Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal

Affiche du film

J’ai eu envie de consacrer ce mois de janvier au thème du Voyage, et j’ai donc regardé en DVD ce film de 2020 de Caroline Vignal, qui est essentiellement l’histoire d’une jeune femme partie en randonnée à travers la campagne, en compagnie d’un âne.

Notes techniques sur le film :

Genre : Comédie
Date de Sortie en salle : 2020
Français, Couleur
Durée : 1h37

Présentation du DVD (Quatrième de Couv) :

Des mois qu’Antoinette attend l’été et la promesse d’une semaine en amoureux avec son amant, Vladimir. Alors quand celui-ci annule leurs vacances pour partir marcher dans les Cévennes avec sa femme et sa fille, Antoinette ne réfléchit pas longtemps : elle part sur ses traces ! Mais à son arrivée, point de Vladimir – seulement Patrick, un âne récalcitrant qui va l’accompagner dans son singulier périple…

Mon Avis :

Ce film avait eu un très grand succès en France au moment de sa sortie, qui tombait peu après le confinement (si je me souviens bien), et qui avait l’avantage d’apporter de la gaité et des escapades en pleine nature et en liberté pendant une période où nous nous sentions tous moroses, coincés et entravés. Un bol d’air frais, en quelque sorte.
N’ayant pas vu ce film à sa sortie, mais seulement deux ans plus tard, cet effet post-confinement est sûrement moins prégnant, mais j’ai tout de même apprécié ce périple à travers les superbes paysages des Cévennes ainsi que le formidable jeu d’actrice de Laure Calamy qui passe de l’émotion au comique (et, souvent, les deux en même temps) avec un grand naturel.
L’amitié très forte qu’Antoinette noue avec son âne m’a un peu fait penser au vieux film avec Fernandel, « La Vache et le prisonnier », même si le contexte de ces deux histoires est complètement différent. Le face à face affectueux humain-animal a tendance à susciter la sympathie du spectateur en toutes circonstances. Et on peut dire que, dans « Antoinette dans les Cévennes« , les relations de la jeune femme avec son âne paraissent nettement plus importantes que ses relations avec son amant, et en tout cas plus profondes, plus passionnelles et plus durables.
Il m’a semblé que, dans ce film, Antoinette apprivoise peu à peu cet animal et apprend à composer avec son caractère têtu et réfractaire et, ce faisant, elle apprend aussi à composer avec la réalité, à accepter la vie telle qu’elle, c’est-à-dire souvent frustrante, insatisfaisante.
C’est peut-être une faiblesse du film, de ne pas avoir un peu plus approfondi le personnage de l’amant et de ne pas avoir davantage creusé cette relation amoureuse qui est supposée être le moteur de l’intrigue et à laquelle on ne croit pas vraiment. Car, au final, on se demande pourquoi la jeune femme (Laure Calamy) est ainsi partie dans les Cévennes et s’est embarquée dans une aussi grosse galère à la poursuite d’un amant si falot et si peu intéressant. Alors, oui, elle est sûrement très impulsive et irréfléchie, écervelée, mais ça parait par moment incohérent, d’autant qu’elle n’a plus quinze ans…
Ceci dit, j’ai trouvé ce film assez agréable, sympathique, bon enfant… mais je n’aurai pas envie de le voir une deuxième fois.

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Sans rapport avec le film chroniqué ci-dessus :

Je profite de cet article pour vous adresser mes meilleurs vœux de bonne et heureuse année pour 2023 !
Santé, affection, paix, inspiration et belles lectures poétiques, réussites dans vos projets et découvertes culturelles enrichissantes…

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Rien n’est noir de Claire Berest

Couverture du livre

Dans le cadre de mon Printemps des artistes 2022, j’ai eu envie de lire une biographie de Frida Kahlo et comme j’avais vu passer sur d’autres blogues ce livre récent sur la grande et célèbre peintre mexicaine, j’ai décidé de le lire… et ça n’a pas été une partie de plaisir.
J’ai failli abandonner plusieurs fois cette lecture en cours de route mais je me suis quand même accrochée jusqu’à la dernière page, la dernière ligne et la dernière lettre du dernier mot, dans le but d’écrire cet article en toute connaissance de cause.

Note pratique sur le livre :

Editeur d’origine : Stock (puis Livre de Poche)
Date de publication : septembre 2020
Nombre de pages : 232

Note sur Claire Berest :

Née en 1982, elle est diplômée d’un IUFM. Elle enseigne quelques temps en ZEP avant de démissionner. Elle publie son premier roman, Mikado, en 2011 chez Léo Scheer. Avec sa sœur Anne Berest, elle co-écrit en 2017 Gabrièle, en hommage à leur arrière-grand-mère Gabrielle Buffet-Picabia.

Quatrième de couverture :

 » A force de vouloir m’abriter en toi, j’ai perdu de vue que c’était toi, l’orage. Que c’est de toi que j’aurais dû vouloir m’abriter.
Mais qui a envie de vivre abrité des orages ? »

Frida parle haut et fort, avec son corps fracassé par un accident de bus et ses manières excessives d’inviter la muerte et la vida dans chacun de ses gestes. Elle jure comme un charretier, boit des trempées de tequila. Elle aime participer à des manifestations politiques, se mettre des fleurs dans les cheveux, parler de sexe crûment et se rendre dans des fêtes à réveiller les squelettes. Et elle peint. Par-dessus tout, Frida aime Diego, le peintre le plus célèbre du Mexique, son crapaud insatiable, fatal séducteur, qui couvre les murs de fresques gigantesques.

Mon avis :

J’avais vu il y a une dizaine d’années le biopic de Julie Taymor « Frida » (2002), un film convenable mais assez superficiel, sur Frida Kahlo (avec Salma Hayek dans le rôle titre) et je pensais que la lecture de cette biographie romancée permettrait de creuser davantage la vie, l’œuvre et la personnalité de Frida Kahlo, selon la croyance naïve que l’écriture littéraire est capable de dire des choses bien plus profondes, complexes et subtiles que les images et dialogues d’un film américain grand public. En fait, je me suis trompée car ce roman biographique est encore plus superficiel et donne une vision encore plus édulcorée de Frida Kahlo, où sa bisexualité est à peine mentionnée du bout des lèvres et ses convictions communistes réduites à un vague halo atmosphérique, sans doute pour ne pas trop effaroucher les lectrices de Elle (qui lui ont gentiment décerné leur « Grand prix », ce qui aurait dû me mettre en garde ! Je n’ai rien contre ces dames mais il existe un certain fossé entre les magazines féminins et la littérature, me semble-t-il.)
Je dirais de ce livre que ce n’est pas de la vraie littérature, que le style est clinquant, factice et tape-à-l’œil, que le sens de la psychologie est expédié à l’emporte-pièce et complètement boursoufflé (une mention spéciale pour l’éléphantesque Diego Rivera, dont le portrait m’a fait rire à maintes reprises). Visiblement, ce qui intéresse Claire Berest par-dessus tout est la vie conjugale de Frida Kahlo et les nombreuses infidélités de son mari, ce dont je me fous quant à moi comme de ma première chemise, surtout quand on sait que Frida Kahlo n’était pas fidèle non plus et que, finalement, si Diego et Frida sont célèbres c’est pour des œuvres plus intéressantes, plus durables et plus créatives que leurs scènes de ménage.
Ce livre ne va pas beaucoup plus loin que du journalisme people : il s’appesantit vulgairement sur les éléments les plus sensationnels et les clichés les plus ennuyeux et il laisse de côté les questions essentielles de la création picturale, de l’amour entre deux artistes, de l’idéal politique dans un contexte historique particulier.
Pour résumer, je dirais que ce roman n’a pas grand intérêt et que la personnalité, l’œuvre et le parcours de Frida Kahlo méritaient certainement beaucoup mieux !

Voici un des très rares extraits que j’ai apprécié – parce qu’il parle de peinture !

Un Extrait page 172

Quand elle peint son visage encore et encore et encore, c’est parce que ce paradoxe l’obsède : elle regarde dans le miroir ce visage qu’elle n’a jamais vraiment vu, puisque c’est lui-même qu’elle promène partout pour voir. Est-elle la seule à souffrir de ne pas voir directement son propre visage, et de savoir qu’il en sera toujours ainsi ? De n’en connaître que le reflet, c’est-à-dire l’image ? Frida est fascinée par le décalage qui s’opère entre la première fois que l’on voit quelqu’un et la perception que l’on en a quand il nous est devenu familier. L’écart est fantastique. Jamais on ne verra à nouveau cette personne comme la première fois, c’est terminé, c’est évanoui. Dessiner un visage, c’est dessiner du temps passé. Elle aimerait pouvoir peindre Diego comme la première fois qu’elle le vit. Pour garder cela, l’impossible instant présent. Les gens la prennent parfois un peu pour une idiote, ou une inculte. Ca lui va très bien. Elle a probablement lu plus de livres que la plupart de ces moqueurs, mais elle n’en a pas besoin pour peindre, ils ne lui sont d’aucun secours lorsqu’elle saisit un pinceau dans le gobelet en émail et part à l’assaut d’un nouveau visage. (…)

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Logo du Défi créé par Goran

Madame de, de Max Ophuls

J’avais souvent entendu parler du cinéaste Max Ophuls (1902-1957) et il était grand temps que je découvre un de ses films. J’ai donc choisi de regarder l’une de ses œuvres les plus réputées, « Madame de » qui date de 1953, et dont le scénario est inspiré du roman éponyme de Louise de Vilmorin, publié deux ans plus tôt, en 1951.

Résumé du début de l’intrigue :

Louise (Danielle Darrieux), une riche comtesse, dépensière, frivole et coquette est l’épouse d’un général attaché au ministère de la Guerre (Charles Boyer). Pour rembourser ses dettes, elle revend en secret ses boucles d’oreilles en cœurs de diamants, auxquelles elle ne tient pas beaucoup, mais qui sont un cadeau de son mari, au bijoutier chez lequel il les avait achetées. Pour expliquer leur disparition, elle fait mine, quelques temps après, au cours d’une soirée à l’Opéra, de les avoir perdues. Le général les fait chercher partout et croyant qu’on les lui a volées, déclenche un petit scandale. Informé du prétendu vol par les journaux, le bijoutier gêné va trouver le général et lui révèle la vérité.
Le général rachète les boucles d’oreilles et les offre à sa maîtresse, en guise de cadeau de rupture. Arrivée à Constantinople, cette dernière, qui joue et perd beaucoup au casino, vend les boucles à son tour. De passage dans cette ville, un ambassadeur, le baron Donati, voit les cœurs en diamant dans la vitrine d’un marchand et les achète.
Nommé ambassadeur à Paris, le baron rencontre Louise sur un quai de gare, s’éprend d’elle, lui fait la cour (sans que cela émeuve le général, qui sait que sa femme est une coquette au sang froid). Amoureuse pour la première fois, et craignant de céder au baron Donati, Louise décide de fuir Paris pour un long voyage. (…)
(Source : moi et Wikipédia)

Mon humble Avis :

Je comprends que ce film soit considéré comme un chef d’œuvre car la mise en scène et la beauté des images sont tout à fait exceptionnelles. Au delà des décors et des costumes somptueux, on sent que chaque plan est savamment étudié, avec des imbrications de cadres dans des cadres (fenêtres, miroirs), des jeux de transparences à travers lesquels apparaissent les personnages (vitres, voilages, etc.), comme pour nous laisser comprendre que nous naviguons de mensonges en faux-semblants et que, sous les apparences d’une vie brillante, Louise est certainement moins vaine et moins frivole qu’on ne l’imagine au départ.
Au fur et à mesure de l’histoire, nous voyons en effet le personnage de Louise se métamorphoser : d’abord assez froide et dissimulée, d’une gaîté superficielle, préoccupée seulement de sa beauté et de son élégance, c’est-à-dire de sa propre personne, l’irruption d’un amour dans son cœur la bouleverse profondément et la fait tantôt se replier sur elle-même tantôt pleurer et se lamenter, elle en oublie même sa coquetterie et se plaint d’être devenue laide.
L’accès à l’amour et à la profondeur des sentiments semble vécu par elle comme une chose douloureuse et dangereuse, par une forme de fidélité à son mari que l’on a un peu de mal à comprendre, mais qui est peut-être plutôt une peur de ne plus s’appartenir.
Les relations qui unissent ce couple semblent assez étranges : le comte et la comtesse font chambre à part et ont, d’après lui, des liens de simple camaraderie qui ne l’empêchent pas, lui, d’avoir une maîtresse mais, parallèlement, il exige de la part de sa femme une fidélité parfaite et ne supporte pas de la savoir amoureuse d’un autre homme, au point de l’humilier et de la conduire au désespoir. En bref, il veut bien accepter de ne pas être aimé par sa femme, mais à la condition expresse qu’elle n’aime personne d’autre.
Le motif des boucles d’oreilles est intéressant car il symbolise tout au long de l’histoire les sentiments de Louise pour celui qui les lui a offertes : initialement, c’est un cadeau de son mari et elle n’hésite pas à s’en séparer sans aucun état d’âme, mais quand ces mêmes boucles d’oreilles lui reviennent plus tard comme cadeau de son amoureux, elle y attache soudain un prix énorme et est prête à tout sacrifier pour les garder.
Un grand classique du cinéma que je suis très contente d’avoir vu !

L’amour aux temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez

J’ai lu ce célèbre roman de Gabriel Garcia Marquez dans le cadre du Mois de l’Amérique Latine de Goran et Ingannmic.
Gabriel Garcia Marquez (1927-2014) est un écrivain colombien. Romancier, novelliste, mais également journaliste et militant politique, il est l’auteur de Cent ans de solitude (1967), de Chronique d’une mort annoncée (1981) et a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1982. Il a écrit l’Amour aux temps du choléra en 1985. (Source : Wikipedia)

Résumé de l’intrigue initiale :

Le riche docteur Juvenal Urbino et son épouse Fermina Daza sont mariés depuis plus de cinquante ans et, comme tous les couples, ils ont traversé de multiples déconvenues, des crises et des épreuves, mais cela ne les a pas empêchés de rester ensemble. Ils sont maintenant vieux. Mais ils ignorent tous les deux que le premier prétendant de Fermina Daza, celui avec qui elle avait entretenu, bien avant son mariage, plusieurs années de correspondance passionnée, Florentino Ariza, attend qu’elle devienne veuve depuis toutes ces cinquante années car il espère encore de toutes ses forces pouvoir la conquérir et vivre avec elle la relation amoureuse dont il n’a cessé de rêver.

Mon humble Avis :

Je connaissais déjà un peu l’œuvre de Gabriel Garcia-Marquez et je n’étais pas sûre de vraiment l’apprécier. Ainsi, j’avais laissé tomber Cent ans de Solitude à la moitié, parce que je n’arrivais plus à différencier tous les personnages homonymes, après avoir adoré les premiers chapitres. Et puis Chronique d’une mort annoncée m’avait passablement ennuyée. J’étais donc prudente en commençant L’amour aux temps du choléra et je m’attendais au meilleur comme au pire.
Eh bien, ce fut une excellente surprise ! J’ai été sans cesse tenue en haleine par ce roman, doté d’un souffle et d’un style remarquables, et dont les presque cinq cents pages se dévorent rapidement.
Autour des trois personnages principaux, les figures secondaires foisonnent et sont toutes très pittoresques, intéressantes, et souvent pleines de caractère.
La sensualité occupe une bonne part du livre, et l’auteur parle de l’érotisme avec un mélange d’élégance et de précision qui possède une grande poésie et un fort pouvoir d’évocation.
L’auteur porte souvent un regard humoristique et tendre sur ses personnages, particulièrement sur Florentino Ariza qui navigue entre désespoir, libertinage, romantisme fou, et obsession, et qui mélange donc des traits de caractère très disparates voire incompatibles.
Garcia Marquez semble vouloir établir une forte opposition entre amour romantique, platonique, obsessionnel et durable et l’attirance sensuelle, purement physique, passagère et sans conséquence. Mais parfois, au cours du roman, ces deux tendances se brouillent et connaissent des intersections.
Le tableau qu’il fait du mariage et de son lot de mensonges, de coups bas et de mauvaise foi, m’a paru très finement observé et plein de véracité.
Un roman que j’ai pris énormément de plaisir à lire, et que je conseille sans hésiter !
Sans conteste, mon livre préféré de cet auteur !

Un extrait page 359

Jusqu’alors, la grande bataille qu’il avait livrée les mains nues et perdue sans gloire avait été celle de la calvitie. Depuis l’instant où il avait vu ses premiers cheveux blancs rester accrochés au peigne, il avait compris qu’il était condamné à un enfer impossible dont ceux qui ne l’ont jamais connu ne peuvent imaginer le supplice. Sa résistance dura des années. Il n’y eut ni onguent ni pommade qu’il n’essayât, ni croyance qu’il ne crût, ni sacrifice qu’il ne supportât pour défendre chaque centimètre de son crâne de la dévastation vorace. Il apprit par cœur les instructions de l’Almanach Bristol pour l’agriculture, parce qu’il avait entendu dire que la pousse des cheveux avait un rapport direct avec les cycles des récoltes. Il abandonna son coiffeur de toujours, un chauve illustre et inconnu, pour un étranger tout juste installé qui ne coupait les cheveux que lorsque la lune entrait dans son premier quartier. (…)

Ma Nuit chez Maud, d’Eric Rohmer

affiche du film

Ce film sorti en 1969 est supposé être le grand chef d’œuvre d’Eric Rohmer. Je ne l’avais pas vu jusqu’à présent et je me faisais une joie de le découvrir car j’aime bien ce réalisateur, dont je connaissais déjà plusieurs œuvres d’époques diverses.

Je n’ai pas été déçue par « Ma Nuit chez Maud » mais j’ai compris, dans une certaine mesure, les critiques qui ont pu lui être adressées, aussi bien à l’époque de sa sortie que de nos jours, c’est-à-dire le reproche d’être trop intellectuel, d’accumuler les dissertations philosophiques d’une manière artificielle et prétentieuse, en décortiquant les Pensées de Pascal, les concepts abstraits, et les notions de jansénisme, de jésuitisme, de croyances religieuses, de choix moral et de principes de fidélité.
Pour ma part, je trouve que ce film pose des  questions intéressantes, non seulement par ce qui est dit explicitement mais aussi et surtout par ce qui est montré et suggéré à travers les relations des personnages les uns avec les autres.

Commençons par une brève présentation du début de l’histoire et des personnages :

Le personnage joué par Jean-Louis Trintignant est un prof de mathématiques de 34 ans, catholique pratiquant, qui a repéré un dimanche à la messe une jeune blonde (jouée par Marie-Christine Barrault, âgée d’une vingtaine d’années) dont il a décidé, avant même de lui avoir adressé la parole, qu’elle deviendrait sa femme. Quand elle sort de l’église, elle rentre chez elle en vélo et Jean-Louis essaye de la suivre en voiture à travers la ville (Clermont-Ferrand) et dans cette course poursuite relativement lente on se demande où cet homme veut en venir exactement et s’il n’est pas un peu inquiétant. Nos craintes se dissipent lorsqu’il rencontre par hasard un ancien camarade de lycée, Vidal, perdu de vue depuis 14 ans, avec qui il exprime des convictions catholiques tandis que Vidal est un ancien communiste, donc athée. Ils parlent du Pari de Pascal, de la notion d’espérance mathématique, du besoin de parier sur des perspectives d’avenir exaltantes même si elles sont très peu probables. Vidal invite Jean-Louis le soir même chez son amie Maud (la belle Françoise Fabian), qu’il présente comme une pédiatre divorcée et athée, franc-maçonne, et cette rencontre va mettre à l’épreuve les principes moraux de Jean-Louis. Maud va être la perturbatrice qui cherchera à détourner Jean-Louis de ses principes de fidélité envers celle qu’il a décidé d’épouser et qui ne le connaît pas encore. Dilemme pour lui, donc, mais il n’est pas du style à se tourmenter pour si peu.

 

Mon humble Avis :

 

« Ma Nuit chez Maud » m’a paru peu clair dans ses intentions, et il peut prêter à de multiples interprétations et lectures différentes, voire opposées, selon le point de vue où l’on se place et les croyances qu’on a. Ce n’est d’ailleurs pas forcément un défaut, et je dirais même que cette ambiguïté du propos et des personnages contribue à la richesse, à l’intelligence et à la profondeur de ce film.
Je vous livrerai donc mon interprétation très subjective de cette histoire dont le principal ressort est d’opposer deux conceptions de la vie : celle de deux catholiques face à celle de deux athées, une opposition qui trouve son point culminant lorsque Jean-Louis est plus ou moins obligé de passer la nuit chez Maud – sous le prétexte commode d’une neige abondante et tenace, mais où l’on sent plutôt l’attirance des deux personnages l’un pour l’autre et surtout les atermoiements de Jean-Louis qui joue un rôle d’effarouché assez comique (il feint de vouloir dormir sur un fauteuil, s’enroule dans plusieurs couches d’édredons, prend des airs de sainte-nitouche offensée), tout ça pour se retrouver naturellement dans le lit de Maud quelques minutes plus tard, alors qu’il en avait probablement l’envie et l’intention dès le début.
Lecture de cette scène par un catholique : Maud est une athée, divorcée, aux mœurs très libres, et ça l’amuse de jouer les tentatrices avec un célibataire catholique un peu coincé. Elle essaye de le faire dévier de ses principes de fidélité et de morale en le séduisant. Et ce pauvre Jean-Louis, après un combat intérieur pas trop long (la chair est faible), cède devant tant de séductions. Mais il reviendra vite dans le droit chemin et retournera à ses premières intentions de mariage à l’église avec une jeune catholique bon teint pour fonder une famille heureuse où la morale sera sauve.

Lecture de cette scène par un athée : Jean-Louis affiche un catholicisme de façade mais n’est-il pas un peu hypocrite et comédien ? Quand il se drape dans son édredon, il se joue à lui-même la comédie de la vertu outragée mais c’est un peu de la tartufferie et il sait très bien qu’il finira dans le lit de Maud. Ce n’est pas un personnage honnête avec lui-même. D’ailleurs, il ment aussi à Maud en prétendant à plusieurs reprises n’avoir aucune femme dans sa vie et ne pas connaître de jeune fille blonde, alors qu’il poursuivait la jeune et blonde Françoise en voiture quelques heures plus tôt, la reluquait à la messe et se promettait d’en faire sa femme. Ne souhaite-t-il pas profiter de rencontrer Maud, cette femme belle, libre et solitaire, pour vivre une petite aventure sans lendemain et faire quelques entorses à ses grandes déclarations de principe ? Quant à Maud, elle raconte longuement à Jean-Louis les détails de son passé, et le traite comme un véritable confident, avec une grande confiance, et elle montre certainement une plus grande honnêteté et une plus grande fidélité à elle-même que son amant d’un jour.
Donc où est la morale ? Sûrement du côté de Maud, du côté de la liberté.

Un film vraiment passionnant, qui pose énormément de questions, et qu’on peut revoir plusieurs fois avec profit.

Je vous souhaite à tous une très Belle Année 2021 ! Avec plus de culture, plus de chaleur humaine et d’amitié, plus de choses essentielles pour l’esprit et une santé florissante pour vous et vos proches !
Meilleurs vœux !

Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, d’Emmanuel Mouret

affiche du film

J’aime bien Emmanuel Mouret et j’ai eu très envie de découvrir son dernier opus : Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, sorti en salles en septembre 2020.
Je connaissais déjà le style de ses films, basés sur l’exploration du sentiment amoureux et, surtout, sur l’infidélité et les problèmes moraux que ça peut entraîner, jalousies, culpabilités, rivalités, trompeurs trompés, pieux mensonges et omissions embarrassées.
On retrouve tout cela dans ce film d’Emmanuel Mouret, mais en quantité excessive et quasiment jusqu’à saturation.

Evoquons d’abord la trame principale de cette histoire extrêmement compliquée, pour ne pas dire un peu difficile à suivre :

Maxime (Niels Schneider) est un jeune homme qui veut devenir romancier mais qui se cherche. Il va passer quelques jours dans le Sud de la France, chez son cousin François (Vincent Macaigne) et la femme de celui-ci, Daphné (Camélia Jordana), que Maxime ne connait pas encore et qui est enceinte de trois mois. Comme par hasard, le cousin est absent pour des motifs professionnels et Maxime se retrouve donc quelques jours en tête à tête avec Daphné. Pour briser la glace et faire connaissance, ils n’imaginent rien de mieux que de se raconter leurs histoires d’amour passées, chacun à son tour va donc développer de multiples histoires de couples et d’infidélités qui s’entrecroisent et se recoupent. Leurs récits à l’un et à l’autre constituent le propos du film.

Mon humble avis :

Pendant les heures qui ont suivi mon visionnage de ce film, je cherchais une explication à son titre, qui me paraissait pour le moins obscur. Quelles sont donc ces choses qu’on dit et qu’on ne fait pas (ou vice versa) ? Au début de ma réflexion, il me semblait au contraire que les personnages étaient très transparents, racontant leurs amours, leurs trahisons et leurs infidélités avec une franchise étonnante, même à une personne qu’ils ne connaissaient pas du tout. Et puis il m’a ensuite semblé que les personnages parlaient beaucoup d’amour, de sentiments, d’épineux problèmes de conscience alors que, dans les faits, il n’était jamais question entre eux que de désirs physiques à assouvir au plus vite. Ce sont en fait des purs jouisseurs qui se donnent des airs romantiques et une façade sentimentale pour justifier à leurs yeux et aux yeux des autres leurs coups de canifs réitérés dans leurs relations de couple.
Autour du thème central et unique de l’adultère, Emmanuel Mouret développe toute une suite de variations et de figures possibles, où le trompeur devient le trompé, où les femmes délaissées se changent en séductrices puis en maîtresses, ou le bon copain qui tient la chandelle devient l’heureux amant puis l’humilié, etc.
J’ai parfois ressenti une certaine lassitude devant l’accumulation des figures amoureuses, comme devant des géométries un peu trop symétriques et un chouïa invraisemblables.
L’utilisation de la musique romantique (Chopin, Schubert, Satie, Debussy, et Samuel Barber en guise de cerise sur le gâteau) à un volume sonore puissant, destinée à surligner lourdement les moments d’émotions et de pathos et les yeux larmoyants de Camélia Jordana, m’ont paru assez destructeurs d’émotions et pour tout dire ratés.
Sinon, j’ai bien aimé les décors très raffinés (coins de nature, architectures, exposition de minéraux, appartements parisiens luxueux, etc.) et les images sont souvent très belles, la lumière, les ombres, les corps de femmes joliment mis en valeur.
Un film que j’ai trouvé plutôt agréable au moment où je le voyais mais qui, en y repensant plus tard, ne laisse pas un souvenir très convaincant.
J’avais trouvé Mademoiselle de Joncquières, du même réalisateur, beaucoup plus réussi, et plein d’un humour et d’une pertinence qui, ici, font défaut.

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Un jour de Pluie à New York, de Woody Allen

J’ai hésité à aller voir ce film à sa sortie en salles en automne 2019, malgré les critiques élogieuses qui pleuvaient de toutes parts, j’ai eu peur d’être déçue, aux vues des dernières oeuvres du cinéaste américain.
Finalement, je l’ai vu en DVD et j’en ressors déçue et affligée, avec la sensation toujours plus marquée d’un cinéaste qui recycle ses vieilles idées et n’en tire rien de neuf, au point de se caricaturer lui-même.

Mais précisons d’abord la situation de départ de cette histoire rocambolesque :

Gatsby (Timothée Chalamet) est un petit étudiant très cultivé et brillant, en couple avec une petite étudiante prénommée Ashleigh (Elle Fanning), un peu naïve et hystérique, aux ambitions journalistiques très élevées. Mais un jour, Ashleigh a l’opportunité d’interviewer un grand cinéaste à New York, et le petit couple décide de profiter de cette occasion pour y passer un week-end en amoureux dès que l’interview sera finie. Occasion d’autant plus séduisante pour Gatsby qu’il est originaire de New York et qu’il y connaît beaucoup de monde. Mais les deux amoureux vont se retrouver embarqués chacun de leur côté dans des aventures et des jeux de séductions qu’ils n’avaient pas prévus. (…)

Mon humble Avis :

J’ai du respect pour Woody Allen et j’ai adoré beaucoup de ses anciens films (surtout ceux des années 80 et 90) mais il semble que l’inspiration du cinéaste s’épuise depuis quelques années dans des redites et des stéréotypes.
Pourtant, on retrouve dans ce film quelques unes des grandes spécialités du Woody de la meilleure époque – tous les ingrédients qui ont fait son succès et qui sont devenus en quelque sorte sa marque de fabrique : un milieu social richissime et raffiné, des petits airs de jazz mélancoliques, des personnages cultivés aux discussions hautement intellectuelles (ou prétendues telles), la ville de New York qu’il connait et apprécie plus que tout, des chassés croisés amoureux, du marivaudage à l’américaine, des intellectuels ou artistes traversant des crises de doutes existentiels, des visites de lieux touristiques prestigieux (musées, parcs, palaces), des balades en amoureux sous la pluie où l’un des deux remarque à quel point « c’est romantique », etcetera !
Chacun de ces éléments a été vu, revu, re-revu, et devient davantage qu’un clin d’oeil : un genre de tic, une manie qui n’est plus porteuse de beaucoup de sens, qui ne cherche plus à approfondir aucune réflexion.
Les dialogues sont nettement moins brillants que ceux des anciens films du réalisateur, moins drôles, moins spirituels, et cherchent surtout à nous épater par l’étalage de références livresques (on nous cite Shakespeare, des écrivains français mineurs du 19è siècle, des noms de peintres américains du siècle dernier, Basquiat et tutti quanti) alors que ces citations tombent là sans rime ni raison, et débitées à un rythme de mitraillette qui empêche d’en profiter pleinement ou, au moins, de réfléchir à leur pertinence.
La psychologie des personnages n’est pas non plus très creusée, elle répète là encore des stéréotypes et ne nous émeut à aucun moment.
Un film dispensable et sans doute très oubliable !

Wonder Wheel de Woody Allen

affiche du film

Je viens de regarder le film Wonder Wheel de Woody Allen, qui date de 2017, et que je n’avais pas vu à sa sortie. J’en sors avec une impression très mitigée car ce film me semble concentrer quelques grandes qualités et beaucoup de gros défauts également.

Mais venons-en tout de suite au début de l’histoire :
Nous sommes dans les années 50, à Coney Island. Ginny (Kate Winslet) est une femme de bientôt quarante ans, qui a abandonné dans sa jeunesse une carrière d’actrice et un mariage heureux pour se remarier avec un forain, Humpty (James Belushi), manutentionnaire dans un parc d’attractions, plus âgé qu’elle et amateur de pêche à la ligne. Ginny gagne sa vie comme serveuse dans un restaurant de fruits de mer bon marché et rêve naturellement d’une existence et d’une carrière plus exaltantes. Elle rencontre bientôt un jeune surveillant de baignade, dramaturge à ses heures, Mickey (Justin Timberlake) et entame une liaison avec lui, en cachette de son mari. Le jeune couple passe des moments torrides et romantiques sur la plage et Ginny, très amoureuse de son amant, voit en lui l’occasion de fuir sa vie actuelle, d’échapper à son mari brutal et à son boulot ingrat. Mais Mickey ne voit pas tout à fait les choses de cette façon. (…)

Mon Avis :

On retrouve dans ce film des tas de situations déjà vues dans ses autres oeuvres. La serveuse insatisfaite, rêvant d’une vie meilleure, était déjà présente dans « La rose pourpre du Caire » il y a plus de trente ans, et Woody Allen tirait un bien meilleur parti de cette situation de départ.
Bien sûr, Ginny ressemble beaucoup à l’héroïne de Blue Jasmine : elle aussi est une déclassée, un peu névrosée, une femme lunatique qui boit, ment, trompe et se trompe, et qui rêve de retrouver la classe sociale supérieure où elle a été tellement heureuse.
Déjà, dans Blue Jasmine, les classes sociales étaient dépeintes de manière stéréotypée et caricaturale mais le personnage de la sœur, qui campait une caissière pauvre assez fine et sympathique, nuançait un peu le propos. Dans Wonder Wheel, le mari prolétaire reste une grosse brute pas très fûtée, cantonné à un rôle secondaire que le cinéaste ne cherche jamais à rendre émouvant.
Le seul personnage qui paraisse vraiment creusé psychologiquement, c’est celui de Ginny et il faut noter la performance d’actrice de Kate Winslet, qui est tout à fait remarquable, et qui ne semble pas vraiment jouer dans le même film que ses partenaires, très superficiellement décrits et auxquels on ne croit pas vraiment.
Le symbolisme de la roue (La grande roue du parc d’attraction) que l’on retrouve dans le titre et dans le caractère lunatique de Ginny, est encore accentué par des jeux d’éclairages colorés qui se reflètent sur le visage de Kate Winslet pendant qu’elle parle, tantôt d’une couleur chaude orangée, tantôt d’une couleur froide gris-bleu, et si cet effet m’a paru intéressant au départ, j’ai trouvé qu’il devenait un peu trop répétitif et systématique, voulant souligner l’ambivalence du personnage.
Un film où Woody Allen ne parvient pas à se renouveler, mais d’une qualité honnête, et pas désagréable à regarder !

une scène du film

Un baiser s’il vous plait, d’Emmanuel Mouret

Voici un film français d’Emmanuel Mouret, qui date de 2007, et que j’ai vu pour la première fois en DVD il y a quelques jours.

Synopsis du début :

En déplacement pour un soir à Nantes, Emilie (Julie Gayet) rencontre Gabriel (Mickael Cohen). Séduits l’un par l’autre, mais ayant déjà chacun une vie, ils savent qu’ils ne se reverront sans doute jamais.
Il aimerait l’embrasser. Elle aussi, mais une histoire l’en empêche : celle d’une femme mariée (Judith, Virginie Le Doyen) et de son meilleur ami (Nicolas, Emmanuel Mouret) surpris par les effets d’un baiser.
Un baiser qui aurait dû être sans conséquences…

(Source du Synopsis : Allociné)

Mon humble avis :

C’est un film qui me semble rejoindre une certaine tradition du cinéma français, dans la lignée par exemple de Rohmer, avec des chassés-croisés amoureux soutenus par des dialogues très littéraires, qui cherchent à nous amuser et surtout à nous faire réfléchir – et qui, du reste, y parviennent.
La sensualité est présente de bout en bout, mais elle reste très intellectuelle et il faut parler durant de longues heures avant de se mettre d’accord sur les modalités précises de l’échange d’un simple baiser.
Le but du film est d’ailleurs de nous expliquer qu’un baiser n’est absolument pas simple, qu’il ne peut être donné à la légère, qu’il est infiniment dangereux et inflammable, comme les produits chimiques que Judith (Virginie Ledoyen) ne cesse de manipuler dans son laboratoire.
Le désir est dangereux parce qu’il peut susciter l’amour et que l’amour adultère risque de faire du mal aux amours légitimes. Tout cela est finalement très moral mais le ton décalé et ironique de la mise en scène donne une atmosphère légère et très « second degré ».
Au fur et à mesure qu’on avance dans le film, et avec l’apparition du personnage de Claudio ( le mari de Judith, Stefano Accorsi) le film gagne en épaisseur et devient vraiment très touchant, avec le face-à-face entre ce personnage et Frédérique Bel que j’ai trouvée également excellente.
Un film que j’ai trouvé charmant et délicat, mais qui déplaira aux adeptes de cinéma plus « musclé » ou aux contempteurs des marivaudages sensuels.

Une Vie, de Maupassant

J’ai lu ce roman de Maupassant, un classique du naturalisme datant de 1883, parce qu’il dormait dans ma bibliothèque depuis plusieurs années et qu’il était largement temps que je m’y intéresse.
Il s’agit du tout premier roman de Maupassant, et on sent déjà une maîtrise de l’écriture et de la construction romanesque tout à fait impressionnantes.
Maupassant s’est visiblement inspiré de Madame Bovary et d’Un cœur simple de Flaubert pour imaginer l’histoire de cette femme malheureuse en ménage, incomprise.
L’héroïne, Jeanne, est au début du livre une jeune fille naïve et pure tout juste sortie du couvent. Elle revient vivre avec ses parents, un couple généreux et plein de bonté, et elle se perd dans des rêveries sentimentales d’amour, de mariage, de bonheur. Dès la première rencontre avec un homme du voisinage, Julien de Lamare, elle commence à s’émouvoir et s’apprête à se laisser conquérir, d’autant que le jeune homme lui montre de l’intérêt. Au bout de quelques semaines ils sont déjà fiancés, puis mariés, alors qu’ils se connaissent finalement très mal. Jeanne ne tarde pas à s’apercevoir de son erreur : son mari est brutal, cupide, infidèle. Mal mariée, elle ne cherche désormais le bonheur que dans son rôle de mère mais son fils, Paul, surnommé Poulet, lui apportera également de nombreux soucis.
Ce roman aborde de très nombreux thèmes mais le principal est certainement la condition des femmes au 19ème siècle : maintenues dans l’ignorance jusqu’au mariage, elles n’ont pas la possibilité de prendre en main leur destinée ou de faire des choix éclairés et sont soumises toute leur vie au bon vouloir de leur mari – ou à leur mauvaise volonté.
Le rôle néfaste des prêtres dans la vie de Jeanne est aussi tout à fait intéressant : qu’il s’agisse du prêtre indulgent, coulant avec les faiblesses des hommes, ou de son successeur, un rigoriste extrémiste, aucun des deux ne donne à Jeanne les moyens de se défendre et ils l’accableraient plutôt qu’autre chose.

Il m’a semblé par moments noter certaines ressemblances avec des idées de Proust – par exemple les intermittences du cœur – aussi je suppose que Proust a pu s’inspirer de certains passages.

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Extrait page 69

Ils ne savaient que dire, que faire, n’osant même pas se regarder à cette heure sérieuse et décisive d’où dépend l’intime bonheur de toute la vie.
Il sentait vaguement peut-être quel danger offre cette bataille, et quelle souple possession de soi, quelle rusée tendresse il faut pour ne froisser aucune des subtiles pudeurs, des infinies délicatesses d’une âme virginale et nourrie de rêves.
Alors, doucement, il lui prit la main qu’il baisa et, s’agenouillant auprès du lit comme devant un autel, il murmura d’une voix aussi légère qu’un souffle : « Voudrez-vous m’aimer ? » Elle, rassurée tout à coup, souleva sur l’oreiller sa tête ennuagée de dentelles, et elle sourit : « Je vous aime déjà, mon ami ».
Il mit en sa bouche les petits doigts fins de sa femme, et la voix changée par ce bâillon de chair :  » Voulez-vous me prouver que vous m’aimez ? »
Elle répondit, troublée de nouveau, sans bien comprendre ce qu’elle disait, sous le souvenir des paroles de son père :  » Je suis à vous, mon ami. »
Il couvrit son poignet de baisers mouillés, et, se redressant lentement, il approchait de son visage qu’elle recommençait à cacher.(…)

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