« De nos jours » de Hong Sang-Soo

Affiche du film

Hong Sang-Soo (né en 1960) est un cinéaste sud-coréen très réputé, dont j’entendais parler depuis longtemps sans avoir jamais vu de film de lui.
C’est donc grâce à « De nos jours« , son opus de 2023, que j’ai pu le découvrir en salle et je l’ai beaucoup apprécié.
Comme il y est question de poésie, du métier d’actrice, et des existences respectives d’un vieux poète et d’une ancienne comédienne, j’inscris cette chronique dans le cadre du Printemps des Artistes.

Note Pratique sur le film

Nationalité : coréenne (du sud)
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie en France : 19 juillet 2023
Durée du film : 1h24

Résumé de l’intrigue :

Deux histoires parallèles se déroulent dans la ville de Séoul. Dans la première, une ancienne actrice reconvertie dans l’architecture reçoit chez elle une jeune fille qui aspire à devenir actrice. Elle répond à ses questions et essaye tant bien que mal de lui transmettre son expérience. Dans la seconde histoire, un vieux poète, reconnu et admiré par la jeunesse de son pays, doit répondre aux questions d’une gentille étudiante et à celles d’un jeune homme timide et idéaliste. Mais le but principal du vieux poète est de tenir sa résolution d’arrêter le tabac et l’alcool car son médecin l’a mis en garde sur l’état de son cœur.

Mon Avis :

C’est un film au rythme assez lent mais le fait d’alterner les scènes consacrées à l’actrice et celles dédiées au vieux poète imprime une certaine cadence et aiguise l’attention du spectateur, en lui donnant l’idée de comparer ces deux histoires, de voir leurs ressemblances et divergences. Pendant une bonne partie du film je cherchais des indices montrant que l’actrice de la première histoire connaissait de près ou de loin le vieux poète de la deuxième histoire. Et, en effet, nous apprenons que le vieux poète a la manie insolite de mettre une grosse cuillérée de piment dans sa soupe aux nouilles – une manie que l’actrice possède également car elle connaissait quelqu’un qui faisait cela. Signe que, peut-être, l’un et l’autre ont pu se côtoyer dans le passé. Mais cela reste à l’état d’hypothèse jusqu’à la fin.
La principale ressemblance entre les deux histoires tourne autour de la transmission d’une expérience artistique. Transmission à la jeunesse par une personne plus mûre. Forcément, la jeunesse est pleine d’illusions sublimes et d’idéaux très purs… donc, lui transmettre une expérience revient souvent à la désillusionner, à la décevoir. Ainsi, l’actrice reconvertie finit par faire un tableau consternant de ce métier qu’elle a abandonné, au grand désespoir de la jeune fille qui se met à pleurer en l’écoutant. Face aux rêves de la jeune fille, elle oppose une réalité trop réfrigérante. Le vieux poète, quant à lui, n’a pas de réalité décevante à dévoiler mais il est quelque peu nihiliste et, en tout cas, il ne se sent pas en mesure de répondre aux grandes questions existentielles de la jeunesse. A toutes ces interrogations candides, qui se veulent très élevées et spirituelles, il oppose un aquoibonisme, la force d’une évidence, ou tout bonnement une fin de non-recevoir. Et nous nous rendons compte que la sagesse ne consiste pas à savoir répondre aux questions de la jeunesse mais, plus simplement, à ne plus éprouver le besoin de se les poser, à ne plus comprendre leur utilité.
Et, à la fin, on s’aperçoit que ce sont les deux jeunes admirateurs du vieux poète qui lui auront appris quelque chose, involontairement – c’est-à-dire à profiter des plaisirs de la vie, quel qu’en soit le prix – plutôt que le contraire, initialement attendu.
Ce film pose aussi de jolies questions sur la perte d’un être cher, à travers la disparition du chat de l’actrice, lors d’une scène étonnante.
Un très joli film, doté de jeux d’acteurs d’un naturel confondant, d’un humour extrêmement fin, et d’une intelligence désarmante.

**

Logo du Défi, créé par Goran

Des haïkus de Santoka

Couverture chez Moundarren

Mon amie Pascale, spécialiste en littérature japonaise et traductrice de cette langue, a eu la gentillesse d’emprunter pour moi en bibliothèque ce beau livre des éditions Moundarren, intitulé « Santoka » et sous-titré « Zen, saké, haïku ».
Ne connaissant pas ce poète – pourtant très célèbre au Japon – j’ai appris que Santoka (1882-1940) était devenu un moine zen à l’âge de quarante-deux ans, après une vie agitée, à boire du saké et à essayer de lutter contre sa dépression chronique. Le suicide de sa mère devant ses yeux lorsqu’il était enfant avait été une blessure inguérissable. Devenu religieux, il écrivit de nombreux haïkus tout en menant une vie de pauvreté, de mendicité et de vagabondages à travers le pays. Ses haïkus sont souvent des compositions libres, qui ne respectent pas toujours la règle du nombre de syllabes 5-7-5, et qui ne contiennent pas forcément de « mots de saison » tels que le veut normalement la tradition.

Note Pratique sur le Livre

Editions Moundarren
Dates de parution : 2003, 2013
Edition bilingue, traduit du japonais par Cheng Wing Fun et Hervé Collet
Nombre de Pages : 186

*

Pour Santoka le plus grand des bonheurs c’est “une chambre, une lampe, une table, un bain et une coupe de saké”. Le soir il consigne dans son journal de voyage ses pensées et ses haïkus. “Pure expérience”, telle est sa conception de la poésie.
(Source : site de l’éditeur)

Il écrivait en automne 1940, peu avant sa mort, dans une lettre à un ami : « Chaque jour je suis en grande difficulté. Je ne sais si je mangerai aujourd’hui. La mort s’approche. Mais même si je ne bois rien et ne mange rien, jamais je ne néglige de composer des haïkus. Même si mon estomac est vide j’écris. Comme le cours de l’eau mon esprit poétique tourbillonne et jaillit. Vivre pour moi c’est composer un haïku. Le haïku est ma vie. »

**

Quelques haïku choisis

quand mourrai-je ?
je sème
des graines

*

légèrement ivre
les feuilles des arbres
se dispersent

*

dans mon bol d’aumône
en métal
de la grêle

*

je frappe les mouches
je frappe les moustiques
je me frappe moi-même

*

j’ouvre la fenêtre
la fenêtre pleine
de printemps

*

je glisse
je tombe
les montagnes sont calmes

*

la neige
tombe sur la neige
quiétude

*

la mort
devant moi
le vent frais

*

je viens de recevoir
de quoi manger
la pluie tombe

*

le bruit incessant des vagues
mon village natal
si loin

*


Pulp de Charles Bukowski

Couverture au Livre de Poche

Le 15 septembre est la date anniversaire du blog de notre ami regretté, Goran, et comme depuis deux ans, à cette même date, une lecture commune est organisée en sa mémoire – à laquelle je participe avec grand plaisir.
C’est Madame lit qui organise cette année notre lecture-hommage à Goran et elle a choisi « Pulp« , le dernier roman de l’américain Charles Bukowski (1920-1994), qui était l’écrivain préféré de notre ami trop tôt disparu.

J’ai vu, d’après une phrase en exergue, que Bukowski voulait rendre hommage aux romans de gare en écrivant « Pulp » et ça a éveillé ma curiosité.

Vous pouvez lire ci-après la chronique d’Ana-Cristina sur ce livre :
https://littrature30.wordpress.com/2023/09/15/pulp/

Note pratique sur le livre

Editeur : Le livre de poche
Première date de publication : 1994
Traduit de l’anglais (américain) et postface par Gérard Guégan.
Nombre de pages : 184

Quatrième de Couverture

Louis-Ferdinand Céline n’est pas mort en 1961. On l’a aperçu à Los Angeles. Et une pulpeuse créature qui n’est autre que la Mort charge un «privé» minable, Nick Belane, de le retrouver: « Je veux m’offrir, dit-elle, le plus grand écrivain français. » Ainsi commence l’ultime roman du génial et intenable auteur des Contes de la folie ordinaire et d’Au sud de nulle part. Une enquête échevelée, jalonnée de saouleries et de cadavres, d’autant plus compliquée que le malheureux Belane doit aussi retrouver le Moineau écarlate et pister une nommée Cindy qui roule en Mercedes rouge…

Mon Avis

Comme je n’avais jamais lu aucun roman de gare avant ce « Pulp« , j’ai eu l’impression de n’avoir pas les références adéquates, de ne pas pouvoir comparer cet objet littéraire bizarre à d’autres livres mieux identifiés (par moi). Ou, pour mieux dire, ce « Pulp » m’a fait l’effet d’un OVNI littéraire, et le fait qu’on y croise des monstres de l’espace, le personnage de la Grande Faucheuse sous les traits d’une femme hyper-sexy, ou encore la résurgence fantomatique de Louis Ferdinand Céline, ne m’a même pas semblé particulièrement surprenant, tellement cet univers m’était étranger et tellement j’étais prête à encaisser, bravement et sans sourciller, n’importe quelle péripétie, même la plus loufoque ou la plus improbable.
J’ai eu l’impression que Bukowski s’était beaucoup amusé en écrivant ce roman, que c’était comme un gros délire d’adolescent attardé, plein de fantasmes outranciers et de plaisanteries bien appuyées : les femmes sont toutes sexy, pulpeuses et obsédées par le sexe ; les hommes sont tous des truands flanqués de gorilles très baraqués, mesurant plus de deux mètres de haut et prêts à vous tabasser pour un oui ou pour un non. Et puis l’alcool coule à flot du matin jusqu’au soir : le détective Nick Belane passe sa vie à écluser les bars de Los Angeles et à y enchaîner les bagarres, sans motif apparent, ce qui donne par moment l’impression que Bukowski tire à la ligne, qu’il nous fait tout bonnement du remplissage…
Bien que ces différentes péripéties m’aient quelquefois paru lassantes, que certains dialogues m’aient un peu ennuyée par leur longueur excessive et leur agressivité factice, je n’ai curieusement pas eu beaucoup de difficulté à finir le livre – qui reste une lecture facile et peu exigeante en concentration – car j’avais tout de même envie de savoir comment tout ça allait finir.
Notre détective privé développe, entre deux bagarres ou entre deux cuites, une philosophie désabusée de l’existence : tout lui semble absurde et sans importance. Il n’a pas l’air non plus tellement échauffé par les différentes créatures de rêve qui gravitent autour de lui. En même temps, il se pose sans arrêt la question de sa propre valeur : obsédé par l’idée d’être un raté, il en arrive la plupart du temps à se juger favorablement, après quelques hésitations.
J’étais contente de faire cette lecture en hommage à Goran même si ce roman ne m’a pas follement enthousiasmée, sans être non plus trop désagréable.
Et je dirai en conclusion que j’avais préféré les deux autres livres de Bukowski que j’avais lus : Le capitaine est parti déjeuner (un récit autobiographique) et, surtout, son livre de Poésies.
Vous pouvez retrouver mes chroniques de l’époque en cliquant sur ces titres soulignés…

Un Extrait Page 98

A 14 heures 35, Céline fit son entrée. Comme j’étais au fond, il s’immobilisa et me chercha du regard. J’agitai alors ma fourchette sur laquelle j’avais planté une serviette de papier. Il me rejoignit illico.
– Un whisky soda serait le bienvenu, dit-il en s’asseyant et alors que le serveur m’apportait mon Screw Driver.
Le loufiat enregistra la commande et repartit la chercher. J’aimais ça : Céline avait un bon timing.
Je vidai mon verre à la vitesse grand V. Sans doute, pour dissimuler le trouble étrange qui s’était emparé de moi. Comme si, comprenez-moi, j’avais soudainement admis que plus rien n’avait d’importance. Que ce soit la Grande Faucheuse – celle qui avec sa faux fait sa funèbre moisson – ou que ce soit Céline… j’étais mort. Au bout du rouleau. Sans ressort. Plus qu’une absurde course d’obstacles, l’existence était un véritable esclavage. Réfléchissez au nombre de fois où vous aurez changé de slip dans votre vie, et tirez-en la conclusion qui s’impose. Consternant, dégoûtant, stupide, non ?

*

Un autre Extrait, page 108

Après avoir déverrouillé ma porte et l’avoir ouverte, je découvris perchée sur mon bureau Jeannie. Les jambes haut croisées, elle marquait du talon un rythme envoûtant.
– Belane, enfin ! Et comment va mon pitoyable ivrogne ? se marra-t-elle.
Elle était sublime. Pas difficile de comprendre pourquoi Grovers lui léchait les pompes. Qu’est-ce que ça changeait qu’elle fût un monstre venu de l’espace ? Des comme ça, qui refuserait d’en avoir dans son pieu ? Mais Grovers était mon client. Je devais l’en protéger, je devais la mettre hors circuit. Merde, il était dit que je ne profiterais jamais de la vie. Fallait toujours qu’à cause d’un autre ça se termine en pugilat !
Je fis le tour de mon bureau et, après m’être assis, je lançai avec succès mon feutre vers la patère. Ensuite de quoi, j’allumai un cigare et ajustai mon regard. Elle n’avait pas changé de position, sauf qu’ayant décroisé ses jambes, elle les balançait désormais au gré d’un vent invisible.
(…)

Romanée-Conti 1935, un roman de Takeshi KAIKÔ

Couverture chez Picquier Poche

En me promenant dans ma librairie habituelle, je suis tombée par hasard sur ce petit livre dont le titre m’a intriguée, par sa référence à un vin français – je devrais plutôt dire un grand cru millésimé ! – et l’idée de lire un roman japonais où il serait beaucoup question de la France et de ses traditions viticoles et culinaires me paraissait plutôt sympathique et rentre bien dans le thème du voyage que j’explore ce mois-ci !

Je vous propose donc cette fois d’observer la France avec le regard d’un voyageur japonais…

Note pratique sur le livre :

Editeur : Picquier Poche
Date de parution originale : 1973 (au Japon)
Date de parution en français : 1993 (1996 en poche)
Traduit du japonais par Anne Bayard-Sakai et Didier Chiche
Nombre de pages : 68 pour la première nouvelle, 35 pour la deuxième.

Note biographique sur l’auteur

Takeshi Kaikô, né en 1930 et mort en 1989 à l’âge de 58 ans, est un romancier, essayiste, nouvelliste, journaliste et scénariste japonais. Ecrivain globe-trotter il rapportera de ses périples en Chine, en URSS et dans le Paris de 1968 des reportages d’une grande acuité. Il remporte le prix Akutagawa en 1957.

Quatrième de Couverture

A Tôkyô, un dimanche après-midi, deux hommes absorbés dans la dégustation cérémonieuse d’une vieille bouteille de bourgogne Romanée-Conti 1935, usant de gorgées comme ponctuations, poursuivent jusqu’à la lie le long texte désordonné de leurs souvenirs.
Voici une lecture éblouissante de la vie : on plonge avec délices dans l’intimité d’un grand vin, dans le secret de rêveries amoureuses, riches de la saveur d’un amour endormi, d’une femme aux contours effacés et au parfum évanoui.

Mon humble avis

Ce très court roman – ou longue nouvelle – est très agréable à lire grâce à une écriture qui privilégie les notations sensuelles et la suggestion de plaisirs gustatifs et amoureux. L’auteur excelle à l’évocation de saveurs, à la description de certaines sensations plus ou moins agréables et parfois ambiguës, nous laissant comprendre qu’il peut exister une pointe de déplaisir dans les expériences les plus délicieuses – et, sans doute, inversement, une once de plaisir dans les contacts a priori désagréables.
Au-delà de cet aspect purement sensitif et charnellement hédoniste, il y a aussi dans ce livre une réflexion sur le temps qui passe, sur l’Histoire et sur le sens de la vie, avec un rappel à la mort inéluctable qui apparaît à plusieurs reprises au cours de cette histoire, de manière inattendue, telle cette curieuse danse macabre du milieu du livre, comme un contrepoint nécessaire à chaque plaisir, en tant que prélude ou conclusion.
Ce livre est aussi intéressant par une certaine vision de la France du 20ème siècle à travers le regard d’un homme japonais gourmet, esthète et cultivé. Ainsi, il nous décrit le Paris des années 70, les Halles, le Quartier Latin et ses petits bistrots propices aux rencontres, mais aussi certaines villes des Côtes du Rhône, de Bourgogne, etc.
Un livre que j’ai bien aimé, malgré sa brièveté !

Un Extrait page 32

(…)
– Ca y’est, je me souviens. Ca m’est revenu en t’écoutant. J’ai oublié de te dire que j’étais non seulement allé en Bourgogne ou dans le Bordelais, mais aussi dans la région de Cognac. Des fûts, en nombre infini, y dorment, dont s’évapore tous les jours une petite quantité de cognac. Il parait que ça représente en degré d’alcool l’équivalent de ce qui se consomme chaque jour en vin dans toute la France. L’équivalent de vingt-cinq mille bouteilles, m’a-t-on dit. Enfin, quoi qu’il en soit, tu vois le sigle V.S.O.P. qui figure sur les bouteilles de cognac ? Ce sont les initiales de Very Superior Old Pale, mais on m’a signalé que ça pouvait aussi être celles de Vieux Sans Opinion Politique. Je m’en suis souvenu en t’écoutant. Le Japon a été vaincu, l’Allemagne, l’Italie ont été vaincues elles aussi, le Front populaire a sombré en un an. Les Procès de Moscou étaient une sinistre mascarade. Le Parti communiste chinois a fini par s’emparer de tout le territoire chinois. Et pendant tout ce temps-là, cette bouteille dormait. Indifférente aux opinions politiques. Depuis 1935, elle a vieilli d’un an chaque année en dormant. Elle se consacrait à ça. Elle mérite elle aussi le nom de V.S.O.P. C’est un vin à boire en dégustant l’Histoire. (…)