise les récents Prix Goncourt mais « La plus secrète mémoire des hommes » raconte un parcours d’écrivain et se déroule dans le milieu littéraire, autour des livres, et il trouve donc naturellement place dans mon Printemps des Artistes de cette année.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Philippe Rey
Date de publication : 2021
Prix Goncourt en 2021
Nombre de pages : 457

Quatrième de Couverture

En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le Labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, où il affronte les grandes tragédies que sont le colonialisme et la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ?
Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…
D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.

Mon Avis

C’est un roman qui possède une énergie et un souffle qui me paraissent assez rares dans la littérature contemporaine. Un lyrisme, un emportement poétique qui m’ont parfois étonnée car, là encore, on n’est plus vraiment habitué à ce type d’écriture dans notre très sobre, très strict et très pondéré 21ème siècle – et franchement, je trouve que ça fait du bien de renouer avec un style ample, un propos ambitieux, un vocabulaire riche, des considérations élevées, des phrases parfois tumultueuses, des personnages pleins de désirs et d’envergure psychologique !
Mais, en même temps, on se dit que ce style néo-rimbaldien est une sorte de jeu : l’auteur nous propose des pastiches qu’il ne faut pas forcément prendre au premier degré. Et nous nous demandons jusqu’à quel point Mohamed Mbougar Sarr peut s’identifier à son personnage de jeune romancier, Diégane Faye, qui lui-même pourrait facilement s’identifier à l’écrivain fascinant et mystérieux qu’il a pris comme modèle, TC Elimane, qui lui-même fut surnommé à son époque « Le Rimbaud nègre », ce qui, dans cette mise en abyme, nous conduit de nouveau à une réalité historique (Rimbaud a vraiment existé et vécut en Afrique, ayant déjà arrêté d’écrire) après être passé par de multiples personnages d’écrivains fictifs (ou semi-fictifs). Et, dans ce sens, on ne sait pas dans quelle mesure Mohamed Mbougar Sarr fait son propre autoportrait, ou le portrait auquel il ne veut surtout pas ressembler, lorsqu’il écrit à propos de T.C. Elimane : « toute la tristesse de l’aliénation », « il a donné tous les gages culturels de la blanchéité ; on ne l’en a que mieux renvoyé à sa nègreur » (page 422) et c’est aussi une façon pour l’écrivain de titiller le lecteur, de provoquer son trouble en le renvoyant aussi à son propre esprit critique – sans doute biaisé par des considérations extra-littéraires, par exemple la couleur de peau de l’auteur, qui l’influence dans un sens ou dans l’autre.
Un bémol que je pourrais apporter à cette chronique, c’est le côté très (trop) foisonnant de ce livre, et sa construction en forme de patchwork, à cause de laquelle on se perd parfois un petit peu et on peut avoir de temps en temps une impression de « fouillis », où trop de thèmes différents sont abordés et où on peine à se frayer un chemin univoque – même si l’auteur joue ici sur le titre du livre de T.C. Elimane, en nous proposant ce parcours labyrinthique (mais nullement inhumain).
Un roman qui m’a frappée par la virtuosité de son style et la beauté poétique de certaines pages, qui sont de véritables morceaux d’anthologie.
Bref, une œuvre qui me parait importante pour la littérature.

Un Extrait page 54

La littérature m’apparut sous les traits d’une femme à la beauté terrifiante. Je lui dis dans un bégaiement que je la cherchais. Elle rit avec cruauté et dit qu’elle n’appartenait à personne. Je me mis à genoux et la suppliai : Passe une nuit avec moi, une seule misérable nuit. Elle disparut sans un mot. Je me lançai à sa poursuite, empli de détermination et de morgue : Je t’attraperai, je t’assiérai sur mes genoux, je t’obligerai à me regarder dans les yeux, je serai écrivain ! Mais vient toujours ce terrible moment, sur le chemin, en pleine nuit, où une voix résonne et vous frappe comme la foudre ; et elle vous révèle, ou vous rappelle, que la volonté ne suffit pas, que le talent ne suffit pas, que l’ambition ne suffit pas, qu’avoir une belle plume ne suffit pas, qu’avoir beaucoup lu ne suffit pas, qu’être célèbre ne suffit pas, que posséder une vaste culture ne suffit pas, qu’être sage ne suffit pas, que l’engagement ne suffit pas, que la patience ne suffit pas, que s’enivrer de vie pure ne suffit pas, que s’écarter de la vie ne suffit pas, que croire en ses rêves ne suffit pas, que désosser le réel ne suffit pas, que l’intelligence ne suffit pas, qu’émouvoir ne suffit pas, que la stratégie ne suffit pas, que la communication ne suffit pas, que même avoir des choses à dire ne suffit pas, non plus que ne suffit le travail acharné ; et la voix dit encore que tout cela peut être, et est souvent une condition, un avantage, un attribut, une force, certes, mais la voix ajoute aussitôt qu’essentiellement aucune de ces qualités ne suffit jamais lorsqu’il est question de littérature, puisque écrire exige toujours autre chose, autre chose, autre chose. (…)

Un Extrait page 69

L’exilé est obsédé par la séparation géographique, l’éloignement dans l’espace. C’est pourtant le temps qui fonde l’essentiel de sa solitude ; et il accuse les kilomètres alors que ce sont les jours qui le tuent. J’aurais pu supporter d’être à des milliards de bornes du visage parental si j’avais eu la certitude que le temps glisserait sur lui sans lui nuire. Mais c’est impossible ; il faut que les rides se creusent, que la vue baisse, que la mémoire flanche, que des maladies menacent.
Comment raccorder nos vies ? Par l’écriture ? Récit, écrit : j’invoque la gémellité, l’anagramme absolue de ces vocables où s’incarne la puissance présumée de la parole. Sauront-ils réduire notre éloignement intérieur ? Pour l’heure, la distance se creuse, indifférente au verbe et à ses sortilèges.
A certains qui sont partis, il faut souhaiter qu’ils ne rentrent jamais, bien que ce soit leur plus profond désir : ils en mourraient de chagrin. Mes parents me manquaient mais je craignais de les appeler ; le temps passait ; et, autant j’étais triste de ne pas les entendre me raconter ce qui arrivait dans leur vie, autant m’effrayait l’idée qu’ils me le disent, car je savais au fond ce qui arrivait vraiment dans leur vie. C’était ce qui arrivait dans toute vie : ils se rapprochaient de la mort. (…)

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Le Motif dans le Tapis d’Henry James

Couverture chez Folio

Une amie m’a dit le plus grand bien de cette nouvelle d’Henry James et, comme il y est question d’un écrivain et de son œuvre vue par les critiques littéraires de son temps, j’ai décidé de vous la présenter pour « Le Printemps des Artistes« .

Note Pratique sur le Livre

Genre : Nouvelle
Editeur : Folio (2 euros)
Date de Publication originale : 1896
Traduit de l’américain par Pierre Fontaney
Nombre de pages : 95

Biographie d’Henry James

Né en 1843 à New-York et mort en 1916 à Chelsea, H. James est un écrivain américain naturalisé anglais en juillet 1915, six mois avant sa mort. Ses premières publications datent de 1864. Dès 1871, son talent d’écrivain est reconnu. Homme de lettres prolifique, il est l’auteur d’une vingtaine de romans, d’une centaine de nouvelles, de textes critiques, d’œuvres dramatiques, d’une autobiographie ainsi que d’un journal. Il voyage énormément tout au long de sa vie, vivant tour à tour à Paris, Rome ou Londres et rencontrant écrivains et artistes de son temps. (Sources : éditeur et Wikipédia)

Quatrième de Couverture

Un soir, l’écrivain Hugh Vereker fait une révélation à un critique littéraire. Son œuvre tout entière serait traversée et guidée par une «chose particulière» qui, bien qu’elle y soit «contenue aussi concrètement qu’un oiseau dans une cage», n’aurait jamais été aperçue. C’est pourtant elle, explique-t-il, qui «commande chaque ligne», «choisit chaque mot», «met le point sur chaque i», «place chaque virgule»! Le jeune critique ne cessera dès lors de chercher, désespérément, cet énigmatique oiseau, ce motif caché…

Une fascinante méditation sur la lecture par l’auteur du Tour d’écrou.

Mon Avis

Henry James semble vouloir dresser un portrait bien peu flatteur des critiques littéraires : ils sont vaniteux, prétentieux, jaloux les uns des autres, calculateurs, et ils ne ressentent d’intérêt pour les œuvres littéraires que dans la mesure où elles leur permettent de se mettre eux-mêmes en valeur et de faire briller aux yeux de tous l’étendue de leur intelligence et l’acuité de leur perspicacité. Mais cette perspicacité est un leurre, un grossier mensonge : en réalité le critique littéraire ne comprend strictement rien aux œuvres qu’il examine, et ce sont les écrivains qui sont les mieux placés pour savoir ce qu’il y a à comprendre dans leurs livres et l’intention avec laquelle ils les ont écrits, donc également les mieux placés pour prendre ces critiques littéraires en défaut et les ridiculiser comme il se doit.
J’ai trouvé intéressant qu’Henry James nous propose une conception de l’œuvre d’un écrivain comme une énigme à décrypter, un secret à dévoiler. Il semble penser que chaque écrivain possède une sorte de principe fondateur, une idée unique sur laquelle est bâtie toute l’œuvre, depuis ses débuts jusqu’à son dernier souffle. Cela m’a donné à imaginer qu’Henry James parlait également pour lui-même et que cette nouvelle-ci constituait une sorte de défi aux critiques et aux lecteurs que nous sommes : le défi de retrouver dans son œuvre « la petite idée » qui en forme l’arrière-plan et la ligne directrice. En même temps, il nous prévient avec un certain humour que nous avons très peu de chances – pour ainsi dire aucune chance – de percer à jour le mystère et de comprendre ce qu’il y avait à comprendre, ou du moins : ce que l’auteur espérait y mettre.
Peut-être faut-il entendre à travers ce texte que la littérature est un continuel malentendu entre les écrivains et les lecteurs, où les uns essayent en vain de se faire comprendre, tandis que les autres sont absolument aveugles à toute lumière et ne s’en rendent même pas compte.
Et je me demande naturellement, en rédigeant cette chronique, si je suis à côté de la plaque et si Henry James s’est joué de moi, à sa façon.
Une nouvelle très passionnante, à l’écriture sophistiquée et aux tournures de phrases souvent complexes – à la façon du 19ème siècle -, qui m’a permis de découvrir cet écrivain et qui m’a donné envie de relire, un jour prochain, une autre de ses œuvres.

Un Extrait page 26-27

J’écoutai avec un immense intérêt – intérêt qui alla grandissant au fur et à mesure qu’il parlait. « Vous, un échec ?… Grands dieux Mais quelle peut bien être votre « petite idée » ?
– Faut-il vraiment que je vous l’expose, après toutes ces années et tout ce labeur ? »
Il y avait dans cet amical reproche, plaisamment exagéré, quelque chose qui me fit – jeune et féru de vérité que j’étais – rougir jusqu’aux oreilles. Je suis resté dans la même ignorance qu’alors, quoique, le temps passant, je me sois en un sens accoutumé à ma propre cécité ; sur le coup, toutefois, le ton réjoui de Vereker me fit paraître à moi-même – et sans doute l’étais-je également à ses yeux – comme un âne de la plus belle espèce. J’étais sur le point de m’exclamer : « Ah non ! Ne me dites rien ! Pour mon honneur, pour celui de la profession, ne me dites rien ! », lorsqu’il poursuivit d’une manière qui montrait qu’il avait lu ma pensée et avait son point de vue ben arrêté sur nos chances, à nous les jeunes qui montions, de nous racheter un jour. « Par ma petite idée, j’entends… comment vous dire ?… la chose particulière en vue de laquelle j’ai principalement écrit mes livres. N’y a-t-il pas pour chaque écrivain une chose particulière de cette sorte, la chose qui l’incite à la plus grande concentration, la chose sans laquelle, s’il ne faisait effort pour l’atteindre, il n’écrirait pas du tout, la passion même au cœur de sa passion, la part de son métier dans laquelle, pour lui, brûle le plus intensément le feu de l’art ? Eh bien, c’est de cela qu’il s’agit ! »

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Des Poèmes de Matthieu Lorin sur des écrivains (Souvenirs de Lecture)

Couverture chez Sous le sceau du Tabellion

Ayant lu avec plaisir « Souvenirs et grillages » du poète Matthieu Lorin, mon attention s’est portée sur un ensemble de ses textes en proses titrés « Souvenirs de lecture« , où il rend hommage à certains grands écrivains du passé (Faulkner, Musil, Agota Kristof, Emmanuel Bove, Alfred Döblin, Giono, Nabokov, entre autres).
Dans le cadre de mon « Printemps des Artistes » je vous propose la lecture de deux d’entre eux.

Note pratique sur le livre :

Genre : Poésie
Editeur : Sous le sceau du Tabellion
Date de publication : 2022
Nombre de pages : 106

Biographie du poète

Matthieu Lorin est né en 1980 en Normandie.
Il vit et enseigne à Chartres.

Note sur Richard Brautigan (1935-1984)

Ecrivain et poète américain. Issu d’un milieu défavorisé de la Côte Ouest des Etats-Unis, il trouve dans l’écriture sa raison d’être et rejoint le mouvement littéraire de San Francisco en 1956. Il fréquente les écrivains de la Beat Generation et participe à de nombreux événements de la contre-culture. En 1967, il est révélé au monde par son best-seller La Pêche à la truite en Amérique et il est surnommé « le dernier des Beats ». Ses écrits suivants ont moins de succès et il tombe peu à peu dans l’anonymat et l’alcoolisme. Il se suicide en 1984. (Source : Wikipédia)

Note sur Jim Harrison (1937-2016)

Ecrivain, poète et essayiste américain. Il fait des études de Lettres mais renonce à une carrière universitaire. Ses influences littéraires sont nombreuses, en particulier parmi les poètes européens (Rimbaud, Rilke, René Char, Maïakovski, Yeats, etc.) Il publie des romans, des poèmes, travaille à l’écriture de scénarios et d’articles. Une grande partie des récits de Harrison se déroulent dans des régions peu peuplées d’Amérique du Nord ou de l’Ouest. Il partage son temps entre le Michigan, le Montana et l’Arizona. Il est l’un des principaux représentants du nature writing. (Source : Wikipédia)

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Page 19

Souvenir de lecture
Richard Brautigan

J’ai hypothéqué mon inspiration en te lisant. Alors j’observe ma main, me persuadant que la chorégraphie a plus d’importance que le scénario. Peut-être faisais-tu de même, et je serais heureux que des convergences s’établissent entre nous.

Tu es rangé dans ma bibliothèque et je suis seul à observer tes lunettes cerclées de souvenirs.

Il est temps que je m’allonge sous les planches, que tes poésies prennent le pas sur les chevilles du mur et que tout s’effondre.

Je finirai alors comme Pasolini, ton voisin d’étagère : écrasé par le désastre de la vie

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Page 38

Souvenir de lecture
Jim Harrison

Je me souviens de ces matins bleus comme un naevus, de mes entrailles en barbelés et de mes avis sur tout. Depuis la fenêtre, je charriais l’air à pleines pelletées et les décisions que je prenais n’engendraient même pas le griffonnage d’un bout de papier.
Je me souviens de l’appétit que j’avais en découvrant ces nuages au fond de l’assiette – nous mangions dehors à cette époque – et l’eau me paraissait salée. Le parasol jouait son numéro de derviche sous nos yeux disciplinés et mon cœur l’accompagnait d’entrechats secrets.
Je me souviens de ces jours humides – nous ne mangions plus à l’extérieur – où, allongé en plein jour, j’engageais avec la page un combat à l’issue incertaine.

Mais je ne me souviens plus de mes chagrins d’enfance, de mes rêves qui s’envolaient avec la même lourdeur qu’une punaise diabolique, ni de mes lectures d’alors. Quelles furent les transitions, les terminaisons nerveuses qui m’amenèrent jusqu’à Jim Harrison dont j’ai acheté le livre aujourd’hui ?
Oubliées…

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Des Poèmes de Claire Gondor sur Louise Labé et Pernette du Guillet

En me promenant au rayon poésie de la librairie Gibert à Paris, j’ai découvert ces Variations de Claire Gondor qui revisite des poèmes célèbres de la littérature française, du Moyen-Âge au 20ème siècle, en leur offrant une sorte de pendant ou de réponse contemporaine, ce que j’ai pu interpréter à la fois comme un hommage à ces grands prédécesseurs et aussi comme un commentaire, une extrapolation, une prise de distance où la critique peut poindre.

Comme il s’agit de poésie sur la poésie, cet article entre dans le cadre du « Printemps des artistes » de 2023.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Frison-Roche (Belles lettres)
Collection : L’Or des lignes
Année de publication : octobre 2022
Nombre de Pages : 90

Note sur la Poète

Claire Gondor travaille dans le monde du livre et a créé une compagnie d’évènements littéraires appelée « L’Autre Moitié du Ciel ». Elle a publié un roman, Le Cœur à l’aiguille, aux éditions Buchet-Chastel, en 2017, et a également participé à de nombreuses publications collectives. (Source : éditeur)

Note sur Louise Labé

Louise Labé, aussi surnommée « Louïze Labé Lionnoize » et « la Belle Cordière », née vers 1524 à Lyon, morte le 25 avril 1566 à Parcieux-en-Dombes où elle fut enterrée, est une écrivaine française principalement connue en tant que poétesse de la Renaissance. Avec Pernette du Guillet et Maurice Scève, Louise Labé appartient à « l’école lyonnaise ». Elle s’inspire de poètes de l’Antiquité et d’auteurs contemporains comme Pétrarque. Elle défend des idées qui peuvent être considérées comme proto-féministes.
Comme sa biographie est très mal connue, certains spécialistes et commentateurs ont défendu l’idée qu’elle n’avait jamais existé, qu’il s’agissait d’une supercherie. (Source : Wikipédia)

Note sur Pernette du Guillet

Elle naît (en 1518 ou 1520) dans une famille noble et épouse en 1538 un du Guillet. Elle rencontre Maurice Scève au printemps 1536 – il a alors trente-cinq ans et elle seize ans – et devient son élève. Leur amour impossible devient la source d’inspiration de ses poèmes, publiés de façon posthume, à la demande de son mari en 1545, sous le titre Rymes de gentille et vertueuse dame, Pernette du Guillet. Maurice Scève écrit en son honneur son recueil le plus fameux, « Délie« , en 1544. Elle meurt à 25 ans d’une épidémie de peste. (Source : Wikipédia)

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Sinusoïdes
(d’après « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie »
de Louise Labé)

l’épiderme traversé de climats contraires
je suis le zigzag de mes instincts

j’ai l’ai dans la peau
la canicule
les veines à chaud
les veines à froid
montagnes russes
les émotions à contresens.

c’est le grand huit !
la fête foraine
de l’ecclésiaste

un temps pour tout
la pulsation
ou le reflux
le rythme brisé de mon cœur

hors de cadence
j’ai le savoir universel et douloureux
des contretemps

Claire GONDOR

*

Perdre la boussole
(d’après « la nuit était pour moi si très-obscure »
de Pernette du Guillet)

– fondu à l’outrenoir –
le veilleur a perdu sa boussole

flou autistique
où l’encre
de la nuit à la nuit
mangerait les visages

qu’il exerce sa voix le veilleur
car voici le jour
le jour qu’il fit,
le forgeur de l’humus

qu’il allume ses yeux
qu’il réchauffe sa joie
aux lavis tranquilles
des commencements

Portrait de Louise Labé

Claire GONDOR

**

TEXTES ORIGINAUX
(d’où sont inspirés les deux précédents)

Je vis, je meurs ; je me brûle
et me noie

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé (1524-1566)

*

La nuit était pour moi
si très-obscure

La nuit était pour moi si très-obscure,
Que Terre et Ciel elle m’obscurcissait,
Tant, qu’à Midi de discerner figure
N’avais pouvoir, qui fort me marrissait :

Mais quand je vis que l’aube apparaissait
En couleurs mille et diverse, et sereine,
Je me trouvai de liesse si pleine,
– Voyant déjà la clarté à la ronde –
Que commençai louer à voix hautaine
Celui qui fit pour moi ce Jour au Monde.

Pernette du Guillet (1518-1545)

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Qui a ramené Doruntine ? d’Ismail Kadaré

Couverture chez Zulma poche

Dans le cadre du Mois de L’Europe de l’Est organisé par Eva et Patrice du blog « Et si on bouquinait un peu », j’ai choisi de lire l’un des écrivains albanais les plus connus : Ismail Kadaré, que je n’avais encore jamais lu mais dont je n’avais entendu dire que du bien.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Zulma poche
Date de publication initiale : 1978 (date de la présente édition : 2022)
Traduit de l’albanais par Jusuf Vrioni
Nombre de Pages : 173

Quatrième de Couverture

Par une nuit de brume, Doruntine se présente chez sa mère après trois ans d’absence. Son frère Konstantin l’aurait ramenée des lointaines contrées de Bohême où elle s’est mariée. Il en avait certes fait le serment, mais chacun sait qu’entre-temps il est mort à la guerre.
Sommé par les autorités d’élucider l’affaire pour mettre fin aux superstitions et aux plus folles rumeurs, le capitaine Stres soupçonne une imposture de haute volée. Il n’a qu’une obsession : retrouver le cavalier de Doruntine…
Au cœur de l’Albanie légendaire, entre croyances et fantasmes, mystère et rationalité, Kadaré transforme un mythe fondateur en une enquête palpitante.

Né en 1936 dans le Sud de l’Albanie, traduit dans plus de quarante langues, Ismail Kadaré est considéré comme l’un des plus grands écrivains européens contemporains.

Mon humble avis

J’ai d’abord été très emballée par ce roman, qui est un peu comme une enquête policière, avec un fort suspense et un certain nombre de mystères qui nous sont habilement exposés et qui m’ont tenue en haleine pendant presque la moitié du livre. Mais il m’a semblé que ce suspense ne réussissait pas à se maintenir sur la durée et, au bout d’un moment, l’histoire se met à patiner, on n’avance plus beaucoup et on se dit que l’auteur est un peu en panne d’idées. Et c’est surtout la fin qui est très décevante et frustrante car l’intrigue ne trouve pas son dénouement : nous n’aurons pas l’explication de cette affaire et l’auteur nous laisse en plan, avec une fin en queue de poisson qui est supposée élever le débat et élargir notre vision mais qui, en réalité, ne parvient pas à convaincre et laisse le lecteur sur sa faim.
Malgré tout j’ai apprécié les talents de conteur de cet écrivain, sa manière de nous conduire de péripéties en péripéties et de nous ménager des surprises et de faire naître des craintes. J’ai trouvé surtout qu’il aimait bien jouer avec les convictions et déductions du lecteur – avec ses désirs de rationalité ou au contraire ses élans vers le surnaturel – en le ballottant sans cesse de l’un vers l’autre et en le renvoyant finalement à ses propres attentes et croyances personnelles.
Un livre qui a donc de nombreuses qualités mais dont la fin n’est pas tellement satisfaisante et qui laisse trop de questions sans résolution.

Un Extrait page 12

Continuant de conjecturer sur ce choc que la mère et la fille se seraient mutuellement causé (par déformation professionnelle, Stres et son adjoint donnaient de plus en plus à leurs propos le tour d’un rapport d’enquête), ils reconstituèrent approximativement la scène qui avait dû se produire au beau milieu de la nuit. Des coups avaient été frappés à la porte de la vieille maison, à une heure insolite, et, à la question posée par la vieille dame : « Qui est là ? », une voix au-dehors avait répondu : « C’est moi, Doruntine. » En allant ouvrir, la vieille, troublée par ces coups soudains et convaincue que ce ne pouvait être la voix de sa fille, demande, comme pour s’ôter un doute : « Qui t’a ramenée ? » Il faut dire qu’il y a trois ans que, cherchant consolation à sa douleur, elle attend en vain la venue de sa fille.
De l’extérieur, Doruntine répond : « C’est mon frère Konstantin qui m’a ramenée. » Là, la vieille reçoit le premier choc. Peut-être, malgré son ébranlement, a-t-elle eu encore la force de répondre : « Mais qu’est-ce que tu me chantes là ? Konstantin et ses frères reposent depuis trois ans sous terre. » C’est maintenant le tour de Doruntine d’être atteinte. Si elle a vraiment cru que c’était son frère Konstantin qui l’avait ramenée, le choc pour elle est double, car elle apprend que Konstantin et ses autres frères sont morts et elle prend simultanément conscience qu’elle a voyagé avec un fantôme. (…)

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Haïkus des Cinq saisons d’Alain Kervern

Couverture chez Géorama (éditeur)

Ce livre m’a été offert par ma mère et c’est effectivement un très joli objet, avec de belles illustrations, de belles mises en page et typographies, un papier de qualité. Et ce qui est encore mieux à mes yeux : le texte est vraiment éclairant, érudit dans le bon sens du terme, agréablement ciselé. Les choix de poèmes m’ont beaucoup plu, et le tout forme un ensemble très réussi, qu’on peut lire et relire avec un plaisir renouvelé.

Extrait de la Quatrième de couverture

Qu’est-ce qu’un haïku ? C’est, en quelques mots, la saisie poétique instantanée d’un événement personnel, si modeste soit-il. Le haïku nous apprend souvent à ressentir ce qui est devenu invisible aux yeux de tous.
La tradition littéraire japonaise a codifié ce mode d’expression selon des règles simples qu’Alain Kervern nous dévoile dans ce très beau recueil de présentation, agrémenté d’exemples de haïkus anciens et contemporains. La structure de ce livre s’inspire de celle de l’almanach poétique du Japon (saïjiki) qui répertorie l’ensemble des mots de saison caractérisant les émotions saisonnières vécues au long d’une année. (…)

Mon avis en bref

Le choix de présenter les différents « mots de saison » nous permet de nous imprégner des us et coutumes japonais. Par exemple, le choix du mot « lanterne » pour l’automne nous renvoie à Le Fête des morts du 20 septembre, aux ornementations des temples et jardins ou encore aux quartiers de plaisir (aujourd’hui disparus) des villes animées. Tout cela nous est expliqué dans le texte et nous permet de mieux comprendre et saisir le contexte des haïkus qui suivent. D’autres mots tout aussi emblématiques de la culture japonaise, comme chrysanthème, sourire de la montagne, premier rêve de l’an, etc. sont ainsi mis en valeur à travers ces pages.
J’ai appris aussi, grâce à ce livre, l’existence d’une « cinquième saison » qui est en réalité le jour de l’an, c’est-à-dire à peu près la période de nos Fêtes de fin d’année, où fleurit tout un vocabulaire particulier lié à des activités rituelles.
Un livre que je conseille sans réserve, pour son intérêt culturel autant que littéraire.

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mot de saison : « Lune de printemps »

Lune gorgée de printemps
que je la touche
et de l’eau en coule

Kobayashi Issa (1763 – 1827)

*

Lune de printemps
d’un jaune peu ordinaire
serait-elle malade ?

Matsumoto Takashi (1906-1956)

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mot de saison : Herbes d’été

Une fois fauchées
les herbes d’été
mille parfums se libèrent

Hosomi Ayako (1907-1997)

*

Dans les herbes d’été
une chèvre
comme tissée de coton

Ueno Yasushi (1918-1973)

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mot de saison d’automne : Lanterne

Un premier amour
sous la même lampe
visage contre visage

Taïgi (1709-1771)

*

Plus que la magnificence
des lanternes
cette lumière qui serre le coeur

Masaoka Shiki (1867-1902)

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mot de saison : glaçons en suspens (tsurara)

Pas de frise de glaçons
au bord du toit
mais de nouveau le couchant.

Rankô (1726-1798)

*

Il n’a aucune intention meurtrière
le lourd rideau de glace
sous lequel je passe

Kodama Niro

*

Lointaine maison
perles de glace en feston
dans des chutes de lumière

Takahama Toshio (1900-1980)

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mot de saison : premier rêve de l’an (hatsuyume)

Premier rêve de l’an
en larmes j’y ai vu
mon pays natal

Kobayashi Issa (1763-1827)

*

Premier rêve de l’an
je le garde pour moi
et j’en souris tout seul

Itô Shôu (1859-1943)

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Jardin de Printemps de Tomoka Shibasaki

Couverture chez Picquier Poche

Dans le cadre de mon Mois Thématique Japonais de février 2023, j’ai lu ce court roman d’une jeune écrivaine contemporaine, dont le titre et les deux faces de la couverture m’ont attirée dès que je les ai aperçus en librairie.

Note pratique sur le livre

Editeur français : Picquier poche
Première date de publication : 2014 au Japon, 2016 en France
Traduit du japonais par Patrick Honnoré
Nombre de pages : 154

Note sur Tomoka Shibasaki

Née en 1973 à Osaka, elle fait ses débuts littéraires en l’an 2000, après des études universitaires à Osaka. Ses romans ont été à deux reprises adaptés au cinéma, par les cinéastes japonais Isao Yukisada en 2003 et Ryusuke Hamaguchi en 2018. Elle a reçu le Prix Noma en 2010 pour l’un de ses romans. « Jardin de Printemps » est la seule de ses œuvres traduites en français, jusqu’à présent. (Sources : éditeur et Wikipédia)

Quatrième de Couverture

Jardin de printemps, c’est d’abord un livre de photographies, celles d’une maison bleue avec son jardin au cœur de Tokyo, instantanés de la vie d’un couple heureux il y a une vingtaine d’années.
Les saisons passent, les locataires aussi. Ils se rencontrent, se croisent. D’un balcon ou sur un chemin, ils sont comme aimantés par cette maison endormie.
Dans ce roman amical et rêveur, tout est en léger décalage, au bord de chavirer, seuls les lieux semblent à même de révéler ce qui flotte à la surface de notre cœur.
L’immeuble où habite Tarô, promis à la démolition et qui se vide peu à peu, la vieille demeure de style occidental, paradis perdu qui un jour reprend vie, réactive la possibilité du bonheur.
Qui n’a jamais rêvé de pénétrer dans une belle maison abandonnée pour en percer le secret ?

Mon avis

Une de mes amies, spécialiste en littérature japonaise, m’a dit un jour qu’elle reprochait à certains romans de ce pays d’être trop évanescents. Et cette phrase m’est revenue à l’esprit en lisant ce « Jardin de printemps », qui correspond effectivement à cette description. C’est-à-dire que les personnages sont un peu difficiles à cerner, comme des apparitions dont les caractères sont juste esquissés. L’intrigue est également « évanescente », le déroulement des événements n’obéit pas à une logique très stricte et il a un aspect légèrement décousu, comme si l’écrivaine avançait au hasard, au gré de l’inspiration et sans plan précis.
Cela a un certain charme et ce n’est pas déplaisant. Il y a même des passages très poétiques, vraiment agréables à lire.
Malgré tout, j’ai eu un peu de mal à m’immerger dans cette histoire ou à me sentir concernée. Ca me semblait trop loin de moi, je suis restée en dehors. Peut-être à cause de cette évanescence dont je parlais, de ce manque d’aspérité ou de consistance, mon attention glissait parfois sur certaines pages sans trouver quelque chose à quoi me raccrocher.
Il est possible aussi qu’un excès de considérations immobilières et décoratives (descriptions architecturales, urbaines, et matérielles en général) m’aient un petit peu lassée et que j’aurais préféré une plus grande place accordée aux personnages et une plus petite pour les bâtiments. Mais j’ai bien compris que c’était là le parti pris de l’écrivaine, dans une recherche esthétique insolite et innovante.
Une lecture qui ne m’a pas déplu, mais qui ne m’a pas non plus emballée.

Un Extrait page 71

Vers la mi-juin, le temps devint pluvieux, même s’il ne pleuvait pas énormément. Le ciel restait très bas, sans discontinuer.
Les jours de pluie ou de temps gris sans un seul coin de ciel bleu, Tarô ne s’imagine pas marcher au-dessus des nuages. Imaginer qu’au-dessus des nuages il y a du ciel n’est pas dans ses capacités. Au-delà des nuages, ce n’est pas le bleu du ciel, ni même le noir sidéral, juste un espace transparent qui s’étend sans rien.
La première fois qu’il a voyagé en avion, il pleuvait, après le décollage l’avion a traversé une sorte de blanc qui ressemblait à de la neige carbonique puis est sorti des nuages. Le bleu du ciel l’a extrêmement surpris. Il s’est demandé s’il n’avait pas été transporté dans un autre monde que celui dans lequel il croyait exister et cela lui a fait peur. Mais il a regardé en bas à travers le hublot à double vitrage, et la surface, la luminosité intense, la grandeur et l’impression à couper le souffle des nuages étaient bien celles qu’il avait tant de fois imaginées. Comment se faisait-il que cette chose qu’il n’avait jamais vue lui soit connue avec une telle précision ? s’inquiéta-t-il. Il chercha longtemps quelqu’un qui marchait sur les nuages. Il ne vit personne. Entre les deux vitres du hublot, il y avait des cristaux de givre comme de la neige. (…)

Des haïkus de poètes japonais parus dans la revue « Ashibi »

J’avais publié l’année dernière un choix de haïkus de poétesses japonaises publiés dans la prestigieuse revue Ashibi, et extraits du livre La lune et moi chez Points. Vous pouvez retrouver cet article ici si vous le souhaitez.
Aujourd’hui, je complète donc ce panorama par un choix de haïkus écrits par des poètes masculins, et toujours extraits de ce même recueil.

Printemps

Prunier blanc en fleur –
La lumière du crépuscule
s’approche doucement

Shô Hayashi

*

Je ne veux pas encore vieillir –
Le tourbillon de pétales
enveloppe mon corps

Gorô Nishikawa

*

Des chats errants
courent comme des fous –
Fin des grands froids

Atsuo Nasu

*

Un premier papillon
hésitant
sur la paume du vent

Hisahiko Nagamine

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Été

Sur le point de tomber,
la pivoine
exhale un parfum plus tenace

Mikio Matsumoto

*

Un grand papillon noir
avec son ombre
toute sa courte vie

Ryôsuke Nonaka

*

Cent cercles
de tournesols –
La tête me tourne !

Sei’ichi Teshima

*

Des pattes du cafard
que j’ai manqué d’écraser
restent là

Tsutomu Fujino

**

Automne

Le chant du grillon
s’arrête net, l’obscurité
commence à bouger

Tsutomu Fujino

*

Les feuilles de ginko
tombent
en forme de clair de lune

Seishi Sagawa

*

Dans les bûches entassées,
les restes d’une jambe
d’un épouvantail

Ryôsuke Nonaka

*

Cueillette des champignons –
des voix d’hommes
au-delà du brouillard

Tsutomu Fujino

*

Grands ou petits
les chrysanthèmes
ni critiques, ni rivaux

Kazashi Kimura

*

Hiver

Derrière les feuilles rouges,
dans sa chute
le soleil flotte

Teihô Okada

*

Dernière nuit de l’an,
à cet âge
jamais atteint par mes parents

Kunio Satô

*

Un martin-pêcheur
brise son ombre pour pêcher
dans l’eau hivernale

Teihô Okada

*

J’attends le printemps
le printemps, là,
dans mon cœur

Kitô Akiyoshi

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