L’amour aux temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez

J’ai lu ce célèbre roman de Gabriel Garcia Marquez dans le cadre du Mois de l’Amérique Latine de Goran et Ingannmic.
Gabriel Garcia Marquez (1927-2014) est un écrivain colombien. Romancier, novelliste, mais également journaliste et militant politique, il est l’auteur de Cent ans de solitude (1967), de Chronique d’une mort annoncée (1981) et a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1982. Il a écrit l’Amour aux temps du choléra en 1985. (Source : Wikipedia)

Résumé de l’intrigue initiale :

Le riche docteur Juvenal Urbino et son épouse Fermina Daza sont mariés depuis plus de cinquante ans et, comme tous les couples, ils ont traversé de multiples déconvenues, des crises et des épreuves, mais cela ne les a pas empêchés de rester ensemble. Ils sont maintenant vieux. Mais ils ignorent tous les deux que le premier prétendant de Fermina Daza, celui avec qui elle avait entretenu, bien avant son mariage, plusieurs années de correspondance passionnée, Florentino Ariza, attend qu’elle devienne veuve depuis toutes ces cinquante années car il espère encore de toutes ses forces pouvoir la conquérir et vivre avec elle la relation amoureuse dont il n’a cessé de rêver.

Mon humble Avis :

Je connaissais déjà un peu l’œuvre de Gabriel Garcia-Marquez et je n’étais pas sûre de vraiment l’apprécier. Ainsi, j’avais laissé tomber Cent ans de Solitude à la moitié, parce que je n’arrivais plus à différencier tous les personnages homonymes, après avoir adoré les premiers chapitres. Et puis Chronique d’une mort annoncée m’avait passablement ennuyée. J’étais donc prudente en commençant L’amour aux temps du choléra et je m’attendais au meilleur comme au pire.
Eh bien, ce fut une excellente surprise ! J’ai été sans cesse tenue en haleine par ce roman, doté d’un souffle et d’un style remarquables, et dont les presque cinq cents pages se dévorent rapidement.
Autour des trois personnages principaux, les figures secondaires foisonnent et sont toutes très pittoresques, intéressantes, et souvent pleines de caractère.
La sensualité occupe une bonne part du livre, et l’auteur parle de l’érotisme avec un mélange d’élégance et de précision qui possède une grande poésie et un fort pouvoir d’évocation.
L’auteur porte souvent un regard humoristique et tendre sur ses personnages, particulièrement sur Florentino Ariza qui navigue entre désespoir, libertinage, romantisme fou, et obsession, et qui mélange donc des traits de caractère très disparates voire incompatibles.
Garcia Marquez semble vouloir établir une forte opposition entre amour romantique, platonique, obsessionnel et durable et l’attirance sensuelle, purement physique, passagère et sans conséquence. Mais parfois, au cours du roman, ces deux tendances se brouillent et connaissent des intersections.
Le tableau qu’il fait du mariage et de son lot de mensonges, de coups bas et de mauvaise foi, m’a paru très finement observé et plein de véracité.
Un roman que j’ai pris énormément de plaisir à lire, et que je conseille sans hésiter !
Sans conteste, mon livre préféré de cet auteur !

Un extrait page 359

Jusqu’alors, la grande bataille qu’il avait livrée les mains nues et perdue sans gloire avait été celle de la calvitie. Depuis l’instant où il avait vu ses premiers cheveux blancs rester accrochés au peigne, il avait compris qu’il était condamné à un enfer impossible dont ceux qui ne l’ont jamais connu ne peuvent imaginer le supplice. Sa résistance dura des années. Il n’y eut ni onguent ni pommade qu’il n’essayât, ni croyance qu’il ne crût, ni sacrifice qu’il ne supportât pour défendre chaque centimètre de son crâne de la dévastation vorace. Il apprit par cœur les instructions de l’Almanach Bristol pour l’agriculture, parce qu’il avait entendu dire que la pousse des cheveux avait un rapport direct avec les cycles des récoltes. Il abandonna son coiffeur de toujours, un chauve illustre et inconnu, pour un étranger tout juste installé qui ne coupait les cheveux que lorsque la lune entrait dans son premier quartier. (…)

Deux Poèmes d’Emily Jane Brontë

couverture du recueil chez Poésie Gallimard

Emily Jane Brontë (1818-1848), sœur de Charlotte et d’Anne Brontë, est connue pour son grand roman romantique « Hurlevent » mais aussi pour ses poèmes, dont je vous propose la lecture de deux d’entre eux qui m’ont touchée.
Les œuvres poétiques d’Emily Brontë ont été écrites entre 1836 et 1846 et publiées de façon parcellaire et en partie posthume entre 1845 et 1850 par sa soeur Charlotte.
J’ai extrait ces deux poésies du recueil « Poèmes » publié en bilingue chez Poésie-Gallimard.

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Je suis le seul être ici-bas dont ne s’enquiert

Je suis le seul être ici-bas dont ne s’enquiert
Nulle langue, pour qui nul œil n’aurait de pleurs ;
Jamais je n’ai fait naître une triste pensée,
Un sourire de joie depuis que je suis née.

En de secrets plaisirs, en de secrètes larmes,
Cette changeante vie s’est écoulée furtive,
Autant privée d’amis après dix-huit années,
Oui, solitaire autant qu’au jour de ma naissance.

Il fut jadis un temps que je ne puis cacher,
Il fut jadis un temps où c’était chose amère,
Où mon âme en détresse oubliait sa fierté
Dans son ardent désir d’être aimée en ce monde.

Cela, c’était encore aux premières lueurs
De sentiments depuis par le souci domptés ;
Comme il y a longtemps qu’ils sont morts ! A cette heure,
A peine je puis croire qu’ils ont existé.

D’abord fondit l’espoir de la jeunesse, puis
De l’imagination s’évanouit l’arc-en-ciel,
Enfin m’apprit l’expérience que jamais
La vérité n’a crû dans le cœur d’un mortel.

Ce fut cruel, déjà, de penser que les hommes
Etaient tous creux et serviles et insincères,
Mais pire, ayant confiance dans mon propre cœur,
D’y déceler la même corruption à l’œuvre.

17 mai 1837

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Mon plus grand bonheur c’est qu’au loin

Mon plus grand bonheur, c’est qu’au loin
Mon âme fuie sa demeure d’argile,
Par une nuit qu’il vente, que la lune est claire,
Que l’oeil peut parcourir des mondes de lumière –

Que je ne suis plus, qu’il n’est rien –
Terre ni mer ni ciel sans nuages –
Hormis un esprit en voyage
Dans l’immensité infinie.

Février ou Mars 1838

EMILY BRONTE

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Le Vieux qui lisait des romans d’amour, de Luis Sepulveda

Couverture chez Points

J’ai lu ce livre pour le Mois de l’Amérique Latine concocté par Ingannmic et Goran, merci à eux de cette initiative intéressante !

Note biographique :
Luis Sepulveda est né au Chili en 1949. Son premier roman, Le vieux qui lisait des romans d’amour, connaît un immense succès. Très engagé politiquement, auprès du Parti Communiste, entre autres, il est emprisonné dans les prisons de Pinochet durant deux ans et demi. Il s’engage plus tard (1979) auprès des sandinistes au Nicaragua. Il travaille comme journaliste. Best-sellers mondiaux, ses romans sont traduits dans le monde entier. Il est mort en Espagne en 2020 à cause de la pandémie de Covid-19.

Quatrième de Couverture (selon Amazon) :

Lorsque les habitants d’El Idilio découvrent dans une pirogue le cadavre d’un homme blond assassiné, ils n’hésitent pas à accuser les Indiens de meurtre. Seul Antonio José Bolivar déchiffre dans l’étrange blessure la marque d’un félin. Il a longuement vécu avec les Shuars, connaît, respecte la forêt amazonienne et a une passion pour les romans d’amour. En se lançant à la poursuite du fauve, Antonio José Bolivar nous entraîne dans un conte magique, un hymne aux hommes d’Amazonie dont la survie même est aujourd’hui menacée.

Quatrième de Couverture (selon mon exemplaire chez Points) :

Antonio José Bolivar connaît les profondeurs de la forêt amazonienne et ses habitants, le noble peuple des Shuars. Lorsque les villageois d’El Idilio les accusent à tort du meurtre d’un chasseur blanc, le vieil homme quitte ses romans d’amour – seule échappatoire à la barbarie des hommes – pour chasser le vrai coupable, une panthère majestueuse…

Mon humble avis :

Je n’ai pas détesté ce roman, qui est sans doute un honnête divertissement quand on aime ce style, mais je n’ai jamais tellement accroché aux romans d’aventures exotiques au milieu des animaux sauvages, des gentilles tribus amazoniennes, et des villageois prétendument civilisés mais, au fond, un peu abrutis.
On apprend des choses intéressantes dans ce roman à propos des modes de vie et des croyances des Shuars, des ruses à employer pour se débarrasser des ouistitis ou de certains serpents de la jungle, mais ce n’est pas ce que j’attends essentiellement d’un livre de littérature.
J’ai ressenti peu d’émotions lors de cette lecture et je me suis souvent ennuyée. Les personnages n’ont pas tellement stimulé mon imaginaire ou ma curiosité car je savais d’avance comment les choses allaient se dérouler et comment l’histoire finirait.
A propos de ce petit livre très court (120 pages), émaillé de nombreuses aventures animalières, d’actions périlleuses, de péripéties sanglantes, on peut dire qu’il s’agit d’une lecture facile, pas très subtile, et où l’écriture n’est pas particulièrement formidable.
Un roman correct, honnête, qui joue la carte de l’exotisme écologiste et qui peut donc plaire au plus grand nombre.

Trois Poèmes de Roberto Juarroz

J’ai lu La dixième poésie verticale de Roberto Juarroz dans le cadre du mois de l’Amérique Latine de Goran et Ingannmic.
Ce livre est paru pour la première fois en 1988 (en espagnol) et dans sa version française, en 2012, traduit par François-Michel Durazzo pour les éditions José Corti.

Note sur le poète (par l’éditeur) :

Roberto Juarroz (né en 1925, mort en 1995) est l’un des poètes argentins majeurs du 20è siècle. Il a publié toute son oeuvre poétique sous un titre unique Poésie Verticale sans donner non plus aucun titre à ses poèmes.

Voici trois poèmes extraits de ce recueil :

n°13

La musique seule
peut occuper le lieu de la pensée.
Ou son non-lieu,
son propre espace vide,
son vide plein.

La pensée est une autre musique.

Et la pensée seule
peut à son tour occuper le lieu de la musique
et s’infiltrer comme elle
à l’extrémité la plus lointaine de ce qui existe,
comme un presque animal si conséquemment fin
qu’il peut alors toucher jusqu’à ce point
où l’être cesse d’être l’être
pour être un peu plus que l’être.

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n°22

Une solitude à l’intérieur,
une autre à l’extérieur.

Il est des moments
où les deux solitudes
ne peuvent se toucher.
L’homme se retrouve alors au milieu
comme une porte
inopinément fermée.

Une solitude à l’intérieur.
Une autre à l’extérieur.
Et la porte résonne d’appels.

La plus grande solitude
est à la porte.

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n°30

Nous n’avons pas confiance dans les choses.
Personne ne les a présentées
et nous ne connaissons pas non plus
leur visage retourné.
Nous leur avons seulement donné des noms
et nous les confondons avec leur identité,
peut-être pour ne pas nous confondre avec elles.

Mais entre les hommes et les choses
se recompose parfois un ancien parallélisme,
appris des dieux il y a longtemps :
le parallélisme
où une des deux droites est de trop.

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Trois poèmes extraits de la revue Traction-Brabant n°90

couverture de la revue

Le numéro 90 de la revue Traction-Brabant est paru vers la fin septembre ou début octobre 2020 et je l’ai trouvé de grande qualité, comme c’est généralement le cas avec cette excellente revue dirigée par le poète Patrice Maltaverne !
J’y ai retrouvé des noms connus, celui par exemple d’Hervé Gasser qui tient un blog sur WordPress et dont j’apprécie les textes.
Voici donc trois poèmes courts extraits de ce numéro :

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L’apocalypse a déjà eu lieu

Tu parles de je ne sais quel prophète
Et des joies du travail en banlieue
Et puis tu t’arrêtes au milieu
D’une phrase et tu comptes les miettes
Avec le bout du doigt, comme un vieux
Tu fais des dessins dans ton assiette
Tu voudrais qu’on respire un peu mieux
Et savoir ce que c’est croire en dieu
Je ne sais pas pourquoi tu t’inquiètes

L’apocalypse a déjà eu lieu

Hervé GASSER
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Que cherchons-nous sous l’eau qui dort ?
Un peu de plomb ou bien de l’or
L’éclatement des heures au milieu du jour sur le tain
du miroir ancien
qui s’effrite
Un fil de soleil se glisse entre nos mains
un fin rayon qui se répand entre le sol et le plafond
du matin au soir
j’en réponds
du plus petit jusqu’au plus grand
du plus jeune jusqu’au plus vieux
tous, nous levons nos mains
vers le soleil
mirage de l’or qui sous l’eau dort
à défaut d’or
un peu de plomb
dans nos cervelles.

Chantal Godé-VICTOR

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Nuit Sauvage

C’était une nuit d’été.
Dans la clameur claire et musicale du ruisseau,
On entendait chanter grenouilles et grillons.
Les herbes prenaient un bain de lune,
Un rapace déchirait la quiétude du ciel
De temps en temps.
J’étais amoureuse
Comme on l’était au temps des cavernes,
Captivée par ce feu brûlant dans son regard
Sauvage et violent.

Parme CERISET

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Je vous renvoie vers le blog de la revue Traction-Brabant pour davantage d’informations et de lectures poétiques : grâce à ce lien !

La Piscine de Yôko Ogawa

couverture chez Actes Sud

J’avais lu il y a une dizaine d’années « La Marche de Mina » de Yôko Ogawa et je l’avais moyennement apprécié. Mais, connaissant la grande valeur de cette écrivaine, par le biais de critiques élogieuses, d’amis ou de blogs, j’avais envie de découvrir d’autres livres d’elle, pour me faire un avis plus sérieux.

Yôko Ogawa (née en 1962) est une écrivaine japonaise. Diplômée de Lettres, elle se lance dans l’écriture de courts romans jusqu’au milieu des années 90. Des écrivains comme Haruki Murakami ou Paul Auster inspirent son œuvre, mais aussi des classiques japonais ou américains : Kawabata, Tanizaki, Carver, Fitzgerald, etc. Elle remporte le prestigieux Prix Akutagawa pour La Grossesse en 1991. La Piscine dont je vais parler aujourd’hui a été publiée au Japon en 1990 et traduite en français en 1995 par Rose-Marie Makino-Fayolle, pour les éditions Actes Sud.

Petite présentation de l’intrigue de ce roman :

L’histoire se passe dans un orphelinat. L’héroïne, Aya, une adolescente, est la fille unique du directeur de l’orphelinat : elle est élevée parmi les autres enfants, avec cette différence que les autres enfants peuvent être adoptés et quitter l’orphelinat tandis que l’héroïne restera là jusqu’à la fin de ses études. Aya aime regarder, à la piscine, les plongeons de Jun, un des orphelins de son âge, qui lui inspire des sentiments forts et un élan vers la pureté. A contrario, l’héroïne aime aussi maltraiter une toute petite fille de l’orphelinat, Rie, âgée d’un an et demi environ, car elle prend plaisir à voir couler ses larmes et assouvit ainsi certaines tendances sadiques, en cachette de son entourage, et sachant que la fillette ne se plaindra pas. (…)

Mon humble Avis :

Il m’a semblé que ce court roman recelait des significations psychanalytiques profondes, en plaçant toute l’intrigue sous le signe de l’eau (la piscine, les larmes, la neige, la scène du lavage de maillots, la scène de la pluie), comme autant de moyens de purifier l’héroïne de ses penchants mi pervers mi idéalistes et Aya elle-même exprime plusieurs fois cette soif de pureté. Mais l’eau est aussi une référence au liquide amniotique, à la matrice originelle, ce qui prend un sens douloureux et crucial dans le contexte d’un orphelinat, où la plupart des enfants ont perdu leurs origines. Bizarrement, dans cet orphelinat, la personne qui semble la plus mal dans sa peau et la plus perdue est justement cette adolescente, la seule qui a encore ses parents, tandis que les autres orphelins sont relativement sereins. Ces parents, justement, bien qu’ils dirigent l’institution, sont assez fantomatiques dans cette histoire, réduits à quelques caractéristiques de surface, et on sent que l’adolescente leur en veut et qu’elle cherche des échappatoires en reportant son attention vers les autres enfants, qui sont à la fois ses semblables et ses opposés, enviés et méprisés, aimés et repoussés.
Un très beau portrait d’adolescente, tiraillée entre des élans paradoxaux, et un livre très subtil, riche de symboles, où chaque détail a sa signification et où chaque phrase ajoute sa nuance au tableau d’ensemble !

Un Extrait page 34

(…)
Le figuier qui avait été planté à l’emplacement du vieux puits ne donnait plus de figues depuis longtemps et il avait été détruit. A la place, il ne restait plus qu’un petit monticule de terre.
Rie jouait avec une petite pelle pour enfants au sommet de ce monticule. Je la surveillais de loin, assise sur une caisse de bouteilles de jus de fruits.
Ses jambes qui dépassaient sous sa robe de chambre étaient blanches et lisses comme une motte de beurre. Les cuisses des bébés, si différentes soient-elles, foncées et parsemées de taches, irritées par une éruption quelconque, ou couvertes de stries tellement elles sont potelées, attirent toujours mon regard. Les cuisses des bébés deviennent érotiques à force d’être sans défense, et semblent d’une fraîcheur étrange, comme si elles appartenaient à un autre être vivant.
(…)

Le Journal d’un chômeur, de Gérard Lemaire

couverture chez federop

J’avais déjà eu l’occasion de parler des poèmes de Gérard Lemaire (1942-2016) en octobre 2020 et ces lectures poétiques m’avaient donné envie de mieux connaître cet auteur, avec cette fois un livre en prose, sans doute très autobiographique, « Journal d’un chômeur », qui a été publié en 1974 par les éditions Fédérop et que l’on peut encore trouver en occasion sur Internet.

Contrairement à mon habitude, je ne vais pas résumer le début du livre car il s’agit d’un journal intime sans intrigue véritablement linéaire et chronologiquement racontable. Ici, ce sont surtout les épisodes de la vie d’un chômeur, avec tout ce qu’elle peut comporter de répétitif, de cyclique, et de terrible vacuité : pointage hebdomadaire à l’ANPE (ancêtre de l’actuel Pôle Emploi), rencontres animées avec des copains ou d’anciens collègues d’usine ou de chantier (le narrateur est ouvrier), réactions du narrateur par rapport aux informations télévisées ou radiophoniques sur les hommes politiques et La Crise économique, tentatives ratées de trouver du travail ou de séduire telle ou telle femme, attitudes de ses parents (chez qui il se retrouve obligé de retourner, par manque d’argent) qui sont à la fois protecteurs, infantilisants, et pas vraiment compréhensifs.

Mon humble Avis :

J’ai été un peu mitigée sur ce livre, qui a des tas d’aspects intéressants mais dont l’écriture visiblement très inspirée par Céline m’a un peu fatiguée, avec ses interjections à répétition, ses points d’exclamation, ses rugissements et vociférations quasi-constants. Je veux bien croire que le narrateur est très en colère et très révolté d’être au chômage et qu’il entend nous le faire savoir au maximum, mais toutes ces invectives m’ont fait un effet pénible à force d’accumulation.
Pour avoir été longtemps au chômage, j’ai pu comparer, grâce à ce livre, la situation que j’ai connue il y a vingt ans avec celle qui existait dans les années 70, aux tous débuts du chômage de masse. J’ai appris ainsi que les conseillers de l’ANPE étaient alors appelés des « prospecteurs-placiers » et qu’ils étaient censés faire toutes les démarches auprès des entreprises pour vous trouver du travail : coups de téléphone, prise de renseignements puis de rendez-vous, etc.
Inutile de dire que trente ans plus tard ça ne se passait plus du tout ainsi et que les chômeurs devaient se débrouiller tout seuls. De nos jours, ça n’a pas dû non plus évoluer vers plus de confort pour les chômeurs, bien au contraire.
Mais revenons à notre sujet !
C’est toute une époque qui ressurgit devant nous avec ce Journal d’un chômeur, une certaine vision de la gauche contestataire et post-soixante-huitarde, le septennat de Valéry Giscard D’Estaing, l’écoute de rock américain sur des disques vinyle, les hippies, les revendications sociales, féministes, les désirs omniprésents de liberté et d’épanouissement.
J’ai trouvé intéressant d’entendre la parole d’un ouvrier – jeune de surcroît (il a 32 ans en 1974) – et je me suis rendue compte que bien peu d’éditeurs d’aujourd’hui publieraient le témoignage engagé et insoumis d’un ouvrier au chômage, ils ne trouveraient ça probablement pas très vendeur, ni très « sexy » ni très « feel-good ».
Et c’était au moins le mérite des années 70 d’avoir une certaine considération pour les pauvres, les exclus et les malchanceux et de leur laisser parfois la parole, bien que le narrateur de ce Journal ne cesse de protester contre le rejet de la société.
Tout de même, Gérard Lemaire exprime parfois, d’une manière très poignante, le sentiment de vide et d’angoisse lié au chômage, et cet aspect du livre n’a absolument pas vieilli et m’a paru intemporellement vrai.

Un extrait page 122 :

(…) Rien à faire. Passer. Suivre son tracé comme un somnambule. Rentrer dans ses tiroirs. Le chômeur est quelqu’un qui se fait tabasser tous les jours : par l’indifférence, le silence efficace, l’incompréhension, la normalité. Même s’il réagit, s’il tente de prendre la parole, on l’ensevelit dans les belles paroles, les vagues promesses. Il est diaphane, transparent, fantomatique. C’est un jeune. Ou vieux. Il n’existe pas, en somme. Un homme n’est jamais chômeur, ou c’est l’exception des exceptions, un K. Traqué par la misère, le chômeur ne se révolte pas, il se cache. Il dissimule ce qu’il peut dissimuler de son drame. On le voit venir de loin, de toute façon. Avec sa dégaine de tristesse. Un air pas du tout « à la mode ». Une dégaine de prolo, de vrai prolo, sans bagnole à la sortie… Il a toujours un peu l’air de trainer, d’être pas bien là. Tout à fait incadrable. Dans l’information, mais en chiffres ! Numéroté ! Vous ne voyez pas un chômeur intervenant dans un débat à la télé : il ne saurait rien dire ! Il dégoiserait !… Montrer cette loque de frusques grises, vous imaginez pas ! Ca vous couperait l’appétit ! La bouche pleine de merde ! Retourne dans ton faubourg, mon pote, dans ta crasse. (…)

Trois poèmes de Bernard Fournier, lauréat du Prix Troubadours 2020

couverture de la revue friches 131

J’avais consacré la semaine dernière un article aux nominés du Prix Troubadours 2020, un concours de poésie organisé par la revue Friches une fois tous les deux ans (années paires).
Le lauréat est Bernard Fournier pour son recueil Vigiles de Villages, un livre en l’honneur des pierres levées (menhirs, dolmens) des régions bretonne et rouergate.

Bernard Fournier né à Paris en 1952 est poète, essayiste, critique, animateur du café poétique « Le mercredi du poète », membre de l’Académie Mallarmé et Président des Amis de Jacques Audiberti. Il a soutenu une thèse de doctorat sur Guillevic. (source : revue Friches).

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page 18

Nous souffrons
de ne pas être pierre

nous sommes trop neufs et trop bavards

nous manque
le silence des siècles ;

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page 30

L’homme revient sur la pierre,
la marque de ses doigts :
ses ongles, un peu, grattent le granite :
un grain poudroie dans l’air chaud ;

à la fin,

bras croisés
un dieu le regarde ;

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page 32

C’est comme si les pierres se levaient elles-mêmes,
comme si elles sortaient de la terre,
comme si la terre les avait fécondées :

non, elles viennent de plus loin,
elles viennent de très loin dans le temps et dans l’espace :

elles viennent de loin
à l’intérieur de moi ;

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Bernard FOURNIER

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Je vous conseille l’achat de cette belle revue, dont vous trouverez le lien vers le site Internet sur cette même page, à droite et en déroulant un peu vers le bas, parmi la liste de mes revues préférées.

Marius et Jeannette de Robert Guédiguian

affiche du film

Film de 1997 que je n’avais pas vu jusqu’à présent, Marius et Jeannette avait rencontré un important succès à sa sortie, aussi bien parmi le public que chez les critiques.

Au vu du titre et connaissant l’engagement socio-politique de Robert Guédiguian, je m’attendais à un genre de « Roméo et Juliette » chez les ouvriers marseillais, et ce n’est pas tout à fait le cas car on est ici très loin de Shakespeare et qu’il n’y a ni Capulet ni Montaigu – par contre le monde ouvrier est très présent : Jeannette (Ariane Ascaride) est d’abord caissière de supermarché avant de devenir chômeuse parce qu’elle a critiqué ses conditions de travail lamentables avec une virulence qui n’était pas du goût de son chef. Marius (Gérard Meylan) est le gardien bourru et taciturne d’une vieille cimenterie désaffectée et promise à une prochaine démolition. Jeannette est dotée d’un tempérament explosif et combattif, Marius traine sa jambe handicapée dans la solitude du chantier avec un air accablé et résigné. Rapidement, ces deux quadragénaires blessés par la vie se rencontrent, se chamaillent et s’apprivoisent. Marius passe de plus en plus de temps chez Jeannette et rencontre ses deux enfants et ses deux couples de voisins pittoresques, extravertis et amicaux.

Mon Avis :

Le film aborde (ou se contente d’effleurer) des sujets multiples et variés : politique, lutte sociale, différences entre les riches et les pauvres, existence et nature de Dieu, religions, fabrication de l’aïoli, sexe et amour, éducation des enfants, désir ou non d’ascension sociale, monde du travail, l’absence de bonheur en URSS, pauvreté, chômage, communication dans le couple, pourquoi les pauvres votent pour le Front National, qu’est-ce qui doit faire partie du patrimoine mondial de l’Humanité, et beaucoup d’autres questions qui sont prétexte à de nombreux bavardages à bâtons rompus mais, précisément, ces bavardages m’ont un peu fatiguée et le scenario paraissait souvent en panne, la situation n’avançait pas, et les personnages n’évoluaient pas non plus et se contentaient de discuter et de rire.
Jeannette se retrouve au chômage mais il est à peine fait allusion une fois à sa recherche de travail et elle ne parle jamais de ce sujet, faisant comme si ce n’était pas du tout un problème et que ça ne changeait rien à son existence ou à ses préoccupations.
Bref, il m’a semblé que le scenario était assez décousu, un peu vide, pas très fouillé, avec des ellipses gênantes.
Certaines scènes sont belles et touchantes, mais il manque à mon avis une histoire forte et solide pour souder les éléments entre eux.
Nous nous doutons pendant une grande partie du film que Marius cache un passé particulièrement douloureux, voire un drame, que son silence têtu rend palpable, et de ce point de vue la fin du film est réussie et répond à nos attentes de spectateurs compatissants et curieux.
Les personnages secondaires des deux couples de voisins ne m’ont pas fascinée, même si leur jeu d’acteurs est tout à fait excellent, mais je ne suis pas convaincue par la nécessité de leurs rôles mi comiques mi réflexifs.

Un film correct, honnête, mais qui ne m’a pas enthousiasmée et que je crains d’oublier assez vite !