L’écrivain et éditeur Etienne Ruhaud m’a fait l’honneur et le plaisir de m’interviewer pour le site d’actualités littéraires « Actualitté« , au sujet de mon recueil poétique La Portée de l’Ombre, paru aux éditions Rafael de Surtis. Merci à lui pour cette invitation et pour ses questions !
J’avais publié l’année dernière un choix de haïkus de poétesses japonaises publiés dans la prestigieuse revue Ashibi, et extraits du livre La lune et moi chez Points. Vous pouvez retrouver cet article ici si vous le souhaitez. Aujourd’hui, je complète donc ce panorama par un choix de haïkus écrits par des poètes masculins, et toujours extraits de ce même recueil.
Printemps
Prunier blanc en fleur – La lumière du crépuscule s’approche doucement
Shô Hayashi
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Je ne veux pas encore vieillir – Le tourbillon de pétales enveloppe mon corps
Gorô Nishikawa
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Des chats errants courent comme des fous – Fin des grands froids
Atsuo Nasu
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Un premier papillon hésitant sur la paume du vent
Hisahiko Nagamine
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Été
Sur le point de tomber, la pivoine exhale un parfum plus tenace
Mikio Matsumoto
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Un grand papillon noir avec son ombre toute sa courte vie
Ryôsuke Nonaka
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Cent cercles de tournesols – La tête me tourne !
Sei’ichi Teshima
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Des pattes du cafard que j’ai manqué d’écraser restent là
Tsutomu Fujino
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Automne
Le chant du grillon s’arrête net, l’obscurité commence à bouger
Tsutomu Fujino
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Les feuilles de ginko tombent en forme de clair de lune
Seishi Sagawa
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Dans les bûches entassées, les restes d’une jambe d’un épouvantail
Ryôsuke Nonaka
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Cueillette des champignons – des voix d’hommes au-delà du brouillard
Tsutomu Fujino
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Grands ou petits les chrysanthèmes ni critiques, ni rivaux
Kazashi Kimura
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Hiver
Derrière les feuilles rouges, dans sa chute le soleil flotte
Teihô Okada
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Dernière nuit de l’an, à cet âge jamais atteint par mes parents
Kunio Satô
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Un martin-pêcheur brise son ombre pour pêcher dans l’eau hivernale
Teihô Okada
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J’attends le printemps le printemps, là, dans mon cœur
Le numéro 84 de la revue « Poésie Première », paru en janvier 2023, avait pour thème le Voyage et j’ai l’honneur et le bonheur de figurer à son sommaire, avec un de mes poèmes écrits à l’été 2022 et jusqu’ici inédit.
C’est un heureux hasard que le thème de la revue rejoigne celui du Mois Thématique de mon blog – de même que celui de mon poème – et on croirait presque à une sorte de conjonction zodiacale spécifique… si on était superstitieux.
Trains de haut vol
Dans le train de mon âge à vitesse grand V J’ai souvent végété sous les couleurs du vent Le temps venu par vagues emmêlait nos cheveux Et nous devions pouvoir et nous voulions dévier. (Le rêve m’entortille et le réveil m’embrouille.)
C’est le V de l’envol qui referme son aile Et la nuit de velours épaissit ses volutes Et la nuit envoûtait nos fatigues voûtées Nuits de mica doré refondues en plomb gris C’est l’alchimie de l’aube et des ères trop neuves.
Dans le train de mon âge et au son du roulis J’ai perdu mon bagage et gagné un parcours Vases communicants entre l’esprit et l’âme De l’un à l’autre j’ai mis de l’eau dans mon cœur Oui tant d’eau a passé sous les ponts innocents Tant de sang fut pressé pour le vin de l’histoire.
Novembre sera entièrement consacré à l’Allemagne mais je fais une petite parenthèse aujourd’hui pour vous signaler que j’ai été très chaleureusement accueillie sur le site de la revue poétique « La Page Blanche », animée, entre autres, par Pierre Lamarque, Constantin Pricop et Matthieu Lorin. Un site riche et foisonnant sur lequel figurent déjà soixante-sept auteurs, réunis de façon permanente autour du « Dépôt ».
Voici le lien vers la Liste de tous leurs auteurs :
Et, plus précisément, voici le lien vers trois « Excursions à travers Paris » qui sont des poèmes en proses, que j’ai écrits dans divers quartiers de la capitale, et qui feront partie d’un recueil plus vaste, actuellement en cours de création :
Le numéro 193 de la revue Décharge était paru en mars 2022 (cf couverture à droite) et je vous propose la lecture de trois de ses poèmes.
Présentation de la revue :
Créée par Jacques Morin en 1981, célèbre pendant longtemps pour sa couverture kraft, elle est devenue au fil des ans le rendez-vous attendu de l’actualité poétique, avec ses 164 pages bien tassées, chaque trimestre. (source : site de la revue). Plus d’informations sur le site de la revue (abonnements, recensions livresques, éditoriaux).
** (page 39)
il ne part pas il part il est parti chaque jour de perte avec les feuilles tombées l’odeur humide des sous-bois
la pluie les larmes les saisons considérer la séparation comme une douleur guérissable
on a les mains trop serrées ça fait des nœuds dans la poitrine d’où partiraient de nouvelles branches
la douleur serait guérissable d’abord la sève coulerait l’écorce recouvrirait la plaie et la forêt de trembles envahirait la maison.
LUCE GUILBAUD
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(page 102)
On est là dans l’air frais du matin d’automne la tasse de café la vue sur la colline le sanctuaire des songes bien refermé
et je me dis que celui qui sait passer des rêves aux pensées sans quitter le paysage sait aussi survivre Je ne sais pas pourquoi dans cette chambre d’hôtel tu m’avais dit tout en contemplant l’horizon
si en premier tu pars je voudrais couler comme du sable jusqu’à t’ensevelir
peut-être parce que dehors la tempête emplissait les coquillages du bruit de la mer
DANIEL BIRNBAUM
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(page 130)
N’oublions jamais que le rêve de l’équerre est de dépasser les 90 degrés, celui du cercle d’avoir des recoins en briques où se terrer et que le compas aspire à l’équilibre.
Savoir cela m’est rassurant pour moi qui ne suis que biffures et hachures du temps.
Dans le dernier numéro (99, paru en juillet 2022) de la revue poétique Traction-Brabant, animée par Patrice Maltaverne, figuraient, entre autres, deux de mes poèmes récents.
Les voici :
A nos handicaps
De méprise en méprise on croit se corriger Mais les diffractions nous atteignent au cœur Et les échecs se font écho – pauvres caboches ! De ma cacophonie émane quelque ivresse.
Les sourds ont une voix que les aveugles voient Tissée en noir et blanc et opaque au-dedans Ce à quoi je suis sourde il me faut le crier Prendrez-vous la tangente à tous mes angles morts ?
Oui je suis impuissante à sortir du sillon Comme un vieil oisillon dans son nid de broussailles Resté abandonné face au ciel éblouissant Et qui se désennuie en dénombrant ses plumes.
Ça m’est égal de ne pas savoir m’envoler Je serai l’oiseau gris qui creuse des terriers Un être original, aux ailes virginales Dont les sages riront – que les fous comprendront.
(4 avril 2022)
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Et ci-gît l’effigie
Je me comprends mais il n’y a rien à faire Ce n’est pas amusant de compter sur soi même Pour les subtilités et les malentendus Quand on ne pense à rien on se comprend aussi Je me trouve des excuses et je ne ris même pas Devant ma mauvaise foi j’ai la langue qui fourche Aux carrefours du silence je dédouble mes doutes Et au fond des miroirs je creuse des galeries Mais je ne croise personne et ça résonne à plat Les miroirs c’est étroit et en trois dimensions Vous tomberez dans le panneau vous aussi, vous verrez Les glaces ça mesure à peu près comme la tombe C’est froid, c’est un traquenard, il n’y a personne dedans Les glaces c’est là où je me comprends le mieux Personne n’a jamais pris mon miroir à revers Personne n’a jamais vu l’envers de mes oublis Je les cherche là-haut dans l’éclat de tes yeux.
La revue Traction-Brabant, créée et dirigée par le poète et éditeur Patrice Maltaverne depuis 2004, a fait paraître en février dernier son numéro 97 et je vous en propose deux extraits. Vous pouvez vous abonner à cette revue poétique pour la somme modique de 15 euros correspondant à cinq numéros annuels. Pour de plus amples informations, voici le lien vers le blog de la revue : http://traction-brabant.blogspot.fr
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Heure d’hiver
Vingt-et-une heures au clocher Neuves heures La lune se résigne à ne s’éclairer qu’à moitié En représailles, j’imagine Je l’entends pleurer Alors je m’obstine A rêver doublement Mais à cloche-pied Et mes chimères coquines Se font complices De mon urgence dévoreuse de temps Sur le noir lisse de la longue nuit Je laisse aller mes jambes Mes jambes seulement Et mes bras envieux font de mon oreiller Un piège à vœux Mi laids, mi pieux
Armelle LE GOLVAN
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Covoiturage
attentat suicide voisins de palier tel qui se liquide meurt accompagné
crâne sous la meule sans plus résister ne pas partir seule suicide assisté
Quand je me suis lancé le défi de consacrer un Mois Thématique aux Femmes Japonaises, je pensais pouvoir trouver assez facilement des recueils de poétesses traduits en français, de la même manière qu’on trouve sans difficulté des œuvres de romancières japonaises publiées chez un grand nombre d’éditeurs français. Mais je me suis aperçue que ce n’était pas si simple…
Quoi qu’il en soit, je vous présente aujourd’hui des haïkus de poétesses japonaises du 20è siècle, que j’ai trouvés dans l’anthologie « La lune et moi« , parue chez Points en version bilingue, en 2011, et qui proviennent tous de la plus prestigieuse et célèbre revue japonaise de haïkus, Ashibi (L’Azalée), qui sont ici traduits du japonais par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku.
Comme je n’ai trouvé aucune notice biographique sur les haïjins présentées – pas même leurs dates de naissance – je vous livre seulement les poèmes signés du nom de leurs autrices.
PRINTEMPS
Les couleurs de l’arc-en-ciel dans la mousse du shampooing – Le printemps commence.
Chizuko Tokuda
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La neige printanière se répand pareille à des mots doux.
Fumiko Araï
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L’aube – Par terre, des étamines dessinent un chemin
Sachiko Itami
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D’une épine brillante de mandarinier sauvage naît un papillon.
Machiko Okamoto
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ETE
La pivoine à peine ouverte, le présent est déjà passé
Yuki Honda
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Nouvelles feuilles de cerisiers – Mes anciens amis se rassemblent sur les ruines de notre école
Haruo Mizuhara
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Ce garçon, ayant traversé des roseaux verts en courant, devient vent
Yuki Honda
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L’irrégulière réflexion d’un verre vénitien – Fin d’été
Oriko Nishikawa
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AUTOMNE
Chute des feuilles de ginko – Tranquillement le ciel forcit
Chieko Watanabe
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Le bruit de l’eau, éclairé par la lune, plus intense
Sueko Fuji’i
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Je donne à mon époux la pomme cueillie tout à l’heure. Suis-je une enfant d’Eve ?
Yôko Ichigatani
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Cigales d’automne – Les lettres d’un défunt restées dans le porte-lettres
Setsuko Shimizu
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HIVER
Quinte de toux – Ma solitude dans la nuit plus profonde
Fumiko Araï
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La corde à sauter fait tournoyer le soleil couchant.
Chizuko Tokuda
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Jusqu’à ce que mes cils gèlent je lève les yeux vers l’aurore.
Yôko Ichigatani
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Je travaille un peu puis paresse plus longtemps – Les jours rallongent…
La revue poétique trimestrielle WAM (« revue d’Arépoézi » précise malicieusement le sous-titre), dirigée par le poète Robert Roman, a fait paraître en septembre 2021 son troisième numéro. Comme j’aime bien cette revue et que je trouve ses choix de textes et d’illustrations toujours brillants et stimulants pour l’esprit, je vous propose la lecture de quelques poèmes choisis, que j’ai pu trouver tantôt drôles tantôt émouvants et toujours très agréables à découvrir.
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poème de saison (mais laquelle ?)
l’automne est la saison préférée … pour ceux qui préfèrent l’automne comme saison préférée … moi je préfère l’automne comme saison … il y en a quatre … je les ai appris par coeur … automne numéro un automne numéro deux automne numéro trois automne numéro quatre
c’est un peu comme les trois mousquetaires
AL ZIMMER
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IL Y A ENCORE DE L’AMOUR
ce n’est pas parce que personne ne refait le lit que le lit cesse d’être lit ce n’est pas parce que personne ne se prend dans les bras que les bras tombent et quand bien même les bras ballants sont les bras ce n’est pas parce qu’on ne s’adresse plus au coeur que le cœur ne bat plus il y a encore de l’amour ce n’est pas parce que les moutons sous le lit ne bêlent pas qu’ils n’y sont pas ce n’est pas parce que les bras brassent de l’air pour chercher quelque chose à étreindre que tu n’y es pas qu’ils ne prennent pas le téléphone pour te demander où tu es la route pour te rejoindre qu’ils ne sont pas tout autour de qui tu es ce n’est pas que je me laisse aller c’est que je laisse vivre tout ce qui porte l’amour en lui les traces sur le miroir de la salle de bain refont le portrait du monde ça me va j’ai fait couler les larmes pour le petit déjeuner elles sont encore chaudes j’ai du sucre roux du miel de montagne ou du comté si tu préfères ça me va si tu viens (…)
MYRIAM OH
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Interprétation
Au loin, un corbeau croasse. Il doit avoir eu vent – qui souffle en ce moment, cependant que la fumée de ma clope se mêle au ciel, à mon brouillard pensif – il doit avoir eu vent qu’aujourd’hui est un jour particulier pour moi : celui qui a vu ma naissance, il y a de ça déjà une bonne jonchée de joies et peines entassées dans mon crâne. Et aujourd’hui qui est donc pour moi à marquer au fer roux d’un nouvel automne, il me plait stupidement de croire que cet oiseau, à son insu, vienne me célébrer et témoigner, par son cri fugitif, de ma présence au monde
encore.
MORGAN RIET
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Vous pouvez vous abonner à la revue WAM pour seulement 38 euros par an. Contact de la revue par mail : wam.arepoezi@gmail.com ou bien par la poste : Robert Roman 7 rue des Gardénias 31100 TOULOUSE
Cet ensemble de poèmes, intitulé « L’été n’est pas dans le jardin » est paru en septembre 2021 dans le numéro 186 de la revue Verso et j’ai trouvé ces textes magnifiques, à la fois simples et sobres dans leur écriture et chargés de beaucoup de sensations et d’émotions. Une grande réussite !
Note sur la poète
Valérie Canat de Chizy est née en 1974. Elle vit et travaille à Lyon. Elle a publié de nombreux recueils poétiques et collabore a plusieurs revues.
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je traverse la ville au clair soleil de mars entre deux averses je marche sur ma gauche la basilique de Fourvière sur sa colline voilà bien longtemps que je ne me suis pas recueillie sur la tombe de mon père même si les parcelles de moi se mélangent à la terre où je voudrais faire germer quelques pousses pour lui fraises des bois muguet avec quelques abeilles.
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le silence j’ai choisi de pactiser avec lui le retourner à mon avantage en faire une enveloppe douce et translucide à l’intérieur de la bulle le temps passe au ralenti les pages des livres se tournent les voyelles s’élèvent en apesanteur le chat est le gardien du temple il se déplace le long des meubles dépose son regard clair sur la surface des choses
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c’est si peu d’être soi le cœur se pare d’un arc-en-ciel de couleurs les flamants roses ont les pattes dans l’eau et moi je m’immerge jusqu’à la surface des bulles se forment comme des mots qui n’existent pas parce que tout est imagé
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Je suis au-delà de toute contingence appliquée à vivre sur la pointe des pieds sans faire de bruit j’étais dans un lieu suspendu dans le temps j’ai marché sur une vipère dans l’herbe jaunie elle a zigzagué me laissant faire de petits sauts de peur le long des remparts la vue surplombait le bleu roi du fleuve