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Le mois dernier, j’avais un peu parlé de ce recueil poétique, Mariées Rebelles, de l’écrivaine américaine contemporaine Laura Kasischke. J’y reviens aujourd’hui puisque mes articles de ce mois-ci sont consacrés aux États-Unis.
Comme je le disais en mai, c’est une poésie riche en images et souvent marquée par la mort, la violence, les pensées amères, aigres, ou franchement acides. Pratiquement à chaque page, une évocation sanglante surgit, plus ou moins développée. Marie Desplechin, dans la préface, insiste sur le côté morbide de cette poésie et c’est indéniable. Un certain féminisme peut aussi apparaître, mais adjoint ou mélangé à d’autres thèmes, comme les relations familiales ou le couple. Les relations hommes-femmes ne sont pas traitées sous un angle sentimental, c’est le moins qu’on puisse dire, mais toujours sous un aspect rude, acerbe, dangereux.
Note pratique sur le livre
Editeur : Page à page
Première année de publication (en français) : 2016 (en américain) 1992
Edition bilingue.
Traduit de l’anglais (américain) par Céline Leroy
Préface de Marie Despléchin
Nombre de pages : 184
Note sur la poète
Laura Kasischke est née en décembre 1961, dans le Michigan. Elle se fait d’abord connaître comme poète, au début des années 90. En 1997, elle publie son premier roman « A suspicious river« . Elle est également nouvelliste. On a pu comparer son style à celui de Joyce Carol Oates. Ses romans sont publiés en français chez l’éditeur Christian Bourgois, sa poésie et ses nouvelles chez Page à page.
(Source : Wikipédia)
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Je vous propose ce poème, l’un de mes préférés du recueil – qui est aussi l’un des moins violents, sans notation sanguinolente.
C’est un texte où les non-dits sont nombreux, laissant l’imagination du lecteur suppléer à ces manques, et c’est pour cette raison qu’il m’a plu.
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Page 45
Indications scéniques
Le père et la fille se regardent
puis arrêtent, gestes et expressions se figent.
La mère, malade, se balance
dans son fauteuil entre eux deux.
Il y a des piles de vieux journaux dans cette pièce.
Y revenir pour tous les lire
serait comme cette souffrance particulière –
la tragédie devient banale
dès lors qu’elle est énoncée – alors
personne ne lit.
Dialoguer ne sert plus à rien.
Les égouts suintent dans les rues la nuit
et les vers luisants y palpitent vertement.
Côté cour : un sofa
miteux de style colonial.
Côté jardin : la télévision qui clignote.
Les personnages vieillissent au cours de ces indications.
C’est le Midwest.
En amont de la route les mêmes vaches se tiennent
vache contre vache infiniment dans la ferme laitière. Aucun bruit.
Aucun mouvement en dehors des trayeuses en inox.
Les vaches sont estropiées à force de rester debout
et année après année pourtant
elles font malgré elles gicler leur lait et leur mercure
dans les machines aveugles et aspirantes. L’excès
forme des flaques autour d’elles, tourne
et ramollit leurs sabots inutiles.
Et regarde, la fine poussière de la Voie lactée
leur tombe sur le dos.
C’est le Midwest. La rivière
en amont de la route se gorge
de poissons-chats cyclopes et de saumons
auxquels il pousse des tumeurs dans l’obscurité
froide et chimique.
Le père et la fille se regardent.
La mère, malade, se demande
pourquoi ils se font tant de mal
depuis tout ce temps. Peut-être
même qu’à cela elle préfèrerait la mort.
Dialoguer ne sert plus à rien,
plus aucune raison, même,
de lever le rideau sur cette scène.
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Quelle force ! Merci pour cette découverte ! Bon week-end
Merci Matatoune de cette appréciation! Bon week-end!
Ouhh c est très dur !
Bonjour Natlarouge. Oui c’est dur mais comparé aux autres poèmes de ce recueil c’est plutôt le moins dur, m’a-t-il semblé… Merci beaucoup de votre commentaire ! Bonne journée, bon week-end
On retrouve bien là ce qui fait la force de la littérature américaine désespérée et très humaine. Merci Marie-Anne pour cette découverte.
Bonjour Jean-Marc, merci d’avoir été sensible à ce poème ! Je crois aussi que malgré sa dureté il y a qqch de très humain dans cette poésie. Très bon week-end !
C’est puissant… le silence, le mal-être, l’Amérique et ses excès. Merci car j’aime ce type de poésie Marie-Anne. Bonne soirée!
Bonjour Nathalie, merci pour tes mots très justes au sujet de ces poèmes ! Contente que tu les aies appréciés ! Bon week-end à toi 🙂
E finita la comedia !
Bon ouikènde, Marie-Anne.
Merci Jean-Louis! Excellent dimanche à toi aussi 🙂
La vache ! c’est un peu lait…pas mal tourné…et s’il y a pis alors…je n’en veux pas trop têter mais bon…s’il reste un espoir que cette voix lactée sucite un rot libérateur…
Ah ah ! Drôle de commentaire 😀 Désolée que ce texte ne te plaise pas ! En tout cas, il t’aura bien inspiré ! Mais je crains que la suite de ce mois américain ne te plaise pas beaucoup plus, pour ce qui est de la poésie… Bonne journée à toi Pat
Étrange sentiment à la lecture de ces vers lactés, de ces formules agressées. C’est de la poésie vache. Je ne sais trop qu’en penser.
En tout cas, merci pour cette découverte.
Bonjour Prince Écran Noir. De la poésie vache, c’est bien dit 🙂 Parfois la vie peut être très vache alors il faut bien en rendre compte, même en poésie… Merci beaucoup de ton commentaire et excellent dimanche !
Bonjour Marie-Anne, en effet c’est une poésie qui semble très sombre mais elle est énigmatique et mystérieuse, ce qui la rend précieuse. Je note ce recueil car j’apprécie beaucoup cette autrice. Merci à toi pour ce partage 🙂
Bonjour Frédéric, merci de ton intérêt pour ce recueil de poésie ! Il m’a semblé voir effectivement que tu avais déjà chroniqué des romans de Laura Kasischke. Une autrice qui est sans doute plus connue comme romancière que comme poète, si je ne me trompe… Excellente journée à toi 🙂