Un de mes Poèmes sur une chanson de Billie Holiday

Dans le cadre du Printemps des Artistes, je vous propose la lecture de l’un de mes poèmes.
Il est extrait du recueil La Portée de l’Ombre, publié en 2020 chez Rafael de Surtis, et que l’on peut commander sur leur site en suivant le présent lien.

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Without your love,
Billie Holiday – 1937

C’est une voix chargée de sanglots et de nostalgie mais qui garde un détachement pudique, une hauteur de vue, peut-être un flegme aristocratique.
On sent dans cette voix le poids d’un passé amer, une grande expérience de la vie à cause de laquelle on ne se fait plus aucune illusion et on craint de voir le bonheur s’échapper quand on le croise, parce qu’on n’en a pas l’habitude et parce que jusque-là quelqu’un vous l’a toujours gâché, ce qui empêche de faire confiance au présent et, encore moins, à l’avenir.
C’est la voix d’une femme trop profondément meurtrie pour être encore capable d’évacuer sa tristesse dans des larmes – elle ne sait plus pleurer mais les sons qui sortent de sa gorge pleurent à sa place.
Cette voix caressante et veloutée, pleine de douces inflexions, est pourtant tout le contraire d’une voix suave ou lisse : elle possède un grain très subtil et texturé comme le grain d’une photo en noir et blanc aux ombres tamisées.
J’ai découvert cette chanson il y a une vingtaine d’années et, même si je suis tout de suite tombée sous son charme, je n’ai commencé à évaluer la complexité et la richesse de cette voix qu’au fur et à mesure des années.

Marie-Anne Bruch

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Des Poèmes de Matthieu Lorin sur des écrivains (Souvenirs de Lecture)

Couverture chez Sous le sceau du Tabellion

Ayant lu avec plaisir « Souvenirs et grillages » du poète Matthieu Lorin, mon attention s’est portée sur un ensemble de ses textes en proses titrés « Souvenirs de lecture« , où il rend hommage à certains grands écrivains du passé (Faulkner, Musil, Agota Kristof, Emmanuel Bove, Alfred Döblin, Giono, Nabokov, entre autres).
Dans le cadre de mon « Printemps des Artistes » je vous propose la lecture de deux d’entre eux.

Note pratique sur le livre :

Genre : Poésie
Editeur : Sous le sceau du Tabellion
Date de publication : 2022
Nombre de pages : 106

Biographie du poète

Matthieu Lorin est né en 1980 en Normandie.
Il vit et enseigne à Chartres.

Note sur Richard Brautigan (1935-1984)

Ecrivain et poète américain. Issu d’un milieu défavorisé de la Côte Ouest des Etats-Unis, il trouve dans l’écriture sa raison d’être et rejoint le mouvement littéraire de San Francisco en 1956. Il fréquente les écrivains de la Beat Generation et participe à de nombreux événements de la contre-culture. En 1967, il est révélé au monde par son best-seller La Pêche à la truite en Amérique et il est surnommé « le dernier des Beats ». Ses écrits suivants ont moins de succès et il tombe peu à peu dans l’anonymat et l’alcoolisme. Il se suicide en 1984. (Source : Wikipédia)

Note sur Jim Harrison (1937-2016)

Ecrivain, poète et essayiste américain. Il fait des études de Lettres mais renonce à une carrière universitaire. Ses influences littéraires sont nombreuses, en particulier parmi les poètes européens (Rimbaud, Rilke, René Char, Maïakovski, Yeats, etc.) Il publie des romans, des poèmes, travaille à l’écriture de scénarios et d’articles. Une grande partie des récits de Harrison se déroulent dans des régions peu peuplées d’Amérique du Nord ou de l’Ouest. Il partage son temps entre le Michigan, le Montana et l’Arizona. Il est l’un des principaux représentants du nature writing. (Source : Wikipédia)

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Page 19

Souvenir de lecture
Richard Brautigan

J’ai hypothéqué mon inspiration en te lisant. Alors j’observe ma main, me persuadant que la chorégraphie a plus d’importance que le scénario. Peut-être faisais-tu de même, et je serais heureux que des convergences s’établissent entre nous.

Tu es rangé dans ma bibliothèque et je suis seul à observer tes lunettes cerclées de souvenirs.

Il est temps que je m’allonge sous les planches, que tes poésies prennent le pas sur les chevilles du mur et que tout s’effondre.

Je finirai alors comme Pasolini, ton voisin d’étagère : écrasé par le désastre de la vie

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Page 38

Souvenir de lecture
Jim Harrison

Je me souviens de ces matins bleus comme un naevus, de mes entrailles en barbelés et de mes avis sur tout. Depuis la fenêtre, je charriais l’air à pleines pelletées et les décisions que je prenais n’engendraient même pas le griffonnage d’un bout de papier.
Je me souviens de l’appétit que j’avais en découvrant ces nuages au fond de l’assiette – nous mangions dehors à cette époque – et l’eau me paraissait salée. Le parasol jouait son numéro de derviche sous nos yeux disciplinés et mon cœur l’accompagnait d’entrechats secrets.
Je me souviens de ces jours humides – nous ne mangions plus à l’extérieur – où, allongé en plein jour, j’engageais avec la page un combat à l’issue incertaine.

Mais je ne me souviens plus de mes chagrins d’enfance, de mes rêves qui s’envolaient avec la même lourdeur qu’une punaise diabolique, ni de mes lectures d’alors. Quelles furent les transitions, les terminaisons nerveuses qui m’amenèrent jusqu’à Jim Harrison dont j’ai acheté le livre aujourd’hui ?
Oubliées…

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Logo du Défi, créé par Goran

Parution de mon nouveau recueil « Excursions Poétiques » chez Z4 Editions

C’est avec grand plaisir que je vous annonce la publication des « Excursions poétiques« , mon sixième livre depuis 2014.
Vivant à Paris depuis plus de quarante ans, j’ai souhaité consacrer à « ma » ville un recueil sensible, ironique et intime.

L’illustration de couverture est « La Tour Eiffel » (1925) de Robert Delaunay.

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Quatrième de Couverture :

Dans ce recueil, Marie-Anne Bruch nous convie à une promenade parisienne, de quartier en quartier et au fil des saisons.

Du parc Montsouris à la place de la Bastille, de l’île de la Cité aux buildings de la Défense, nous partageons avec elle, un café en terrasse ou une pause dans un square. Observatrice attentive, elle nous offre des croquis vivants, rythmés et souvent cocasses de la capitale et de ses habitants, dans des proses où la description réaliste côtoie sans cesse les parages de la fantaisie et de l’imaginaire.

Surtout, ces textes pleins de saveurs, de couleurs et de souvenirs nuancés, sont l’occasion pour la poétesse de jouer avec les mots, leurs résonnances et leurs échos.

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Voici le lien vers le site de Z4 Editions pour davantage d’informations et pour commander le livre :

En commandant le livre avant le 7 mai, vous bénéficiez d’une remise de 15%.

Des Poèmes de Saint-John Perse sur Les Oiseaux de Georges Braque

Couverture chez Gallimard

Ces deux poèmes sont extraits du recueil « Oiseaux » disponible dans « Amers » de Saint-John Perse, et qui s’inspire des Oiseaux peints par Georges Braque.
Comme il s’agit de poésie inspirée de peintures, je publie cet article pour Le Printemps des Artistes 2023.

Note sur Saint-John Perse

De son vrai nom, Alexis Leger (prononcé « Leuger »), né en Guadeloupe en 1887 et mort à Hyères en 1975. Poète, écrivain et diplomate français. Il reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1960. Il publie le recueil « Amers » en 1957 et le recueil « Oiseaux » en 1962.

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Braque, Les Oiseaux (Musée de Belfort)

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Deux Extraits

Page 149

IV

De ceux qui fréquentent l’altitude, prédateurs ou pêcheurs, l’oiseau de grande seigneurie, pour mieux fondre sur sa proie, passe en un laps de temps de l’extrême presbytie à l’extrême myopie : une musculature très fine de l’œil y pourvoit, qui commande en deux sens la courbure même du cristallin. Et l’aile haute alors, comme d’une Victoire ailée qui se consume sur elle-même, emmêlant à sa flamme la double image de la voile et du glaive, l’oiseau, qui n’est plus qu’âme et déchirement d’âme, descend, dans une vibration de faux, se confondre à l’objet de sa prise.

La fulguration du peintre, ravisseur et ravi, n’est pas moins vertical à son premier assaut, avant qu’il n’établisse, de plain pied, et comme latéralement, ou mieux circulairement, son insistante et longue sollicitation. Vivre en intelligence avec son hôte devient alors sa chance et sa rétribution. Conjuration du peintre et de l’oiseau…

L’oiseau, hors de sa migration, précipité sur la planche du peintre, a commencé de vivre le cycle de ses mutations. Il habite la métamorphose. Suite sérielle et dialectique. C’est une succession d’épreuves et d’états, en voie toujours de progression vers une confession plénière, d’où monte enfin, dans la clarté, la nudité d’une évidence et le mystère d’une identité : unité recouvrée sous la diversité.

Page 152 

VII

… Rien là d’inerte ni de passif. Dans cette fixité du vol qui n’est que laconisme, l’activité demeure combustion. Tout à l’actif du vol, et virements de compte à cet actif !

L’oiseau succinct de Braque n’est point simple motif. Il n’est point filigrane dans la feuille du jour, ni même empreinte de main fraîche dans l’ argile des murs. Il n’habite point, fossile, le bloc d’ambre ni de houille. Il vit, il vogue, se consume– concentration sur l’être et constance dans l’être. Il s’adjoint, comme la plante, l’énergie lumineuse, et son avidité est telle qu’il ne perçoit, du spectre solaire, le violet ni le bleu. Son aventure est aventure de guerre, sa patience « vertu » au sens antique du mot. Il rompt, à force d’âme, le fil de sa gravitation. Son ombre au sol est congédiée. Et l’homme gagné de même abréviation se couvre en songe du plus clair de l’épée.

Ascétisme du vol !… L’être de plume et de conquête, l’oiseau, né sous le signe de la dissipation, a rassemblé ses lignes de force. Le vol lui tranche les pattes et l’excès de sa plume. Plus bref qu’un alerion, il tend à la nudité lisse de l’engin, et porté d’un seul jet jusqu’à la limite spectrale du vol, il semble prês d’y laisser l’aile, comme l’insecte après le vol nuptial.

C’est une poésie d’action qui s’est engagée là. 

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Trois poèmes de Daniel Kay inspirés de peintures

Ces trois poèmes en prose sont extraits du beau recueil Vies silencieuses, publié en 2019 chez Gallimard, et qui a pour thème principal la peinture ancienne et les grands peintres de l’époque Renaissance, classique et baroque, sans exclure une ou deux références à des peintres plus modernes.
J’avais déjà consacré un article à ce livre, que vous pouvez regarder ici si vous le souhaitez.
Daniel Kay est un poète né en 1959, également peintre, et enseignant en Lettres.

Parabole sur un Paysage de Bruegel L’ancien

La journée accomplie a été rude pour le laboureur et son ami berger, celui qui plante son nez dans les étoiles tardives. Ils pourront tout à l’heure rentrer les bêtes et prendront un dernier repas près de la cheminée. Le petit personnage qui s’est noyé dans le coin droit, juste devant le pêcheur occupé à jeter ses filets, ils ne peuvent pas dire qu’ils ne l’ont pas vu, ce serait trop facile ! C’est qu’eux aussi quand ils étaient jeunes, eux aussi ont essayé d’attendrir les tenailles du soleil pour mettre le ciel dans leur poche avant que le revolver de la raison ne leur brise les doigts et dissolve leurs rêves.

La Chute d’Icare de Brueghel l’ancien

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Bœuf écorché
(d’après Rembrandt et Soutine)

Quand, les cuisses en l’air,
il prend des poses de Crucifié
dans la nuit douloureuse
qui resplendit comme un électrochoc,
le peintre s’essuie les yeux
noircis par la suie
et fouille avec obstination
les entrailles pleines de météorites.

Le bœuf écorché de Rembrandt

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Quattrocento

L’archange qui annonce la Nouvelle
sur le mur du monastère,
de quel arbre connaît-il le signe,
de quel astre détient-il la clé,
de quelle fleur votive déplie-t-il en silence le chiffre ?

L’annonciation de Fra Angelico (Quattrocento)

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J’ai écrit cet article dans le cadre de mon « Printemps des artistes » d’avril 2023.

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Trois Poèmes de Camille Readman Prud’homme

Couverture chez L’Oie de Cravan

Ayant découvert ce recueil poétique par hasard, dans ma librairie préférée, je n’ai pas eu besoin de le feuilleter longtemps pour me décider à l’acheter et ressentir un certain enthousiasme joyeux à l’idée de lire bientôt cette jeune poète québécoise, dont je n’avais pas entendu parler jusque-là.

Note Pratique sur le livre

Genre : Poésie (en prose)
Titre : Quand je ne dis rien je pense encore
Editeur : L’Oie de Cravan, éditeur à Montréal
Année de publication : 2021
Nombre de Pages : 105

Note sur la Poète

Camille Readman Prud’homme est née à Montréal en 1989. En 2018 elle a remporté le prix du public de la revue Moebius pour son texte « Majesté« . Quand je ne dis rien je pense encore est un premier recueil qui confirme la justesse d’une écriture concise, touchant droit au cœur de l’expérience sensible. (Source : éditeur)

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Trois Poèmes

Page 69

Il y a des choses qui semblent faire grand cas d’elles-mêmes : il y a les maisons qui se prennent pour des châteaux, la couleur fluo des surligneurs, les blagues qui soulignent ce qui était sous-entendu, il y a les lettres majuscules, les gens qui parlent en criant, la une des journaux et les voitures qui n’ont plus de silencieux, il y a le mot amour et le mot liberté. on pourrait croire qu’il y a les éléphants mais on aurait tort, car s’ils sont imposants cela ne veut pas dire qu’ils cherchent à se faire remarquer.

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Page 76

certains soirs tu rencontres des gens qui te montrent des images qui deviennent en quelque sorte des preuves, à leur vue ce dont ils te parlaient prend une netteté nouvelle qui bannit le doute et défait les images rêvées. certains soirs tu rencontres des gens avec qui être en désaccord est toute une affaire, parce que cela vous amène à la question de la vérité, qui dans sa rigidité ne reconnaît pas la variation des postures mais l’autorité des sommets. alors il te semble dialoguer avec des gratte-ciels, car à cette échelle ne devient perceptible que le monumental, et à trop vouloir le faire apparaître tu t’érafles sur la rugosité du béton ; alors dans ta voix s’invite un tranchant qui te gouverne et te trouble.

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Page 101

chaque jour j’attends la nuit, car la nuit j’ai peut-être moins de visage et plus de voix. pour cela sans doute la nuit m’apaise parce qu’elle offre un grand congé qui est aussi un droit de ne plus répondre. je veux dire que la nuit ne supporte pas les obligations elle est libre. la nuit il n’y a pas de rendez-vous il y a des rencontres, il n’y a pas d’horaires parce qu’il n’y a pas de repas, seulement du temps tendu, donné.

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Des Poèmes en prose de Thierry Roquet

Couverture du livre

J’ai eu le plaisir de découvrir en novembre le dernier recueil poétique de Thierry Roquet, intitulé sobrement « Promiscuités » et paru aux éditions du Cactus Inébranlable en automne 2022. Et j’ai eu envie de partager ici quelques uns des textes qui m’ont le plus plu.

Quatrième de Couverture

Thierry Roquet est un spécialiste du texte bref, voire excessivement bref. Il manie l’art de la concision à la perfection et s’inspire de chaque rencontre, de chaque observation, de chaque réflexion pour écrire une histoire dont on sort, à peine rentré. Cela tient de la performance…

Mon Avis en bref

Bien que ces proses soient courtes, et parfois très courtes, elles sont extrêmement diversifiées par leurs tons, leurs ambiances, leur aspect tour à tour descriptif, narratif, réflexif. Certaines penchent du côté de l’absurde, de l’étrangeté, d’autres jouent habilement sur les mots, d’autres encore mettent en relief nos petits travers humains, voire les incongruités de nos sociétés, avec une pointe d’ironie dépourvue d’aigreur ou d’acrimonie. Ça se lit très agréablement, et ça gagne même à être relu car certains de ces textes ne se révèlent vraiment qu’à la deuxième ou troisième reprise.

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Page 18

La promesse en l’air s’en alla rejoindre, au ciel, le cimetière aux promesses qui s’étendait à perte de vue.

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Elle était tellement en avance sur son temps qu’elle ne croisa jamais ses contemporains.

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Page 19

« Il faut prendre les choses du bon côté » me dit-elle. Je n’écoutai qu’à moitié, lui tournant déjà le dos.

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Page 34

Ils discutèrent à bâtons rompus. Puis ils allèrent chercher d’autres bâtons.

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Page 37

Effet-papillon?

Un train en cache un autre qui peut cacher l’arbre cachant la forêt qui cacherait la gare et les voyageurs qui pourraient ne plus savoir l’heure du départ que cacherait cette drôle d’impression de déjà-vu.

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Page 43

Mon premier dernier petit-déjeuner

On nous réveilla en sursaut. « Préparez-vous vite ! ». Les informations annonçaient l’imminence de la fin du monde, un événement à ne manquer sous aucun prétexte. J’eus tout juste le temps de boire un café noir sans sucre, en y trempant une délicate biscotte, tartinée de beurre demi-sel et de confiture à la rhubarbe. Puis : l’attente. Puis…
On nous réveilla en sursaut.

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Page 63

« Va de l’avant ! » dit le père, assis sur sa chaise depuis des heures.

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Publication de mes poèmes sur le site « La Page Blanche »

Novembre sera entièrement consacré à l’Allemagne mais je fais une petite parenthèse aujourd’hui pour vous signaler que j’ai été très chaleureusement accueillie sur le site de la revue poétique « La Page Blanche », animée, entre autres, par Pierre Lamarque, Constantin Pricop et Matthieu Lorin. Un site riche et foisonnant sur lequel figurent déjà soixante-sept auteurs, réunis de façon permanente autour du « Dépôt ».

Voici le lien vers la Liste de tous leurs auteurs :

https://lapageblanche.com/le-depot/inventaire

Voici le lien vers ma propre page où vous trouverez ma présentation et deux pages de poèmes :

https://lapageblanche.com/le-depot/inventaire/32-marie-anne-bruch

Et, plus précisément, voici le lien vers trois « Excursions à travers Paris » qui sont des poèmes en proses, que j’ai écrits dans divers quartiers de la capitale, et qui feront partie d’un recueil plus vaste, actuellement en cours de création :

https://lapageblanche.com/le-depot/inventaire/32-marie-anne-bruch/excursions-a-travers-paris

Merci de votre curiosité !

Des Poèmes de Jean Marc Sourdillon sur la poésie

Couverture chez Gallimard

Ces poèmes sont extraits de « L’unique réponse » parue chez Gallimard en 2020.

Présentation du livre par l’éditeur (trouvée sur le site de Gallimard)

La vie est une seule et grande question, qui attend de nous plus et mieux que des réponses ponctuelles, Elle attend cette unique réponse que toutes les autres nous cachent en nous leurrant. C’est sur et autour de ce thème que l’auteur a constitué cet ensemble de poèmes en vers ou versets et en prose de haute tenue. La beauté calme et ce qui la fonde, l’intensité de l’instant, les premières fois, la rencontre et l’approche de l’autre, la naissance chaque jour à la vie, la mort, voilà quelques-unes des facettes du thème. On découvre ici un poète qui a du métier et de la grâce, une délicatesse de touche, une élégance et une maîtrise de la langue, bref, de quoi donner au lecteur le sentiment de glisser comme une eau fraîche entre les rives de l’été.

Note biographique sur le poète

Jean Marc Sourdillon est un écrivain né en 1961. Il enseigne les lettres en khâgne à Saint-Germain-en-Laye après avoir enseigné à l’Institut français de Madrid et à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. Jean-Marc Sourdillon a également traduit María Zambrano et édité les Œuvres de Philippe Jaccottet dans la Pléiade. En 2009, il reçoit le prix du Premier recueil de poèmes avec Les tourterelles, publié aux éditions La dame d’Onze heures. (Source : site du Printemps des Poètes).

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(Page 58)

Vers les passerelles

Qu’est-ce qu’un vers ? Une passerelle. L’une de ces légères passerelles que le pas efface à mesure qu’il les révèle. Et la poésie ? Une suite de lancers de passerelles ou de pieds d’appel. Il s’agit de prendre élan, une succession d’élans pour s’aider à bondir et à atteindre l’autre rive, à la deviner en s’élançant vers elle, à fonder son bond dans l’air en s’appuyant sur ce qu’on devine d’elle, avant de s’apercevoir, au milieu d’un bond, que, non, finalement ce n’était pas la rive qu’on visait mais inconsciemment l’estuaire, que c’est pour l’estuaire qu’on écrivait, qu’on construisait des vers comme des passerelles pour courir dessus, le plus vite qu’on pouvait et s’élancer au bout, tout au bout, là où ils se brisent et où on ne peut plus atteindre aucune rive même vue en rêve, même anticipée.

L’autre rive est prise dans le brouillard ; l’élan est en nous mais il est sous-jacent. Il faut dégager les deux, l’élan, la rive, d’un même mouvement, voilà à quoi servent les passerelles – à traverser.

Qu’est-ce qu’un poème ? Une suite de passerelles formant plongeoir. Des passerelles alignées, parallèles, entrecroisées ou superposées, et ne menant nulle part à proprement parler. Tant de passerelles, tant de possibles. Faire jouer les passerelles entre elles.

On écrit, ça chante dans sa tête, mais on est déjà plus loin, là-bas dans l’espace en avant de soi où l’on sait que quelque chose ou quelqu’un nous attend. On ne sait pas quoi, on ne sait pas qui, mais on le pressent. Quelqu’un, quelque chose de plus haut se penche sur soi. Ou, de plus bas, tout en bas, ouvre les bras.

On passe à la ligne avant la fin pour arriver plus vite au bout, à l’instant du saut.

On est dans l’imminence. Là est notre temps, là notre régime. L’halètement est notre respiration. Un halètement lent. On se prépare à l’apnée finale. On se dispose à être reçu ou accueilli même si on sait que, peut-être, il n’y aura rien.

(…)

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(Page 89)

L’Elan

Tout poème est précédé d’un élan parti de tellement loin qu’on ne sait plus ni d’où ni de quand il vient,
mais qui a traversé tant de pays et connu tant de visages qu’il en garde l’empreinte en lui comme le parfum des corps et l’éclat des espaces dans le vent qui les a frôlés.
C’est tout cela que l’on voit nous aussi quand on écrit monter à la surface entre les mots du poème
comme l’élan sur le visage plein d’équilibre et de calme du danseur sur le lac, qui lentement au-dessus de la glace
tourne et se déploie avec des gestes d’arbre.

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Deux Poèmes d’Alicia Gallienne

Couverture chez Poésie-Gallimard

Ces deux poèmes sont extraits du livre « L’autre moitié du songe m’appartient » paru chez nrf Poésie/Gallimard en 2020.
La plupart des textes de cet ouvrage sont assez longs et donc difficiles à diffuser sur un blog, donc j’ai choisi, d’un point de vue pratique, de recopier deux poèmes relativement courts – qui se trouvent d’ailleurs (heureuse coïncidence) parmi mes préférés.
D’une manière générale, j’ai préféré ses poèmes en prose à ses vers libres et mes choix reflètent cette préférence.

Note sur Alicia Gallienne (1970-1990)

Atteinte d’une maladie du sang qui devait l’emporter à l’âge de 20 ans, le 24 décembre 1990, Alicia Maria Claudia Gallienne a écrit des centaines de poèmes à partir de 1986 et jusqu’à sa mort.
« Qu’importe ce que je laisserai derrière moi, pourvu que la matière se souvienne de moi, pourvu que les mots qui m’habitent soient écrits quelque part et qu’ils me survivent », écrivait-elle .
Elle était la cousine de l’acteur, comédien et réalisateur célèbre, Guillaume Gallienne.

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Page 63

La Moitié d’un Songe

Souvent, je me surprends à philosopher sur la vie, à vouloir tout tout de suite et à imaginer la nécessité. Je monte toujours un grand escalier qui craque : chaque pas me fait mal car je me retiens pour abreuver le silence. Cet escalier est si haut qu’il m’est impossible d’en deviner ni le début, ni la fin. A vrai dire, je ne sais pas très bien si l’on peut jamais arriver ; pourtant, je veux parvenir à tout prix au sommet de l’escalier. Je le veux si fort que je ne sens même plus mon désir et, je suis prise de vitesse pour imiter le temps. Je grimpe, mais pour atteindre quoi ? Seule cette vérité subsiste en bas : je l’effleure des pieds mais ma tête est ailleurs. Je cours à l’ultime protection, pour moi et les miens. Je monte parce que le sens commun descend et qu’il est encore temps sans doute de sauver ce qui reste.

L’autre moitié du songe m’appartient.

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Page 108

Il est facile de se noyer dans un verre d’eau mais qu’il doit être difficile d’y nager. Pourtant, ce serait une solution : on prendrait conscience de l’étroitesse de la situation, on se trouverait ridicule et on arrêterait de tourner en rond. En se diminuant ainsi, sans doute est-il plus aisé de reconquérir son espace vital et de reconsidérer ce verre d’eau qui, même s’il est rempli de larmes ou de pluie, n’est jamais qu’un verre d’eau.
Il est des fois où je voudrais boire la douleur dans tes yeux…

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