Les Nuits blanches de Fédor Dostoïevski

Couverture chez Actes Sud

J’ai lu ce court roman (ou longue nouvelle) de Dostoïevski dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est de Patrice, Eva et Goran, qui a lieu, comme vous le savez sans doute, chaque année au mois de mars.
Quand j’ai découvert ce livre dans ma librairie habituelle, mon attention a tout de suite été attirée par ce titre « Les Nuits blanches » que je ne connaissais pas et dont je n’avais même jamais entendu parler, contrairement à la plupart des titres des romans de Dostoïevski. Il était donc très tentant d’essayer d’en savoir plus et je me suis dépêchée de l’acheter.

Note pratique sur le livre

Date de parution initiale : 1848
Editeur français : Actes Sud (Babel)
Traduit du russe par André Markowicz
Genre : Roman sentimental
Nombre de pages : 86

Note sur Dostoïevski

Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski, né en 1821, est entré en littérature en janvier 1846 avec Les Pauvres Gens. Pour des raisons politiques, il fut déporté au bagne de Sibérie, durant quatre ans, entre 1849 et 1853. Il mena ensuite une vie d’errance en Europe, au cours de laquelle il renonça à ses anciennes convictions socialistes et devint un patriote fervent de l’Empire russe. Il est mort à Saint-Pétersbourg le 28 janvier 1881. (Sources : Wikipédia et l’éditeur)

Quatrième de Couverture (début)

Un jeune homme solitaire et romanesque rencontre, une nuit, dans Pétersbourg désert, une jeune fille éplorée. Désespérée par un chagrin d’amour, Nastenka se laisse aller au fantasme du jeune homme, épris dès le premier instant, le berce – et se berce – dans l’illusion d’une flamme naissante… (…)

Mon Avis :

Comme souvent dans les livres de Dostoïevski, les personnages sont extrêmement passionnés et exaltés, mais aussi tiraillés entre des sentiments contradictoires qui ne les laissent pas en repos et qu’ils extériorisent abondamment. On retrouve donc cette exaltation volubile et cette expression enflammée et impulsive de soi-même dans Les Nuits blanches. Nous assistons, au cours de ces quatre nuits blanches (qui forment les quatre parties du livre), aux conversations entre le jeune homme solitaire et la jeune fille de dix-sept ans, Nastenka, et ces deux personnages semblent se confier l’un à l’autre absolument tout ce qu’ils pensent, sans aucune retenue, et dans une sincérité totale, ce qui est étonnant pour des gens qui viennent juste de se rencontrer, mais qui peut s’expliquer par leur grande jeunesse et candeur, mais également par le grand besoin affectif dans lequel ils se trouvent tous les deux.
Effectivement, le jeune homme et la jeune fille nous sont présentés tous les deux comme des rêveurs quelque peu déconnectés de la société et de la réalité. Ils vivent chacun dans une telle solitude et un tel manque d’affection et de relations humaines qu’ils sont prêts à donner leur confiance, leur cœur et leurs serments d’amour éternel à n’importe qui, au gré d’un élan passager, d’un sourire entraperçu ou d’une confidence faite par hasard sur un bout de trottoir.
Ainsi, la jeune fille, pour échapper à l’enfermement que lui impose sa grand-mère, va se jeter aux pieds du premier venu, qu’elle ne connait quasiment pas, mais qu’elle croit connaître parce qu’il l’a invitée deux fois au théâtre et que ces sorties l’ont fait rêver. Mais, dès qu’elle se croit abandonnée par ce premier « fiancé », elle serait tout aussi enthousiaste et partante pour se jeter au cou du jeune homme solitaire et rêveur et ne tarderait pas à se laisser consoler par lui. Et nous comprenons qu’elle n’aime pas plus le premier jeune homme que le deuxième et que sa quête acharnée d’un amoureux est une chose désespérée et vide de sens.
Bref, ces grandes passions romantiques nous sont présentées par Dostoïevski comme des mascarades absurdes et mensongères, où les êtres sont finalement interchangeables et où le problème essentiel (mais inavoué) est d’échapper à tout prix à son destin solitaire et déprimant.
Un très beau livre, qui montre la condition humaine sous un jour peu reluisant et l’amour romantique sous une forme peu flatteuse mais ce tableau m’a paru convaincant, pris dans ce contexte !

Un Extrait page 42

C’est en vain que le rêveur fouille, comme la cendre, ses rêves anciens, cherchant dans cette cendre ne fût-ce qu’une braise, pour lui souffler dessus et, par un feu renouvelé, réchauffer un cœur qui s’éteint, ressusciter en lui ce qui lui fut si cher, ce qui l’émouvait tant, ce qui faisait bouillir son sang, lui arrachait des larmes et l’abusait si somptueusement ! Savez-vous, Nastenka, où j’en suis ? savez-vous que j’en suis à fêter l’anniversaire de mes sensations, l’anniversaire de ce qui me fut cher, de quelque chose qui, au fond, n’a jamais existé – parce que l’anniversaire que je fête est celui de mes rêves stupides et vains – et à faire cela parce que même ces rêves stupides ont cessé d’exister, parce qu’il n’est rien qui puisse les aider à survivre : même les rêves doivent lutter pour survivre ! Savez-vous qu’à présent, j’aime me souvenir, et visiter à telle ou telle date des lieux où j’ai été heureux à ma façon, j’aime construire mon présent en fonction d’un passé qui ne reviendra plus et j’erre souvent comme une ombre, sans raison et sans but, morne, triste, dans les ruelles et dans les rues de Petersbourg. (…)

31 réflexions sur “Les Nuits blanches de Fédor Dostoïevski

  1. Je ne connaissais pas ce titre de Dostoïevski, mais il me semble qu’avec cet auteur, on est rarement déçu. Merci pour cette découverte documentée.
    Bon dimanche Marie-Anne.

  2. Le plus décevant chez Dostoïevski est sa ferveur orthodoxe et sa détestation de la démocratie. Par les temps qui courent, cet auteur de génie perd en vision globale de l’humanité. Le Christ ne peut être le seul à incarner un idéal humain. Cette idée place le christianisme en position hégémonique sur le plan moral; or, l’égalité entre les hommes et le femmes se doit d’être aussi celle des prophètes. De tous les prophètes. Ceci est la base d’un renouveau religieux qui n’exclue personne.

    1. Puisque c’est votre point de vue, je le respecte.
      Dans ce court roman de Dostoïevski il n’est pas question du Christ ni de l’égalité entre les hommes et les femmes. On peut le lire sans penser à aucun moment à la foi orthodoxe ni à aucune foi religieuse et encore moins à la démocratie.

  3. Bonjour Marie-Anne,

    J’avais beaucoup aimé aussi, et je trouve que c’est un titre intéressant à faire lire à quelqu’un qui n’a jamais lu l’auteur = comme tu l’écris, on y retrouve cette exaltation qui est le propre de la plupart de ses héros, et cette écriture quasi frénétique qui en découle..

    Bon dimanche

    1. Bonjour Ingrid,

      Je vois que nous avons des avis similaires sur ce livre. Effectivement, ce court roman est une bonne entrée en matière pour quelqu’un qui voudrait découvrir Dostoïevski, car on y retrouve bien son univers et les caractères qu’il affectionne. Les Carnets du sous-sol également, pour une première approche.

      Bon début de printemps 🙂

  4. Michel B.

    J’avais beaucoup aimé ces Nuits blanches… Dostoïevski, un romancier à lire et à relire… sans modération !… Quand je pense à cette université italienne qui avait décidé de supprimer des cours sur cet écrivain russe pour cause d’invasion de l’Ukraine !… La guerre fait aussi des dommages collatéraux dans la tête des gens !…
    Bon dimanche Marie-Anne !

    1. Bonjour Michel, je suis contente que vous ayez également aimé ce livre. Quant à ceux qui veulent censurer les écrivains russes du 19è siècle sous prétexte que Poutine a envahi l’Ukraine en 2022, c’est une absurdité totale…
      Bonne semaine printanière !

  5. natlarouge

    c’est un auteur peu optimiste et votre commentaire le confirme, mais la langue est si belle ! merci pour cette découverte

    1. Peu optimiste, sans doute, mais assez réaliste. Il décrit des états d’âme et des sentiments qui existent, et qui ont leur raison d’être. Merci Natlarouge, bonne semaine de printemps !

  6. Oh ! Merci beaucoup Marie-Anne, tu me permets d’avoir un titre afin d’entrer dans l’univers de Dostoïevski. Un livre qui semble légèrement original.
    Doux dimanche et joyeux printemps !

    1. Bonjour Eléonore, c’est un court roman qui m’a beaucoup plu et qui est très représentatif de l’univers de Dostoïevski, je trouve. Les deux personnages sont très touchants. Joyeux printemps à toi aussi 🙂

  7. Patrice

    Superbe ! Quel contenu et quelle densité en à peine 90 pages. Merci pour cette découverte et cette nouvelle contribution.

    1. Celui-ci m’a beaucoup plu, dans un format court, tout comme « les carnets du sous-sol », excellent aussi. Pour des romans plus longs « les Frères Karamazov » m’ont emballée, « Crime et châtiment » aussi… « Les Possédés » sont très remarquables également… Avec Dostoïevski, on est assuré de tomber sur des très beaux romans.
      Merci Nathalie de ton commentaire, belle journée à toi 🙂

  8. frédéric perrot

    Les fameuses Nuits Blanches ! Une nouvelle de Dostoïevski bien amère dans mon souvenir… Je vous conseille aussi La Douce ou Une femme douce, selon les traductions. C’est bouleversant.
    Merci Marie-Anne pour la qualité de votre blog !

    1. Merci de ce conseil, Frédéric, je vais noter ce titre. Il y a souvent de l’amertume et de la révolte dans les romans de Dostoïevski. Et beaucoup de complexité psychologique… Bonne soirée à vous 🙂

  9. Ping : Mois de l’Europe de l’Est 2022 – le bilan ! – Et si on bouquinait un peu ?

  10. C’est drôle parce que finalement cette vision des relations amoureuses que nous dépeint ici Dostoïevski est terriblement actuelle. Je ne vois pas un jour sans qu’un article de développement personnel ne fleurisse en évoquant le sujet de la solitude, du célibat, et de la façon dont on essaie de construire nos vies autour de ses statuts !

    1. Bonjour. Je suis d’accord, la peur de la solitude est un motif puissant pour se mettre en couple. De nos jours, c’est même peut-être encore plus marqué qu’à l’époque de Dostoïevski, il a bien anticipé l’évolution des choses. Merci de votre commentaire !

Laisser un commentaire