Deux poèmes parus dans Les cahiers du sens de 2016

cahiers-du-sens-n25J’ai eu l’honneur, en cette année 2016, de voir deux de mes poèmes sélectionnés pour la belle revue Les cahiers du sens n°26 de 2016, une revue publiée par Jean-Luc Maxence et Danny Marc du Nouvel Athanor.
En cette année 2016, Le thème principal des Cahiers du sens était Le souffle, mais les poèmes pouvaient concerner n’importe quel sujet …
Je précise que mon illustration montre la couverture du numéro 25 de 2015, donc le numéro de l’année dernière.

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Routines

La lune
– sa matière grasse fondue
sur les croissants ordinaires.

l’azur pur et dur
tranche
sur la fatigue

Les passants
marchent à la vitesse
d’un Giacometti

Nous vendons nos vies
par petits bouts
à des pingres pinailleurs

Nous trouvons refuge
sur des voies de garage

Engorgements
d’impatiences lymphatiques
à la station debout

Les jeunes filles à la Balthus
finissent par se caser
avec des hommes à la Bacon.

Marie-Anne Bruch
auteure de Triptyque
Cinq Sens Editions, 2016

***

Transes

Quand tes cils battent des ailes, je quitte un peu la terre
Entre tes bras, je trouve la forêt nocturne où méditent les orpailleurs.
Tes mains viennent du monde des félins timides et des carrières lunaires.
Abolissant l’hiver, ton regard est la noisette que je croque sur le rivage.
Et nous voguons sur la nuit démontée, comme vers une île ultime.
Et nous marchons dans le silence, comme sur un nuage métaphysique.

Marie-Anne Bruch

Un poème de Blaise Cendrars

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J’ai trouvé ce poème dans le recueil Du monde entier, et plus spécialement dans la partie Dix-neuf poèmes élastiques.
Ce poème a été écrit en février 1914.
J’ai choisi comme illustration la danseuse de flamenco de Sonia Delaunay.

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6 – Sur la robe
elle a un corps

Le corps de la femme est aussi bosselé que mon crâne
Glorieuse
Si tu t’incarnes avec esprit
Les couturiers font un sot métier
Autant que la phrénologie
Mes yeux sont des kilos qui pèsent la sensualité des femmes
Tout ce qui fuit, saille avance dans la profondeur
Les étoiles creusent le ciel
Les couleurs déshabillent
« Sur la robe elle a un corps »
Sous les bras des bruyères mains lunules et pistils quand les eaux se déversent
dans le dos avec les omoplates glauques
Le ventre un disque qui bouge
La double coque des seins passe sous le pont des arcs-en-ciel
Ventre
Disque
Soleil
Les cris perpendiculaires des couleurs tombent sur les cuisses

EPEE DE SAINT-MICHEL

Il y a des mains qui se tendent
Il ya dans la traîne la bête tous les yeux toutes les fanfares tous les habitués du bar Bullier
Et sur la hanche
La signature du poète

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flamenco-dancer

La femme des sables, de Abé Kôbô

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J’ai acheté ce livre par hasard, en cherchant des livres de littérature japonaise sur le site Internet d’un magasin culturel …

L’histoire : Un homme d’une petite trentaine d’années va au bord de la mer pour rechercher un insecte d’une espèce très rare et qui vit dans le sable. Cet homme est en effet entomologiste à ses heures perdues et espère pouvoir découvrir de nouvelles espèces, ce qui lui permettrait de laisser son nom dans l’histoire. Mais, dans sa quête d’insecte au bord de mer, il doit demander à être hébergé dans le village le plus proche car la nuit est tombée plus tôt que prévu. Seulement, les gens du village amènent l’homme au fond d’un immense trou dans lequel vit une femme, une jeune veuve, dont l’unique occupation est de déblayer le sable qui tombe dans le trou de tous les côtés. L’homme s’aperçoit bientôt qu’il est séquestré dans ce trou, que personne ne veut le sortir de là.

Mon avis : C’est un roman très angoissant, où la présence obsédante du sable revient à chaque page : le sable se mêle à la sueur des personnages, faisant une sorte de croute sur leur peau, mais il s’infiltre aussi dans leur gorge, dans leurs poumons, se mêle à leurs aliments, à leur tabac, et menace de les engloutir ou même de les écraser.
L’homme est pris au piège et tente de se révolter contre son sort – du moins dans un premier temps – mais il ne sait pas si la femme est victime comme lui ou si elle est du côté de ses bourreaux, et c’est un des aspects les plus passionnants du livre : en tout cas, la femme, elle, ne se révolte jamais, et préfère essayer de s’en sortir comme elle peut en acceptant les règles imposées par les gens du village.
Le village et ses règles implacables et mystérieuses m’a fait fortement penser au Château de Kafka : une entité cruelle et toute puissante, avec laquelle on ne peut quasiment pas discuter, et aux lois de laquelle on n’échappe pas.
Bien sûr, ce gigantesque trou de sable est symbolique, mais la force du roman vient du fait que ce symbole peut être interprété de tas de manières différentes : le sable peut-être le temps, mais le trou dans le sable peut être un symbole de la vie ou bien un symbole du mariage, ou bien un symbole de la solitude, … en réalité, chacun peut y voir ses propres peurs et hantises.
J’ai trouvé que c’était un superbe roman, mais je tiens à préciser qu’il offre une vision de la vie très noire, sans aucune espérance, et qu’on termine la lecture avec un grand sentiment d’accablement.

Top 100

A la suite de la lecture du blog Des livres et des films et surtout de son intéressant Top 100 concocté par Goran, je me suis prêtée moi aussi à cet exercice difficile mais tout de même agréable.
Voici le lien vers le Top 100 de Goran :
Top 100

J’ai fait cette liste en mélangeant romans, théâtre et poésie.
Il est quasiment certain que j’ai oublié certaines lectures importantes ou marquantes, mais c’est un peu inévitable dans cet exercice.
Il s’agit d’une liste non ordonnée, sinon cela m’aurait donné trop de travail.
Au final, mes choix auront été assez classiques, me semble-t-il … avec une bonne présence de la littérature japonaise.

A

Emile Ajar – Gros Câlin
Emile Ajar – La Vie devant soi
Apollinaire – Alcools
Sawako Ariyoshi – Les dames de Kimoto
Sawako Ariyoshi – Le Miroir des Courtisanes
Antonin Artaud – L’ombilic des Limbes, Le Pèse-Nerfs
Paul Auster – Seul dans le noir
Marcel Aymé – Uranus

B

Honoré de Balzac – La Peau de Chagrin
10) Barbey d’Aurevilly – Les Diaboliques
Charles Baudelaire – Les fleurs du Mal
Samuel Beckett – En attendant Godot
Samuel Beckett – Poèmes
Thomas Bernhardt – Oui
Aloysius Bertrand – Gaspard de la nuit
Borges – Fictions
Nicolas Bouvier – L’Usage du monde
Emmanuel Bove – Mes amis
Ray Bradbury – Chroniques martiennes
20) Bertold Brecht – La Bonne âme du Sé-Tchouan
André Breton – Nadja
André Breton – Manifestes du Surréalisme
Dino Buzzati – Le Désert des Tartares

C

Albert Camus – L’Etranger
Albert Camus – La Chute
Patrick Chamoiseau – Texaco
Louis-Ferdinand Céline – Mort à Crédit
Albert Cohen – Belle du Seigneur
Colette – Mes apprentissages
30) Colette – La Maison de Claudine
Charles Cros – Le coffret de Santal

D

Robert Desnos – Corps et Biens
Fédor Dostoïevski – Crime et Châtiment
Fédor Dostoïevski – Les Possédés
Marguerite Duras – Le ravissement de Lol V Stein

E

Annie Ernaux – La femme gelée
Annie Ernaux – Les années

F

Flaubert – Trois Contes

G

Garcia-Marquez – 100 ans de Solitude
40) Romain Gary – Chien Blanc
Romain Gary – Les promesses de l’aube
Théophile Gautier – Emaux et Camées
Théophile Gautier – Contes Fantastiques
André Gide – Les Faux-Monnayeurs
Jean Giraudoux – Ondine
Goethe – Les souffrances du jeune Werther
Gontcharov – Oblomov

H

Hayashi – Nuages Flottants
Hugo – Les Orientales
Hugo – Les derniers jours d’un condamné – Claude Gueux
Huysmans – A Rebours

I

Henrik Ibsen – Maison de Poupée
Henrik Ibsen – Un ennemi de la société

J

Charles Juliet – Lambeaux

K

Kafka – Le Procès
Kafka – La Métamorphose
Kandinsky – Du spirituel dans l’art
Kawabata – Tristesse et Beauté

L

Doris Lessing – Le carnet d’or

M

Malraux – La Condition humaine
Carole Martinez – Le cœur cousu
Michaux – La vie dans les plis
Michaux – Epreuves exorcismes
Mishima – Confessions d’un masque
Patrick Modiano – Dans le café de la jeunesse perdue
Henry de Montherlant – Les Célibataires
Alberto Moravia – L’ennui
Murakami – Sommeil

N

Pablo Neruda – La Centaine d’amour
Géo Norge – Poèmes

O

Orwell – 1984

p

Sylvia Plath – Ariel
Sylvia Plath – La Cloche de détresse
Edgar Poe – Histoires extraordinaires
Jacques Prévert – Paroles
Abbé Prévost – Manon Lescaut
Marcel Proust – Du côté de chez Swann

Q

Raymond Queneau – Exercices de Style

R

Pierre Reverdy – Plupart du Temps
Rilke – Poèmes d’amour
Arthur Rimbaud – Oeuvres Complètes
80) Philip Roth – Un homme
Jean-Jacques Rousseau – Confessions
Jean-Jacques Rousseau – Rêveries du promeneur solitaire

S

Jean-Paul Sartre – Le Mur
Jean-Paul Sartre – La Nausée
Schopenhauer – Métaphysique de la mort- Métaphysique de l’amour
Shakespeare – Hamlet – Othello – Macbeth
Shakespeare – Roméo et Juliette – La Tempête – Songe d’une nuit d’été
Steinbeck – Tortilla Flat
Süskind – Le pigeon

T

Tolstoï – La Mort d’Ivan Illitch
Tourgueniev – Pères et Fils
Tristan Tzara – L’homme approximatif

V

Verlaine – Oeuvres poétiques

W

Virginia Woolf – Les Vagues

Z

Zola – L’Oeuvre
Zola – Nana
Zweig – L’Ivresse de la Métamorphose
Zweig – Le Joueur d’Echecs

Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai

azoulai_titus_bereniceJ’ai eu envie de lire ce livre parce qu’on en a beaucoup parlé dans les média et sur le Net, qu’il est très mis en avant dans les rayons des librairies, qu’il a reçu le Prix Médicis, mais surtout parce qu’il évoque la vie de Racine et que cela me semblait un thème riche et prometteur.
Par ailleurs, c’était l’occasion de découvrir l’univers d’une romancière que je ne connaissais pas, ce qui est toujours intéressant !

Le début de l’histoire :

A notre époque, une jeune femme prénommée Bérénice est quittée par un moderne Titus pour son épouse, Roma, qu’il n’aime plus mais avec laquelle il a fondé une famille.
Bérénice souffre atrocement de cette séparation et ne parvient à trouver un véritable réconfort qu’en lisant et relisant les tragédies de Racine, dont il lui arrive même d’apprendre certaines tirades par cœur.
Bérénice se demande comment Racine – à la fois homme, janséniste et courtisan – a pu aussi bien comprendre le cœur féminin et l’amour, et elle décide d’enquêter sur ce que furent sa vie et son caractère.
Il s’ensuit une biographie de Racine, de sa naissance à sa mort, qui sera coupée deux fois par des retours vers l’époque contemporaine, avec la réapparition de notre Bérénice initiale.

Mon avis :

J’ai été très surprise que ce « roman » soit en réalité une biographie de Racine, de forme assez classique puisque chronologique, mais j’ai trouvé cela plaisant.
Nathalie Azoulai sait rendre le personnage de Racine très vivant et très crédible, avec toutes ses contradictions, son ambition démesurée, son admiration sans faille pour le roi, ses jalousies féroces vis à vis de ses rivaux (à commencer par Corneille, mais aussi, dans une moindre mesure, envers Molière), et elle le présente comme sans cesse tiraillé entre ses devoirs envers le roi et sa fidélité envers Port-Royal et les jansénistes, que le roi déteste et combat.
Racine montre plusieurs caractères au cours de sa vie : il est d’abord un enfant imaginatif qui essaye de se plier à une éducation rigide et austère, puis un jeune homme timide, puis un poète désireux de plaire et d’arriver à une situation, puis un poète reconnu et adulé, puis un historiographe scrupuleux, avant de retourner à la foi et à la spiritualité.
Du point de vue du style, c’est un livre bien écrit, mais il m’a semblé que la fin était un peu moins soignée que le début, très brillant.
J’ai bien aimé ce livre, mais je trouve qu’il ne s’agit pas d’un véritable roman – la part d’imaginaire étant très réduite.

Deux poèmes de Géo Norge

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Voici deux poèmes célèbres de Géo Norge (1898 – 1990) extraits tous les deux du recueil Famines (1950).
J’aime ces poèmes pour leur saveur acide et caustique, et le deuxième poème pour la précision loufoque de sa langue.

***

Monsieur

Je vous dit de m’aider,
Monsieur est lourd.
Je vous dis de crier,
Monsieur est sourd.
Je vous dis d’expliquer,
Monsieur est bête.
Je vous dis d’embarquer,
Monsieur regrette.
Je vous dis de l’aimer,
Monsieur est vieux.
Je vous dis de prier,
Monsieur est Dieu.
Eteignez la lumière,
Monsieur s’endort.
Je vous dis de vous taire,
Monsieur est mort.

**

La Faune

Et toi, que manges-tu, grouillant ?
– Je mange le velu qui digère le
pulpeux qui ronge le rampant.

Et toi, rampant, que manges-tu ?
– Je dévore le trottinant, qui bâfre
l’ailé qui croque le flottant.

Et toi, flottant, que manges-tu ?
– J’engloutis le vulveux qui suce
le ventru qui mâche le sautillant.

Et toi, sautillant, que manges-tu ?
– Je happe le gazouillant qui gobe
le bigarré qui égorge le galopant.

Est-il bon, chers mangeurs, est-il
bon le goût du sang ?
– Doux, doux ! Tu ne sauras jamais
comme il est doux, herbivore !

La poésie a mauvais genre, de Jean-Michel Maulpoix

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J’ai un peu hésité à chroniquer ce livre car je l’ai lu il y a plus de quinze jours et, faute d’écrire tout de suite un article dessus, je me suis aperçue hier que j’avais quasiment tout oublié, ce dont on ne saurait conclure qu’il s’agit d’un mauvais livre (ou tout au moins « pas marquant ») mais dont je conclurais plutôt que j’ai la mémoire qui flanche sérieusement !

Voici donc les impressions et souvenirs que j’ai gardés de ce livre quinze jours après sa lecture :

1) Il s’agit d’un essai sur la poésie contemporaine – ou disons la poésie depuis Baudelaire – et cet essai extrêmement bien écrit ne cède pas trop à la tentation du jargon, mais tombe parfois un petit peu dans le blabla, ce qui est plus ou moins inévitable quand on se lance dans des écrits théoriques.

2) J’ai été irritée que, parmi tous les poètes que Maulpoix cite depuis Baudelaire, il ne se trouve quasiment aucune femme. En fait, d’après ce que j’ai pu voir, il ne cite qu’une seule poétesse – contemporaine – dont je n’ai pas retenu le nom et à laquelle il consacre un petit paragraphe. Qu’on puisse parler de poésie contemporaine en faisant comme si les femmes n’existaient pas, m’a surprise et interloquée.

3) J’ai été étonnée que, parmi les poètes importants depuis le début de ce qu’on appelle « La Modernité », l’auteur fasse le choix de Baudelaire, Apollinaire, Rilke (choix logique et si j’ose dire classique) mais aussi de Dotremont et de Conort dont je n’avais jamais entendu parler – mais je ne suis pas forcément une référence, me direz-vous.

4) Ce livre m’a fait réfléchir sur la poésie contemporaine, sur ses méthodes et principes, mais aussi sur ma propre définition de la poésie et du langage, avec une comparaison entre les deux qui mériterait sans doute que je m’y arrête.

5) Je pense que ce livre pourrait constituer une introduction intéressante à la lecture ou à l’écriture de poésie.

6) J’ai aimé le chapitre où Jean-Michel Maulpoix compare la poésie à une fenêtre, et où, évoquant le poème en prose de Baudelaire sur les fenêtres, il fait un parallèle entre la fenêtre, le tableau et le miroir. C’est vraiment un très beau chapitre, mais, en même temps, il est dommage à mon avis d’aimer les fenêtres uniquement parce qu’elles peuvent faire miroir (comme s’il était impossible de sortir de soi !)

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La poésie a mauvais genre est paru chez Corti en 2016, et fait 214pages.