Des Poèmes de Baudelaire sur le voyage

Portrait de Baudelaire

Comme je consacre ce mois de janvier au thème du voyage, je ne pouvais pas passer à côté de Baudelaire (1821-1867) puisque plusieurs poèmes très célèbres des Fleurs du Mal évoquent ce sujet.
Le poète de Spleen et Idéal avait en effet voyagé entre juin 1841 et février 1842, âgé de vingt ans. Embarqué sur le Paquebot des mers du sud à destination des Indes, un naufrage près des Îles Mascareignes (la Réunion et l’Île Maurice) incite le jeune Baudelaire à retourner en France. Il garde de ce périple un grand attrait pour l’exotisme et les pays lointains.
J’aurais pu choisir L’Invitation au Voyage ou Parfum Exotique ou A une Dame créole ou même L’Albatros pour illustrer mon propos, mais j’ai finalement opté pour le moins célèbre Bohémiens en voyage et pour la première partie du long et beau poème Le Voyage (qui comporte en fait quatre parties).

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Le Voyage

I

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !

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Bohémiens en voyage


La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

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20 réflexions sur “Des Poèmes de Baudelaire sur le voyage

  1. Ana-Cristina

    Bonjour Marie-Anne,
    Ah oui ces poèmes nous sont si familiers, même à moi qui ne suis pourtant pas une (grande) lectrice de poésie. Pour moi, ils recèlent comme une évidence poétique c’est-à-dire qu’ils ont cette beauté qui ne se discute pas, qui juste s’admire, qui « trône dans l’azur comme un sphinx incompris ».
    Bon voyage à tous ! « Allons ! »
    Bien amicalement

    1. Bonjour Ana-Cristina,
      Tu as sans doute, comme moi, étudié « Les Fleurs du mal » au lycée… je trouve que c’est une découverte marquante à l’âge de 17-18 ans, une lecture dont on se souvient pour la vie. Peut-être que certains de ces poèmes se sont imposés à nos yeux comme des modèles indépassables… des références auxquelles on revient toujours, même si la poésie a beaucoup évolué après Baudelaire.
      Bonne soirée ! Bien amicalement.

  2. Agréable de lire de la poésie à nouveau (je n’en lis plus et je devrais y remédier…). Merci Marie-Anne pour ces deux poèmes de Baudelaire et tu as eu raison de nous partager des méconnus.
    Doux après-midi.

    1. Merci Eléonore d’avoir apprécié ces poèmes ! Ca m’arrive assez rarement de relire Baudelaire mais je l’aime toujours autant que dans ma jeunesse et c’est agréable d’y revenir. Belle soirée à toi !

  3. Michel.B

    Toujours plaisir de retrouver ce cher Baudelaire !… Dans le premier poème, j’aime bien la distinction qu’il fait entre les voyageurs qui fuient et les aventuriers (« les vrais voyageurs »).

    1. Bonsoir Michel, en effet, c’est une distinction intéressante ! Mais peut-être que la frontière n’est pas si étanche que cela entre ces deux types de voyages… peut-être que certains commencent par fuir et finissent en « vrais voyageurs » ? Merci de votre commentaire, bonne soirée 🙂

    1. Bonsoir Prince. Rimbaud a beaucoup plus voyagé que Baudelaire, c’est vrai ! Mais j’ai l’impression qu’il avait arrêté d’écrire à l’époque de ses voyages, en particulier en Afrique… J’aurais pu faire un article sur « le Bateau ivre » ou sur les « villes » de ses Illuminations mais je n’y ai pas pensé… peut-être une prochaine fois 🙂
      Merci beaucoup de ton commentaire, bonne soirée !

      1. Je rêve de faire « le Bateau ivre » mis en musique à ma façon tellement ce poème est porteur d’images (et de couleurs), mais 25 quatrains, ça fait un peu long par rapport au format de mes billets habituels ! 🙂

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