L’écrivain et éditeur Etienne Ruhaud m’a fait l’honneur et le plaisir de m’interviewer pour le site d’actualités littéraires « Actualitté« , au sujet de mon recueil poétique La Portée de l’Ombre, paru aux éditions Rafael de Surtis. Merci à lui pour cette invitation et pour ses questions !
J’avais déjà fait paraître ici, en octobre dernier, un billet sur la première moitié de « La Montagne Magique » et voici une chronique après lecture de la deuxième moitié. Vous pourrez vous reporter à mon premier article pour le résumé du début de l’histoire et les renseignements pratiques sur le livre.
La Suite de l’histoire
Cette deuxième moitié est tout à fait passionnante et il se passe beaucoup plus de choses que dans les six-cents premières pages. Plusieurs personnages importants apparaissent successivement : le jésuite Naphta, très brillant sur le plan intellectuel, devient le contradicteur habituel de l’humaniste et franc-maçon italien Settembrini. Naphta est à la fois communiste, religieux, doloriste, terroriste et il représente l’obscurantisme et les forces néfastes de l’esprit, sous une apparence séduisante et mûrement réfléchie. Entre les deux philosophies antagonistes que Naphta et Settembrini défendent, Hans Castorp hésite et n’est finalement convaincu par aucune des deux. Il en a d’ailleurs la révélation soudaine lors d’une randonnée à ski, en solitaire, au cours de laquelle il se fait surprendre et ensevelir par une violente tempête de neige. Croyant sa dernière heure arrivée, Hans Castorp est pris dans des visions oniriques et merveilleuses qui dégénèrent bientôt en images cauchemardesques et il finit par percevoir une vérité frappante et fugitive. Un autre personnage important qui va apparaître est Mynheer Peeperkorn. Nouvel amant de Clawdia Chauchat, qui est revenue avec lui au sanatorium, il est un sexagénaire charismatique et d’une carrure imposante, mais pas très intelligent et peu doué pour les discours. Malgré tout, sa prestance et sa force physique suffisent à rendre tout à fait insignifiantes les joutes verbales des deux pauvres Settembrini et Naphta, qui sont relégués aux rôles de figurants. Hans Castorp est subjugué par Peeperkorn et ils deviennent de proches amis, au point que Clawdia Chauchat passe nettement au second plan. (…)
Mon humble Avis
J’ai eu l’impression que Thomas Mann voulait, avec ce livre, aborder TOUS les sujets imaginables car les thèmes sont innombrables et il parle même de sciences occultes et de séances de spiritisme, de l’hypnose, il fait intervenir des fantômes, il évoque longuement l’invention du phonographe et des disques (avec ses préférences musicales et ses opéras favoris), il nous parle de l’apprentissage du ski, de l’amour, de l’amitié, de l’ennui (qu’il appelle inertie), des jeux de cartes, de l’antisémitisme, de la violence, de la guerre de 14, etc. J’ai quelquefois pensé à Proust en lisant ces pages car il y a ici aussi une recherche du temps perdu, un désir de rentrer dans le détail de chaque instant vécu et d’observer le monde à la loupe, dans toutes ses manifestations physiques, climatiques, psychiques, historiques, ce qui a parfois un effet vertigineux et aussi fascinant. Thomas Mann déclare d’ailleurs à plusieurs moments que ce roman est un livre sur le temps et il analyse les rapports de la littérature et du temps, ce que j’ai trouvé insolite et très enthousiasmant. Cette deuxième partie du roman réserve aux lecteurs plusieurs moments de grande surprise et sans doute plus d’émotions fortes que la première partie, où les personnages s’installent lentement et sagement dans cette longue histoire. Les dernières pages du livre m’ont bouleversée, et je ne m’attendais pas à un tel dénouement.
Un Extrait page 831
(…) Un morceau de musique intitulé Valse de cinq minutes dure cinq minutes, c’est son seul et unique rapport au temps. Et pourtant, une narration dont le contenu s’étendrait sur une période de cinq minutes pourrait, quant à elle, en remplissant ces cinq minutes avec une minutie hors du commun, durer mille fois plus longtemps, tout en étant d’une divertissante concision, alors qu’elle serait affreusement languissante, auprès du temps de la fiction. D’autre part, il est possible que le temps inhérent au contenu excède grandement la durée de la narration elle-même, vue en raccourci – et si nous parlons de raccourci, c’est pour évoquer l’aspect illusoire, ou, disons-le très clairement, morbide, qui s’y rapporte sans contredit : en l’occurrence, la narration a recours à un sortilège occulte et à une perspective temporelle supérieure qui rappellent certains cas anormaux de l’expérience réelle, relevant nettement du surnaturel. On détient des écrits d’opiomanes attestant que le toxicomane, durant le bref temps de l’extase, fait des rêves dont la dimension temporelle s’étend sur dix, trente, voire soixante ans, outrepassant même toutes les possibilités humaines d’expérience du temps. (…)
J’étais contente de reconduire « le Printemps des artistes » pour la deuxième année consécutive car ce fut l’occasion de belles découvertes littéraires, musicales, picturales, poétiques, et de toutes sortes d’arts du spectacle (danse, théâtre) ou d’autres arts plastiques (sculpture). Et je m’aperçois que les arts ont inspiré énormément d’écrivains et de poètes, dans une sorte de dialogue esthétique et de correspondances entre les sensations, les perceptions. Je pense donc rééditer ce défi de lecture en 2023 et si cela vous dit de participer, je serai ravie.
Un grand merci à Claude du blog « livres d’un jour » car elle a participé à ce défi avec un très grand nombre d’articles variés et passionnants, que je récapitule ici :
Un grand merci à Patrice et Eva du blog « Et si on bouquinait un peu » qui ont chacun contribué à ce défi avec d’excellents et intéressants articles, que je vous invite également à lire :
Un grand merci à Nathalie du blog « Madame lit » qui a participé également, avec trois articles très alléchants, qui donnent envie de découvrir ces auteurs :
Ce poème est issu du livre « Quelque chose de ce qui se passe » paru au Castor Astral en juin 2021. Je le publie ici dans le cadre de mon Printemps des Artistes de 2022.
Couverture au Castor Astral
Trésors Cachés
Pour Cécile
Elle avait mis trois s à « ramassser » dans le mail qu’elle m’avait envoyé. J’avais tout de suite remarqué ce petit accident – et je l’avais bien aimé.
J’imaginais une silhouette sur la plage de Trouville à marée basse penchée qui mettait dans un petit sac en toile ou dans ses poches – non ! plutôt dans un petit sac en toile – ses trésors de coquillages et de pensées personnelles à rapporter (deux p seulement) le soir même à Paris.
J’étais bousculé dans mes sentiments parce qu’en lisant le message j’écoutais « Tears Dry » (la version originale) d’Amy Winehouse et ça tanguait dans ma poitrine entre bonheur et larmes ou les deux enlacés.
Et il y avait maintenant : un s en trop à ramasser plus une silhouette sur la plage plus le ciel de Trouville plus moi devant mon écran plus la mer au bout de ma rue loin de Paris plus l’envie d’aller nager plus la voix d’Amy Winehouse dans l’album Hidden Treasures et tout cela voulait devenir quelque chose
quelque chose que moi seul pouvais tenter d’écrire car moi seul éprouvais cette émotion qui voulait peut-être dire au fond : « Qu’est-ce qui fait qu’un poème vient quand on ne l’attend pas ? »
Dans le cadre de mon défi Le Printemps des Artistes d’avril-juin 2022, j’ai lu cette biographie romancée du compositeur Maurice Ravel, intitulée sobrement Ravel, et parue aux éditions de Minuit en 2006.
Note sur l’auteur :
Jean Echenoz (né en 1947) est un écrivain et romancier français, lauréat d’une dizaine de prix littéraires, dont le Médicis en 1983 pour Cherokee et lauréat du Prix Goncourt en 1999 pour Je m’en vais. Il a publié tous ses romans aux éditions de Minuit.
Note sur le compositeur :
Maurice Ravel (1875-1937) est un compositeur français. Avec son aîné Claude Debussy, Ravel fut la figure la plus influente de la musique française de son époque et le principal représentant du courant dit Impressionniste au début du 20è siècle. Il reçut de nombreuses influences, notamment celle du jazz, de la musique espagnole, et des compositeurs du 18è siècle français comme Rameau et Couperin. (Sources de ces notes : Wikipédia).
Mon humble Avis :
Ce court roman – 124 pages – retrace les dix dernières années de la vie de Maurice Ravel, mais quelques retours en arrière par l’évocation de souvenirs, en particulier ceux de la guerre 14-18, nous permettent d’embrasser les événements les plus marquants de son existence entière. Ainsi, nous suivons le compositeur lors de sa tournée épuisante et triomphale aux Etats-Unis. Nous assistons à la composition du Boléro, dont le gigantesque succès sera pour Ravel une surprise non moins grande. Nous l’accompagnons dans ses nuits d’insomniaque et ses accès de mélancolie. Jean Echenoz semble attacher une grande importance aux petits détails de la vie quotidienne, par exemple aux soins de toilette et d’élégance de Ravel, qui nous est présenté comme un parfait dandy, toujours tiré à quatre épingles, arborant en toute occasion des accessoires raffinés (pochette, boutons de manchette, gants, etc.) et d’une netteté impeccable. Le caractère de Ravel nous apparaît, d’après ce livre, doux, délicat, enclin à la mélancolie, mais aussi réservé, distant et finalement très solitaire, malgré tous ses triomphes, ses nombreuses relations mondaines et ses admirateurs innombrables, qui l’applaudissent à chaque concert. J’ai particulièrement aimé le portrait brossé par Jean Echenoz, grâce à son écriture précise, cernant la vérité au plus près, et riche en belles descriptions. Il m’a semblé que l’un des thèmes de cette biographie romancée était précisément ce sentiment de solitude et de tristesse qu’aucun triomphe et qu’aucune notoriété ne peuvent briser ou réchauffer durablement. On sent le romancier très empathique avec son personnage principal, on voit qu’il l’apprécie beaucoup, et cette bienveillance est agréable à ressentir, au fil des pages. Un beau livre, dont la fin m’a émue.
Un Extrait Page 65 :
Or l’ennui, Ravel connaît bien : associé à la flemme, l’ennui peut le faire jouer au diabolo pendant des heures, surveiller la croissance de ses ongles, confectionner des cocottes en papier ou sculpter des canards en mie de pain, inventorier voire essayer de classer sa collection de disques qui va d’Albéniz à Weber, sans passer par Beethoven mais sans exclure Vincent Scotto, Noël-Noël ou Jean Tranchant, de toute façon ces disques il les écoute très peu. Combiné à l’absence de projet, l’ennui se double aussi souvent d’accès de découragement, de pessimisme et de chagrin qui lui font amèrement reprocher à ses parents, dans ces moments, de ne pas l’avoir mis dans l’alimentation. Mais l’ennui de cet instant, plus que jamais démuni de projet, paraît plus physique et oppressant que d’habitude, c’est une acédie fébrile, inquiète, où le sentiment de solitude lui serre la gorge plus douloureusement que le nœud de sa cravate à pois. (…)
Ce film de Patricia Plattner date de 1993, il s’agit d’un documentaire sur l’écrivain suisse et francophone Nicolas Bouvier (1929-1998), qui est essentiellement composé d’entretiens, entrecoupés parfois de quelques musiques et/ou peintures.
Note technique sur le film :
Nationalité : suisse. Langue : français (possibilité de sous-titres anglais, allemands ou espagnols) Durée : 57 minutes. Couleur. Genre : documentaire
Note sur la réalisatrice :
Patricia Plattner (1953-2016) est une réalisatrice, scénariste, photographe, historienne de l’art suisse (genevoise). Elle a réalisé aussi bien des documentaires que des longs-métrages de fiction, comme Les petites couleurs (2002) et Bazar (2009). Elle avait créé en 1985 sa propre maison de production (Light Night Production).
Quatrième de Couverture :
Nicolas Bouvier, un grand poète, a aussi toujours été un voyageur et un chasseur d’images, et ses textes sur ses séjours en Asie et à l’ouest ont une ampleur et un rythme sans commune mesure avec les récits hâtifs d’un globe-trotter pressé. Le personnage, fascinant par ses dons et ses facettes multiples, était iconographe par goût de la photographie et des bibliothèques, mais aussi pour gagner sa vie. Dans ce film, tourné en 1992, il s’exprime sur sept thèmes au centre de son œuvre, paroles ponctuées par des images emblématiques et des musiques aimées. En parallèle au film, un livre a été publié sous le même titre aux éditions Zoé. Nicolas Bouvier avait toujours souhaité éditer un tel album de textes et d’illustrations, comme un livre d’enfant, où l’on découvrirait les images qui ont accompagné son œuvre.
Mon humble avis :
Quand on aime le style de Nicolas Bouvier, très poétique, subtil et plein de notes d’humour, et quand on a apprécié quelques uns de ses livres, il est très intéressant de regarder ce documentaire où le grand écrivain voyageur se livre avec sincérité et simplicité. Il nous reçoit dans son bureau et nous dévoile quelques uns de ses objets usuels, comme sa machine à écrire, son environnement domestique et son décor quotidien. Pendant qu’il nous parle, on le voit fumer cigarette sur cigarette et beaucoup tousser, et on ne peut pas s’empêcher de penser que le film a été tourné seulement cinq ans avant sa mort et qu’il n’a déjà pas l’air en très bonne santé, les traits du visage creusés et marqués , bien qu’il conserve toute son acuité et sa vivacité intellectuelles. Il parle à bâtons rompus de toutes sortes de sujets : de sa passion pour la musique – j’ignorais qu’il avait failli devenir musicien professionnel, ayant un très haut niveau pianistique – de tout ce que les voyages lui ont appris – il dit par exemple qu’il n’aurait sans doute pas écrit s’il n’avait pas voyagé, ce que j’ai un peu de mal à imaginer – il nous parle de la mort de son père, de sa rencontre avec sa femme, de la naissance de ses enfants, et de tas d’événements intimes, avec un regard toujours tendre, où l’amusement se mêle parfois à la tristesse. Il parle aussi de ses livres : L’Usage du monde (1963), Chroniques japonaises (1975), Le Poisson-scorpion (1981), Journal d’Aran (1990) et il donne sur chacun d’eux un éclairage très intéressant et inattendu sur leur contexte d’écriture, mais sans s’étendre trop longuement sur le contenu des livres eux-mêmes (sans doute pour nous donner envie de les lire). Un documentaire intime et attachant, qui montre Nicolas Bouvier sous un jour chaleureux et sympathique (tel que ses écrits nous le laissaient imaginer) et qui donne vraiment envie de partir plus profondément dans l’exploration de son œuvre.
Voilà, mon Mois Thématique sur « les Femmes Japonaises » est terminé et j’espère qu’il vous a plu. Quant à moi, j’étais très contente de découvrir ces écrivaines et poétesses, dont la plupart m’ont étonnée, ravie, séduite.
Un petit récapitulatif de mes différents articles publiés pour ce mois s’impose :
Et, enfin, je ne pouvais pas ne pas parler d’une des femmes japonaises les plus célèbres du 20ème siècle, l’artiste (plasticienne, chanteuse, musicienne, etc.) Yôko Ono, née en 1933, épouse (à partir de 1969) et muse de John Lennon (né en 1940 à Liverpool, fondateur des Beatles, assassiné en 1980 à New-York), dont vous aurez peut-être envie d’écouter quelques chansons rock avec l’album « Fly » de 1971, produit par John Lennon et par elle-même.
Ça ne prévient pas quand ça arrive Ça vient de loin Ça c’est promené de rive en rive La gueule en coin Et puis un matin, au réveil C’est presque rien Mais c’est là, ça vous ensommeille Au creux des reins
Le mal de vivre Le mal de vivre Qu’il faut bien vivre Vaille que vivre
On peut le mettre en bandoulière Ou comme un bijou à la main Comme une fleur en boutonnière Ou juste à la pointe du sein C’est pas forcément la misère C’est pas Valmy, c’est pas Verdun Mais c’est des larmes aux paupières Au jour qui meurt, au jour qui vient
Le mal de vivre Le mal de vivre Qu’il faut bien vivre Vaille que vivre
Qu’on soit de Rome ou d’Amérique Qu’on soit de Londres ou de Pékin Qu’on soit d’Egypte ou bien d’Afrique Ou de la porte Saint-Martin On fait tous la même prière On fait tous le même chemin Qu’il est long lorsqu’il faut le faire Avec son mal au creux des reins
Ils ont beau vouloir nous comprendre Ceux qui nous viennent les mains nues Nous ne voulons plus les entendre On ne peut pas, on n’en peut plus Et tous seuls dans le silence D’une nuit qui n’en finit plus Voilà que soudain on y pense À ceux qui n’en sont pas revenus
Du mal de vivre Leur mal de vivre Qu’ils devaient vivre Vaille que vivre
Et sans prévenir, ça arrive Ça vient de loin Ça c’est promené de rive en rive Le rire en coin Et puis un matin, au réveil C’est presque rien Mais c’est là, ça vous émerveille Au creux des reins
La joie de vivre La joie de vivre Oh, viens la vivre Ta joie de vivre
Cet article s’inscrit dans le cadre de mon mois thématique sur la maladie psychique. Ici je pensais bien sûr à la dépression, à l’anxiété.
Ces deux poèmes sont extraits du beau livre Nuit de foi et de vertu, paru en version bilingue chez Gallimard en 2021 dans la collection « Du monde entier » et une traduction de Romain Bénini.
Louise Glück (née en avril 1943) est une poète américaine active à partir de la fin des années 60. Primée à plusieurs reprises, elle obtient le Prix Nobel de Littérature en 2020 pour l’ensemble de son œuvre poétique. Son recueil Nuit de foi et de vertu est initialement paru en 2014 aux Etats-Unis. Il est à remarquer que l’œuvre de Louise Glück n’était pas traduite en français ni disponible chez aucun éditeur français jusqu’à l’obtention de son Prix Nobel.
La plupart des textes qui composent ce recueil sont assez longs, courant souvent sur plusieurs pages, ce qui ne facilite pas leur diffusion sur Internet, aussi ai-je choisi les deux premières parties d’un long texte et un autre poème en prose, assez court, parmi ceux que j’ai préférés.
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Page 21
Une Aventure
I
Il m’apparut une nuit alors que je commençais à m’endormir que j’en avais fini avec ces aventures amoureuses dont j’avais longtemps été esclave. Fini, l’amour ? murmura mon cœur. A cela je répondis que beaucoup de découvertes importantes nous attendaient, tout en espérant que l’on ne me demanderait pas de les nommer. Car je ne pouvais pas les nommer. Mais la conviction qu’elles existaient – cela devait certainement compter pour quelque chose ?
2.
La nuit suivante m’apporta la même idée, cette fois à propos de la poésie, et dans les nuits qui suivirent plusieurs autres passions et sensations furent, de la même manière, mises de côté pour toujours, et chaque nuit mon coeur invoqua son avenir, comme un petit enfant qu’on eût privé de son jouet préféré. Mais ces séparations, dis-je, sont dans l’ordre des choses, Et une fois de plus je convoquai le territoire immense qui s’ouvre à nous à chaque adieu. Et avec cette affirmation je devins un chevalier glorieux s’éloignant dans le soleil couchant, et mon cœur devint le destrier qui me portait.
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Page 101
Musique interdite
Après que l’orchestre eut joué pendant un certain temps, et eut passé l’andante, le scherzo, le poco adagio et que le premier flûtiste eut posé sa tête sur le pupitre parce qu’on n’aurait plus besoin de lui avant demain, alors arriva un passage qui était appelé la musique interdite parce qu’il ne pouvait pas, le compositeur l’avait spécifié, être joué. Et pourtant il devait exister et être passé sous silence, intervalle laissé à la discrétion du chef d’orchestre. Mais ce soir, décide le chef d’orchestre, le passage doit être joué – il veut à tout prix se faire un nom. Le flûtiste se réveille en sursaut. Quelque chose lui est arrivé aux oreilles, quelque chose qu’il n’a jamais ressenti auparavant. Il a fini de dormir. Où suis-je maintenant, pense-t-il. Et puis il le répéta, comme un vieil homme étendu sur le sol au lieu d’être dans son lit. Où suis-je maintenant ?