Un beau poème de Seyhmus Dagtekin

Ce poème est le plus célèbre du recueil Au fond de ma barque de Seyhmus Dagtekin.

Voici la biographie officielle de ce poète, que j’ai trouvée sur le site de l’institut kurde :

Seyhmus Dagtekin est né au français à l’âge de vingt-deux ans, après avoir vu le jour en 1964 à Harun, village kurde au sud-est de la Turquie. Il fait des études en audiovisuel à Ankara, puis arrive à Paris en 1987. Il écrit en turc, en kurde ou directement en français. Son livre Les chemins du nocturne lui a valu le Prix international de poésie francophone Yvan Goll.

Quand tu te retires du monde
Le monde ne s’arrête pas pour autant
Ne se retire pas
Quand tu vas dans le vaste monde
Tu ne deviens pas vaste pour autant
Quand tu te prives de la multitude
Tu n’occupes pas pour autant ta solitude
Tu ne l’élargis pas
Quand tu te chasses du bruit
Tu ne découvres pas pour autant le silence
Quand tu te coupes les branches
Tu n’augmentes pas pour autant
La sève qui irrigue ton front

Seyhmus Dagtekin

Un roman sur la corruption : L’homme rompu de Tahar Ben Jelloun

Mourad est ingénieur : il est chargé d’attribuer des marchés publics, sa signature vaut de l’or. Malgré cela Mourad est pauvre, son salaire ne lui permet pas de joindre les deux bouts. Sa femme et sa belle famille lui reprochent continuellement sa pauvreté. Sa fille asthmatique aurait besoin d’un traitement onéreux qu’il n’est pas en mesure de lui payer. Son assistant Haj Hamid, lui, a un bon train de vie car il accepte des enveloppes et des cadeaux. Il mène l’existence d’un homme corrompu : sort, a des maîtresses, voyage, ne se refuse rien. Mourad, par contre, a toujours été intègre, il n’a jamais accepté la moindre enveloppe depuis vingt ans qu’il travaille … mais il doute soudain du bien fondé de son honnêteté et accepte un beau jour une première enveloppe.
Maintenant qu’il est riche il va sûrement avoir une vie facile et agréable … mais est-ce si sûr ? Sa mauvaise conscience le taraude et il craint d’être inquiété par la justice. Le caractère et l’existence foncièrement honnêtes de Mourad ne semblent pas si simples à modifier. L’enveloppe qu’il a acceptée n’était-elle pas un piège tendu par Haj Hamid pour se débarrasser de lui ?
Et le roman bascule, comme Mourad, dans le soupçon et dans l’étrangeté.

Voilà un très bon livre sur la corruption : c’est une réflexion fine sur la manière dont l’argent influence la vie et le tempérament.
La manière dont sont représentées les relations homme-femme, avec des femmes qui demandent sans cesse à Mourad de correspondre à l’image qu’elles se font de la virilité, est aussi intéressante.

L’homme rompu avait reçu le Prix Méditerranée en 1994.

Extrait page 43 :

 » Je pense tout le temps.Je construis puis je démolis.Je vois des choses et j’ai peur. Comment font les autres ? Comment fait Sidi Larbi, qui n’a jamais eu un problème de ce genre ? Il a beau voler, corrompre, jouer des tours aux gens sans défense, il se porte très bien. Non seulement il ferme les yeux et dort en paix, mais je suis sûr qu’il fait beaucoup de beaux rêves qui rendent son sommeil merveilleux. Mais moi, rien qu’à l’idée de devoir de l’argent à Abbas, mon meilleur ami, ou à l’épicier, mon second banquier, je passe une nuit blanche. Peut-être que si je franchissais la barre, peut-être si je me rangeais du côté des salauds, je ne connaîtrais plus de scrupules et je dormirais comme un loir. Je devrais essayer. Eux font ça naturellement. Moi j’ai besoin de me forcer, de mordre dans mon cœur pour y arriver.« 

To Rome with Love de Woody Allen

Autant vous prévenir : je suis très fanatique de Woody Allen et donc souvent indulgente avec ses films « ratés » …
Avant d’aller voir To Rome with love j’avais lu plusieurs critiques peu élogieuses (« mauvaise carte postale », « film à oublier », « déjà vu » …) mais je tenais à me faire ma propre opinion.
Pour le côté « carte postale » je ne l’ai pas remarqué : certes, on y voit la fontaine de Trevi et le Colisée mais quoi de plus normal à Rome ? et ces scènes durent à peine quelques secondes.

Le film nous raconte en parallèle cinq histoires différentes : une sentimentale, avec de jeunes protagonistes américains – c’est l’histoire principale – et, je le reconnais, elle ne fait que recycler de vieux thèmes alleniens. On avait déjà vu dans Vicky Cristina Barcelona ce type de femme fatale, en réalité névrosée et un peu paumée, jouée alors par Scarlett Johansson. Cette histoire est poussive, on n’y croit pas, et aucune émotion ne s’en dégage. Les deux jeunes acteurs (Jesse Eisenberg et Ellen Page) semblent vouloir singer Woody Allen et Diane Keaton dans les années 70-80, mais on préférait les originaux.

A côté de cette histoire, deux autres suivent les aventures d’un mari et d’une femme italiens, qui se retrouvent séparés le temps d’une journée et dont les pérégrinations forment une petite comédie légère, vaguement vaudevillesque. Assez sympathique mais pas passionnant.

Et les deux autres histoires, l’une autour de Woody Allen lui-même, et l’autre autour de Roberto Benigni, sont plutôt dans le registre comique et donnent par moments des scènes vraiment hilarantes où l’on retrouve tout le talent du réalisateur et un ton beaucoup plus naturel et astucieux.

En définitive, c’est avec une impression contrastée que j’ai quitté la salle : j’aurais voulu, je crois, que ce film classé dans le genre comédie, joue plus à fond la carte de l’humour et que les jeunes américains se prennent un peu moins au sérieux.

Interview de Sibylline, créatrice du site Lecture/Ecriture

Je voudrais présenter aujourd’hui un site littéraire que j’aime beaucoup et qui s’appelle Lecture/Ecriture.
Sa créatrice et animatrice, Sibylline, a accepté de répondre à mes questions sur la vie de ce site.

–        Bonjour Sibylline.  Quelle était ton idée quand tu as créé le site Lecture/Ecriture ? Y a-t-il des spécificités de Lecture/Ecriture par rapport aux autres sites littéraires ?

J’ai eu internet chez moi il y a une dizaine d’année (je n’étais pas parmi les précurseurs, j’avais même l’impression que cela n’allait pas m’intéresser, en quoi je me trompais fort.) J’ai tout de suite visité tous les sites littéraires que j’ai pu trouver et j’ai participé à certains. Au bout d’un moment, j’ai constaté que cela ne me satisfaisait pas. J’étais gênée d’abord par les publicités avérées ou dissimulées car ce que j’avais tout de suite compris avec le net, c’est que c’était un lieu unique où l’on pouvait échapper totalement aux lois de la rentabilité et du commerce, alors pourquoi ne pas le faire? Le royaume du gratuit et du bénévolat, le royaume de la libre expression aussi. Cette liberté était assurée par l’usage de pseudos ce qui permettait à chacun de s’exprimer librement sans avoir à subir la réprobation de ses voisins, employeurs, familles… et, en ce qui concerne les livres par exemple, la parole pouvait être donnée à de vrais lecteurs, des gens dont ce n’était pas le métier de lire, qui faisaient cela uniquement parce qu’ils aimaient le faire. Des gens qui ignoraient superbement les plans marketing des maisons d’édition, qui ne connaissaient, ni les éditeurs, ni les auteurs, ni les agents littéraires et ne se souciaient ni de les flatter, ni de les vexer. Ils lisaient juste ce qui les tentaient et disaient ensuite ce qu’ils en avaient pensé.

–         Pensais-tu que le site prendrait une telle ampleur quelques années après ?

Je ne m’étais pas posé la question. Je ne me la pose toujours pas. Lecture/Ecriture s’est révélé avoir une vraie vie autonome. Il est vivant. Il se meut, croît et se diffuse de façon naturelle et sans plan de carrière. Il ne se préoccupe pas d’être, il est.

–         Combien de visites as-tu par jour (ou par semaine) ?

Elles sont vraiment nombreuses et le site peut se vanter d’être bien et assidument fréquenté. Mais ce n’est pas pour rien que le compteur du site n’affiche pas les visites, nous ne voulons pas d’un jugement basé sur la quantité, ni entrer dans une logique de compétition. Pas plus que dans celle de la rentabilité. Nous sommes en dehors de ce système. Lecture/Ecriture est très visité, mais même s’il ne l’était pas, il existerait quand même et au fond, cela ne changerait rien à ce qu’il est, cela ne changerait que la connaissance que les autres en ont.

–         Quels sont les livres ou les auteurs qui attirent le plus de visiteurs : les grands classiques, les best-sellers, les dernières parutions … ? Y a-t-il un genre plus populaire que les autres ?

Eh bien, sans surprise, les classiques sont très visités et sûrement par des jeunes qui ont à en parler pour leurs cours et veulent s’en économiser la lecture. Mais ils peuvent globalement être déçus car ce que nous en disons a beau être assez souvent intéressant, ce n’est pas ce que leurs professeurs attendent d’eux. Ce ne sont pas des analyses scolaires, ni par le fond, ni par la forme. Par contre, pour peu qu’ils soient prêts à un effort, il se peut tout autant que ce que nous en disons leur montre que ces romans peuvent intéresser des gens qui n’ont aucune obligation de les lire et leur indique le plaisir que l’on peut y trouver.

Aux périodes de rentrées littéraires, les nouveautés sont très consultées aussi car les lecteurs ont envie d’avoir les commentaires de simples lecteurs comme eux et pas seulement des critiques officiels du monde littéraire.

Et en permanence, quand un livre ou un auteur fait parler de lui, il a un pic ici, les visiteurs venant voir de quoi il s’agit au juste et ce que nos lecteurs en ont pensé.

–         Selon toi, quelles sont les qualités requises pour être un bon critique ?

Tout d’abord, nous ne sommes pas des critiques, donc je ne saurais répondre à cette question. Nous sommes juste des lecteurs bavards. Nous aimons non seulement lire, mais encore parler de nos lectures. Notre plus grand plaisir : trouver quelqu’un qui a lu le même livre et en discuter avec lui. Même si son avis est différent du nôtre. Et un tout grand plaisir encore : faire lire des livres qui nous ont plu à des gens qui autrement, ne l’auraient pas fait. Faire découvrir des auteurs à côté desquels nos visiteurs auraient pu passer.

Et pour revenir à ta question, pour être un bon participant à Lecture/Ecriture, il faut aimer lire, aimer parler de ses lectures et être capable d’exprimer son ressenti et l’argumenter par écrit. C’est tout.

–         J’ai vu que tu acceptes pratiquement tous les genres de livres, des romans aux guides pratiques en passant par les guides de voyage et les bandes dessinées. Mais y a-t-il des genres exclus du site ? Accepterais-tu par exemple la critique d’une méthode de japonais, d’un dictionnaire des synonymes, d’une revue de poésie contemporaine, ou d’un livre de mathématiques ?

Tout d’abord, une des limites est qu’il faut que le livre soit publié par un vrai éditeur, nous ne commentons pas l’édition à compte d’auteur. Je sais que beaucoup de grands auteurs ont commencé comme cela et il est même possible que cela puisse être une bonne façon de commencer, mais il est tout autant indéniable que l’on trouve une foule d’ouvrages sans aucun intérêt dans l’édition à compte d’auteur. Nous avons donc placé cette limite : pas d’autoédition. En dehors de cela, je dirais qu’il faut qu’il y ait une rédaction et une intention dans cette rédaction. Parmi ceux que tu cites, nous ne prendrions pas les dictionnaires (qui ne sont pas rédigés) pour le reste, faudrait voir…

–         Toi-même, quand as-tu commencé à t’intéresser à la littérature ?

Je me suis toujours intéressée à la lecture. Mais vraiment toujours, depuis mon premier abécédaire. Ça a été en permanence une de mes passions.

–    As-tu un métier en rapport avec les livres ?

Non, cela fait partie des activités que je fais purement pas amour, et pour aucune autre raison plus rationnelle.

–         J’ai vu que lorsqu’on avait écrit au moins dix critiques pour Lecture/Ecriture, on pouvait participer à la partie Ecriture du site : en quoi consiste cette partie Ecriture ?

C’est très simple. On peut envoyer un texte (une nouvelle ou un poème), tout comme on envoie ses commentaires de lecture et il est mis en ligne dans la partie « Ecriture ». On peut en envoyer un à chaque fois qu’on a envoyé 10 commentaires de lecture. Pour un poème, sauf s’il est vraiment très long, je pense qu’on pourrait en mettre un pour 5 commentaires de lecture. Nous avons dû établir ce quota car nous étions envahis par des gens qui entendaient limiter leur participation au site à une profusion de leur propre production, parfois même sans s’être souciés de la travailler un peu. Ce qu’ils ne font plus en étant limités. Mais dans le cas contraire, il ne faut pas hésiter à utiliser cette possibilité que Lecture/Ecriture offre de diffuser ses propres textes.

–         Que penses-tu des blogs littéraires?

Je les aime beaucoup. Beaucoup des participants à Lecture/Ecriture tiennent un blog littéraire. Et leur participation au site vaut des visites à leur blog. Les blogs et le site ne font pas double emploi. Le blog est un espace personnel où l’on parle plus de soi, où l’on papote, que l’on illustre à sa guise, sur lequel on reçoit publiquement des avis etc. Par contre, quand un texte est vieux de plusieurs mois (ou années) il devient difficile de le garder facile à trouver pour le visiteur. C’est là que Lecture/Ecriture est utile. Tous les textes restent toujours facilement repérables et accessibles. Le site est plus comme les archives classées des blogs.

Mais il y a aussi des lecteurs qui n’ont pas le désir ou le temps de tenir un blog (c’est très chronophage, comme on le sait) mais qui veulent tout de même s’exprimer sur leurs lectures. Ceux-là sont chez eux sur Lecture/Ecriture. Ils y ont leur page, ils s’y expriment à chaque fois qu’ils le veulent (souvent ou rarement à leur gré) et peuvent recevoir des réactions s’ils joignent une adresse mail à leur signature. Là, Lecture/Ecriture est l’auberge espagnole des lecteurs non blogueurs.
–         Quels sont tes rapports avec les lecteurs du site?

Je tiens beaucoup à avoir des contacts personnels et humains avec chaque lecteur. Je ne suis pas un robot ni même un humain bureaucratique. Pour moi chaque lecteur est bien une personne individualisée et avec qui je peux bavarder. Non seulement je le peux, mais j’aime bien. Les lecteurs m’intéressent.

–         Comment choisis-tu l’auteur du mois ?

Le choix de l’auteur du mois est un choix difficile qui se fait à partir des suggestions des lecteurs. Il faut un auteur qui présente un vrai intérêt littéraire, il faut qu’il ne soit pas déjà sur le site (ou presque pas). Il faut qu’il ait plusieurs livres publiés en français etc. Tu vois le genre de critères qui entrent en jeu. Mais tout lecteur peut faire une suggestion, elle sera considérée.

–         Comment se passent les interviews d’écrivains publiées sur le site – acceptent-ils facilement l’interview ?

Oui, mais c’est une partie du site qui est un peu à l’abandon en ce moment, faute de temps. Cela demande énormément de travail (contacts, déplacement, retranscription etc.). Mais le site accueille volontiers celles qui lui sont envoyées par ses participants. N’hésitez surtout pas! Tout le monde peut rencontrer un écrivain à un salon du livre, une signature etc. et lui poser quelques questions en enregistrant les réponses.

–         Comment voudrais-tu voir évoluer le site ?

Mon souhait le plus vif serait que nous ayons davantage de participants. Plein. De toutes sortes. Que davantage de lecteurs n’hésitent pas à nous envoyer leurs avis sur leurs lectures. C’est une chose toute simple. Il suffit de prendre son clavier et d’écrire ce que l’on dirait à un ami à qui l’on parlerait du livre que l’on vient de finir. Nos lecteurs sont déjà nombreux mais j’en voudrais plus. J’ai l’impression que les gens n’osent pas. Ils ne s’autorisent pas à s’exprimer. Il se disent qu’ils ne sont pas critiques littéraires. Certes, ils ne le sont pas, mais ce n’est pas non plus ce que l’on demande aux participants à Lecture/Ecriture. Ils sont lecteurs et c’est tout ce que nous attendons d’eux : ça et qu’ils prennent la parole. Venez nous rejoindre !
–         Merci de m’avoir répondu 🙂

Un beau poème de Thierry Roquet

Je voudrais aujourd’hui vous faire partager l’émotion que j’ai ressentie la première fois (mais aussi toutes les fois suivantes) que j’ai lu Arrondir les angles de Thierry Roquet dans la revue de poésie en ligne Les États Civils n°8. Un grand poème.

Je ne sais pas grand chose de Thierry Roquet mais j’ai lu d’autres beaux poèmes de lui dans la revue Verso et je le tiens pour un vrai poète.

Souvent je lis ce poème et parfois j’essaye d’analyser d’où vient sa beauté. Je pense que les « parce que » suivis d’un blanc y ont une petite part. Cette sensation d’incertitude et de tâtonnement. Mais il y a plus, et je renonce à tenter de l’expliquer …

J’aime en tout cas la langue sans afféterie utilisée par ce poète.

Arrondir les angles

C’est un poème
sur la vie de tous les jours
parce que

c’est aussi un poème
sur la mémoire
que disait-il, déjà?

que je me lève chaque matin
pour accomplir des tâches
plus ou moins inutiles
c’est sans importance

non
ce n’est pas sans importance
parce que

c’est aussi un poème
sur le temps qui passe
mais je n’ai plus les horaires en tête

il y a quelque chose que je perds de vue
quelque chose de mécanique
que je ne parviens pas
à dire simplement dans mon poème
ce sont les habitudes et les partis pris
parce que

ce n’est pas un poème
sur la beauté
je ne sais pas ce qu’est la beauté
ni la laideur je vais de l’un
à l’autre naturellement

c’est un poème
sur le doute
sur ce que je ne connais pas exactement
on n’y fait pas grand étalage
du fraternel
parce que

je ne suis nulle part à mon aise
c’est un poème
comme ça
qu’on écrirait après une brève discussion
avec un mur
et une fenêtre sur la rue

en fin de compte
c’est un poème
sur la solitude je crois

Thierry Roquet

La princesse et le pêcheur de Minh Tran Huy

Lam, une adolescente d’origine vietnamienne, rencontre lors d’un séjour linguistique en Angleterre, un vietnamien de son âge, Nam, réfugié en France depuis peu de temps. Elle est rapidement éprise de lui mais il ne voit en elle qu’une petite sœur. Une amitié solide se noue entre eux, pleine de non-dits. Malgré leurs origines vietnamiennes tout les sépare : elle est née en France dans un milieu privilégié, elle est douée pour les études, introvertie, alors que lui est un boat people, il vit dans une banlieue difficile, mène une existence chaotique et précaire, et est un garçon charmeur et affable.
Cette rencontre est l’occasion pour la jeune fille de s’interroger sur ses racines, de poser des questions à sa famille. Peu de mois après, elle fait un voyage au Vietnam avec ses parents et sa grand-mère, voyage qui répond à une partie seulement de ses interrogations, lui apportant surtout beaucoup d’éclaircissements historiques et culturels mais finalement peu de choses sur les sentiments de ses parents, qu’elle a du mal à se représenter.
Le récit est émaillé du début à la fin de contes et légendes vietnamiens, que l’adolescente recueille dans un carnet et qui sont tous d’une grande beauté – j’ai chaque fois ressenti beaucoup d’émotion à les lire.

Pendant les deux premiers tiers du roman j’ai trouvé que l’histoire trainait en longueur et que pas mal d’éléments étaient répétitifs : par ailleurs la construction de l’histoire est assez confuse et n’aide pas le lecteur à savoir s’il s’agit d’une réflexion sur les origines ou s’il s’agit d’une histoire d’amour qui peine à démarrer.
Et puis le dernier tiers trouve un rythme plus enlevé,  et la lecture devient plus facile.

J’ai assez apprécié ce livre – particulièrement pour les contes qu’il contient – mais la mise en place m’a semblé vraiment longue.

Extrait page 169 :

 » Quels qu’aient été les malheurs, tout s’apaise. Les blessés guérissent, quand bien même ils gardent une cicatrice de vingt centimètres de long. L’herbe reverdit, le soleil sèche la pluie et on balaie les ruines pour rebâtir sinon un palais, du moins une chaumière. Car bien sûr, rien ne vous est jamais totalement rendu. Retourner aux bonheurs d’autrefois est impossible, l’âge d’or demeure une idée, une chimère, un mensonge, la nostalgie, une impasse. Rien n’est ni ne redeviendra comme avant. Mais l’illusion est douce, qui surgit parfois lorsqu’on ne s’y attend pas, ou plus. »

La beauté du geste de Bruno Berchoud

Ce mince recueil de poèmes de Bruno Berchoud La beauté du geste se compose de quatre parties : Gestes de père, gestes de mère ; gestes de femme ; gestes d’inconnus ; gestes d’enfant.

En voici trois parmi mes préférés :

Elle a sans réfléchir lâché la corbeille pleine de linge, d’un coup laissé tomber au sol l’entassement de draps froissés, chaussettes et slips enchevêtrés, pantalons retournés, et s’est mise à courir exclamée, à balancer sa joie dans la maison, Mon fils il faut que je t’embrasse.
Lui tant de fois cancre jusqu’aux oreilles et rouge comme lanterne ne saurait dire pourquoi ni comment il a pour une fois décidé d’échapper à cette tendance congénitale (disait l’instituteur) à jouer au crétin.
Ainsi c’était cela pour mettre du soleil à son visage : laisser tomber deux mots en bégayant comme un benêt Premier prix premier pris
dans ses bras.

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Suspendre son pas – c’est cela oui
cette halte soudaine
pied droit qui pointe vers l’arrière
semelle face au ciel
comme un truc à mirer les nuages.

Cet instant d’équilibre
sur la jambe tendue
la trouve belle comme un héron
une cigogne sur son île
quand bien même a les yeux
plantés sur le revers de la chaussure
à cause de son corps qui devance les mots
Elle a marché dans quoi ?

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Et dieu créa le caillou plat
parti d’un trait sur la rivière
pour bondir un instant vers le ciel
et que mon fils exulte
tandis que j’applau-
dis Vivre c’est lancer
toucher le monde un peu plus loin
que le bout de ses doigts.

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La beauté du geste a paru aux éditions Clarisse dans la collection parcelles.

Lignes de Faille de Nancy Huston

J’ai terminé ce livre avec une grande envie de le lire une deuxième fois : je pense en effet qu’on doit avoir une lecture différente, plus approfondie, lorsqu’on connaît déjà la fin.
Il faut dire que ce roman raconte à rebours l’histoire d’une famille sur une soixantaine d’années : de notre époque en Californie jusqu’en 1945 en Allemagne. Quatre générations se succèdent, chacune étant montrée à l’âge de six ans.
J’ai trouvé que Nancy Huston parvenait à nous faire entrer dans les pensées et les sentiments d’ enfants de six ans avec beaucoup d’habileté : sans éprouver le besoin d’utiliser un langage puéril elle restitue très bien la pensée magique décrite par la psychologie, tout en montrant les prémisses de l’âge de raison.
De génération en génération des éléments demeurent : obsession d’un grain de beauté plus ou moins bien placé – et tantôt porte-bonheur tantôt marque d’infamie – ; obsession de la nourriture ; présence continue de la guerre ; absence de la mère sauf à la quatrième génération ; répétition des mêmes blagues.
Ce roman explore un pan de la deuxième guerre mondiale peu connu c’est-à-dire l’aryanisation de l’Allemagne par les nazis. Cette tache originelle (que l’on retrouve symboliquement dans le grain de beauté à chaque génération) semble une immense source de perturbation pour chaque enfant, et pousse même la grand-mère Sadie à se convertir au judaïsme et à immigrer un temps en Israël, comme pour s’inclure dans l’histoire juive et s’inventer par là même des racines.

J’ai bien aimé ce livre, qui m’a appris des faits historiques que j’ignorais et qui m’a fait réfléchir à la psychogénéalogie, mais aussi au rôle salvateur de l’art.
Il m’a cependant semblé que ce livre avait les défauts de ses qualités : peut-être que Nancy Huston n’a pas pris assez de libertés avec les théories psychologiques et psychanalytiques. Je me suis dit à certains moments qu’on sentait trop la documentation derrière le récit et que cela nuisait un peu à la qualité émotionnelle et poétique du livre.

Très bon livre malgré cette petite réserve !