Un Poème d’Ingeborg Bachmann sur le Voyage

Couverture chez Gallimard

J’ai trouvé ce poème dans le recueil « Toute personne qui tombe a des ailes » publié chez Poésie/Gallimard.

Note sur la Poète

Ingeborg Bachmann (1926-1973) naît en Autriche près des frontières suisse et italienne. Son père, professeur, adhère au parti nazi hitlérien dès 1932. Elle fait des études de germanistique et de philosophie à Vienne et obtient son doctorat en 1950. Elle rencontre Paul Celan en 1948 et ils s’influencent mutuellement sur le plan littéraire. A partir de 1952, elle adhère au Groupe 47 qui réunit des écrivains allemands désireux de rompre avec la période du nazisme et de renouveler profondément la littérature. Son premier recueil poétique « Le temps en sursis » lui apporte une grande renommée. Elle publie par la suite des nouvelles, un roman (« Malina », 1971), un autre recueil poétique (« Invocation de la grande ourse », en 1956). Elle meurt dans un incendie accidentel à l’âge de quarante-six ans seulement. Ayant laissé un grand nombre d’écrits inédits, son œuvre est encore en cours d’exploration.

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Page 115
(Extrait de « Poèmes de 1948-1953« )

Le monde est vaste et nombreux sont les chemins de pays en pays,
je les ai tous connus, ainsi que les lieux-dits,
de toutes les tours j’ai vu des villes,
les êtres qui viendront et qui déjà s’en vont.
Vastes étaient les champs de soleil et de neige,
entre rails et rues, entre montagne et mer.
Et la bouche du monde était vaste et pleine de voix à mon oreille
elle prescrivait, de nuit encore, les chants de la diversité.
D’un trait je bus le vin de cinq gobelets,
quatre vents dans leur maison changeante sèchent mes
cheveux mouillés.

Le voyage est fini,
pourtant je n’en ai fini de rien,
chaque lieu m’a pris un fragment de mon amour,
chaque lumière m’a consumé un œil,
à chaque ombre se sont déchirés mes atours.

Le voyage est fini.
A chaque lointain je suis encore enchaînée,
pourtant aucun oiseau ne m’a fait franchir les frontières
pour me sauver, aucune eau, coulant vers l’estuaire,
n’entraîne mon visage, qui regarde vers le bas,
n’entraîne mon sommeil, qui ne veut pas voyager…
Je sais le monde plus proche et silencieux.

(…)

16 réflexions sur “Un Poème d’Ingeborg Bachmann sur le Voyage

      1. Bonjour Jean Marc. C’est également ce que j’ai perçu à travers ce poème. Une grande douleur et une sensation d’insatisfaction par rapport aux voyages. La douleur du retour chez soi. Merci beaucoup de votre commentaire et très bon week-end!

  1. Ana-Cristina

    Chère Marie-Anne,
    Je suis heureuse de retrouver Ingebord Bachmann.
    C’est bien un des privilèges de poète de pouvoir voyager partout. C’ en est un autre de sentir intensément (douloureusement) son  enchaînement  à soi.
    Affectueusement,
    Ana-Cristina

    1. Bonjour Ana Cristina. Je ressens comme toi une grande douleur à travers ce poème. La douleur du retour. Je crois d’ailleurs que le mot « nostalgie » veut dire littéralement « douleur du retour ». Alors que de nos jours on parle plus volontiers de la douleur du départ. Merci beaucoup de ton commentaire et très bon week-end à toi 🙂

    1. Bonjour Pat, je suis tout à fait d’accord avec toi ! Même si on ne parcourt pas des centaines de kilomètres, on peut trouver des motifs d’émerveillement et de dépaysement à portée de main. Il suffit d’avoir l’esprit en éveil. Ce qui n’est pas toujours facile. Merci beaucoup de ton commentaire et très bon week-end à toi 🙂

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