Des Poèmes d’Anne Barbusse

Couverture chez Encres Vives

Ce long poème est extrait des « Quatre murs le seau le lit » paru chez Encres Vives en 2020 dans la collection Encres Blanches (n°804)


Présentation de la poète :

Anne Barbusse est née en 1969 à Clermont-Ferrand. Après des études de lettres classiques à Paris, elle enseigne quelques années à l’Université Paris VIII. Puis elle s’installe dans un village du Sud de la France. Elle enseigne actuellement le français langue étrangère aux enfants migrants. En pleine crise grecque, elle reprend ses études à distance et obtient un master traduction de littérature néo-hellénique en 2017, et elle traduit de la poésie grecque moderne. Elle commence réellement à envoyer ses textes aux éditeurs à la faveur du confinement. (Source : Quatrième de Couverture, Editeur).

Présentation du recueil :

« les quatre murs le seau le lit » est un recueil issu d’un journal poétique plus vaste écrit lors de plusieurs séjours en hôpital psychiatrique pour dépression. Il en constitue aussi la clôture, l’acmé, l’enfermement extrême, avec le traumatisme de la chambre d’isolement et d’une expérience de dépersonnalisation, où, à ma perte de repères due à la dépression, la psychiatrie va rajouter une perte d’identité. Recluse involontaire (et par erreur), je passe environ dix jours à attendre une libération, en demandant à mon écriture de préserver un moi déjà abîmé, en demandant à la poésie de reconstruire ce que la psychiatrie, sous couvert de soigner, a démoli. (Source : Quatrième de Couverture, par la poète)

Extrait page 5 :

ces mêmes couloirs jaunes qui ont connu tant de fous passants
(et des fous dansants)
avec le carrelage de petits carreaux multicolores
de laides chaises de laides plantes toutes en plastique
et Van Gogh au-dessus pauvre Van Gogh
les Tournesols
plus loin les champs tournoyants sous le ciel tournoyant
plus loin le café de nuit peint comme café de jour
patience
patience – et un Gauguin – femmes à Tahiti
je ne connais plus les proverbes mais je sais qu’ils existent
je suis dans les mots mais souvent ils m’échappent
je suis dans l’H.P. mais j’oublie maints détails – mais cette fois en pyjama interdiction de
sortir du bâtiment alors je vais le connaître par cœur

en pyjama
bleu
comme ciel mer lac amour nuit
en pyjama laide et belle de la beauté de la folie psychiatrique
démesuré trop long déhanché mal fagoté
en chaussettes
pas d’habits pour sortir chez le commun des mortels
pas de bagues pas de boucles d’oreilles qui ornent trop et font paraître belle
être réduit à un corps laid
faire disparaître le corps dans l’ampleur du tissu
se faire disparaître dans l’anonymat du costume que plusieurs nous sommes à porter
bleu
comme le jour les prunes les iris le lilas
comme le fond des mers et le fond de la souffrance
si tant est qu’elle arbore couleur
mon pyjama bleu et moi errons dans les dédales fermés du bâtiment fermé
les portes s’ouvrent mais pour les autres ceux qui ont habits
je ne sais ce qu’est être coquette pour l’amant

**

Anne Barbusse

16 réflexions sur “Des Poèmes d’Anne Barbusse

  1. Plutôt dur! A ne pas lire quand on n’est pas en relation de sérénité avec soi-même. Heureusement, la psychiatrie n’est pas toujours barbare, loin s’en faut. On y découvre parfois aussi l’écoute, le soutien, la bienveillance et un à-venir à construire.

    1. C’est un beau recueil, qui rend bien compte de la réalité des hôpitaux psychiatriques en France et ne cherche pas à noircir le tableau – malheureusement, son témoignage est réel.
      La psychiatrie de ville est certainement plus bienveillante et humaine que l’hôpital mais ça reste assez médicamenteux dans sa pratique.
      Merci, Bonne soirée 🙂

  2. Ecrire est une thérapie pour beaucoup d’auteurs et d’anonymes d’ailleurs…J’espère que cela l’a aidée mais au delà, elle met sa plume en témoignage sur un véritable problème: celui de la psychiatrie délaissée par les instances médicales et politiques. Je suis touché…de très près.

    1. Oui, la psychiatrie ne traite pas toujours les patients de la façon la plus humaine possible – c’est un euphémisme. Et comme, en plus, les instances politiques s’en désintéressent, ça ne peut pas aller très bien et ça va plutôt moins bien… Disons que dans ce domaine l’humanisme serait de mise – si nous vivions dans un monde idéal…
      Merci Pat, bonne soirée 🙂

    1. L’écriture est une forme de résistance parfois, et une manière de se ressaisir … c’est assez incroyable et remarquable de pouvoir écrire au sein d’un hôpital, dans ces circonstances si pénibles, et elle y est parvenue de très belle manière. Merci Alexandre !

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