Le Cœur à rire et à pleurer de Maryse Condé

Note pratique sur le livre

Année de parution originale : 1999
Editeur : Pocket (initialement, Robert Laffont)
Nombre de pages : 155

Note biographique sur l’écrivaine

Maryse Condé est née en Guadeloupe en 1937. Elle a étudié à Paris, avant de vivre en Afrique – notamment au Mali – d’où elle a tiré l’inspiration de son best-seller Ségou (Robert Laffont, 1985). Ses romans lui ont valu de nombreux prix, notamment pour Moi, Tituba sorcière (grand prix de la littérature de la Femme, 1986) et La Vie scélérate (Prix Anaïs Ségalas de l’Académie Française, 1988).
En 1993, Maryse Condé a été la première femme à recevoir le prix Putterbaugh décerné aux Etats-Unis à un écrivain de langue française. Lus dans le monde entier, ses romans s’interrogent sur une mémoire hantée par l’esclavagisme et le colonialisme, et, pour les descendants des exilés, sur une recherche identitaire.
Après de nombreuses années d’enseignement à l’Université de Columbia à New-York, elle partage aujourd’hui son temps entre la Guadeloupe et New-York. Elle a initié la création du prix des Amériques insulaires et de la Guyane qui récompense tous les deux ans le meilleur ouvrage de littérature antillaise.
(Source : éditeur)

Brève présentation :

Dans ce récit, dédié à sa mère, Maryse Condé retrace ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, dans les années quarante et cinquante, sur l’île de la Guadeloupe, jusqu’à ses premières années d’études à Paris, d’abord en Lettres Classiques puis en Anglais. Peu à peu, l’écrivaine se construit une identité, en opposition à ses parents, tout en renouant avec leurs racines.

Mon humble avis :

C’est un livre très agréable à lire, de par son écriture extrêmement fluide et d’une brillante clarté. La présence d’expressions typiquement guadeloupéennes – peu fréquentes mais tout de même régulièrement distillées au cours du récit – ne sont pas très difficiles à comprendre dans leur contexte et elles nous font entrer dans le mode de vie et le langage des personnages. Il y a d’ailleurs un bref glossaire en fin d’ouvrage, mais je n’ai eu besoin d’y recourir que deux ou trois fois.
Ces souvenirs d’enfance sont, comme l’indique le titre, à la fois doux et amers, souriants et tristes.
La petite fille est élevée par des parents très francophiles, dont la culture française et la passion de « la Métropole » surpasse très certainement celles de nombreux français hexagonaux. Mais, en grandissant, la fillette puis l’adolescente prend conscience de ses origines, auxquelles ses parents n’ont jamais fait allusion. Son frère lui dit que leurs parents sont des « aliénés » et elle commence à s’interroger. Elle a bien remarqué que, sur l’île, les Noirs, les Mulâtres et les « Blancs-pays » ne se fréquentent pas et elle cherche dès lors à comprendre les raisons, héritées de l’Histoire, avec le racisme, l’esclavage et la colonisation, dont la découverte simultanée la bouleverse.
Bien sûr, ce récit autobiographique n’évoque pas que l’aspect politique ou historique des choses, loin de là. Les liens affectifs avec la mère, une femme forte et d’une autorité sans doute assez effrayante, ou avec la meilleure amie Yvelise, ou encore avec la nourrice très aimée, Mabo Julie, donnent lieu à de très beaux chapitres.
Et justement, cette manière d’imbriquer dans un même récit le côté politique et affectif, l’un éclairant l’autre, m’a semblé extrêmement intéressant et riche.
Le caractère de l’écrivaine, très épris de vérité et d’une franchise mal comprise par les autres, m’a été tout à fait sympathique et facilement imaginable – il m’a semblé la « rencontrer » d’une manière presque concrète.
Un livre que j’ai vraiment beaucoup aimé !

Un Extrait page 117

(…)
Ceux qui n’ont pas lu La Rue Cases-Nègres ont peut-être vu le film qu’Euzhan Palcy en a tiré. C’est l’histoire d’un de ces « petits-nègres » que mes parents redoutaient tellement, qui grandit sur une plantation de canne à sucre dans les affres de la faim et des privations. Tandis que sa maman se loue chez des békés de la ville, il est élevé à force de sacrifices par sa grand-mère Man Tine, ammareuse en robe matelassée par les rapiéçages. Sa seule porte de sortie est l’instruction. Heureusement, il est intelligent. Il travaille bien à l’école et se prépare à devenir petit-bourgeois au moment précis où sa grand-mère meurt. Je pleurais à chaudes larmes en lisant les dernières pages du roman, les plus belles à mon avis que Zobel ait jamais écrites.
« C’étaient ses mains qui m’apparaissaient sur la blancheur du drap. Ses mains noires, gonflées, durcies, craquelées à chaque repli, et chaque craquelure incrustée d’une boue indélébile. Des doigts encroûtés, déviés en tous sens ; aux bouts usés et renforcés par des ongles plus épais, plus durs et informes que des sabots… « 
Pour moi toute cette histoire était parfaitement exotique, surréaliste. D’un seul coup tombait sur mes épaules le poids de l’esclavage, de la Traite, de l’oppression coloniale, de l’exploitation de l’homme par l’homme, des préjugés de couleur dont personne, à part quelquefois Sandrino, ne me parlait jamais. (…)

22 réflexions sur “Le Cœur à rire et à pleurer de Maryse Condé

  1. Un retour dans le passé avec cette rue Case-Nègre, un livre lu il y a bien longtemps ! Le film est aussi à découvrir ! Celui-ci est à découvrir, donc ! Merci pour ce retour 😉

    1. Il l’est ! Le côté autobiographique est très passionnant et on comprend bien son cheminement intérieur et sa prise de conscience politique au fur et à mesure qu’elle grandit et découvre l’histoire de ses ancêtres et les injustices. Merci Fabienne Bonne soirée!

    1. Je ne l’ai pas encore lu mais ce livre de Maryse Condé m’a bien donné envie de le découvrir. Et d’une manière générale la littérature antillaise. Merci Nathalie de ton commentaire Bonne soirée 🙂

    1. Je l’ai vraiment beaucoup aimé mais je ne peux pas comparer avec ses autres livres car c’est le seul que j’ai lu d’elle (pour le moment). Les livres de souvenirs d’enfance me plaisent bien en général. Merci Marie bonne soirée !

    1. Je l’ai beaucoup aimé et l’écriture est très fluide et agréable, elle ne craint pas d’exprimer des émotions et des sentiments et c’est ce que j’ai particulièrement apprécié ! Je n’aime pas les styles trop froids ou secs et là c’est au contraire plein d’humanité, de chaleur.
      Merci Michel de votre intérêt pour cet article, bonne journée à vous !

  2. « Ségou », 1985, le livre de mes vingt ans ! Par lequel, je me suis enfin comblé de la fierté d’être… Ce que je suis : Caraïbe. Mon père étant de sa génération, à la lecture de Maryse Condé, j’ai compris tant de chose de lui, moi qui suis né en métropole – non sans avoir vécu en Guadeloupe, Basse-Terre, sur le volcan à Saint-Claude et en-dessous, à Capesterre (Belle-Eau).
    Aujourd’hui, c’est ma fille aînée qui dépose un Mémoire dont le sujet est (sommairement) la « négritude » en littérature anglo-saxonne – comme elle est lue, comme elle s’écrit.
    En ces heures où s’agitent d’étranges chiffons « identitaires », il fait bon entendre, à nouveau, la voix de la mixité. Pour ce qu’elle est : une voie vers la « mondialité », chère à Edouard Glissant, dont Patrick Chamoiseau se fait l’écho…
    Sa bon sa mèm !! Marie-Anne, chè’ 😉

  3. Une rencontre qui marque. Je suis prêt à te suivre vers cette autrice dont le nom me semble familier mais le texte encore inconnu. Il est grand temps pour moi d’y remédier.
    Merci Marie-Anne.

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