L’Exposition Nicolas de Staël au Musée d’Art Moderne (hiver 2023-24)

Sicile, 1954

J’ai visité cette grande rétrospective du peintre Nicolas de Staël (1914-1955) vers la mi-novembre 2023, au musée d’Art Moderne de la ville de Paris.
Cette exposition réunissait environ deux cents tableaux, représentatifs des différentes périodes stylistiques du peintre, influencées par les divers endroits où il a vécu et travaillé (Paris, Île de France, Provence, Nord de la France, Sicile, Antibes, …)

Présentation de l’exposition par le musée

Organisée de manière chronologique, l’exposition retrace les évolutions successives de l’artiste, depuis ses premiers pas figuratifs et ses toiles sombres et matiérées des années 1940, jusqu’à ses tableaux peints à la veille de sa mort prématurée en 1955. Si l’essentiel de son travail tient en une douzaine d’années, Staël ne cesse de se renouveler et d’explorer de nouvelles voies : son « inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond » le conduit à produire une œuvre remarquablement riche et complexe, « sans esthétique a priori ». Insensible aux modes comme aux querelles de son temps, son travail bouleverse délibérément la distinction entre abstraction et figuration, et apparaît comme la poursuite, menée dans l’urgence, d’un art toujours plus dense et concis : « c’est si triste sans tableaux la vie que je fonce tant que je peux », écrivait-il. La rétrospective permet de suivre pas à pas cette quête picturale d’une rare intensité, en commençant par ses voyages de jeunesse et ses premières années parisiennes, puis en évoquant son installation dans le Vaucluse, son fameux voyage en Sicile en 1953, et enfin ses derniers mois à Antibes, dans un atelier face à la mer.
(Source : Site du Musée d’Art Moderne)

Mon Avis

J’ai adoré cette exposition par la grande diversité des œuvres présentées, leur beauté, leur lumière, leur poésie. Les couleurs, souvent éclatantes et franches, vont de pair avec un immense raffinement, une élégance incroyable. Dans les tableaux réalisés en Sicile, en particulier, il ose des juxtapositions de couleurs qui paraitraient criardes chez n’importe quel autre peintre – des jaunes, rouges, violets, verts très vifs – mais lui réussit à créer l’harmonie, à faire chanter les teintes sans qu’elles s’étouffent mutuellement. Il semble d’ailleurs être toujours en quête de nouvelles couleurs à utiliser, renouvelant sans cesse sa palette – tel ce « Paysage sur fond rose » (cf. ci-dessous) qui étonne ! – et je n’ai pas pu m’empêcher de penser que nombre de peintres abstraits du 20è siècle avaient réduit leur palette aux seules couleurs primaires (Mondrian, par exemple) quand d’autres bannissaient certaines autres, mal-aimées, comme le vert (détesté, entre autres, par Kandinsky). Tandis que Nicolas de Staël semble vouloir accueillir sur ses toiles toutes les nuances possibles de la nature et de la vie et c’est cette ouverture au monde qui m’a séduite et touchée.
J’ai aimé, aussi, regarder ces toiles de très près pour admirer leur belle texture : la peinture semble avoir été étalée au couteau, d’un geste sûr, net et précis, qui ne souffre pas, ou très peu, de repentir. On ne peut pas s’empêcher de voir un côté « maçonné » dans certaines toiles, et, bizarrement, ce maçonnage – évocateur d’un ouvrier maniant sa truelle – donne un effet extrêmement délicat, poétique et doux.
Toutes ces alliances de contrastes, d’ambiguïtés, de paradoxes, m’ont paru caractéristiques de cet artiste rare, génial, et de ses superbes tableaux.

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Les Toits, Paris, 1951
Paysage, 1952
Arbre rouge, Provence, 1953
Paysage, Provence, 1953
Agrigente, 1953-54
Paysage sur fond rose, Ménerbes, 1954
Coin d’Atelier, Fond bleu, Antibes, 1955

Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi

Couverture du DVD

J’avais déjà vu ce film il y a six ou sept ans, au cinéma. Ce grand classique japonais des années 50 m’avait tellement impressionnée et emballée que j’ai eu envie de le revoir aujourd’hui, en DVD, pour en parler lors de mon Mois Japonais de février 2024.

Note Pratique sur le film

Nationalité : Japonais
Date de sortie en salles : 1953
Genre : Drame, guerre, fantastique
Noir et blanc
Durée : 1h35

Résumé du début de l’histoire

L’histoire se passe au 16ème siècle, à une époque troublée où la guerre fait rage. Nous suivons deux couples dont les hommes sont beaux-frères, ils vivent dans un petit village et travaillent comme potiers. L’un des deux, Genjurô, rêve de devenir riche en fabriquant le plus de poteries possible. Il se lance avec sa femme dans un travail acharné, au sein de son atelier, pendant que leur petit garçon se languit de ses parents. L’autre beau-frère, Tobei, a une autre sorte d’ambition : il veut absolument devenir samouraï, avoir les moyens de se payer une armure et une lance pour rejoindre une compagnie de guerriers. Mais sa femme le prend pour un idiot, elle essaye chaque fois de le ramener à la raison. Un soir, une armée ennemie envahit le village et tous doivent s’enfuir. Heureusement, les deux ménages peuvent revenir dans leur village et retrouvent intactes leurs poteries. Ils décident d’aller les vendre à la ville, en prenant une barque. Mais d’autres dangers les attendent. (…)

Mon Avis

Les scènes les plus marquantes du film sont celles avec la princesse-fantôme (jouée par Machiko Kyo, incroyable actrice), dans son château surnaturel et démoniaque. Ce sont d’ailleurs les seules scènes dont je me souvenais encore, plusieurs années après le premier visionnage. Cette princesse a un visage, une démarche et des costumes tellement étranges que l’on comprend très vite que quelque chose ne va pas, même si ses paroles sont toujours douces et flatteuses, qu’elle sourit presque tout le temps et traite le pauvre potier comme un prince. Nous voyons Genjurô s’engager progressivement dans un piège, il ne s’en rend pas compte mais le spectateur a peur pour lui et voudrait le sortir de son envoûtement. Par chance, il est prévenu par un prêtre du sort funeste qui l’attend s’il retourne auprès de cette femme-fantôme. Mizoguchi parvient à créer un climat effrayant sans rien montrer de sanglant ou de repoussant : au contraire, tout parait paradisiaque, calme et beau mais le spectateur perçoit un grand danger.
Les images sont magnifiques, en noir et blanc, avec beaucoup de jeux sur les ombres, particulièrement dans les scènes du château, avec la princesse fantomatique, mais aussi lors des scènes nocturnes où les armées envahissent le village. Les ombres sont bien sûr associées au mystère, au danger et au surnaturel. Mais il y a aussi des scènes dures filmées en plein jour, telle la capture de la femme de Tobei par un groupe de soldats qui veulent la violer – on assiste à cette capture mais pas au viol, les choses sont cependant suggérées très clairement par la suite. Ces ellipses sont suffisantes.
Une autre scène magnifique est la traversée en barque, sur une eau paisible et recouverte de nappes de brumes, dans une lumière tamisée – là encore, le spectateur ressent un climat menaçant, angoissant, alors que tout parait calme et doux. Les mouvements de la rameuse, comme une danse lente, d’un angle à l’autre de l’écran, ont quelque chose d’inquiétant, de lugubre. Images de toute beauté.
On peut lire une signification morale dans ce conte : l’ambition conduit à la ruine. Celui qui rêvait de devenir samouraï y est peut-être parvenu mais il a causé la déchéance de sa femme. Celui qui rêvait de devenir riche par son travail a attiré sur lui le regard des démons et il est devenu leur jouet.
La fin du film revient à peu près à la situation initiale : signe que la stabilité et l’absence de changement sont les seules choses réellement souhaitables.
Un classique incontournable du cinéma japonais ! Une merveille !

Un Extrait du Square de Marguerite Duras

Couverture chez Folio

J’ai lu récemment Le Square de Marguerite Duras (1955), qui m’a été offert très aimablement par Eléonore du blog « Du soir en été » et je l’en remercie chaleureusement ! Comme l’un des deux personnages est voyageur de commerce, j’ai pensé que le dialogue ci-dessous coïncidait bien avec mon Mois thématique sur le Voyage.

Pour présenter succinctement ce roman je dirai qu’il se déroule entièrement dans un square et qu’il est essentiellement composé du dialogue d’une jeune bonne à tout faire de vingt ans et d’un voyageur de commerce d’une quarantaine d’années. Tous les deux sont pauvres, astreints à des emplois pénibles, pas très heureux, habitués de la grande solitude. L’homme n’a plus beaucoup d’espérance dans la vie mais il a parfois le grand plaisir de voyager.

Une chronique plus complète de ce livre (avec des précisions sur cette histoire et mon avis) sera faite plus tard, sans doute cet été !

Quatrième de Couverture

C’étaient des bonnes à tout faire, les milliers de Bretonnes qui débarquaient dans les gares de Paris. C’étaient aussi les colporteurs des petits marchés de campagne, les vendeurs de fils et d’aiguilles, et tous les autres. Ceux – des millions – qui n’avaient rien qu’une identité de mort.
Le seul souci de ces gens c’était leur survie : ne pas mourir de faim, essayer chaque soir de dormir sous un toit.
C’était aussi de temps en temps, au hasard d’une rencontre, PARLER. Parler du malheur qui leur était commun et de leurs difficultés personnelles. Cela se trouvait arriver dans les squares, l’été, dans les trains, dans ces cafés des places de marché pleins de monde, où il y a toujours de la musique. Sans quoi, disaient ces gens, ils n’auraient pas pu survivre à leur solitude.

Marguerite Duras Hiver 1989

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Un Extrait page 33-34

– (…) mais enfin, vous savez, j’ai pas mal voyagé quand même et ma petite valise m’a entraîné un peu partout, oui, et même une fois dans un grand pays étranger. Je n’y ai pas vendu grand-chose mais, quand même, je l’ai vu. Et on m’aurait dit, quelques années auparavant, que j’aurais un jour envie de le connaître que je ne l’aurais pas cru. Pourtant, voyez, un jour, en me réveillant, l’envie m’en a pris et j’y suis allé. Si peu qu’il m’arrive de choses, il m’est quand même arrivé celle-là, voyez-vous, de voir ce pays-là. 
– Mais, dans ce pays, il y a des gens malheureux, non ? 
– C’est vrai, oui. 
– Et il y a des jeunes filles comme moi qui attendent ? 
– Sans doute, Mademoiselle, oui. 
– Alors ? 
– C’est vrai qu’on y meurt, qu’on y est malheureux, qu’il y en a comme vous qui attendent, pleines d’espoir. Mais pourquoi ne pas le voir, lui, plutôt que celui-ci où nous sommes, où les choses sont pareilles ? Pourquoi ne pas voir aussi ce pays ? le voir en plus de celui-ci, pourquoi ? 
– Parce que, Monsieur, j’ai peut-être tort, vous allez dire, mais cela m’est égal. 
– Attendez, Mademoiselle. Ainsi les hivers y sont moins rudes qu’ici, c’est bien simple, on le sait à peine que c’est l’hiver… 
– On n’est jamais dans tout un pays à la fois, Monsieur, ce n’est pas vrai, ni même dans toute une ville à la fois, ni même dans tout un bel hiver, non, on a beau faire, on est seulement là où l’on est quand on y est, alors ? 
– Mais précisément, Mademoiselle, là où j’étais, la ville se termine par une place immense entourée d’escaliers qui ont l’air de n’aboutir nulle part. 
– Non, Monsieur, je ne veux pas le savoir. 

(…) 

Voyage en Italie de Roberto Rossellini

Affiche du Film

Comme je consacre ce mois de janvier au thème du voyage, il m’a semblé opportun de voir ce grand classique italien des années 1950 : « Voyage en Italie » de Roberto Rossellini (1906-1977). Pour en avoir déjà vu de nombreux extraits, je savais à peu près de quoi il retournait et j’en avais gardé en mémoire quelques images fortes, mais, bien sûr, le visionnage complet m’a réservé de nombreuses surprises et des sujets d’intérêt inattendus.

Note Pratique sur le film

Nationalité : Italien
Date de sortie initiale : 1954
Noir et Blanc, V.O. Italienne sous-titrée français
Rôles principaux : Ingrid Bergman (1915-1982) et George Sanders (1906-1972)
Durée : 1h20

Quatrième de Couverture du DVD

Un couple de bourgeois anglais arrive à Naples pour régler une affaire d’héritage. Leur découverte de l’Italie ira de pair avec la mise à nu de leur mariage et la prise de conscience de leur incommunicabilité… Intégrant le néo-réalisme à l’étude psychologique, Rossellini instaure avec Voyage en Italie une nouvelle forme de narration cinématographique qui préfigure tout autant le cinéma d’Antonioni que celui de la Nouvelle Vague.
(Source : DVD)

Mon Avis

Dans cette histoire, le thème du voyage est au moins aussi important que celui du mariage en crise. C’est à cause de ce voyage à deux que tous les problèmes de ce couple éclatent au grand jour et prennent de plus en plus d’ampleur. Comme ils le disent dès les tout débuts du film, ils sont mariés depuis huit ans et n’ont pas l’habitude, dans leur vie quotidienne, de se retrouver en tête-à-tête car une société nombreuse gravite autour d’eux. Mais, avec ce voyage, ils sont obligés de se parler seul à seul et leurs conversations finissent toujours en incompréhension ou en dispute. Sur le fond, leurs caractères divergent profondément : il reproche à sa femme d’être trop sentimentale, trop éprise de choses « poétiques », tandis qu’elle reproche à son mari d’être trop froid, trop attaché à son travail, à la notion de devoir. En même temps, chacun nourrit une certaine jalousie et soupçonne l’autre de vouloir le tromper, de se montrer trop accueillant avec les possibilités de flirts.
Pendant ce voyage, ils vont vivre des expériences séparément, chacun selon ses aspirations. Pendant que le mari essayera de nouer des liaisons féminines extra-conjugales, sans grand succès, la femme va multiplier les visites culturelles et touristiques à Naples et dans les alentours. La plupart de ces excursions, en compagnie d’un guide occasionnel, seront marquées de plus en plus nettement par l’idée de la mort (Vésuve en ébullition, catacombes, ruines de Pompéi avec les corps pétrifiés). Ces visites culturelles sont comme une échappée de la fiction vers le pur documentaire et le spectateur a l’impression assez étrange de se promener dans les musées napolitains des années 1950 ou de déambuler au milieu des squelettes avec un commentaire de l’époque. Mais nous nous rendons compte que ces multiples rappels de notre mortalité vont avoir un fort impact sur cette touriste anglaise et lui rappeler, peut-être, les choses les plus essentielles à ses yeux.
Un autre thème intéressant, même s’il est plus discret, est celui de la naissance, de la maternité et des petits enfants. En effet, ce couple n’a pas d’enfant et, lorsque la dame anglaise se promène en voiture dans les rues de Naples, elle ne peut s’empêcher de remarquer, avec un sourire de sympathie, les nombreuses femmes enceintes et toutes les promeneuses qui s’accompagnent de poussettes. Et, à la fin du film, nous comprenons qu’il y avait là un des principaux problèmes de ce couple, un non-dit parmi tant d’autres, qui envenimait leurs relations.
(J’ajoute que j’étais bien contente de constater qu’un film d’1h20 peut être un des chefs d’œuvre du septième art, ce qui contraste avec la mode actuelle des films deux à trois fois plus longs et qui ne sont pas toujours aussi beaux…)
Un film magnifique, aux dialogues très riches, aux images et aux lumières sublimes, et que je reverrai certainement avec le même plaisir et le désir de saisir ce qui a pu m’échapper aujourd’hui !

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Scène du film (en voiture)

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Je profite de cet article, programmé de longue date, pour lui ajouter quelques vœux de circonstances. Je vous souhaite à tous une excellente année 2024, une santé resplendissante, de l’amour, de l’amitié, des projets épanouissants et de la poésie sous toutes ses formes : que les belles choses de l’existence vous accompagnent !

Trois Poèmes d’Anne Hébert

Couverture chez Boréal

J’avais déjà lu un roman de l’écrivaine québécoise du 20è siècle Anne Hébert, « Les Fous de Bassan », dont vous pouvez retrouver ma chronique ici.
Mais Nathalie, l’animatrice du blog « Madame Lit », a attiré mon attention sur son œuvre poétique, et je me suis empressée de suivre son conseil, par l’achat de ce superbe livre publié chez Boréal.
Après vérification, je me suis aperçue que j’avais déjà publié, il y a quelques années, un article sur la poésie d’Anne Hébert, que vous pouvez retrouver ici.

Note sur la Poète

Anne Hébert (1916-2000) est née à Sainte-Catherine-de-Fossambault, près de Québec, où elle a fait ses études. Elle a publié, en 1953, Le Tombeau des rois qui la plaçait d’emblée parmi les grands poètes de langue française. Son roman Kamouraska a obtenu le Prix des libraires en 1971, Les Fous de Bassan le Prix Femina en 1982, et l’Enfant chargé de songes, le Prix du Gouverneur Général en 1992.
(Source : éditeur)

*

J’ai choisi trois poèmes extraits du premier recueil d’Anne Hébert « Le Tombeau des rois » qui date de 1953.

Page 20

NUIT

La nuit
Le silence de la nuit
M’entoure
Comme de grands courants sous-marins.

Je repose au fond de l’eau muette et glauque.
J’entends mon cœur
Qui s’illumine et s’éteint
Comme un phare.

Rythme sourd
Code secret
Je ne déchiffre aucun mystère.

A chaque éclat de lumière
Je ferme les yeux
Pour la continuité de la nuit
La perpétuité du silence
Où je sombre.

*

Page 47

VIE DE CHATEAU

C’est un château d’ancêtres
Sans table ni feu
Ni poussière ni tapis.

L’enchantement pervers de ces lieux
Est tout dans ses miroirs polis.

La seule occupation possible ici
Consiste à se mirer jour et nuit.

Jette ton image aux fontaines dures
Ta plus dure image sans ombre ni couleur.

Vois, ces glaces sont profondes
Comme des armoires
Toujours quelque mort y habite sous le tain
Et couvre aussitôt ton reflet
Se colle à toi comme une algue

S’ajuste à toi, mince et nu,
Et simule l’amour en un lent frisson amer.


*

Page 49

PAYSAGE

Roulée dans ma rage
Comme dans un manteau galeux
Je dors sous un pont pourri
Vert-de-gris et doux lilas

Les douleurs séchées
Algues, ô mes belles mortes,
L’amour changé en sel
Et les mains à jamais perdues.

Sur les deux rives fume mon enfance
Sable et marais mémoire fade
Que hante le cri rauque
D’oiseaux imaginaires châtiés par le vent.

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Le Seuil du jardin d’André Hardellet

Couverture chez Gallimard

Cela faisait longtemps que j’entendais parler de ce roman des années 1950, réputé pour son univers poétique, insolite, fantastique, et il était grand temps que je passe enfin le Seuil de ce jardin, qui m’a réservé bien des surprises.

Note Pratique sur le livre

Editeur : L’imaginaire Gallimard
Première date de publication : 1958
Nombre de pages : 157

Biographie de l’écrivain

Né à Vincennes le 13 février 1911, André Hardellet nait dans une famille de bijoutiers et mène une scolarité brillante dans la région parisienne et à Paris même. Il abandonne ses études de médecine pour entrer dans l’entreprise familiale. Sa rencontre avec l’écrivain Pierre Mac Orlan en 1947 est décisive et lui permet de publier ses premiers textes dans la revue La bouteille à la mer (1950). Il alterne dès lors la publication de poésies et de romans. En 1958, Le Seuil du jardin est salué par André Breton puis, en 1966, Les chasseurs lui vaut l’hommage de Julien Gracq. La parution sous pseudonyme, en 1969, de Lourdes, lentes le conduit devant les tribunaux pour « outrage aux bonnes moeurs « .
Auteur de nombreuses chansons, André Hardellet est connu du grand public pour le fameux Bal chez Temporel, qui sera chanté par Patachou et par Guy Béart.
Il est mort en juillet 1974.

Résumé du début de l’histoire

Stève Masson est un artiste-peintre d’une trentaine d’années, au caractère indépendant et non-conformiste. Il vit dans la proche banlieue parisienne, à Montrouge, dans une pension de famille tenue par la serviable et sympathique Madame Temporel. Ce pavillon de banlieue compte quatre autres pensionnaires : le père Leberthet, un vieil amateur et collectionneur de soldats de plomb, Mme Broute, une retraitée un peu sourde, partageant ses journées entre travaux de couture et de pâtisserie, Robert Lamarque, un passionné de belote travaillant à l’usine, et Melle Hélène Jeanteur, une mystérieuse jeune femme qui pourrait être très jolie si elle savait se mettre en valeur mais qui préfère les tenues austères et les habitudes discrètes.
Un jour, un nouveau pensionnaire, Monsieur Swaine, un ancien professeur, fait son entrée chez Madame Temporel et suscite bientôt, par sa froideur et son caractère taciturne, l’antipathie des autres habitants de l’endroit. Par ailleurs, il provient sans cesse de son appartement un bruit de moteur gênant et inexplicable, même la nuit, ce qui donne à chacun une curiosité et un agacement persistants.
Mais Stève Masson ressent plutôt de la sympathie pour Swaine et, un jour, il l’invite chez lui pour faire plus ample connaissance.
(…)

Mon Avis

C’est un livre qui mélange des atmosphères assez variées : le fantastique est bien présent, à côté de certains éléments proches du polar et, à la fin, de réflexions sur la politique et le fonctionnement de la société, dans un dialogue qui pourrait évoquer certaines scènes du théâtre d’Anouilh, voire de Giraudoux.
Hardellet cultive donc ici un genre hybride et plein d’étrangeté, et on comprend tout à fait qu’André Breton ait pu être séduit et charmé par un tel roman, dont l’imaginaire semble parfois hérité du Surréalisme. La violence est également présente, dans une scène qui surprend et qui impressionne, par un pouvoir d’évocation qui n’a rien perdu de sa force, même soixante ou soixante-dix ans après sa rédaction.
La figure féminine qui hante ce livre du début à la fin est un personnage également étonnant, mystérieuse et sensuelle : une libertine insaisissable et qui peut prendre différentes formes selon les endroits où le héros la rencontre, comme une apparition sujette aux fréquentes métamorphoses. Il n’est d’ailleurs pas anodin de la voir de nouveau apparaître dans le plus beau rêve de Stève Masson car cette femme est à la fois réelle, fantasmée et imaginaire et son domaine d’influence paraît s’étendre un peu partout en même temps.
J’ai trouvé intéressants les rapports que l’auteur tisse entre le monde du rêve et celui de l’art pictural : pour Stève Masson, un tableau réussi est nécessairement inspiré par un rêve, la beauté est forcément onirique – et là encore on retrouve un idéal esthétique apparenté au Surréalisme.
On peut voir ce « Seuil du jardin » comme un symbole du paradis perdu, dont seuls les rêves et les plus belles œuvres d’art peuvent ressusciter une image, et encore, nous savons que nous devrons rester sur le seuil, une force nous retient de pénétrer à l’intérieur – peut-être parce que nous ne pourrions pas supporter un si grand bonheur.
Un très très beau roman, que je suis heureuse d’avoir enfin lu, et qui a éveillé ma curiosité pour les autres œuvres de cet écrivain.

Un Extrait page 33

Il travaillait alors à une toile (elle figure aujourd’hui dans la collection Beuckler, de New York) intitulée Le Seuil du jardin. Son sujet lui avait été fourni par un rêve dont l’insistance à se reproduire lui semblait un avertissement. D’une nuit à l’autre, le décor variait légèrement, mais la même impression de joie incommunicable s’en dégageait. Masson approchait d’un jardin à l’abandon, désert, touché par la lumière d’été. Sa porte vermoulue était ouverte, mais il n’éprouvait pas l’envie d’y pénétrer ; il lui suffisait de savoir que ce jardin existait et de le contempler jusqu’à ses limites perdues dans les broussailles, entre des bassins et des kiosques en ruine. Un sentiment bizarre retenait Masson sur le seuil : le soupçon qu’il valait mieux remettre à plus tard l’exploration de l’enclos, le pressentiment d’une obscure défense d’entrer. Il longeait le mur, regardait par les brèches, dans l’attente d’un événement qui ne survenait pas, mais une attente sans impatience et sûre d’être satisfaite. Puis, à un moment donné, il se trouvait à l’intérieur du jardin, bien qu’il n’ait jamais eu conscience du passage. Une paix surnaturelle l’entourait, un bonheur sans équivalent dans la veille. (…)

Vers un avenir radieux de Nanni Moretti

Affiche du film

J’ai vu ce film en salle vers la mi-juillet et j’ai été très favorablement impressionnée.

Note technique sur le Film

Date de sortie en salle : juillet 2023
Nationalité : Italien
Couleur, version italienne sous-titrée
Avec : Margherita Buy, Nanni Moretti, Silvio Orlando
Durée : 1h36

Synopsis

Giovanni, cinéaste italien renommé, s’apprête à débuter le tournage d’une fresque politique. Mais entre son couple en crise, son coproducteur au bord de la faillite et le monde du cinéma qui change, tout semble jouer contre lui ! Toujours sur la corde raide, Giovanni va devoir repenser sa manière de faire s’il veut mener tout son petit monde vers un avenir radieux.
(Source : site de Pathé)

Mon Avis

C’est un film qui parle beaucoup de cinéma puisque le héros est un cinéaste en train de tourner un film et ce Giovanni nous donne à plusieurs reprises des leçons de cinéma : il cite des œuvres de réalisateurs qu’il aime (« Lola » de Jacques Demy, Cassavetes, Fellini, le « Décalogue » de Kieslowski, Scorsese ) soit explicitement soit par des séquences inspirées de leur style, telles les scènes de cirque, la scène finale ou encore des scènes musicales et dansantes.
Une longue scène centrale est un vibrant plaidoyer contre la violence à l’écran, avec une allusion assez claire aux films de Tarantino, mais Giovanni ne réussit pas à convaincre l’équipe de tournage de ne pas faire cette scène, il ne peut rien changer au cours des choses – signe d’une fatalité contre laquelle on ne peut lutter. 
Bien qu’il y ait beaucoup de situations et de répliques très drôles dans ce film, et que l’on rit énormément, le sens profond de cette histoire m’a paru grinçant, pessimiste et presque désespéré : un désespoir qui a encore suffisamment d’énergie et de recul sur soi-même pour faire des plaisanteries et pratiquer le second degré.
Nanni Moretti semble vouloir nous montrer qu’il n’aime pas du tout notre époque : les Netflix et autres plateformes le dégoûtent, de même que les producteurs cupides qui le poussent à se compromettre avec un système qu’il réprouve, le film qu’il aurait envie de tourner se passe en 1956 et fait référence au Parti Communiste Italien et à ses luttes idéologiques – qui n’ont vraiment plus cours de nos jours.
Le titre « Vers un avenir radieux » est une référence à l’idéal communiste, tel qu’il pouvait exister dans les années 50 chez certains militants inconditionnels et fanatiques, mais nous comprenons bien que dans l’esprit de Moretti ce titre est une antiphrase pleine de nostalgie et d’amertume – il nous prévient d’ailleurs assez tôt dans le film que le héros va se suicider à la fin et ce n’est que par une surprenante et acrobatique pirouette que la fin esquive la prédiction que nous redoutions logiquement.
Nous sommes souvent à la frontière entre le comique et le drame, basculant de l’un vers l’autre en l’espace d’un instant, par exemple au moment où Véra rend sa carte du parti communiste à Ennio en lui expliquant son indignation et son découragement, Nanni Moretti surgit brusquement devant nous pour nous dire que cette scène ne sert à rien et qu’elle est nulle – nous prenant ainsi à contre-pied et réduisant notre émotion à néant, tout en suscitant l’hilarité. 

Un film très remarquable, brillant et émouvant, qui, à mon sens, s’adresse peut-être davantage aux plus de cinquante ans qu’aux jeunes générations. 

L’Exposition Germaine Richier au Centre Pompidou (Printemps 2023)

L’escrimeuse avec masque, 1944

J’ai visité en avril dernier la grande rétrospective de la sculptrice du 20è siècle Germaine Richier et j’avais envie de vous la présenter car c’était vraiment une magnifique exposition.

Je recopie ici le tout premier panneau, à l’entrée de l’expo, qui constitue une bonne introduction :

Germaine Richier (1902-1959) occupe une place incontournable dans la sculpture du 20è siècle. Formée à la tradition de la statuaire en bronze d’Auguste Rodin et d’Antoine Bourdelle, elle participe aux conquêtes essentielles de la sculpture moderne. En à peine plus de vingt-cinq ans, des années 1930 à sa disparition précoce en 1959, Richier crée un univers profondément original et invente de nouvelles images de l’homme et de la femme, jouant des hybridations avec le monde animal ou végétal.

Sa reconnaissance est précoce et fulgurante : en 1956, Richier est la première artiste femme exposée de son vivant au Musée national d’art moderne. Elle est l’une des rares sculptrices à rencontrer après-guerre un succès international.

Connue essentiellement pour ses dix dernières années, sa sculpture a parfois été réduite à l’image inquiète d’une époque troublée, associée à l’étrangeté surréaliste ou à l’expressionnisme informel. Cette exposition entend reconsidérer globalement cette artiste majeure, pour qui « le but de la sculpture c’est d’abord la joie de celui qui la fait ». Son travail vibrant de la terre, son expérimentation sur les matériaux, la couleur et l’espace disent sa volonté de créer des sculptures vivantes, à même de saisir l’humain dans sa violence et sa fragilité, de révéler sa vie intérieure et les métamorphoses qui le traversent. Aujourd’hui plus que jamais, l’art de Germaine Richier résonne avec notre époque, questionnant notre rapport à la nature et au vivant.

(Source : Musée)

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L’Ombre de l’ouragane, 1957
L’Ouragane, 1948-49

Cartel à propos de La Mante

La Mante, 1946

Deux ans après La Sauterelle, Richier poursuit avec La Mante le thème des femmes-insectes, évoquant la faune sauvage de la garrigue. C’est par le travail d’agrandissement que l’animal est doté d’une stature pleinement humaine. Objet de fascination dans l’imaginaire surréaliste, la créature incarne une féminité sûre d’elle-même et conquérante, dont la cruauté supposée est largement commentée par la critique de l’époque.

La Sauterelle, 1954

Et enfin, ci-dessous, le groupe de l’Echiquier, qui se trouvait au centre de la dernière salle et qui a pour particularité sa polychromie. Contrairement à celles des autres œuvres, que j’ai prises moi-même, la photo de L’Echiquier provient du site du Centre Pompidou.

Tropismes de Nathalie Sarraute

Couverture chez Minuit

Une amie – Ana-Cristina plus exactement – m’a conseillé ce livre et, comme je n’avais lu jusqu’à présent que très peu de choses de Nathalie Sarraute, j’ai suivi ce conseil avec plaisir.

Note Pratique sur le livre

Éditeur : Minuit
Date de publication : (initiale : 1939 chez Denoël) puis 1957 chez Éditions de Minuit.
Nombre de pages : 90

Quatrième de Couverture

« Les tropismes, a expliqué l’auteur, « ce sont des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir ». Vingt-quatre petits tableaux d’oscillations intérieures presque imperceptibles à travers clichés, lieux communs et banalités quotidiennes : vingt-quatre petits récits serrés, où il n’y a plus de trame alibi, plus de noms propres, plus de « personnages », mais seulement des « elle » et « il », des ils » et « elles », qui échangent leur détresse ou leur vide au long de conversations innocemment cruelles ou savamment féroces. […] Textes très courts où une conscience jamais nommée, simple référence impersonnelle, s’ouvre ou se rétracte à l’occasion d’une excitation extérieure, recevant la coloration qui permet de l’entrevoir. » (Gaëtan Picon)

« Mon premier livre contenait en germe tout ce que, dans mes ouvrages suivants, je n’ai cessé de développer. Les tropismes ont continué d’être la substance vivante de tous mes livres. » (Nathalie Sarraute, préface à L’Ère du soupçon)

Initialement publié par Denoël en 1939, le premier livre de Nathalie Sarraute (1900-1999) est paru aux Éditions de Minuit en 1957, dans une nouvelle version où l’auteur avait retranché un chapitre pour en ajouter six nouveaux.

Mon Avis

J’ai eu l’impression que Nathalie Sarraute mettait dans ce livre quelques uns de ses agacements par rapport à certaines personnes. Elle nous décrit par exemple un professeur au Collège de France qui se pique d’avoir tout compris à Proust et à Rimbaud et qui a l’air de l’exaspérer (à juste titre). Elle nous décrit aussi des conversations entre femmes, à l’heure du thé, quand elles croient tout savoir sur « la vie » et cet univers de petites bourgeoises coquettes et maniérées semble susciter chez l’écrivaine une certaine irritation, qu’elle parvient parfaitement à nous transmettre. J’ai admiré surtout dans ce livre le talent d’observation de Nathalie Sarraute, une acuité très aiguë et qui se montre impitoyable avec ceux qu’elle examine et dont elle dissèque les manies, les tics de langage, les petits jeux sociaux plus ou moins ambigus. Il m’a semblé à plusieurs reprises que j’avais déjà rencontré le type de personnes qu’elle décrit et ces textes ont pu m’évoquer des images très personnelles, des souvenirs précis ont pu ressurgir à la faveur de ces pages.
Dans ce livre assez inclassable, Nathalie Sarraute détricote les notions romanesques traditionnelles de « personnage » ou d' »intrigue » et on a l’impression que les caractères ici exposés sont plutôt des types humains génériques, d’ailleurs anonymes et décrits par des détails ou des caractéristiques qui peuvent se retrouver chez de nombreuses personnes, occasionnellement ou plus durablement. C’est peut-être pour cette raison que ces caractères nous donnent une impression familière, nous évoquent des personnes réelles, et nous allons en quelque sorte du général au particulier.
Du point de vue de l' »intrigue » (qui n’existe pas vraiment), il m’a paru dans un premier temps qu’on pouvait lire chaque Tropisme comme une petite nouvelle tout à fait indépendante des autres, et qu’on pouvait même éventuellement les lire dans le désordre, mais après réflexion j’ai eu l’impression qu’il y avait peut-être une progression logique très subtile de l’une à l’autre, et que l’ordre de lecture choisi par l’auteure n’était probablement pas dû au hasard et devait receler une certaine signification d’ensemble. Par exemple, j’ai eu l’impression que les premiers Tropismes étaient surtout des descriptions d’états d’âme et qu’on s’orientait ensuite vers l’observation d’autrui, de façon de plus en plus précise.
Un livre très intéressant sur le plan littéraire, dont le caractère expérimental n’est ni rébarbatif ni abscons (contrairement à d’autres représentants du Nouveau Roman), et que j’ai lu avec grand plaisir !

Un Extrait page 41

X

Dans l’après-midi elles sortaient ensemble, menaient la vie des femmes. Ah ! Cette vie était extraordinaire ! Elles allaient dans des « thés », elles mangeaient des gâteaux qu’elles choisissaient délicatement, d’un petit air gourmand : éclairs au chocolat, babas et tartes.
Tout autour c’était une volière pépiante, chaude et gaîment éclairée et ornée. Elles restaient là, assises, serrées autour de leurs petites tables et parlaient.
Il y avait autour d’elles un courant d’excitation, d’animation, une légère inquiétude pleine de joie, le souvenir d’un choix difficile, dont on doutait encore un peu (se combinerait-il avec l’ensemble bleu et gris ? mais si pourtant, il serait admirable), la perspective de cette métamorphose, de ce rehaussement subit de leur personnalité, de cet éclat.
Elles, elles, elles, elles, toujours elles, voraces, pépiantes et délicates.
Leurs visages étaient comme raidis par une sorte de tension intérieure, leurs yeux indifférents glissaient sur l’aspect, sur le masque des choses, le soupesaient un seul instant (était-ce joli ou laid ?), puis le laissaient retomber. Et les fards leur donnaient un éclat dur, une fraîcheur sans vie.
(…)

Le Vieil homme et la mer, d’Ernest Hemingway

Couverture en Folio

Un grand classique de la littérature américaine, que je n’avais encore jamais lu (ni aucun autre livre d’Hemingway, je l’avoue !) et que je me suis décidée à acheter, malgré un a priori pas très positif que j’aurais du mal à expliquer et qui était tout à fait idiot, comme la plupart des a priori.

Note pratique sur le livre

Genre : Court Roman
Editeur : Folio
Traduit de l’anglais (américain) et préface par Philippe Jaworski
Nouvelle traduction publiée en 2018
Nombre de Pages : 136

Note biographique sur Hemingway

Il est né en 1899 à Oak Park, près de Chicago. Dès 1917, il travaille comme reporter puis s’engage sur le front italien. Il s’installe à Paris et commence sa carrière d’écrivain. Son roman Le soleil se lève aussi le classe d’emblée parmi les grands écrivains de sa génération. Le succès et la célébrité lui permettent de voyager aux Etats-Unis, en Afrique, en Europe.
En 1936, il s’engage comme correspondant de guerre auprès de l’armée républicaine, en Espagne, ce qui lui inspire « Pour qui sonne le glas« . Il participe à la guerre 39-45 et fait partie de la division Leclerc qui entre dans Paris. Après la guerre, il voyage à nouveau, Cuba, Italie, Espagne. C’est à Cuba qu’il écrit en 1952 Le Vieil homme et la mer, son chef d’œuvre le plus célèbre, publié en 1953.
Hemingway obtient le Prix Nobel de littérature en 1954.
Malade, il se suicide en 1961.
(Sources : éditeur, Wikipédia)

Quatrième de Couverture

À Cuba, voilà quatre-vingt-quatre jours que le vieux Santiago rentre bredouille de la pêche, ses filets désespérément vides. La chance l’a déserté depuis longtemps. À l’aube du quatre-vingt-cinquième jour, son jeune ami Manolin lui fournit deux belles sardines fraîches pour appâter le poisson, et lui souhaite bonne chance en le regardant s’éloigner à bord de son petit bateau. Aujourd’hui, Santiago sent que la fortune lui revient. Et en effet, un poisson vient mordre à l’hameçon. C’est un marlin magnifique et gigantesque. Débute alors le plus âpre des duels.
Combat de l’homme et de la nature, roman du courage et de l’espoir, Le vieil homme et la mer est un des plus grands livres de la littérature américaine.

Mon humble avis

Pendant les trente ou quarante premières pages du livre je n’étais pas tout à fait convaincue et puis peu à peu je me suis laissée emporter par cette histoire assez fascinante qui ressemble à un conte, avec son lot d’épreuves, de rebondissements et d’héroïsme grandiose. Le vieil homme nous paraît en effet être un héros parfait, qui affronte seul le destin et les forces de la nature déchaînées contre lui, à la manière d’Ulysse par exemple, et j’ai trouvé qu’il y avait cette dimension mythique et quasi épique.
Ce héros nous semble d’autant plus courageux et exceptionnel que, justement, il est vieux, doté de forces déclinantes, et qu’il se trouve dans une situation de malchance et de solitude particulièrement aiguës — bien soulignées par l’auteur — ce qui rend ses exploits, son habileté et son endurance vraiment extraordinaires.
On peut remarquer que ce sont souvent les anti-héros, et les êtres sans qualités notables, qui ont été en vogue dans la littérature au 20ème siècle et qu’ici Hemingway renoue avec des genres littéraires plus anciens tout en trouvant un style assez moderne et marqué par une certaine angoisse. Car, pendant son combat avec l’énorme poisson, le vieil homme est aussi obligé de faire face à ses propres démons : par moments il perd sa lucidité à cause de la fatigue, de la douleur, de la faim ou de la soif et il doit combattre les idées dangereuses qui l’assaillent à ces instants précis.
Les sentiments du vieil homme vis-à-vis du poisson sont également intéressants car emprunts de respect et d’affection, ce qui ne l’empêche pas de vouloir le tuer à tout prix et on se dit que l’enjeu, dans l’esprit du vieil homme, va bien au-delà de la simple idée de harponner un poisson et que c’est en réalité une quête existentielle et métaphysique.
Un beau livre, qui se lit assez vite à cause de sa brièveté et de son suspense haletant, et dont la fin est tout à fait bouleversante !

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Un Extrait page 65

Je me demande pourquoi il a viré brusquement, pensa-t-il. Le fil de métal a dû glisser sur cette montagne qu’est son dos. Assurément son dos ne peut pas le faire souffrir comme le mien. Mais il ne peut pas tirer cette barque éternellement, si grand soit-il. A présent j’ai dégagé tout ce qui pouvait me gêner et j’ai une bonne réserve de ligne ; on ne peut rien demander de plus.
« Poisson, dit-il doucement, à haute voix, je reste avec toi jusqu’à ma mort. »
Lui aussi restera avec moi, je suppose, pensa le vieil homme, et il attendit que le jour parût. Il faisait froid maintenant avant le point du jour et il se rencogna contre le bois pour avoir chaud. Je peux tenir comme ça aussi longtemps que lui, pensa-t-il. (…)

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Un autre Extrait page 75

« Il remonte, dit-il. Allons, main. Réagis, je t’en prie. »
La ligne s’éleva lentement et régulièrement, puis la surface de l’océan se renfla à l’avant de la barque et le poisson parut. Il n’en finissait pas de paraître et l’eau ruisselait sur ses flancs. Il brillait au soleil et sa tête et son dos étaient pourpre foncé et les larges rayures de ses flancs au soleil d’un ton bleu lavande clair. Son rostre était long comme une batte de base-ball et effilé comme une épée et il jaillit hors de l’eau de toute sa longueur, puis replongea souplement comme un plongeur et le vieil homme vit sa queue pareille à la lame d’une grande faux disparaître dans les profondeurs et la ligne commença à se dévider à toute vitesse. (…)

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