Moon Palace de Paul Auster : Lecture Commune pour Goran

Couverture chez Actes Sud

En ce 15 septembre, date anniversaire de la création du blog de Goran, notre ami très regretté, homme de cœur et de culture, nous sommes plusieurs à vouloir lui rendre hommage par une Lecture Commune.
Comme Paul Auster était l’un des écrivains favoris de Goran – Moon Palace et La Trilogie New-Yorkaise faisaient partie de son TOP100 – cette Lecture Commune s’organise autour de ce célèbre écrivain américain contemporain.

J’ai choisi de chroniquer aujourd’hui « Moon Palace », un roman qui m’a passionnée et captivée de bout en bout et que je suis très heureuse d’avoir découvert grâce à Goran, comme s’il me l’avait conseillé de vive voix.

Note pratique sur ce livre

Genre : roman
Editeur : Babel – Actes sud
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Le Bœuf
Date de parution originale en français : 1990. En anglais : 1989
Nombre de pages : 468

Résumé du début de l’histoire

Marco Stanley Fogg, le jeune héros de cette histoire, est un étudiant orphelin, dont l’oncle Victor vient de mourir en lui léguant quelques milliers de dollars et, surtout, un grand nombre de caisses de livres de genres variés. Notre jeune héros décide de vivre – ou plutôt de survivre – avec les seuls fruits de cet héritage, qu’il va dépenser petit à petit jusqu’à épuisement total, et donc jusqu’à sa propre ruine. A l’issue de ce lent appauvrissement, de ce dépouillement inéluctable, il n’a plus de quoi payer son loyer et va sans doute finir à la rue. (…)

Mon avis

Ce roman possède un souffle et une envergure tout à fait magnifiques, on est embarqué du début à la fin dans une suite d’aventures haletantes où le suspense ne se relâche à aucun moment. Certaines choses nous paraissent parfois un peu invraisemblables mais, au lieu de nous faire décrocher ou de nous semer en cours de route, elles nous rendent encore plus curieux de savoir le fin mot de l’histoire et le suspense se trouve renforcé et non pas du tout amoindri, ce qui montre bien le talent de l’écrivain à jouer avec nos incertitudes et avec notre imaginaire.
Un thème important de ce livre me semble être celui de la paternité : chacun est tour à tour le fils ou le père, chacun se pose la question de la paternité pour lui-même ou pour son géniteur, une paternité qui reste souvent lointaine et cachée, longue à se faire connaître.
Le jeune héros, M. S. Fogg, est un personnage dont l’identité reste floue, mal définie, instable, et ce n’est pas un hasard si son nom signifie « brouillard ». Il est dans une telle fragilité intérieure qu’il se laisse aller jusqu’à devenir clochard, et, à cause de cette misère, il échappe de peu à la mort. Il ne connaît pas son père et il a l’impression d’être satisfait de cette ignorance mais on s’aperçoit au fur et à mesure que c’est la question cruciale de son existence, la seule qui puisse le délivrer de son mal-être.
J’ai apprécié qu’il y ait dans ce roman plusieurs histoires imbriquées les unes dans les autres, dont certaines sont présentées comme douteuses ou fantaisistes mais où l’on croit déceler des traces de vérités plus ou moins déformées ou des fantasmes révélateurs de la psychologie du personnage qui les a inventés, ce qui les rend encore plus intéressants que s’ils étaient cent pour cent véridiques.
Ce roman nous fait également voyager à travers les Etats-Unis, dans plusieurs quartiers de New-York et dans les canyons de l’Utah, dans les déserts et les grands espaces, parmi les Indiens et les mythes américains.
La figure tutélaire de la lune nous poursuit tout au long du livre, qu’elle se présente sous la forme d’une enseigne lumineuse de restaurant chinois new-yorkais (« Moon Palace ») ou qu’elle soit la planète d’origine d’une tribu légendaire, nommée « les Humains », ou qu’elle éclaire le centre d’un tableau particulièrement important pour l’un des personnages, et dans de nombreuses autres circonstances. Et, comme cette histoire se déroule dans la deuxième moitié des années soixante, le jeune héros assiste également, par média interposé, au premier voyage dans la lune de Neil Armstrong et de ses collègues astronautes.
Un très beau roman, que j’ai lu en pensant souvent à Goran : à certains passages, j’imaginais ce qui lui avait particulièrement plu ou ce qui l’avait amusé, ému, et il me semblait comprendre et retrouver les réactions qu’il avait pu avoir, en les ressentant à mon tour.
Pour toutes ces raisons, ce furent des beaux et des grands moments de lecture, et ce roman restera pour moi un souvenir très particulier et formidable.

Un Extrait page 335

(…)
– Tu es un rêveur, mon petit, me dit-il. Ton esprit est dans la lune et, à en juger sur les apparences, il ne sera jamais ailleurs. Tu n’as aucune ambition, l’argent ne t’intéresse pas, et tu es trop philosophe pour avoir du goût pour l’art. Que vais-je faire de toi ? Tu as besoin de quelqu’un qui s’occupe de toi, qui veille à ce que tu aies le ventre plein et un peu d’argent en poche. Moi parti, tu vas te retrouver au point où tu en étais.
– J’ai des projets, affirmai-je, espérant par ce mensonge le détourner de ce sujet. L’hiver dernier, j’ai envoyé une demande d’inscription à l’école de bibliothécaires de Columbia, et ils m’ont accepté. Je pensais vous en avoir parlé. Les cours commencent à l’automne.
– Et comment paieras-tu ces cours ?
– On m’a accordé une bourse générale, plus une allocation pour les dépenses courantes. C’est une offre intéressante, une chance formidable. Le programme dure deux ans, et ensuite j’aurai toujours un gagne-pain.
– Je te vois mal en bibliothécaire, Fogg.
– Un peu étrange, je l’admets, mais je pense que ça pourrait me convenir. Les bibliothèques ne sont pas le monde réel, après tout. Ce sont des lieux à part, des sanctuaires de la pensée pure. Comme ça je pourrai continuer à vivre dans la lune pour le restant de mes jours. »

36 réflexions sur “Moon Palace de Paul Auster : Lecture Commune pour Goran

  1. Ton enthousiasme fait plaisir à lire ! J’arrive de chez La Barmaid aux lettres, moins convaincue par cette lecture, et je dois avouer que mon avis sur ce titre lu il y a plusieurs années rejoint plutôt le sien…

    1. Bonjour Ingrid ! C’est très bien que chacun puisse exprimer son avis et son ressenti subjectif 🙂 Dans certains romans les problèmes de vraisemblance peuvent parfois me gêner mais ça n’a pas été le cas avec celui ci… J’ai trouvé qu’il avait un souffle romanesque très prenant. Et puis les histoires invraisemblables sont racontées par des personnages peu crédibles, ce qui a une certaine vraisemblance pour le coup…
      Merci à toi et à bientôt 🙂 Bonne journée 🙂

  2. Très beau texte (hommage) émouvant. En effet, la lecture à plusieurs bouches à oreilles d’un livre peut créer des ondes tsunamiques. Et vous avez choisi un beau livre – à entrées variées.

    1. Bonjour Lorenztradfin ! Merci beaucoup pour votre commentaire ! C’est effectivement un livre aux multiples facettes et qu’on peut interpréter selon des angles de vue très variés. Une œuvre très riche de significations ! Bonne journée à vous 🙂

    1. Bonjour Sibylline 🙂 Je suis bien contente que tu aies aimé « Moon Palace » et je te rejoins sur le terme de chef d’œuvre à son propos. Si tu as également chroniqué un autre roman de lui, tu peux me donner le lien ici-même en commentaire. Demain ou après demain je vais publier un article récapitulatif de toutes les chroniques de cette lecture commune. Bonne journée à toi 🙂

  3. Bravo pour l’organisation de cette lecture commune avec beaucoup de participants. Je me suis éloignée de la blogo pendant un certain temps et je ne savais pas pour Goran…

    1. Bonjour Sandrine. Oui, C’était une très triste nouvelle, la disparition de notre ami Goran en avril 2021. Désolée de vous l’avoir appris ainsi. Merci de votre commentaire compatissant. Amicalement. Marie Anne

  4. Bonjour !
    Je voulais participer et chroniquer Moon Palace (sur mon autre blog Les Livres de Zéa) et malheureusement, prise par le temps et les aléas de la vie, je l’ai lu, pris de nombreuses notes mais n’ai pas eu le temps d’écrire ma chronique.
    Cela dit, j’ai beaucoup aimé ma lecture. Un récit surprenant, qui semble vous engloutir dans une dimension parallèle. Dense. Hétéroclite. Passionnant. Je plussoie à cent pour cent ton ressenti et au final ne saurais mieux traduire que toi ce que j’ai éprouvé lors de ma lecture.
    Évidemment, j’ai une pensée émue et amicale pour Goran, dont je suivais le blog et avec lequel j’aimais échanger sur nos lectures. Merci pour cette initiative 😊
    Amicalement.
    Dom Zéa

    1. Bonjour Dom !
      Merci de ton commentaire, c’est sympa de ta part d’avoir lu Moon Palace pour cette occasion. Et surtout merci de tes mots gentils au sujet de Goran car c’était l’aspect essentiel de cette lecture commune : un moment de partage autour de son souvenir et un hommage. Bien amicalement. Marie-Anne

  5. Je viens de publier ma chronique mais je n’ai pas apprécié autant que toi cette histoire… Je l’ai trouvée trop invraisemblable. Mais, j’ai noté aussi la citation sur les livres (celle que tu présentes en bas de page) dans mon carnet pour ma citation du mois. Merci Marie-Anne pour cette organisation!

  6. Patrice

    Je ne crois pas me tromper en disant que Goran aurait apprécié ton billet qui résume de très belles manières le livre et fait saisir tous les messages qu’il contient. Un grand merci pour cette très belle chronique et d’avoir suggéré cette lecture en souvenir de notre ami commun !

    1. Bonjour Frédéric ! Je pense que cet écrivain pourrait peut-être te plaire puisque tu aimes la littérature américaine contemporaine. C’est un très bon auteur ! Merci de ton intérêt et très bonne journée à toi 🙂

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