Combray, de Marcel Proust

proust-du-cote-de-chez-swannÇa doit faire pas loin de vingt ans que je me dis chaque année « Et si je me mettais enfin à lire Proust ? » et que je me réponds à chaque fois « Oh, non, je ne suis pas encore assez mûre ! ». Je ne sais pas trop ce qui me faisait si peur dans Proust, ce qui m’intimidait autant, mais je crois que sa réputation d’auteur aux « interminables phrases », au style excessivement subtil, et aux préoccupations exclusivement mondaines me donnait des boutons rien qu’à les imaginer.

Finalement, 2016 aura été l’année propice pour sauter le pas et je m’en félicite car c’est une magnifique découverte qui, à mon avis, restera unique et inoubliable.

Déjà, je voudrais tordre le cou aux préjugés et aux clichés qui entourent l’œuvre proustienne : ses phrases sont assez longues, c’est vrai, mais pas interminables, et j’ai déjà lu des écrivains, anciens ou contemporains, aux phrases beaucoup plus longues que les siennes (Jérôme Ferrari par exemple, pour ne citer que lui). Par ailleurs, il m’a semblé que la phrase proustienne ne faisait pas d’excès de subtilités ou de raffinements abscons (comme je l’imaginais) mais qu’elle est au contraire précise et éclairante. Certes, la lecture de Proust demande du calme et de la concentration, mais je trouve qu’on entre assez facilement dans son monde, dans ses descriptions (qui sont toutes plus magnifiques les unes que les autres, et je le dis d’autant plus facilement que, d’habitude, je n’adore pas les longues descriptions), dans ses analyses psychologiques ou introspectives d’une intelligence remarquable et souvent teintées d’un humour irrésistible. Par ailleurs, je dois en être actuellement autour de la page 280 et je n’ai croisé jusqu’à présent qu’une seule duchesse (Madame de Guermantes) qui n’a d’ailleurs occupé que deux ou trois pages et qui a disparu bien vite : ce n’est donc pas, contrairement à ce que j’imaginais, une succession de tableaux mondains et de discussions de salons entre baronnes et comtesses, ce qui m’aurait grandement ennuyée !

Non, bien loin de ce que j’imaginais, ce sont des souvenirs d’enfance, une tante plus ou moins neurasthénique et hypocondriaque dans la maison de laquelle on découvre le monde et les caractères de quelques personnages marquants, certains provinciaux qui ne sont pas sans évoquer Balzac, certains qui appartiennent à la famille du narrateur et dont l’autorité est source de craintes et de souffrances – une maison dans laquelle on découvre aussi la littérature, le plaisir d’écrire, les premiers élans amoureux, les beautés de la nature.
Le narrateur découvre le monde et les caractères, c’est-à-dire, aussi, la mesquinerie et la cruauté, et même si l’auteur n’insiste pas excessivement sur ces aspects.
On découvre un narrateur sensible, introverti, désespérément attaché à sa mère, et qui se désole à l’idée qu’il ne deviendra jamais écrivain parce qu’il « n’a pas d’idées ». Il lit avec passion les romans d’un certain Bergotte, auteur qu’il admire et qu’il brûle de rencontrer pour connaître son avis sur toutes les questions qui le préoccupent.
C’est aussi une sorte d’ode à la sensualité : plaisirs de la vue dans les jardins d’aubépine, plaisirs de l’odorat dans la maison et la chambre de la tante, plaisirs du goût grâce à la cuisine raffinée de la bonne Françoise, si bien décrits que le lecteur en perçoit aussitôt les effluves et les nuances.

Ce roman est à la fois un plaisir pour l’esprit et pour tous les sens !

21 réflexions sur “Combray, de Marcel Proust

  1. J’en suis encore resté au stade que vous évoquez au début. J’ai commencé, arrêté, recommencé, arrêté. Et pourtant, je suis certain de passer à côté d’une œuvre, une vraie. Mais comme toutes les œuvres marquantes, avec un univers et un ton, elle demande de se lancer et d’y entrer. Une question aussi, non pas de maturité peut être, mais de période de notre vie, de disponibilités. Bel article !

    1. Ah merci, c’est gentil 🙂
      Oui, je crois qu’il faut être vraiment prêt pour se lancer. Avoir une certaine disponibilité d’esprit, ne pas avoir trop de soucis.
      Personnellement, j’ai choisi une période « creuse » où je n’avais pas grand’chose d’autre à faire que lire et où je me sentais assez zen 🙂

      1. Oui, j’y compte bien. J’en suis actuellement à « Un amour de Swann » qui décrit une toute autre ambiance et qui développe souvent un humour et une ironie assez féroces !

  2. J’ai failli m’y mettre il y a deux ans, j’ai commencé et je m’y sentais plutôt bien dans cette lecture, et d’autres livres d’écrivains que je suis sont arrivés et j’ai perdu mon Proust… mais je n’en ai pas fini avec lui, je vais, sûr, je vais y revenir, suffit que je le retrouve. En tout cas, merci pour votre article, il me le remet en tête… c’est une envie vraie que j’ai de le lire.

    1. Oui, vous avez raison, c’est une oeuvre superbe, avec des passages tous plus beaux les uns que les autres (et pas seulement celui de la madeleine :-)).
      Je sais que beaucoup de gens profitent des vacances d’été pour lire ou relire Proust, et je pense qu’en effet ça peut être la période adéquate.
      Par ailleurs le roman « Combray » ne fait que 220 pages, et je pense qu’on peut s’en contenter dans un premier temps. Pas besoin de lire toute La Recherche en une seule fois 🙂

      1. Merci pour l’info, j’ai tendance à aimer les gros livres, mais parfois il serait bon de ne pas voir trop grand mais de voir comme il faut. (sinon, oui, l’été, un Proust entre deux polars :-))

      2. Il y a de gros pavés qu’on peut lire sans avoir la sensation de devoir « ingurgiter », sinon, je laisse tomber. En plus, j’aime la littérature qui se défend contre le lecteur. Je viens de m’acheter Les anges radieux, de W. T. Vollman (traduit pas Claro, j’aime les livres traduit par Claro), c’est gros et normalement l’écriture est au rendez-vous… et voilà que Proust s’éloigne encore un peu… mais on a dit cet été.

  3. J’ai lu les deux premiers tomes quand j’étais en khâgne. Et cela m’avait beaucoup plu. Je songe régulièrement, comme vous, à m’y replonger mais suis arrêté par la taille de l’ouvrage complet – car c’est la totalité que je voudrais connaître.

    Mais peut-être est-ce une mauvaise raison que je me donne.

    Merci en tous les cas de ce rappel salutaire.

    1. Moi aussi, dans l’idéal, je voudrais bien lire la totalité, mais je ne l’envisage que petit à petit et par petits bouts … pour le moment je n’en suis encore qu’au début. Mais il parait que « Le temps retrouvé » – le dernier tome – est tout à fait passionnant et qu’il éclaire tous les tomes qui précèdent …

  4. Proust est pour moi « le génie » de la littérature française. J’ai lu une première fois l’ensemble de son oeuvre il y a un an. Je ne pouvais plus m’arrêter! Il a une façon toute particulière de décrire avec justesse, humour et poésie les sentiments, à décortiquer chaque instant de la vie. J’ai relu par la suite le premier tome et certains de mes préférés. Lire après Proust a été difficile^^ Et je confirme le dernier tome est superbe, je vous encourage à continuer la lecture!!

    1. Merci ! C’est intéressant d’avoir l’avis d’une personne qui a lu toute La Recherche ! Je n’en suis encore qu’au premier tome mais j’ai les mêmes impressions que vous : ne plus pouvoir lâcher le livre et « se rouler » dans les analyses psychologiques et les descriptions avec délectation 🙂 Je trouve aussi qu’il a énormément d’humour !

  5. une oeuvre inégalable… envoûtante… lumineuse…
    à savourer avec gourmandise… doux voyage au coeur de l’architecture Proustienne !

    Swann, le prénom de ma troisième… 🙂

  6. arbrealettres

    … peut-être quand j’en aurai fini avec les …Haïkus ? 😉 😉 😉
    oui beaucoup de mal avec les pavés… mais j’ai lu Guerre et Paix .. il y a … un certain temps! lol! Souvenir aussi de lecture de Proust au lycée et je me souviens que j’avais bien aimé le passage étudié… et oui l’humour que l’on y trouve
    Bonne lecture M.A.! 🙂

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