Pulp de Charles Bukowski

Couverture au Livre de Poche

Le 15 septembre est la date anniversaire du blog de notre ami regretté, Goran, et comme depuis deux ans, à cette même date, une lecture commune est organisée en sa mémoire – à laquelle je participe avec grand plaisir.
C’est Madame lit qui organise cette année notre lecture-hommage à Goran et elle a choisi « Pulp« , le dernier roman de l’américain Charles Bukowski (1920-1994), qui était l’écrivain préféré de notre ami trop tôt disparu.

J’ai vu, d’après une phrase en exergue, que Bukowski voulait rendre hommage aux romans de gare en écrivant « Pulp » et ça a éveillé ma curiosité.

Vous pouvez lire ci-après la chronique d’Ana-Cristina sur ce livre :
https://littrature30.wordpress.com/2023/09/15/pulp/

Note pratique sur le livre

Editeur : Le livre de poche
Première date de publication : 1994
Traduit de l’anglais (américain) et postface par Gérard Guégan.
Nombre de pages : 184

Quatrième de Couverture

Louis-Ferdinand Céline n’est pas mort en 1961. On l’a aperçu à Los Angeles. Et une pulpeuse créature qui n’est autre que la Mort charge un «privé» minable, Nick Belane, de le retrouver: « Je veux m’offrir, dit-elle, le plus grand écrivain français. » Ainsi commence l’ultime roman du génial et intenable auteur des Contes de la folie ordinaire et d’Au sud de nulle part. Une enquête échevelée, jalonnée de saouleries et de cadavres, d’autant plus compliquée que le malheureux Belane doit aussi retrouver le Moineau écarlate et pister une nommée Cindy qui roule en Mercedes rouge…

Mon Avis

Comme je n’avais jamais lu aucun roman de gare avant ce « Pulp« , j’ai eu l’impression de n’avoir pas les références adéquates, de ne pas pouvoir comparer cet objet littéraire bizarre à d’autres livres mieux identifiés (par moi). Ou, pour mieux dire, ce « Pulp » m’a fait l’effet d’un OVNI littéraire, et le fait qu’on y croise des monstres de l’espace, le personnage de la Grande Faucheuse sous les traits d’une femme hyper-sexy, ou encore la résurgence fantomatique de Louis Ferdinand Céline, ne m’a même pas semblé particulièrement surprenant, tellement cet univers m’était étranger et tellement j’étais prête à encaisser, bravement et sans sourciller, n’importe quelle péripétie, même la plus loufoque ou la plus improbable.
J’ai eu l’impression que Bukowski s’était beaucoup amusé en écrivant ce roman, que c’était comme un gros délire d’adolescent attardé, plein de fantasmes outranciers et de plaisanteries bien appuyées : les femmes sont toutes sexy, pulpeuses et obsédées par le sexe ; les hommes sont tous des truands flanqués de gorilles très baraqués, mesurant plus de deux mètres de haut et prêts à vous tabasser pour un oui ou pour un non. Et puis l’alcool coule à flot du matin jusqu’au soir : le détective Nick Belane passe sa vie à écluser les bars de Los Angeles et à y enchaîner les bagarres, sans motif apparent, ce qui donne par moment l’impression que Bukowski tire à la ligne, qu’il nous fait tout bonnement du remplissage…
Bien que ces différentes péripéties m’aient quelquefois paru lassantes, que certains dialogues m’aient un peu ennuyée par leur longueur excessive et leur agressivité factice, je n’ai curieusement pas eu beaucoup de difficulté à finir le livre – qui reste une lecture facile et peu exigeante en concentration – car j’avais tout de même envie de savoir comment tout ça allait finir.
Notre détective privé développe, entre deux bagarres ou entre deux cuites, une philosophie désabusée de l’existence : tout lui semble absurde et sans importance. Il n’a pas l’air non plus tellement échauffé par les différentes créatures de rêve qui gravitent autour de lui. En même temps, il se pose sans arrêt la question de sa propre valeur : obsédé par l’idée d’être un raté, il en arrive la plupart du temps à se juger favorablement, après quelques hésitations.
J’étais contente de faire cette lecture en hommage à Goran même si ce roman ne m’a pas follement enthousiasmée, sans être non plus trop désagréable.
Et je dirai en conclusion que j’avais préféré les deux autres livres de Bukowski que j’avais lus : Le capitaine est parti déjeuner (un récit autobiographique) et, surtout, son livre de Poésies.
Vous pouvez retrouver mes chroniques de l’époque en cliquant sur ces titres soulignés…

Un Extrait Page 98

A 14 heures 35, Céline fit son entrée. Comme j’étais au fond, il s’immobilisa et me chercha du regard. J’agitai alors ma fourchette sur laquelle j’avais planté une serviette de papier. Il me rejoignit illico.
– Un whisky soda serait le bienvenu, dit-il en s’asseyant et alors que le serveur m’apportait mon Screw Driver.
Le loufiat enregistra la commande et repartit la chercher. J’aimais ça : Céline avait un bon timing.
Je vidai mon verre à la vitesse grand V. Sans doute, pour dissimuler le trouble étrange qui s’était emparé de moi. Comme si, comprenez-moi, j’avais soudainement admis que plus rien n’avait d’importance. Que ce soit la Grande Faucheuse – celle qui avec sa faux fait sa funèbre moisson – ou que ce soit Céline… j’étais mort. Au bout du rouleau. Sans ressort. Plus qu’une absurde course d’obstacles, l’existence était un véritable esclavage. Réfléchissez au nombre de fois où vous aurez changé de slip dans votre vie, et tirez-en la conclusion qui s’impose. Consternant, dégoûtant, stupide, non ?

*

Un autre Extrait, page 108

Après avoir déverrouillé ma porte et l’avoir ouverte, je découvris perchée sur mon bureau Jeannie. Les jambes haut croisées, elle marquait du talon un rythme envoûtant.
– Belane, enfin ! Et comment va mon pitoyable ivrogne ? se marra-t-elle.
Elle était sublime. Pas difficile de comprendre pourquoi Grovers lui léchait les pompes. Qu’est-ce que ça changeait qu’elle fût un monstre venu de l’espace ? Des comme ça, qui refuserait d’en avoir dans son pieu ? Mais Grovers était mon client. Je devais l’en protéger, je devais la mettre hors circuit. Merde, il était dit que je ne profiterais jamais de la vie. Fallait toujours qu’à cause d’un autre ça se termine en pugilat !
Je fis le tour de mon bureau et, après m’être assis, je lançai avec succès mon feutre vers la patère. Ensuite de quoi, j’allumai un cigare et ajustai mon regard. Elle n’avait pas changé de position, sauf qu’ayant décroisé ses jambes, elle les balançait désormais au gré d’un vent invisible.
(…)

Au piano, de Jean Echenoz

J’ai lu ce roman par curiosité pour le titre : jouant un petit peu de piano moi-même (très modestement) il ne pouvait que m’attirer.
Je ne savais donc rien de cette histoire avant de commencer la lecture – sauf qu’il serait plus ou moins question de musique – et je suis allée de surprises en surprises au fur et à mesure que j’avançais dans ce livre.
Certes, la musique est présente le long de ces pages puisque le héros, Max Delmarc, est un célèbre pianiste virtuose, un artiste dévoré par le trac avant chaque concert et qui cherche dans l’alcool un remède à ses épouvantes. Cet homme est hanté par le souvenir d’une femme, Rose, qu’il a côtoyée plusieurs fois à l’époque de ses études et qu’il lui arrive encore parfois de croiser au hasard de ses promenades ou dans le métro, comme une obsession soudainement matérialisée dans son champ de vision.
Nous sommes prévenus dès la première page du roman : Max Delmarc, le héros du livre, va mourir de mort violente dans vingt-deux jours. Malgré cette annonce, je n’ai pas pu m’empêcher d’être surprise au moment de cette agression et du meurtre qu’elle entraîne.
Vous penserez certainement : puisque le héros meurt, c’est la fin de l’histoire. Eh bien non. Car, après la mort, il se passe encore beaucoup de choses. Pas tout à fait comme le racontent les religions car Jean Echenoz imagine une sorte de Purgatoire, de Paradis et d’Enfer très différents de leurs descriptions traditionnelles dans les livres saints.

Mon avis d’humble lectrice :

On sent que l’auteur s’est beaucoup amusé à écrire ces pages débordantes de fantaisie et d’ironie, et j’ai trouvé ce roman extrêmement divertissant, j’ai souri très souvent, j’ai parfois eu un peu peur, et les surprises succédant aux surprises, je suis arrivée très vite à la fin du livre, sans voir le temps passer.
Bref : une lecture plaisante, qui change vraiment les idées et vous transporte dans son monde amusant pendant quelques heures. Le style est brillant, c’est une belle écriture, rythmée, un peu précieuse, qui ne néglige pas l’imparfait du subjonctif et les ellipses.
J’aurais aimé parfois que le propos devienne plus profond ou plus philosophique (puisqu’Echenoz aborde des thèmes aussi graves que la mort, l’immortalité, l’amour) mais ce n’était visiblement pas son but, et ce roman reste presque jusqu’au bout dans un registre léger, ce qui n’est d’ailleurs pas si mal.
Un bon divertissement !

Extrait page 42

Max s’approcha, déterminé. Le chien se remit à le regarder sans agressivité, sans émettre aucun grondement ni montrer la moitié d’une dent, semblant aussi gentil qu’il était gros – je vous demande un peu à quoi ça sert, des chiens pareils. Elle aussi regardait Max venir, l’air à peine étonné, sans froncer l’ombre d’un sourcil ni brandir le moindre spray d’autodéfense à l’extrait de poivre naturel.
Ne craignez rien, bafouilla Max trop vite, j’en ai pour une seconde, voilà. Je vous croise depuis longtemps dans la rue. C’est vrai, sourit-elle. C’est bon, se dit Max, elle m’a repéré, c’est déjà ça. Et je, dit Max, voilà, je voulais juste savoir qui vous êtes. Gonflé, le type. (…)

Les Parapluies d’Erik Satie de Stéphanie Kalfon

couverture chez Folio

J’ai acheté ce livre par hasard, dans ma librairie préférée, surtout attirée par le titre et la référence à Erik Satie dont j’apprécie beaucoup les œuvres pour piano.

Dans ce livre, qui est une sorte de biographie romancée d’Erik Satie, ou un genre d’essai biographique, ce sont surtout les aspects sombres et désespérés du personnage qui sont mis en valeur : sa tristesse, son alcoolisme, sa solitude effrayante, sa misère et ses nombreux deuils familiaux depuis son plus jeune âge, avec la perte d’une petite sœur, de sa mère quand il avait 6 ans puis de sa grand-mère dans des circonstances traumatisantes pour lui.
Erik Satie nous est donc présenté comme un artiste maudit, une figure romantique à la Van Gogh, un marginal accumulant les échecs sans répit, trahi par ses rares amis (par exemple Claude Debussy qui lui vole une de ses idées, celle qui lui tient le plus à cœur), incompris de tous les critiques qui se moquent de lui ou le passent sous silence, d’une susceptibilité qui lui gâche la vie, et d’un caractère à la fois timide, reclus et excentrique.
Je respecte le choix de l’autrice de portraiturer Satie de cette manière et je n’aurai pas la prétention de détenir la vérité au sujet du grand compositeur mais ma vision des choses était un peu plus nuancée. Il me semblait que Satie avait obtenu aussi certains succès, qu’il était un personnage mondain très en vue, fréquentant Picasso, les ballets russes, les peintres de l’Ecole de Paris, les dadaïstes, puis qu’il fut reconnu comme un maître et un modèle par le fameux Groupe des Six, et admiré par de nombreux jeunes artistes dans les dernières années de sa vie.
Je crois aussi que Satie était un provocateur et qu’il ne s’attendait pas forcément à recevoir des pluies d’éloges de la part des critiques ou du Conservatoire, la musique qu’il composait était plutôt faite pour les choquer.
De ces différents aspects plus joyeux et plus énergiques du compositeur, il n’est pas question dans cette biographie romancée.
J’ai apprécié l’écriture de Stéphanie Kalfon, qui est expressive et alerte, et joue sur les mots en détournant le langage musical à ses propres fins.

Un livre qui m’a beaucoup intéressée ! Je l’ai lu rapidement et il m’a fait réfléchir à ma propre vision d’Erik Satie et de l’artiste en général.

Extrait page 23 :

Peut-être, aussi, qu’il fut le plus secret des hommes. Le plus fou ? s’interrogent beaucoup. Oh non… n’allez pas croire que la folie se loge dans l’exubérance. Non, ne croyez pas aux mensonges des hommes à propos d’eux-mêmes, aux masques, aux apparences. Ne lisez pas les visages comme des étiquettes. La folie n’est pas du côté de l’extravagance, elle est du côté de la normalité. C’est bien la normalité qui est pure folie, la validation de la comédie sociale par ceux qui la jouent. La validation des groupes par eux-mêmes. Les gens seuls, les déviants, les étranges, les bizarres, ne sont que la doublure honnête des photocopies carbone qui représentent la masse des vivants. Ceux qui marchent sur la tête, les vrais fous, sont ceux qui jamais n’ont besoin d’air. (…)

Les parapluies d’Erik Satie a été publié chez Folio en 2019 (sa première édition date de 2017 chez Gallimard), il a reçu le Prix Littéraire des musiciens 2018.

Je l’ai lu dans le cadre de mon défi « Le Printemps des Artistes ».

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De toutes les nuits, les amants, de Mieko Kawakami

de-toutes-les-nuits-les-amantsJ’avais déjà chroniqué ici cette année le premier roman de Mieko Kawakami, intitulé Seins et Œufs, et comme je l’avais apprécié j’avais eu très envie de lire son deuxième livre, De toutes les nuits, les amants.

Quatrième de Couverture : Fuyuko a trente-quatre ans, correctrice elle travaille en free-lance pour l’édition, vit seule et ne s’imagine aucune relation affective. Elle ne se nourrit pas de ses lectures : elle décortique les mots, cherche la faute cachée, l’erreur embusquée. Elle n’écrit pas, ne connaît pas la musique, s’habille sans la moindre recherche.
Mais Fuyuko aime la lumière. Elle ne sort la nuit qu’au soir de ses anniversaires en hiver, seule, pour voir et pour compter les lumières dans ce froid qu’on peut presque entendre si l’on tend l’oreille, dans cet air sec et aride mais quelque part fertile.
Timide, introvertie, Fuyuko va néanmoins laisser entrer deux personnes aux abords de sa vie : Hijiri, son interlocutrice professionnelle, et M. Mitsutsuka, un professeur de physique qui lui offre un accès d’une autre dimension vers la lumière : le bleu a une longueur d’onde très courte, elle se diffuse facilement, c’est pourquoi le ciel apparaît si vaste. (…)

Mon avis : J’ai été extrêmement touchée par l’héroïne, Fuyuko, un être inhibé qui parvient à peine à exister et à articuler trois mots de suite pour exprimer ses pensées, mais je pense que, pour un autre lecteur, ce personnage pourrait paraître un peu énervant, trop dénué (apparemment) de personnalité. Cependant, on apprend assez vite que Fuyuko a subi un traumatisme dans son adolescence, un viol dont elle n’a jamais parlé, et qui, sans doute, l’a poussée à se replier tout à fait sur elle-même et à refuser toute communication intime avec les autres. Fuyuko est au comble du mal-être, ne vit que pour son travail, et se met à boire, probablement pour imiter son amie Hijiri qui est une figure forte de femme moderne et émancipée – le contraire de Fuyuko – mais qui, elle, tient bien l’alcool. La rencontre de Fuyuko avec M. Mitsutsuka pourrait être une issue à la vie sans espoir de la jeune femme mais, là encore, elle ne sait pas s’exprimer ou, en tout cas, s’exprime mal. L’amour n’apportera pas de solution au mal-être de Fuyuko, au contraire il sera un motif d’angoisse supplémentaire, mais il offrira aussi à la jeune femme une occasion de sortir d’elle-même et de prendre conscience de ses émotions et de son identité.
Les réflexions sur la condition féminine sont, elles aussi, teintées d’un fort pessimisme. L’amie d’enfance de Fuyuko, mariée et mère de famille, est une femme amère et désabusée qui ne s’imagine aucun avenir. Hijiri, qui mène une vie amoureuse libre et aventureuse, n’est pas non plus satisfaite et ne sort pas, finalement, de sa solitude.
Un roman sombre où le thème de la lumière est omniprésent et où la poésie et le lyrisme finissent par l’emporter …

J’ai trouvé ce roman beaucoup plus sentimental que Seins et Œufs, jouant davantage sur les émotions et moins sur les idées. Mais j’avais trouvé Seins et Œufs plus original, plus audacieux. En tout cas, ces deux romans sont tout à fait différents l’un de l’autre, et j’ai beaucoup apprécié les deux.