La Ronde de Max Ophuls

Affiche du film

J’avais présenté l’année dernière « Madame de » (1953) de Max Ophuls (1902-1957) et j’ai eu envie de voir un autre film de lui. « La Ronde » de 1950, avec son casting prestigieux – les plus célèbres acteurs et actrices de l’époque sont présents ici, de Simone Signoret à Gérard Philipe, en passant par Jean-Louis Barrault ou Danielle Darrieux, et c’est un plaisir de les voir évoluer dans ces costumes et décors surannés, d’un style surchargé et tarabiscoté, dans l’esprit des années 1890 ou 1900, plein d’arabesques et de fanfreluches qui sont très décoratives, plaisantes à regarder.

Présentation rapide de l’intrigue

Le sujet qui court tout au long de ce film est la vie amoureuse et plus exactement la sexualité : les différentes manières de traiter l’autre (le partenaire sexuel), dans une phase de séduction ou au cours d’une rupture, au sein du mariage ou d’une liaison extraconjugale, avec une prostituée ou avec une jeune fille d’un milieu modeste, dans un couple d’artistes ou dans les liens de domination entre un bourgeois fils de famille et la femme de chambre de ses parents, etc.
La prostituée (Simone Signoret) couche avec le soldat (Serge Reggiani) qui couche ensuite avec une jeune fille, une femme de chambre, rencontrée dans un bal (Simone Simon) qui couche ensuite avec le jeune fils de famille bourgeois (Daniel Gélin) qui couche ensuite avec l’élégante femme mariée (Danielle Darrieux) qui discute ensuite (sans coucher) avec son mari Fernand Gravey, etcetera jusqu’au personnage du comte (Gérard Philipe) qui couchera avec la prostituée du début (retour à Simone Signoret) et la boucle sera bouclée.

Mon humble avis

Ce film est parait-il tiré d’une pièce de l’écrivain autrichien Arthur Schnitzler (que je n’ai pas lue) et qui a fait scandale au moment de sa création puisqu’on a accusé l’écrivain de rien moins que de pornographie à son propos. Au vu du film d’Ophuls, c’est difficile d’imaginer que cette pièce ait pu choquer qui que ce soit à une époque quelconque car tout est pudiquement caché, allusif, et même les dialogues restent d’une sagesse exemplaire. Dans la scène où Daniel Gélin se met à parler de Stendhal à Danielle Darrieux pour expliquer avec des mots choisis pourquoi il vient d’avoir « une panne » (c’est moi qui emploie ce mot, il n’est pas dans le film) et que c’est, au fond, parce qu’il la désire trop, j’ai trouvé que c’était joliment tourné mais d’un style suranné étonnant. Du moins, on se rend compte à quel point le cinéma des années 50 restait corseté et pudibond et on comprend mieux pourquoi les années soixante et soixante-dix ont voulu briser les tabous et montrer à l’écran tout ce qu’il était impossible de filmer jusque-là.
J’ai particulièrement aimé la séquence du couple marié car leur dialogue à propos de la fidélité, du mariage et de l’adultère est assez fin et profond. Par ailleurs, cette séquence montre l’hypocrisie qui règne alors dans les ménages bourgeois : chacun trompe l’autre mais fait semblant d’être au-dessus de tout soupçon et le mari donne des leçons de vertu à sa femme, qui l’écoute avec des airs candides et lui pose des questions faussement innocentes.
D’une manière générale, toutes les scènes montrent les femmes soumises au bon plaisir des hommes : ils sont les maîtres et ils disposent d’elles à leur guise.
On peut remarquer que le film évolue peu à peu d’un milieu social très défavorisé (la prostituée et le soldat) vers les strates les plus élevées de la société (le comte et la comédienne célèbre) et peut-être que la classe supérieure sait davantage mettre les formes et utiliser un langage policé, mais cela n’empêche pas les hommes de se comporter généralement comme des égoïstes dominateurs et sans scrupule, qui ne pensent qu’à se débarrasser de leur conquête dès que le moment crucial est passé, quelle que soit la classe sociale.
J’ai bien aimé le personnage du narrateur-auteur, qui se présente lui-même comme « n’importe qui ou tout le monde » et qui est à la fois en dehors de la ronde des amants et le maître de jeu, l’instigateur et le commentateur de cette intrigue. Les scènes où il est présent sont très poétiques et d’une jolie esthétique.
Il faut remarquer aussi que la chanson de « la ronde », qui est comme un leitmotiv au cours de l’histoire, ressemble un petit peu à l’air de La Barcarole des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, c’est-à-dire l’air le plus doux et le plus mélancolique de l’un des compositeurs les plus joyeux, ce qui semble significatif de l’atmosphère de ce film, léger et grave à la fois.
Il me semble que j’ai tout de même préféré « Madame de », dont le personnage principal m’a plus touchée.
Mais, bien sûr, celui-ci est un très beau film, aux lumières et aux images dignes de tableaux anciens, et aux dialogues très écrits, subtils et littéraires.

Danielle Darrieux et Fernand Gravey dans une scène conjugale

L’Enfant sauvage de François Truffaut

En ce mois de février je vous ai concocté un mois japonais (littéraire et poétique) et je pensais vous parler aujourd’hui d’un film de Kurosawa ou d’un autre classique nippon.
Mais les DVD des films que je cherchais étaient hors de prix, et je vous parlerai par conséquent d’un film sans rapport avec le Japon.
« L’Enfant sauvage » de Truffaut a été tourné en 1969, en noir et blanc.
Comme je l’ai vu il y a deux ou trois mois (au cinéma) je ne me souviens pas forcément du détail de chaque scène mais le souvenir reste cependant suffisamment clair pour que je me risque à écrire dessus. On verra bien…

Victor et le docteur Itard (Jean-Pierre Cargol et François Truffaut dans une scène du film)

Note pratique sur le film

Date de sortie en salle : février 1970
Noir et blanc
Durée : 1h23
Dans le rôle de l’enfant : Jean-Pierre Cargol
Dans le rôle du Docteur Itard : François Truffaut
Dans celui de Mme Guérin : Françoise Seigner

Résumé du début de l’histoire

Ce film est une adaptation de « Mémoires et rapport sur Victor de l’Aveyron« , écrit par le médecin Jean Itard (1774-1838) qui relate l’histoire vraie du jeune Victor, un enfant sauvage capturé en 1800 par des paysans aveyronnais.
Cet enfant est capturé en pleine nature par des paysans armés et accompagnés de chiens de chasse. L’enfant est nu, ne s’exprime que par des grognements, se déplace à quatre pattes et se nourrit seulement de racines, de glands ou de fruits sauvages. Comme il ne parle pas, les spécialistes qui l’examinent le jugent handicapé et le placent à l’institut des sourds-muets de Paris où le docteur Itard commence à s’occuper de son cas et à étudier ses capacités. Dans cet institut, l’enfant sauvage devient le souffre-douleur des autres pensionnaires et certains adultes qui le gardent profitent de sa vulnérabilité pour l’exhiber en public comme une bête de foire et s’enrichir à ses dépens. Devant le peu de progrès faits par l’enfant sauvage dans cet établissement, les médecins émettent l’idée qu’il est retardé mental et incapable du moindre apprentissage. Mais le docteur Itard n’est pas de cet avis et il décide de prendre l’enfant chez lui et de s’occuper de son éducation en tête à tête, lors de leçons particulières, intensives et quotidiennes.

Mon Avis

C’est un film basé sur le rapport médical du Docteur Itard et il a effectivement un côté scientifique puisque chaque nouvel apprentissage de l’enfant sauvage est prémédité, mis en oeuvre puis étudié par le médecin. D’ailleurs, je sais que certaines scènes de ce film peuvent être citées en exemple dans certains cours de psychologie actuels, à l’université, pour illustrer en particulier le débat entre l’inné et l’acquis. Grâce à l’exemple extraordinaire de Victor, qui a passé son enfance tout seul dans les bois sans aucun contact humain, on a pu mettre en évidence que certaines aptitudes (le langage, les émotions) ne peuvent pas se développer dans la solitude, que nous avons besoin de la présence d’autrui pour les acquérir. Ainsi, lorsque l’enfant sauvage arrive à l’institut des sourds-muets et qu’il est harcelé et maltraité par les autres enfants, les médecins remarquent qu’il ne pleure jamais. Et c’est seulement plus tard, lorsqu’il a été « apprivoisé » par Jean Itard et sa gouvernante que l’enfant commence à verser des larmes et parfois à sourire.
On peut remarquer un fort contraste entre les deux personnages centraux du film : le docteur Itard est un scientifique assez froid, un homme de raisonnement et de logique, qui applique chaque jour une pédagogie très stricte, austère, répétitive, et qui considère Victor à la fois comme un élève et comme un sujet d’étude scientifique, un spécimen d’expérimentation. A côté de cet adulte ultra-civilisé, à la pointe de la pédagogie de son époque, nous avons l’enfant sauvage, un être assez instinctif, qui réagit toujours avec spontanéité, qui se révolte parfois, et que l’on peut voir comme un personnage poétique. Mais les deux personnages antagonistes sont reliés aussi par une affection qui devient de plus en plus forte au fur et à mesure du film – une proximité presque filiale. Et on sait bien que, si le docteur Itard se montre parfois dur et intransigeant avec le pauvre Victor c’est pour le faire progresser, l’intégrer à la société des hommes et empêcher qu’il soit interné toute sa vie dans un asile, comme le préconisent certains de ses collègues, ce que Victor n’est pas en mesure de comprendre.
On peut aussi remarquer que cette histoire du sauvage de l’Aveyron s’était produite en 1800, à une époque très fortement marquée par le mythe de Rousseau « du bon sauvage », par l’amour de la nature et une certaine crainte de la société humaine, et il y a peut-être cette idée, que pose à un moment le docteur Itard et qui continue à planer tout au long du film dans l’esprit du spectateur : « Est-ce que Victor n’était pas plus heureux tout seul dans la forêt ? Est-ce qu’on a réellement eu raison de le sortir de là ? » Et c’est une question à laquelle la fin apporte une réponse émouvante et rassurante pour les humains civilisés que nous sommes.
Une autre chose que j’ai notée à propos de ce film : il a été tourné un an après la révolution estudiantine de mai 1968, une époque où l’on se posait beaucoup de questions sur les méthodes pédagogiques et les relations profs-élèves, où l’autorité des enseignants était fortement contestée et où l’on réclamait plus de liberté dans les enseignements, des réformes pour que la parole des étudiants et des lycéens soit prise en compte. J’ai pensé que l’attitude tantôt docile tantôt révoltée de l’enfant sauvage illustrait dans une certaine mesure ce désir moderne de liberté et d’expression de soi.
Un film vraiment magnifique et d’une richesse exceptionnelle, par ses thèmes et ses significations.

Parmi la jeunesse russe, d’Ella Maillart

Couverture chez Payot

Je consacre ce mois de janvier 2023 au thème du voyage et, dans ce cadre, je me suis intéressée à l’écrivaine et voyageuse suisse du 20ème siècle, Ella Maillart, et plus précisément à son tout premier récit de voyage, écrit en 1930, dans ce que l’on nommait à l’époque l’URSS, et qui suscitait une grande curiosité (et, souvent, de l’hostilité) dans le reste de l’Europe et du monde.
Quelques mots d’abord sur l’écrivaine :

Ella Maillart (1903 à Genève – 1993 à Chandolin en Suisse) est une voyageuse, écrivaine et photographe suisse. Grande sportive, elle pratique le ski alpin, la voile et l’alpinisme. Elle participe aux régates Olympiques de 1924. De 1931 à 1934, elle défend les couleurs de la Suisse aux premiers Championnats du Monde de ski.
Attirée par le cinéma russe, elle part en reportage à Moscou, qui sera le sujet de son premier livre « Parmi la jeunesse russe », publié en 1932. Ses voyages la mènent ensuite, pendant les années 30, en Asie Centrale, en Mandchourie, en Chine, en Inde, puis en Afghanistan et jusqu’en Turquie.
Elle passe cinq ans en Inde de 1940 à 1945, auprès de maîtres spirituels.
Le village suisse de Chandolin, à 2000 mètres d’altitude, constitue son principal point de chute entre ses divers périples et il accueille ses dernières années de vie.
(Source : Wikipédia)

Quatrième de Couverture

« Je veux être avec la jeunesse russe et pas avec les six mille Américains qui envahissent Moscou. »
Ella Maillart à sa mère, 25 août 1930

Douze ans après la révolution, le régime soviétique reste une énigme pour des Occidentaux fascinés par Eisenstein et le cinéma russe. Ella Maillart a vingt-six ans. Elle obtient un visa et débarque à Moscou en 1930, dans un pays bouleversé, frappé par la famine. Elle loue une paillasse dans le deux-pièces de la comtesse Tolstoï, vit de thé et de pain noir, rame sur la Moskova avec de jeunes ouvriers et passe des heures dans la cabine de montage du réalisateur Vsevolod Poudovkine. Avec fraîcheur, elle note ce qu’elle voit, et parvient à se joindre à un groupe qui part découvrir la Svanéthie, traversant le massif central du Caucase à pied. Ce voyage sera aussi pour elle l’occasion de découvrir les superbes images mongoles de Tempête sur l’Asie qui lui donneront un avant-goût de cet Orient qui bientôt deviendra sa vie.

Mon humble Avis

Dans les années 30, il n’était pas courant pour une femme seule de voyager, surtout pas dans des pays lointains ou réputés dangereux, et on ne peut qu’admirer le courage et l’intrépidité d’Ella Maillart au cours de son périple en URSS. Plusieurs fois, elle se trouve dans des situations difficiles, devant lesquelles la plupart des gens reculeraient, mais elle décide d’aller de l’avant malgré tout et ne se décourage pas. Ainsi, quand elle décide d’escalader avec un groupe de jeunes russes plusieurs montagnes du Caucase, elle se fait mordre très gravement à la jambe par un chien mais, loin de rebrousser chemin et de chercher un médecin, elle continue son ascension et ses performances sportives, parfois même à cloche-pied tellement la douleur est intense.
La partie du livre qui m’a le plus intéressée est la première, où elle séjourne à Moscou et où elle relate beaucoup d’anecdotes sur la vie quotidienne des moscovites aux premiers temps du communisme : les queues devant les magasins, les difficultés pour trouver des produits de nécessité courante, les logements souvent collectifs, le grand effort de la politique soviétique en faveur de l’éducation des plus défavorisés et en faveur du sport.
Ella Maillart a l’air, dans l’ensemble, plutôt enthousiaste devant ce pays en plein bouleversement, où tout se construit et se modernise rapidement et où la jeunesse a pris le pouvoir. Elle ne semble pas du tout pressentir les horreurs staliniennes (en 1930, Staline est déjà au pouvoir depuis un an) et ne s’offusque pas non plus de la propagande d’Etat ou des possibles surveillance ou emprisonnement de certains citoyens rétifs au régime. Mais il est vrai qu’elle parle assez peu de politique et presque pas du Gouvernement russe. Ce qui l’intéresse c’est surtout la découverte de la vie quotidienne, de rencontrer des Russes, principalement des jeunes, de discuter avec eux et de vivre parmi eux, en immersion complète.
On peut admirer aussi la sociabilité et la bonne maîtrise linguistique d’Ella Maillart, qui parvient à se lier d’amitié presque partout où elle va, qui s’intègre à de nouveaux groupes de jeunes russes avec une facilité étonnante et qui tient avec eux des conversations soutenues et complexes.
L’écriture est très agréablement ciselée mais j’ai regretté parfois la trop grande place accordée aux descriptions, d’ailleurs très réussies, au détriment peut-être de la réflexion. Trop de place pour le monde extérieur au détriment de l’intériorité, ce qui est sans doute une caractéristique de nombreux récits de voyage. D’un autre côté, j’ai bien compris qu’Ella Maillart voulait rester au plus proche des gens et des faits réels objectifs, comme dans un documentaire ou un reportage, mais parfois on se dit qu’un petit peu plus d’analyse et de prise de recul ne feraient pas de mal…
J’ai tout de même beaucoup apprécié ce livre, qui se lit avec grand plaisir, car l’écrivaine voyageuse possède de très nombreux centres d’intérêt (culture, sport, littérature, cinéma, etc.) et qu’elle envisage la vie et les gens avec curiosité, donc son récit aborde des sujets multiples et variés et sa manière de raconter les choses est pleine de vivacité et de passion.

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Un Extrait Page 35

Au début, j’allais moi-même aux provisions. Le matin, pour ce que j’avais à acheter, cela se passait sans encombre ; la plupart des ouvrières étant au travail, je rencontrais surtout d’anciennes bourgeoises ou des servantes (celles-ci forment un groupe syndiqué). Il faut souvent attendre pour être servi, le personnel étant insuffisant. Les vraies queues, celles qui sont exténuantes, me semblent provoquées par les distributions spéciales, annoncées à l’avance : vêtements, chaussures.
Crise du cuir. Tout le monde veut des bottes. Sur 160 millions d’habitants, l’URSS compte environ 120 millions de paysans. Autrefois, seuls quelques privilégiés pouvaient s’acheter des bottes ; les autres allaient chaussés de sandales d’écorce. Autres temps, nouveaux moyens, nouveaux besoins : il faut aujourd’hui botter un continent. Tout en reformant le cheptel !

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Un autre Extrait page 38

-Es-tu de Moscou ? me demande une petite brune aux cheveux ébouriffés.
-Non, je suis étrangère ; et toi ?
-Je viens de Kharkov, mais quel est ton pays ?
Au mot « étrangère », propagé comme une traînée de poudre, tous ont suspendu et leurs phrases et le cours de leur pensée ; chacun arrête le bouillonnement de vie qui lui est propre pour laisser le champ libre à la curiosité. Ils se sont retournés, ils se battent pour m’approcher, pour me toucher ; yeux, odorat, oreilles tendus vers l’inconnue.
-Comment t’appelles-tu ?
-Où travailles-tu ?
-Te plais-tu chez nous ?
-Est-ce aussi bien chez toi ?
Les jeunes ne mettent pas en doute que le monde entier s’intéresse à la Russie. Mais les vieux demandent toujours :  » Pourquoi diable venez-vous dans ce pays-ci ? »
Comment répondre à chacun d’une manière satisfaisante ? Je me désole de n’y pouvoir parvenir.

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Un Troisième Extrait page 211

L’express de Leningrad lutte contre le vent invisible, remonte le fleuve de nuit impénétrable ; il ponctue son avance de mugissements angoissés, profonds comme ceux d’un vapeur dans le brouillard.
Je suis partie de Moscou sans bien m’en rendre compte ; je n’ai pas quitté la ville pour de bon, avec le regard circulaire d’adieu dont on enveloppe Athènes ou Amsterdam. J’ai l’impression d’y devoir revenir prochainement, rappelée par les êtres que j’y laisse et qui sont devenus partie de moi-même. Certes, je reviendrai…
Pourquoi même suis-je partie ? Trop d’habitudes trop anciennes me ramènent-elles dans mes longitudes ? Ou peut-être la peur de ne pas trouver de travail intéressant avant de mieux savoir le russe ? Ou suis-je simplement tenaillée par le besoin qui pousse les fidèles de la despote aventure, besoin d’aller toujours vers l’inconnu ?

Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal

Affiche du film

J’ai eu envie de consacrer ce mois de janvier au thème du Voyage, et j’ai donc regardé en DVD ce film de 2020 de Caroline Vignal, qui est essentiellement l’histoire d’une jeune femme partie en randonnée à travers la campagne, en compagnie d’un âne.

Notes techniques sur le film :

Genre : Comédie
Date de Sortie en salle : 2020
Français, Couleur
Durée : 1h37

Présentation du DVD (Quatrième de Couv) :

Des mois qu’Antoinette attend l’été et la promesse d’une semaine en amoureux avec son amant, Vladimir. Alors quand celui-ci annule leurs vacances pour partir marcher dans les Cévennes avec sa femme et sa fille, Antoinette ne réfléchit pas longtemps : elle part sur ses traces ! Mais à son arrivée, point de Vladimir – seulement Patrick, un âne récalcitrant qui va l’accompagner dans son singulier périple…

Mon Avis :

Ce film avait eu un très grand succès en France au moment de sa sortie, qui tombait peu après le confinement (si je me souviens bien), et qui avait l’avantage d’apporter de la gaité et des escapades en pleine nature et en liberté pendant une période où nous nous sentions tous moroses, coincés et entravés. Un bol d’air frais, en quelque sorte.
N’ayant pas vu ce film à sa sortie, mais seulement deux ans plus tard, cet effet post-confinement est sûrement moins prégnant, mais j’ai tout de même apprécié ce périple à travers les superbes paysages des Cévennes ainsi que le formidable jeu d’actrice de Laure Calamy qui passe de l’émotion au comique (et, souvent, les deux en même temps) avec un grand naturel.
L’amitié très forte qu’Antoinette noue avec son âne m’a un peu fait penser au vieux film avec Fernandel, « La Vache et le prisonnier », même si le contexte de ces deux histoires est complètement différent. Le face à face affectueux humain-animal a tendance à susciter la sympathie du spectateur en toutes circonstances. Et on peut dire que, dans « Antoinette dans les Cévennes« , les relations de la jeune femme avec son âne paraissent nettement plus importantes que ses relations avec son amant, et en tout cas plus profondes, plus passionnelles et plus durables.
Il m’a semblé que, dans ce film, Antoinette apprivoise peu à peu cet animal et apprend à composer avec son caractère têtu et réfractaire et, ce faisant, elle apprend aussi à composer avec la réalité, à accepter la vie telle qu’elle, c’est-à-dire souvent frustrante, insatisfaisante.
C’est peut-être une faiblesse du film, de ne pas avoir un peu plus approfondi le personnage de l’amant et de ne pas avoir davantage creusé cette relation amoureuse qui est supposée être le moteur de l’intrigue et à laquelle on ne croit pas vraiment. Car, au final, on se demande pourquoi la jeune femme (Laure Calamy) est ainsi partie dans les Cévennes et s’est embarquée dans une aussi grosse galère à la poursuite d’un amant si falot et si peu intéressant. Alors, oui, elle est sûrement très impulsive et irréfléchie, écervelée, mais ça parait par moment incohérent, d’autant qu’elle n’a plus quinze ans…
Ceci dit, j’ai trouvé ce film assez agréable, sympathique, bon enfant… mais je n’aurai pas envie de le voir une deuxième fois.

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Sans rapport avec le film chroniqué ci-dessus :

Je profite de cet article pour vous adresser mes meilleurs vœux de bonne et heureuse année pour 2023 !
Santé, affection, paix, inspiration et belles lectures poétiques, réussites dans vos projets et découvertes culturelles enrichissantes…

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Frère et Sœur d’Arnaud Desplechin

Arnaud Desplechin est un cinéaste français très réputé, actif depuis le début des années 90 (son premier moyen-métrage La Vie des Morts, date de 1991), et dont j’ai déjà vu trois ou quatre films avec un certain plaisir, comme La Sentinelle (1992), Comment je me suis disputé (1996), ou encore Trois Souvenirs de ma Jeunesse (2015). Aussi je suis allée voir son dernier opus, « Frère et sœur« , avec confiance, et toute prête à passer un moment intéressant et agréable. Mais je n’ai pas été tout à fait convaincue.
J’ajoute que j’ai vu ce film vers la fin mai 2022 et planifié ma chronique seulement aujourd’hui.

Brève Présentation de l’Histoire

Un frère et une sœur (Melvil Poupaud et Marion Cotillard) se détestent depuis de nombreuses années et ne se voient plus, ne veulent plus jamais se parler. Mais, un jour, leurs vieux parents sont victimes d’un grave accident de voiture et conduits à l’hôpital dans un état critique. Le moment est donc venu pour le frère et la soeur de se réconcilier. Mais les choses ne sont pas si simples et les rancunes sont tenaces.

Mon Avis

C’est un film très mélodramatique, avec beaucoup de cris, de larmes, d’effusions et surtout d’évanouissements. Les acteurs semblent à moitié fous, survoltés, et tout le temps à fleur de peau. Le genre de gens fatigants qu’on n’a pas trop envie de côtoyer dans la vraie vie et pas tellement sur un écran de cinéma non plus. On a beau savoir que le frère et la sœur sont des artistes (lui, écrivain et poète ; elle, comédienne de théâtre), donc des êtres hyper-sensibles, on s’étonne quand même de leurs attitudes outrancières et hystériques. Ainsi, Marion Cotillard semble tellement haïr son frère qu’elle tombe dans les pommes quand elle l’aperçoit par hasard dans un couloir d’hôpital – est-ce qu’il n’aurait pas été plus vraisemblable qu’elle fasse simplement demi-tour et qu’elle aille attendre son départ dehors ? Certes, ça aurait été moins spectaculaire, mais au moins on y aurait cru. Les scènes de ce genre sont assez nombreuses dans le film et on est à chaque fois étonné… et pas tellement ému.
Le problème c’est aussi qu’on ne sait pas réellement pourquoi ce frère et cette sœur se haïssent à ce point. Plusieurs pistes nous sont allusivement et rapidement proposées : une jalousie artistique, un désir de domination, peut-être un inceste, on ne sait pas trop…
Bien sûr, pendant tout le film nous attendons la grande scène de réconciliation, le moment crucial où les deux personnages vont accepter enfin de se rencontrer et de s’expliquer clairement (ce qui nous permettrait, à nous aussi, d’y voir plus clair !) – seulement voilà : la grande scène de réconciliation fait « pschit ! » et on n’en saura pas plus – beaucoup de bruit pour rien, mais passons ! – Marion Cotillard avoue ne pas savoir pourquoi ils se détestaient, Melvil Poupaud ne sait pas non plus, et le spectateur commence à regarder sa montre avec un certain agacement.
On pourrait dire encore plein de choses sur ce film : deux ou trois références à Woody Allen, certains personnages secondaires qui ne jouent aucun rôle dans l’histoire et donc ne servent à rien (le frère, prénommé Fidèle, inexistant, écrabouillé par les deux autres), une jeune roumaine touchante et sympathique dont nous ne saurons pas la suite de l’histoire (alors qu’on aurait voulu savoir), etc.
Mais la très grande beauté de Golshifteh Faharani et les moments où elle sourit suffisent à réconforter parfois le spectateur et à le faire patienter jusqu’à la fin…

M le maudit, de Fritz Lang

Affiche du film

Puisque je consacre ces quelques semaines à l’Allemagne, j’ai eu envie de voir l’un des plus grands classiques du cinéma allemand, M le Maudit, que je n’avais encore jamais vu en entier mais dont je connaissais quelques séquences emblématiques.

Note technique sur le film :

Date de sortie : mai 1931
Premier film parlant de Fritz Lang
Noir et Blanc sous-titré
Durée : 1h45.
Vu sur Youtube car mon DVD était défectueux.

Résumé du début de l’histoire :

Dans une grande ville allemande, sans doute Berlin, un psychopathe assassine des petites filles et la police ne parvient pas à mettre la main sur ce pédophile et tueur en série, malgré ses efforts continus et constants. Toute la ville est en émoi, en proie à la terreur, et chaque habitant est prêt à soupçonner son voisin ou le premier passant venu, pour peu qu’un enfant s’en approche. Dans le cadre de ses recherches du tueur, la police fait de nombreuses rafles dans les rues, les bars, les maisons closes, ce qui dérange profondément les trafics de la pègre et donne aux truands l’envie de rechercher eux-mêmes le monstre tueur d’enfant et de s’en débarrasser une bonne fois pour toutes. La Police et la pègre vont donc, chacun de son côté, employer tous les moyens à leur disposition pour cette chasse à l’homme dans les rues de Berlin.

Mon humble avis :

Je n’aurai certainement pas la prétention de proposer une analyse de ce film qui a déjà été décortiqué plan par plan, en long en large et en travers, par tous les spécialistes du septième art depuis plus de quatre-vingt-dix ans, ce qui signifie qu’il n’y a probablement plus grand-chose de neuf à rajouter dans ce domaine.
Je peux seulement exprimer mes impressions, à chaud et très subjectives, sur ce film très puissant et parfaitement orchestré.
Il m’a semblé que, dans ce film, il n’y a pas vraiment de personnage principal car l’intérêt du spectateur est attiré tour à tour sur tel ou tel d’entre eux, et notamment sur des groupes de personnages (les bandits, les policiers, les mendiants, les passants, etc.) comme si la ville entière était le personnage principal, subdivisée en clans et en gangs divers, des entités sociales qui s’opposent de manière frappante au tueur d’enfant qui, lui, est absolument seul.
Ce tueur d’enfant nous est présenté dès le début comme un monstre épouvantable, à travers les titres de journaux et les dialogues entre citadins, mais, au fur et à mesure que l’on avance dans le film, on pourrait dire que ce personnage s’humanise. Quand on le voit, tout seul, traqué et en fuite, avec le regard épouvanté par ses poursuivants, on ne peut pas s’empêcher d’avoir pitié de lui. Et, alors qu’on avait peur de lui dans la première moitié du film, on finit par avoir peur pour lui à la fin (sans pour autant l’excuser, bien sûr) ce qui est un retournement assez remarquable.
La question de la peine de mort est ici soulevée et résolument écartée, de même que celle de la responsabilité des malades mentaux, et on peut remarquer que, presque un siècle plus tard, ces sujets restent d’actualité, dans la mesure où tout le monde n’en est pas encore convaincu et que des débats peuvent encore fleurir, quelquefois, à ce sujet.
Du point de vue formel, ce film m’a paru exceptionnel, les images ont un impact puissant et mémorable, le son est savamment étudié pour créer une atmosphère inquiétante et un suspense haletant.
Comme ce film a été tourné en Allemagne et en 1930, les personnages ont parfois des allures de nazis (costumes du style de la gestapo pour les policiers) et ils parlent souvent avec les intonations et les vociférations cassantes qui rappellent les futurs discours d’Hitler, ce qui renforce la sensation de malaise et d’inquiétude devant certaines scènes.
Les acteurs ont une expressivité proche de celle des films muets, mais cela participe à l’esthétique générale du film et accentue l’émotion du spectateur, me semble-t-il.
Un classique incontournable du cinéma, qu’il aurait été dommage de ne pas voir.

Peter Lorre avec le « M » dans le dos

Les Gens normaux n’ont rien d’exceptionnel de Laurence Ferreira Barbosa

Affiche du film (1993)

Dans le cadre de ce Mois sur la Maladie psychique, qui commence aujourd’hui, j’ai vu ce film français de Laurence Ferreira Barbosa qui date de 1993, avec Valéria Bruni-Tedeschi, Melvil Poupaud, Claire Laroche, Frédéric Diefenthal, Marc Citti, Berroyer, et toute une excellente troupe d’acteurs.
En fait, j’avais déjà vu ce film à sa sortie et j’en gardais un souvenir flou, mais agréable, donc je l’ai revu ce matin pour me le remettre bien en tête.

Début de l’histoire :

Une jeune femme, Martine (Valeria Bruni-Tedeschi), âgée d’une vingtaine d’années, traverse une période difficile de sa vie. François (Serge Hazanavicius), son compagnon vient de la quitter pour une autre femme (Sandrine Kiberlain), après trois ans de relation. La vie professionnelle de Martine n’est pas très satisfaisante non plus car elle travaille dans une centrale d’appels téléphoniques où elle est supposée vendre des décorations de salles de bains et se fait souvent rabrouer par ses interlocuteurs. Un de ses collègues, très gentil, (Frédéric Diefenthal) est amoureux d’elle sans qu’elle lui prête beaucoup d’attention, malgré une nuit passée ensemble. Un soir, Martine se cogne le crâne, de manière délibérée et avec violence, contre une vitrine de magasin et, après un moment d’inconscience, elle devient partiellement et temporairement amnésique. La police l’amène dans un hôpital psychiatrique où elle va faire connaissance avec un certain nombre de psychotiques qui ont tous des problèmes réels et imaginaires, et qu’elle va essayer d’aider et de soutenir moralement. (…)

Mon avis :

C’est un film qui porte un regard affectueux et tendre sur les malades psychotiques, dont les bizarreries peuvent parfois porter à sourire, car elles semblent saugrenues, et qui sont, à d’autres moments, très émouvantes car révélatrices de grandes souffrances intérieures. A travers cette petite dizaine de portraits de « fous » nous avons une image assez sympathique et empathique de la folie et on sent que la réalisatrice cherche à réhabiliter la vision du psychotique, à rompre totalement avec les figures à la Norman Bates et autres monstres sanguinaires dont a toujours raffolé le cinéma américain, entre autres.
En même temps, un certain réalisme semble guider le scénario et plusieurs situations paraissent véritablement inspirées par des scènes vécues ou des personnages rencontrés dans des asiles, et ce sens du réel reste assez frappant, encore de nos jours, alors que le film date de presque trente ans.
L’héroïne, jouée par Valéria Bruni-Tedeschi, est supposée être un cas psychologique moins grave que les autres, dans le sens où elle n’est pas enfermée, elle sort de l’hôpital au gré de ses envies, mais son attitude altruiste nous paraît souvent déplacée et exagérée. Très exaltée, émotive, et n’ayant que le mot « amour » à la bouche, elle veut faire le bonheur des autres patients, que ça leur plaise ou non et souvent contre leur volonté, et ne parvient finalement qu’à semer le désordre et l’embarras autour d’elle. D’ailleurs, le personnage de Germain (Melvil Poupaud) la traite à un moment de dictateur, ce qui est assez bien vu, même si son autoritarisme provient d’une générosité mal canalisée.
Peut-être que l’héroïne, ayant du mal à trouver des raisons de vivre et traversant, comme elle le dit, une crise existentielle, découvre dans cet univers psychotique et dans la souffrance d’autrui une justification à son existence et une échappatoire à ses propres soucis.
Un film qui m’a plu, dans l’ensemble, grâce à son acuité psychologique, quelques moments d’humour, une histoire assez prenante et des portraits qui ne tombent jamais dans la caricature.

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Uzak, un film de Nuri Bilge Ceylan

affiche du film

J’avais déjà vu et chroniqué deux films de Nuri Bilge Ceylan – Winter Sleep et, au printemps dernier, Le Poirier Sauvage – et je les avais tellement aimés que j’avais gardé en tête le nom de ce réalisateur turc, avec l’idée de voir d’autres films de lui, à l’occasion.
J’ai pu découvrir « Uzak » (qui signifie, parait-il, « Lointain » ou « Distant » en turc) ce matin en DVD.

Note technique sur le film :

Année de sortie : 2002
Durée : 1h50
Couleur
Version turque sous-titrée français

Début de l’histoire :

Le personnage principal, Mahmut, est un photographe qui travaille essentiellement pour une entreprise de fabrication de carrelages, c’est-à-dire qu’il passe son temps à photographier des dalles et des carreaux, ce qui lui permet sans doute de vivre confortablement mais n’est pas très passionnant. Cela nous parait d’autant moins passionnant que nous apprenons par la suite que ce photographe rêvait dans sa jeunesse de devenir un cinéaste de talent et que son modèle était, à cette époque, Tarkovski. Et on se dit qu’il y a loin entre ces idéaux de jeunesse et le présent très morose de cet homme. Encore un peu plus tard dans le film, nous voyons ce même photographe, accompagné de son cousin, se morfondre dans son fauteuil devant un film de Tarkovski alors qu’il rêve seulement de voir un film pornographique dès que son cousin sera parti, ce qui nous montre une fois encore la distance que cet homme a prise avec ses grandes ambitions artistiques initiales. Du point de vue de ses relations féminines, sa situation ne semble pas non plus très enviable et on sent qu’il éprouve encore des sentiments pour son ex-femme, mais elle s’est remariée et va bientôt immigrer au Canada – autant dire qu’il ne la reverra certainement pas.
C’est donc au milieu de cette existence peu satisfaisante que Mahmut, le photographe, voit débarquer un beau jour chez lui Yusuf, un de ses jeunes cousins, issu du même village que lui, qui lui demande de l’héberger durant une semaine car il veut chercher du travail en tant que marin, pour voyager et gagner correctement sa vie.
Mais la crise économique qui sévit dans le pays va rendre cette recherche d’emploi un peu plus longue et compliquée que prévu et le jeune cousin va quelque peu s’incruster.

Mon humble avis :

Le début d' »Uzak » est particulièrement lent et surtout silencieux, ce qui s’explique par la grande solitude des personnages. Le premier dialogue n’arrive qu’au bout de onze minutes de film, mais ensuite, petit à petit, la parole commence à s’installer car on entre plus profondément dans les relations entre les différents protagonistes, et particulièrement entre le photographe et son cousin, dont la bonne entente du début se dégrade insensiblement, avec des hauts et des bas, jusqu’à la fin.
Bien que ce film soit avare de paroles, avec des dialogues minimalistes, il explore un très grand nombre de thèmes, et il propose énormément de réflexions, pour peu que l’on se concentre bien sur chaque scène et sur le sens des images, des situations, où une dimension comique peut affleurer assez souvent : esprit de dérision par rapport aux personnages, dont les petites mesquineries sont soulignées avec intelligence.
Nous avons d’abord un sentiment d’opposition entre ces deux cousins : à priori, quel rapport peut-il y avoir entre ce photographe de la ville, l’artiste cultivé, qui a plutôt bien réussi financièrement, et ce cousin de la campagne, un ancien ouvrier au chômage, plutôt mal dégrossi et pas très débrouillard ? Mais, au fur et à mesure du film, leurs ressemblances finissent par nous frapper bien plus que leurs différences superficielles. Tous les deux sont désespérément seuls, ne sont pas doués avec les femmes quoiqu’ils ne « pensent qu’à ça », tous les deux ont un sentiment d’échec et doivent renoncer à leurs désirs et ambitions, et tous les deux doivent se confronter à leur propre vide.
Il est d’ailleurs significatif que le photographe, possesseur d’une énorme bibliothèque (qu’il a peut-être consultée autrefois ?) n’y jette jamais un seul coup d’œil et préfère passer sa vie devant la télévision – et on sent là le regard très critique du cinéaste sur ce personnage un peu lâche et qui se laisse aller à la facilité !
Un beau film, profond et sensible, et intelligemment pensé…

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J’avais initialement chroniqué « Uzak » dans le cadre de mon « Printemps des artistes » de 2022 puisque le héros de ce film est photographe et qu’il est question souvent de Tarkovski, mais finalement j’ai préféré chroniquer « Le Poirier sauvage » à cette occasion et repousser celui-ci en septembre.
Je retiens en tout cas l’intérêt de ce cinéaste pour les héros-artistes, d’autant plus qu’il a des choses très personnelles à en dire.

La Maman et la Putain de Jean Eustache

Affiche du film

Ce film mythique du début des années 70, qui avait fait scandale à sa sortie et qu’Ingrid Bergman, alors présidente du jury à Cannes, avait trouvé « sordide » et « vulgaire », vient de ressortir en version restaurée dans quelques salles obscures parisiennes et ce fut pour moi l’occasion de le découvrir pour la première fois.

Note Technique sur le Film

Date de sortie : 1973
Noir et Blanc
Durée : 3h35
Acteur : Jean-Pierre Léaud
Actrices : Bernadette Lafont (Marie), Françoise Lebrun (Véronika), Isabelle Weingarten (Gilberte)

Résumé de l’histoire

À Paris en 1972, Alexandre (Jean-Pierre Léaud) est un homme jeune et oisif qui aime fréquenter les cafés du 6ème arrondissement (Flore, Deux Magots) et qui est aussi un grand séducteur. Il vient en effet de se séparer de Gilberte mais il essaie de la reconquérir en lui tenant des propos enflammés et inspirés de Marcel Proust. Dans le même temps il vit en couple avec Marie (Bernadette Lafont) qui est une femme un peu plus âgée que lui et qui tient une boutique de vêtements. Marie oscille à l’égard des infidélités d’Alexandre entre l’indulgence et la jalousie.
Un jour Alexandre aperçoit à une terrasse de café une séduisante jeune femme blonde (Françoise Lebrun) et il lui demande son numéro de téléphone, ce qu’elle accepte. Il l’appelle quelques jours plus tard et il apprend qu’elle se nomme Veronika et qu’elle est infirmière. Ils se donnent rendez-vous.
Après être devenu son amant, Alexandre décide d’amener Veronika chez Marie mais les rencontres ne se passent pas forcément très bien entre les deux femmes. Bientôt, ils vont se mettre en ménage à trois. (…)

Mon Avis

Ce film aborde une très grande quantité de thèmes, des plus politiques aux plus sentimentaux. Jean Pierre Léaud, dans des performances d’acteur extraordinaires et souvent émouvantes, semble se faire le porte-parole du réalisateur. Il ne recule pas devant les blagues de comptoir un peu surprenantes et, en parallèle, il est capable de longs monologues poétiques et qui ont parfois quelque chose de prophétique.
Tout au long de ces 3h30 de film, Jean Eustache multiplie les références cinématographiques : il nous dit qu’il aime Bresson, Fernandel et les films de vampires de Murnau, qu’il n’aime pas les « Visiteurs du Soir », que des films comme « Une femme est une femme » de Godard lui ont appris à vivre et, en particulier, à faire son lit, etc., ce qui fait aussi de ce film une sorte de manifeste artistique et esthétique.
On peut dire qu’il s’agit également d’un manifeste musical car les personnages mettent parfois des disques et se taisent durant la chanson, ce qui nous permet de l’écouter en entier, et d’apprécier Frehel ou Damia ou encore des morceaux de rock comme Deep Purple. La pochette du premier disque de King Crimson (rock progressif) est également bien mise en évidence dans l’une des scènes.
Les images sont magnifiques, et abondent en plans fixes et en gros plans sur les visages des acteurs et actrices pendant qu’ils sont en train de discourir. Au cours de leurs monologues, on peut avoir l’impression que les personnages s’adressent en réalité aux spectateurs et non pas à leurs vis-à-vis de tournage.
Si les premières scènes du film sont relativement sages et conventionnelles et semblent préfigurer un marivaudage romantique, nous sommes ensuite conduits vers des ambiances plus sombres, plus désespérées, plus trash (par les dialogues). Dans les dernières scènes, un certain nihilisme m’a fait penser à la mode punk qui devait naître à peine trois ou quatre ans plus tard, et qui est surtout illustrée par le personnage très décadent de Véronika, « la putain » du titre, dont le maquillage charbonneux se mêle à ses pleurs amers, en un monologue très bouleversant.
Un chef d’œuvre ! A voir, toutefois, avec un bonne forme morale et physique – car un peu éprouvant.


Scène du film

Licorice Pizza, un film de Paul Thomas Anderson

Affiche du film

J’ai vu ce film en janvier, dès la première semaine de sa sortie en France, et j’ai décidé de vous en parler quelques mois plus tard, à l’occasion de mon Mois Américain de juin 2022 dont c’est aujourd’hui le dernier jour et le dernier article.

Note pratique sur le film :

Nationalité : américain
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie aux Etats-Unis : 26 novembre 2021
Date de sortie en France : 5 janvier 2022
Durée : 2h13mn

Résumé de l’histoire (situation de départ)

Du côté de Los Angeles, autour de 1973, Gary Valentine est un adolescent de quinze ans, lycéen sûr de lui et acteur à ses heures perdues. Un jour, dans son lycée, il croise Alana Kane, une jeune photographe de vingt-cinq ans, venue faire des photos de classes pour tous ces lycéens. Il est très attiré par elle mais leur différence d’âge maintient une certaine distance entre eux et ils se limitent à des liens d’amitié et de complicité platonique. Au fur et à mesure du temps, ils partagent des expériences de vie plus ou moins décevantes et sont souvent emportés, chacun de son côté, dans des aventures curieuses ou risquées. Mais la vie finira par les rapprocher.

Mon Avis :

Avant de voir ce film, et au vu de son résumé, je pensais que son sujet principal était « l’histoire d’amour compliquée entre une jeune femme et un ado », avec toutes les entraves et barrières possibles dressées devant eux pour les empêcher de s’aimer. Mais, en réalité, la différence d’âge entre les deux personnages, loin d’être soulignée, est sans cesse gommée, puisque l’adolescent se comporte tout à fait comme un adulte – il est dynamique, ambitieux et sûr de lui, il crée et dirige des entreprises, fait des affaires, gagne de l’argent sans problème, il conduit sa voiture, il donne des conseils aux adultes de son entourage, etc. – tandis que la jeune femme ne semble pas très mûre ni très réfléchie – et finalement on ne voit pas trop où est le nœud du problème ou même s’il y a un problème à résoudre entre eux.
Plusieurs fois pendant ces deux heures et quart de film, je me suis demandé : « Mais quel est le sujet de ce film ? Où est l’intrigue ? A quoi sommes-nous censés nous accrocher ? » et, pour tout dire, je m’ennuyais et j’hésitais à quitter la salle – mais je suis tout de même restée jusqu’au bout, par scrupule et par curiosité.
Certes, il se passe pas mal de choses dans ce scenario, qui nous montre ces deux personnages en train de chercher leur voie professionnelle et amoureuse – et échouer dans cette recherche la plupart du temps, malgré leur ambition (qui est le principal point commun de leur caractère), que ce soit ensemble ou séparément – mais l’intérêt est assez fluctuant selon les épisodes.
Du côté des points positifs, j’ai apprécié les nombreuses chansons des années 70 qui accompagnent l’image, avec une mention spéciale pour Les Doors et David Bowie, et qui, avec les costumes aux formes amples et aux couleurs acidulées, nous replongent dans ces années psychédéliques et pop et nous réveillent de notre torpeur. Ceci dit, l’état d’esprit hippie, cool et fortement contestataire des années 70 n’est pas restitué dans ce film, et les effets de nostalgie restent donc plutôt en surface et décoratifs.
Du point de vue des dialogues, je dirais qu’on sent à plusieurs reprises l’influence d’un humour décalé à la Tarantino ou inspiré des frères Coen, mais en beaucoup moins réussi car ça tombe souvent à plat.
Bref, un moment de cinéma dont j’aurais aussi bien pu me passer !