« Le Métier d’écrivain » de Hermann Hesse

J’ai trouvé ce livre par hasard, en flânant dans une librairie, et son titre m’a tout de suite intéressée car j’aime connaître les pensées des écrivains sur leur art, sur leur façon d’envisager la littérature, sur le langage, etc.
J’avais déjà lu un livre de Hermann Hesse (Allemagne, 1877- Suisse, 1962) – « Knulp« , un court roman dont vous pouvez retrouver ma chronique ici – et cela m’a permis de mieux situer ces réflexions générales et de les appliquer à quelques souvenirs précis.

Note Pratique sur le Livre

Genre : Essai
Editeur : Bibliothèque Rivages
Année de Publication (initiale, en Allemagne) : 1977, chez Rivages : 2021
Traduction, préface et notes de Nicolas Waquet
Nombre de pages : 83

Quatrième de Couverture

Etre écrivain, c’est être lecteur. Lecteur des autres, lecteur de soi, lecteur de tout : des ouvrages des hommes comme des œuvres de la nature. Alors comment bien lire et bien écrire ? Qu’est-ce qu’un bon texte, une bonne critique ? Quelles sont les peines et les joies que son métier réserve à l’écrivain ? Autant de questions que Hermann Hesse n’a cessé de se poser la plume à la main, questions qu’il soulève et auxquelles il répond au détour de cinq textes qui éclairent sa pratique et jalonnent sa carrière.

Mon Avis

Ce livre se compose de cinq textes de réflexions sur l’écriture, rédigés entre les années 1920 et les années 1960.
Celui qui parle de la critique littéraire est particulièrement intéressant car Hermann Hesse a une idée très claire et très précise de ce que doit être ce métier et de la bonne manière de l’exercer. Selon lui, le bon critique doit inscrire les œuvres littéraires et les écrivains dans l’histoire des Lettres et des idées, leur donner la juste place qui leur revient dans un panorama plus vaste. Son rôle est donc important, quoiqu’il ne soit pas toujours conscient de sa responsabilité. Le critique doit savoir reconnaître la nouveauté, l’originalité d’un livre – gages de qualité – et attirer l’attention des lecteurs sur lui. Mais Hesse déplore que les vrais bons critiques sont rares et que la plupart sont davantage attirés par les renvois d’ascenseurs et autres échanges de bons procédés mondains que par une scrupuleuse honnêteté intellectuelle. Hermann Hesse écrit à ce sujet des dialogues fictifs entre un écrivain et un critique, qui sont d’une intelligence formidable et qui posent des questions que l’on pourrait encore tout à fait se poser actuellement (cf. l’extrait ci-dessous).
Parmi les autres thèmes abordés dans ces textes : celui du Romantisme allemand, un mouvement artistique auquel Hermann Hesse semble très attaché et sur lequel il propose une réflexion approfondie, en le comparant avec le Classicisme, qui relève d’une conception de l’existence radicalement opposée. Ainsi, il explique et développe les similitudes entre Romantisme et Philosophie Orientale, d’une manière très intéressante.
Hermann Hesse se définit lui-même comme un héritier du Romantisme et un poète (même dans ses romans) c’est-à-dire un auteur qui parle avec son âme, et il regrette que son époque ait jeté le discrédit sur le Romantisme en le taxant de bourgeois, sentimental, risible, démodé, alors que, selon lui, c’est tout le contraire : la beauté et l’expression de l’âme humaine, une des principales émanations de la culture allemande, représentée par des génies intemporels, aussi bien en littérature qu’en musique et dans la plupart des autres arts.
Une autre page de réflexion m’a frappée, à propos du langage et de ses ambiguïtés, que tout auteur doit apprendre à maîtriser et à déjouer.
Hesse nous parle également de ses habitudes d’écriture, du point de vue pratique et rituel, de son emploi du temps et des éventuelles phases critiques (ou moments de crise) dans son travail – des périodes décisives et de grande urgence, où le livre qu’il est en train de créer prend toute sa signification et son poids – et j’ai trouvé ces passages particulièrement éclairants et profonds.
Un livre à conseiller chaudement à tous ceux qui aiment écrire et à ceux qui s’interrogent sur le métier d’écrivain.

Un Extrait Page 44-45

L’écrivain : Mais vous connaissez Les Affinités électives et le Berthold ?
Le critique : Les Affinités électives, oui, naturellement, mais pas le Berthold.
L’écrivain : Et vous, pensez-vous pourtant que le Berthold surpasse les livres que l’on écrit de nos jours ?
Le critique : Oui, c’est ce que je pense, par respect pour Arnim et plus encore par respect pour la puissance littéraire dont faisait montre autrefois l’esprit allemand.
L’écrivain : Mais pourquoi, dans ce cas-là, ne lisez-vous pas Arnim et tous les vrais écrivains de son temps ? Pourquoi passez-vous votre vie à vous occuper de livres que vous considérez vous-même comme des œuvres mineures ? Pourquoi ne dites-vous pas à vos lecteurs :  » Regardez, voici des livres dignes de ce nom, laissez tomber la camelote qu’on écrit aujourd’hui et lisez Goethe, Arnim et Novalis ! »
Le critique : Je ne suis pas là pour ça. Je me dispense peut-être de le faire pour les mêmes raisons que vous vous dispensez d’écrire des livres comme Les Affinités électives.
L’écrivain : Voilà qui me plait ! Mais comment expliquez-vous alors que l’Allemagne ait produit autrefois des écrivains de cette trempe ? Leurs livres étaient une offre sans demande ; personne ne les avait réclamés. Ni Les Affinités électives ni le Berthold n’ont été lus par leurs contemporains, pas plus qu’on ne les lit aujourd’hui.
Le critique : Les gens, à l’époque, ne se souciaient guère de littérature et ne s’en préoccupent pas plus de nos jours. Notre peuple est comme ça. Peut-être que tous les peuples sont comme ça. Du temps de Goethe, on lisait une foule de livres charmants et distrayants. Et c’est la même chose aujourd’hui. Ces livres sont lus et critiqués. Ni le lecteur ni le critique ne les prennent vraiment au sérieux, mais ils répondent à un besoin. On lit et on paye les écrivains qui nous changent les idées ; ce que l’on fait aussi pour ceux qui critiquent leurs écrits : on les lit et ils tombent aussitôt dans l’oubli.
L’écrivain : Et les livres dignes de ce nom ?
Le critique : Ils sont écrits pour l’éternité, pense-t-on. Notre époque ne se croit donc pas obligée d’y prêter attention.

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Un Extrait page 62

Maintenant, considérer que la rose est une rose, l’homme un homme, le corbeau un corbeau, que les formes et les limites de la réalité sont des données solides et sacrées, c’est le point de vue classique. Il reconnaît les formes et les propriétés des choses ; il reconnaît l’expérience ; il cherche l’ordre, la forme, la loi, et il les établit.
Ne voir au contraire dans la réalité qu’apparences, mutabilité ; douter au plus haut point de la différence entre les plantes et les animaux, l’homme et la femme ; accepter à chaque instant que toutes les formes se dissolvent et se confondent, c’est se conformer au point de vue romantique.
En tant que visions du monde, philosophies, fondements sur lesquels l’âme prend position, ces conceptions sont aussi bonnes l’une que l’autre, c’est indéniable. (…)

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34 réflexions sur “« Le Métier d’écrivain » de Hermann Hesse

    1. Bonjour Claude ! Oui, cet essai m’a été très bénéfique sur certains sujets et justement sur le problème de la critique il pose des questions judicieuses, dont certaines sont encore valables de nos jours. Merci et très bon week-end du 1er mai à vous ! Bien amicalement. Marie Anne

  1. J’ai beaucoup lu les romans d’Herman Hesse. A une époque, les uns à la suite des autres. Dans mon souvenir de ma vie d’alors, mon préféré fut Narcisse et Goldmund. Je connais cet essai mais ne l’ai jamais lu, tout comme le livre qu’il a écrit sur la musique. Votre article me donne bien envie de le lire.

    1. Bonjour Evy ! J’aimerais bien lire ses autres romans. J’ai « Siddhartha » dans ma bibliothèque depuis plusieurs années et je repousse toujours à plus tard. S’il a écrit un essai sur la musique ça pourrait être tout à fait intéressant pour moi aussi ! Merci beaucoup de votre commentaire et très bon week-end 🙂

      1. Oui, su RTL le samedi matin et le dimanche matin ; çà dure 10 à 15 minutes et l’on voit toutes les fautes que nous faisons, la mauvaise désignation donnée à un mot ; ce matin la différence entre emmener et amener, quelle subtilité !

    1. Bonjour Roz ! « Knulp » est un très beau livre, sur la liberté et la place de chacun dans la société. « Le métier d’écrivain » est un essai, donc c’est très différent, mais il donne vraiment à réfléchir ! Bon week-end à vous 🙂

  2. J’aime beaucoup cet échange entre l’écrivain et le critique. On pourrait le transposer aisément vers le cinéma.
    Ce genre de prise de distance des artistes est toujours passionnant.
    Merci pour ce partage Marie-Anne. Bonne journée.

    1. Bonjour Prince Écran Noir ! Moi aussi j’ai particulièrement apprécié ce petit dialogue fictif, d’une intelligence remarquable ! Il y a des passages magnifiques dans cet essai. Merci beaucoup de ton commentaire et très bon week-end du 1er mai 🙂

    1. Eheh 😀 C’est une grande question ! Je suis sûre que cette lecture pourrait lui être profitable 🙂 A tous les auteurs en général, je dirais…
      Merci Jean-Louis ! Belle soirée à toi !

  3. Tout comme toi Marie-Anne, j’aime ce type de livre. Si je croise la route de ce bouquin, je l’achète car je suis une grande admiratrice de la plume de Hermann Hesse. ❤️

  4. Tout à fait intéressant. Merci Marie-Anne d’avoir aussi bien mis en lumière cet essai d’un écrivain que j’apprécie particulièrement. Bon weekend du 1er mai. 🌾

  5. Bonjour Marie-Anne,
    En quelques mots il a su dire de façon si claire la différence fondamentale entre la vision du monde romantique et celle classique ! Et le dialogue entre le critique et l’écrivain est génial.
    Dans ton avis, tu expliques très bien pourquoi les textes de cet ouvrage t’ont intéressée. Tu m’ avais déjà parlé de ces textes. Et une fois encore, je me promets de les lire.
    Je te souhaite un bon dimanche !
    Bien amicalement,
    Ana-Cristina

    P.S: De mon côté, dans le cadre du « Printemps des artistes », j’ai publié un texte sur un roman de Paul Auster, « La nuit de l’oracle », qui m’a paru le roman idéal pour rendre hommage à la figure de l’écrivain…

    La nuit de l’oracle

    1. Coucou Ana Cristina ! Pas de soucis pour le lien vers ton article ! C’est même une très bonne idée de l’avoir mis ! Je vais aller voir ton article sur ce livre de Paul Auster que j’ai lu il y a quelques années et que j’avais beaucoup aimé ! Merci beaucoup de ta participation et à très bientôt ! Joyeux 1er mai à toi 🙂 Marie Anne

  6. Ping : Bilan du « Printemps des artistes  de 2023 | «La Bouche à Oreilles

  7. Bonjour Marie-Anne,
    merci de me rappeler Hermann Hesse que j’ai lu il y a … trop longtemps ! je m’en souviens comme d’un auteur subtil et profond, et il me semble que son « jeu des perles de verre » parle de musique.

    1. Bonjour Carnets Paresseux ! J’ai entendu parler du « jeu des perles de verre » mais je ne l’ai pas encore lu. C’est certainement un très grand roman. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que Hermann Hesse est subtil et profond. J’ai aimé les deux livres de lui que j’ai lus. Merci beaucoup de ton commentaire et un excellent week-end !

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