Une Vie, de Maupassant

J’ai lu ce roman de Maupassant, un classique du naturalisme datant de 1883, parce qu’il dormait dans ma bibliothèque depuis plusieurs années et qu’il était largement temps que je m’y intéresse.
Il s’agit du tout premier roman de Maupassant, et on sent déjà une maîtrise de l’écriture et de la construction romanesque tout à fait impressionnantes.
Maupassant s’est visiblement inspiré de Madame Bovary et d’Un cœur simple de Flaubert pour imaginer l’histoire de cette femme malheureuse en ménage, incomprise.
L’héroïne, Jeanne, est au début du livre une jeune fille naïve et pure tout juste sortie du couvent. Elle revient vivre avec ses parents, un couple généreux et plein de bonté, et elle se perd dans des rêveries sentimentales d’amour, de mariage, de bonheur. Dès la première rencontre avec un homme du voisinage, Julien de Lamare, elle commence à s’émouvoir et s’apprête à se laisser conquérir, d’autant que le jeune homme lui montre de l’intérêt. Au bout de quelques semaines ils sont déjà fiancés, puis mariés, alors qu’ils se connaissent finalement très mal. Jeanne ne tarde pas à s’apercevoir de son erreur : son mari est brutal, cupide, infidèle. Mal mariée, elle ne cherche désormais le bonheur que dans son rôle de mère mais son fils, Paul, surnommé Poulet, lui apportera également de nombreux soucis.
Ce roman aborde de très nombreux thèmes mais le principal est certainement la condition des femmes au 19ème siècle : maintenues dans l’ignorance jusqu’au mariage, elles n’ont pas la possibilité de prendre en main leur destinée ou de faire des choix éclairés et sont soumises toute leur vie au bon vouloir de leur mari – ou à leur mauvaise volonté.
Le rôle néfaste des prêtres dans la vie de Jeanne est aussi tout à fait intéressant : qu’il s’agisse du prêtre indulgent, coulant avec les faiblesses des hommes, ou de son successeur, un rigoriste extrémiste, aucun des deux ne donne à Jeanne les moyens de se défendre et ils l’accableraient plutôt qu’autre chose.

Il m’a semblé par moments noter certaines ressemblances avec des idées de Proust – par exemple les intermittences du cœur – aussi je suppose que Proust a pu s’inspirer de certains passages.

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Extrait page 69

Ils ne savaient que dire, que faire, n’osant même pas se regarder à cette heure sérieuse et décisive d’où dépend l’intime bonheur de toute la vie.
Il sentait vaguement peut-être quel danger offre cette bataille, et quelle souple possession de soi, quelle rusée tendresse il faut pour ne froisser aucune des subtiles pudeurs, des infinies délicatesses d’une âme virginale et nourrie de rêves.
Alors, doucement, il lui prit la main qu’il baisa et, s’agenouillant auprès du lit comme devant un autel, il murmura d’une voix aussi légère qu’un souffle : « Voudrez-vous m’aimer ? » Elle, rassurée tout à coup, souleva sur l’oreiller sa tête ennuagée de dentelles, et elle sourit : « Je vous aime déjà, mon ami ».
Il mit en sa bouche les petits doigts fins de sa femme, et la voix changée par ce bâillon de chair :  » Voulez-vous me prouver que vous m’aimez ? »
Elle répondit, troublée de nouveau, sans bien comprendre ce qu’elle disait, sous le souvenir des paroles de son père :  » Je suis à vous, mon ami. »
Il couvrit son poignet de baisers mouillés, et, se redressant lentement, il approchait de son visage qu’elle recommençait à cacher.(…)

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23 réflexions sur “Une Vie, de Maupassant

  1. Bon jour,
    Dans une lettre de Flaubert datée d’un 17 février 1876, il écrit à Maupassant, qu’il nomme à la fois dans ce même courrier de : « cher ami », « cher Monsieur », « mon joli coco », ceci : » …appliquez donc votre talent à des tâches plus convenables ». En effet, Maupassant passait, à cette époque, son temps à écrire des choses érotiques … 🙂
    Max-Louis

    1. Ah je n’ai pas lu ses récits érotiques mais, déjà il y a beaucoup de sensualité dans ses romans et ses nouvelles. Je note en tout cas le « joli coco » pas si éloigné du « bel ami » 🙂

    1. C’est l’un de mes classiques français préférés, et effectivement ses personnages masculins n’ont pas beaucoup de morale ou de scrupules, ce qui les rend très intéressants et réalistes … Merci Carnets Paresseux 🙂

  2. Véronique Champoux

    Je vous ai envoyé une invitation tantôt, je suis désolée si ce n’est pas au bon endroit, je ne vois juste pas comment vous rejoindre autrement. Si vous aimeriez partagez quelques-uns de vos haïkus parmi d’autres haijins talentueux et pouvoir afficher le lien de votre blogue, contactez-moi svp à partagedehaikus02@gmail.com Bonne journée à vous. Véronique Champoux

  3. frédéric perrot

    Je n’ai pas lu ce « Une vie » qui m’a toujours semblé fort désespérant… Je vous conseille en revanche « Bel-Ami », roman à la fois cynique et lucide, qui raconte l’ascension irrésistible d’une crapule. Le personnage principal, un prédateur sexuel, c’est très explicite, réussit en séduisant des femmes. C’est totalement amoral et désespéré, un personnage de poète émouvant venant un peu contrebalancer toute cette noirceur : Maupassant !
    Merci à vous pour vos chroniques.
    Frédéric Perrot.

    1. Bonsoir Frédéric, merci pour votre commentaire !
      J’aime beaucoup « Bel Ami », dont le personnage central est en effet très cynique, amoral, et sans aucun talent. Mais « Une Vie » mérite tout autant de retenir l’attention. Et je ne pense pas qu’il soit plus désespérant que les autres romans de Maupassant. « Une Vie » dessine le portrait d’une femme plutôt sensible et douce, bien plus sympathique que Bel Ami. Bonne soirée !

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