Bilan du « Printemps des Artistes » d’avril à juin 2022

J’étais contente de reconduire « le Printemps des artistes » pour la deuxième année consécutive car ce fut l’occasion de belles découvertes littéraires, musicales, picturales, poétiques, et de toutes sortes d’arts du spectacle (danse, théâtre) ou d’autres arts plastiques (sculpture). Et je m’aperçois que les arts ont inspiré énormément d’écrivains et de poètes, dans une sorte de dialogue esthétique et de correspondances entre les sensations, les perceptions.
Je pense donc rééditer ce défi de lecture en 2023 et si cela vous dit de participer, je serai ravie.

Un grand merci à Claude du blog « livres d’un jour » car elle a participé à ce défi avec un très grand nombre d’articles variés et passionnants, que je récapitule ici :

Le Sonnet des Voyelles de Rimbaud : Couleurs, sons et images réunis par la poésie.
Le Rouge en Poésie : Des poèmes de Desnos et d’Aragon sur la couleur rouge et une citation de Michel Pastoureau sur cette couleur.
Ravel de Jean Echenoz (que j’ai également chroniqué, voir ci-dessous)
Poésie et Arts Plastiques : un article sur les relations entre poésie et arts plastiques, avec en particulier des Calligrammes d’Apollinaire
Baudelaire, la poésie, l’écriture et les arts : Un article sur Baudelaire critique d’art.
La Perruche et la sirène, de Véronique Massenot et Vanessa Hié : Un album graphique inspiré de Matisse.
Sculpture et Peinture en Poésie, de Louis Fontas : Poème.
A une tulipe, de François Coppée : Poème où il est question de peinture hollandaise et de Velasquez
La danse de nuit, de Marceline Desbordes-Valmore : Poème sur la danse
A Mains nues de Leïla Slimani et Clément Oubrerie : Bande Dessinée.
La Symphonie des Couleurs, de Ludivine Degryse – Poème rimé sur les couleurs
En Apesanteur de Karine Langlois, Roman sur les arts du spectacle (cabaret, chant)
Musique sur l’eau, d’Albert Samain, Poème symboliste sur la musique

Un grand merci à Patrice et Eva du blog « Et si on bouquinait un peu » qui ont chacun contribué à ce défi avec d’excellents et intéressants articles, que je vous invite également à lire :

Le Roman de Monsieur de Molière, de Mikhaïl Boulgakov : Biographie romancée de Molière, par le célèbre écrivain russe. Une chronique de Patrice.
Le Dernier Mouvement, de Robert Seethaler : Court roman autrichien sur la vie de Gustav Mahler. Une chronique d’Eva.
Richard W. de Vincent Borel : Biographie romancée de Richard Wagner. Chronique de Patrice.
Zsolt Harsanyi – La Vie de Liszt est un roman : Biographie de Liszt par un auteur hongrois du 20ème siècle, Coup de Coeur de Patrice.
La Contrebasse de Patrick Süskind : Livre dont le héros est un musicien d’orchestre amoureux d’une soprano et où il est beaucoup question de musique, d’instruments, de compositeurs classiques,… Chronique d’Eva.

Un grand merci à Nathalie du blog « Madame lit » qui a participé également, avec trois articles très alléchants, qui donnent envie de découvrir ces auteurs :

Les Ombres blanches de Dominique Fortier : Roman biographique sur la célèbre poète américaine Emily Dickinson.
A une amie dont l’œuvre est infertile, Poème de Yeats.
Le Temps qui m’a manqué de Gabrielle Roy : Autobiographie d’une grande écrivaine québécoise du 20ème siècle.

Un très grand merci également à Fabienne du blog « LivrEscapades » qui a participé avec le célèbre roman biographique sur Vermeer de Delft :

Tracy Chevalier : La Jeune Fille à la Perle. Sur le fameux peintre hollandais du 17è siècle et la jeune servante qui fut son modèle.

Et voici enfin un petit récapitulatif de mes articles :

Le Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan : Film ayant pour héros un jeune écrivain turc, en quête de reconnaissance.
Un Poème de François de Cornière sur la chanteuse Amy Winehouse
Ravel de Jean Echenoz : Biographie romancée du compositeur Maurice Ravel.
Les Jardins statuaires de Jacques Abeille : Roman fantastique autour du thème des statues et de la sculpture au sens large.
Rien n’est noir de Claire Berest : Roman biographique sur Frida Kahlo.
Des Poèmes de Jean-Claude Tardif sur la couleur noire
Des Poèmes de Cees Nooteboom sur des tableaux expressionnistes de Paula Modersohn-Becker.
Joseph Karma de Denis Hamel : roman d’autofiction sur un poète contemporain.
Des Poèmes de Silvaine Arabo sur le peintre Nicolas de Staël
Martin Eden de Jack London, roman sur un jeune écrivain et ses débuts difficiles
Les Illusions Perdues de Balzac : roman sur l’ascension sociale d’un jeune écrivain ambitieux dans le Paris du 19ème siècle.
Des Poèmes de Françoise Ascal sur le peintre Matthias Grünewald – poésie contemporaine
Des Poèmes d’Albertine Benedetto sur des musiques de Reynaldo Hahn et de Rameau – poésie contemporaine
Les Illusions Perdues de Xavier Giannoli – Adaptation cinématographique de Balzac (cf. ci-dessus).
Des Poèmes de Marie-Claire Bancquart sur Matthias Grünewald et sur Manet – poésie contemporaine
Mort à Venise de Thomas Mann : Court roman sur la déchéance et la mort d’un écrivain.
Maîtres Anciens de Thomas Bernhard : Roman qui se déroule dans un musée et qui parle d’art et du milieu artistique.
Le Hibou et la baleine de Patricia Plattner – Film sur l’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier (interview)

**

Si jamais j’ai oublié de noter une de vos participations à ce défi, n’hésitez pas à me le signaler, je corrigerai !




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Les Jardins statuaires de Jacques Abeille

Couverture chez Attila

Dans le cadre de mon Printemps des artistes, j’ai lu ce livre français fantastique, très réputé, où il est beaucoup question de statues – de statues non pas sculptées par la main humaine mais de statues cultivées par des jardiniers : des pierres qui poussent directement, de la terre, sous une forme figurative.
Une semaine après avoir commencé ce roman, j’ai appris que Jacques Abeille venait juste de mourir, la veille, le 23 janvier, et ça a posé sur ma lecture une teinte funèbre, particulière.

Note sur l’écrivain

Jacques Abeille (1942-2022) fut influencé par le surréalisme, auquel il a participé dans les années 60-70. Son œuvre la plus réputée est Le Cycle des Contrées, qui débute par Les Jardins statuaires. Il écrivit également des poésies, des nouvelles et de la littérature érotique. Ecrivain de l’Imaginaire pur, il récusait les notions de vraisemblance, d’engagement politique ou d’autofiction pour la littérature.

Quatrième de Couverture

Que dire d’une œuvre si ample qu’elle échappe aux catégories littéraires ? Les Jardins statuaires, c’est à la fois une fable, un roman d’aventure, un récit de voyage, un conte philosophique. A une époque indéterminée, un voyageur découvre un monde mystérieux où, dans des domaines protégés par de vastes enceintes, les hommes cultivent des statues… Nourri à la lecture des surréalistes, mais aussi des romans populaires, Jacques Abeille a créé une œuvre qui rejoint celles de Mervyn Peake, de Julien Gracq, de Tolkien, mais dont le destin dessine une légende noire : tapuscrit égaré, faillites d’éditeurs, incendies et malchances ont concouru pendant trente ans à l’occultation de ce roman sans équivalent dans la littérature française.

Mon avis très subjectif

Les cent ou cent-cinquante premières pages ont été pour moi très agréables à lire, et j’étais vraiment enchantée (au sens premier du mot) et transportée dans ce pays étranger des Jardins statuaires, que le personnage principal découvre en même temps que nous et dont il nous donne la description au fur et à mesure qu’il rencontre de nouveaux personnages, qu’il discute avec eux et qu’il observe les choses, les gens et les modes de vie – avec tous les rituels très spécifiques qui sont liés à la culture des statues.
Seulement, cette impression positive s’est ensuite gâtée, par une sorte de lassitude liée à la fois au style de l’écrivain (des tournures de phrases peu variées, des imparfaits du subjonctif à foison, une certaine préciosité ou disons un maniérisme dans le vocabulaire qui finit par agacer) mais aussi un manque de psychologie des personnages (les hommes se ressemblent tous, s’expriment tous de la même façon, ont les mêmes genres de réactions, etc.) et pour les personnages féminins c’est encore pire car elles ne sont là que pour assouvir les pulsions sexuelles de notre héros-voyageur et les scènes de leur brusque apparition dans le paysage sont assez grotesques et involontairement comiques, comme des gros clichés fantasmatiques, qui pourraient être issus d’on ne sait quelle vieille BD de fantasy pour ado.
Bien sûr, j’ai continué au cours de ma lecture à apprécier certains passages réussis, surtout des descriptions de paysages imaginaires et fantastiques, mais j’étais peu intéressée par ces personnages sans âme, et puis le héros-voyageur et ses discussions filandreuses et sentencieuses m’ont sérieusement tapé sur le système, en fin de compte.
Bref, une lecture moyennement recommandable – à la rigueur pour les fanatiques de fantasy, ou pour les curieux qui veulent découvrir par eux-mêmes de quoi il retourne.

Un Extrait page 84

-Et les nymphes ? Et les éphèbes ? demandai-je.
-Il s’agit dans ce cas d’un tout autre terrain. Le domaine des nymphes aquatiques et lascives se trouve au centre d’une zone où la pierre affecte des formes ondoyantes, sinueuses, des courbes languides et pleines. Un corps de femme abandonné ou pour mieux dire livré, telle est l’image qui s’impose le plus fréquemment.
-Pardonnez mon insistance, mais je ne puis cacher que je suis surpris de trouver en un monde où l’on est si secret sur tout ce qui touche aux femmes une zone où on se spécialise presque dans la représentation de leurs abandons les plus intimes.
Il parut un peu déconcerté par ma remarque, mais voulut faire face.
-Vous savez, me dit-il, de l’image à la réalité…
-Certainement, certainement, mais je ne serais pas surpris si vous m’appreniez que dans le domaine des nymphes se rencontrent les hommes les plus jaloux et les femmes les plus secrètes.
Sa surprise allait grandissant.
-En effet, ce domaine a bien cette réputation et je crois qu’il ne l’usurpe pas. Mais qu’est-ce donc qui vous a permis de déduire si vite…?
-J’ai pensé simplement que tôt ou tard les hommes, et les femmes, à leur tour devenaient les images de leurs images. Images perturbées, inversées même parfois, mais n’ayant pas un degré de réalité supérieure.
-Ah, s’écria-t-il, vous voilà donc revenant à votre perpétuelle métaphysique ! Mais vous êtes Byzance à vous tout seul !
(…)


Ce roman illustrait le thème de la sculpture pour mon printemps des artistes, un art dont je n’avais encore pas parlé ici.

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Marcher jusqu’au Soir de Lydie Salvayre

couverture du livre

J’ai lu ce livre dans le cadre de mon défi « le Printemps des Artistes » d’avril et mai 2021. En réalité, j’avais déjà acheté cet ouvrage bien avant l’invention de ce thème, mais il s’est trouvé que les deux pouvaient coïncider.

J’aime beaucoup Lydie Salvayre (née en 1948, Prix Goncourt en 2014 pour son roman Pas Pleurer), ayant lu déjà trois ou quatre de ses livres, et celui-ci, sur le thème de l’art et des artistes, me paraissait très attirant.

De quoi s’agit-il dans cet essai ?

Lydie Salvayre reçoit une curieuse proposition d’une de ses amies (ou relations) : elle pourrait passer une nuit enfermée au Musée Picasso, à Paris, absolument seule avec un lit de camp, un ordinateur et de quoi écrire ses impressions littéraires sur cette expérience artistique insolite. Elle resterait dans ce musée jusqu’au matin, pendant que se déroule l’exposition Picasso-Giacometti qui confronte les sculptures des deux célèbres artistes du 20è siècle. La réaction de Lydie Salvayre vis-à-vis de cette proposition est d’abord très négative mais à force d’avancer des arguments hostiles elle finit par se convaincre elle-même d’accepter cette expérience, avec un esprit d’autocontradiction assez amusant.
Elle passe donc une nuit à errer entre les sculptures et à regarder L’homme qui marche sous toutes ses coutures mais ce sont de longues heures douloureuses, où la peur le dispute à la colère et à des désirs de fuite, de rejet, de souvenirs d’enfance pleins de tristesse ou de révolte.

Mon humble avis :

Ce livre est une rencontre intime entre une écrivaine et les œuvres de Giacometti, particulièrement L’Homme qui marche mais, aussi, accessoirement, avec la sculpture du chien ou les nombreux portraits de Diego, ou certaines autres.
Lydie Salvayre se plaint de ne rien éprouver vis-à-vis de ces œuvres, de ne pas avoir la fibre artistique, alors que visiblement elle est prise dans ce Musée par un véritable tourbillon émotionnel (très négatif) qui la renvoie à des souvenirs d’enfance, à la violence et à la folie de son père, à des frayeurs très anciennes.
Cette expérience nocturne la renvoie aussi à ses origines sociales, à certaines humiliations éprouvées à l’âge adulte, des sensations de honte ou au contraire de révolte.
Elle considère que l’art est une chose bourgeoise, réservée aux riches, un signe de reconnaissance entre eux, une manière d’exclure ceux qui n’en possèdent pas les codes. Et précisément, elle se sent exclue de ce monde.
Je ne sais pas si j’ai été tellement convaincue par tous ces arguments (qu’on retrouve d’ailleurs chez des tas d’autres écrivains, d’Albert Cohen à Annie Ernaux, et bien d’autres). Selon moi, l’art est une des activités caractéristiques de l’être humain et toutes les sociétés, des plus riches aux plus pauvres, l’ont pratiqué… Et puis, beaucoup d’artistes ont été ou sont pauvres. Mais passons.
En tout cas, ce livre est bien écrit et possède une énergie, une fougue qui est agréable à suivre. Par ailleurs, on sent la sincérité de Lydie Salvayre et son emportement m’a revigorée. Et puis, elle écrit de très belles pages sur Giacometti et sa recherche impossible de la perfection, son goût de la pauvreté qui en faisait presque un saint (à sa manière).

logo du défi

Voici un Extrait page 9 (première page du livre)

Non, je lui ai dit non merci, je n’aime pas les musées, trop de beautés concentrées au même endroit, trop de génie, trop de grâce, trop d’esprit, trop de splendeur, trop de richesses, trop de chairs exposées, trop de seins, trop de culs, trop de choses admirables. Résultat : les oeuvres entassées s’écrasent les unes sur les autres comme les bêtes compressées d’un troupeau et la singularité propre à chacune d’elles se voit aussitôt étouffée. Puis j’ai ajouté, tu vois ce qui est mal foutu dans les musées c’est que leur transition vers le dehors s’opère toujours de façon trop brutale, je veux dire sans la moindre préparation. Il faudrait aménager des passages, quelque chose comme des sas de décompression, des paliers de réadaptation au médiocre, de réaccoutumance progressive à la laideur, de sorte qu’au sortir de cette overdose de sublime à te flanquer la nausée, sitôt le seuil franchi, le retour à la vie quotidienne si imparfaite, si grise, si moche parfois, s’opère plus en douceur, tu comprends ?
(…)

Giacometti : L’homme qui marche

Deux sonnets sur l’art, de José Maria de Heredia

Pour continuer à suivre mon défi du Printemps des Artistes, voici deux sonnets de José Maria de Heredia concernant des peintres.
Certes, Emmanuel Lansyer n’est plus aussi célèbre que Michel-Ange, loin de là, mais Heredia leur a consacré à chacun un aussi beau sonnet, et je me propose de vous les faire découvrir.

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Emmanuel Lansyer (1835-1893) est un peintre paysagiste et aquafortiste français. Formé dans les ateliers de Viollet-le-Duc puis de Gustave Courbet, on peut le rapprocher du style réaliste. Ami des poètes José Maria de Heredia et Sully Prudhomme, il fut considéré comme l’un des plus grands paysagistes de son temps, à l’égal de Corot. Il fréquenta également les peintres de Barbizon, en particulier Théodore Rousseau. Il était aussi un grand collectionneur d’art italien.

Michel-Ange (1475-1564) est un sculpteur, peintre, architecte, poète et urbaniste florentin de la Haute Renaissance. Il peint Le Jugement dernier vers la fin de sa carrière, en 1541, bien après avoir décoré le Plafond de la Chapelle Sixtine (à Rome) en 1512, après avoir sculpté les Six Esclaves du Tombeau de Jules II (vers 1516) et plusieurs décennies après avoir sculpté le David en 1504 et la Pietà en 1499. Artiste Phare de la Renaissance, reconnu très tôt comme un génie, il a eu une influence considérable sur plusieurs générations ultérieures d’artistes européens.

Un peintre

A Emmanuel Lansyer.

Il a compris la race antique aux yeux pensifs
Qui foule le sol dur de la terre bretonne,
La lande rase, rose et grise et monotone
Où croulent les manoirs sous le lierre et les ifs.

Des hauts talus plantés de hêtres convulsifs,
Il a vu, par les soirs tempétueux d’automne,
Sombrer le soleil rouge en la mer qui moutonne ;
Sa lèvre s’est salée à l’embrun des récifs.

Il a peint l’Océan splendide, immense et triste,
Où le nuage laisse un reflet d’améthyste,
L’émeraude écumante et le calme saphir ;

Et fixant l’eau, l’air, l’ombre et l’heure insaisissables,
Sur une toile étroite il a fait réfléchir
Le ciel occidental dans le miroir des sables.

**

Marine d’Emmanuel Lansyer (source : Musée)

Michel-Ange

Certe, il était hanté d’un tragique tourment,
Alors qu’à la Sixtine et loin de Rome en fêtes,
Solitaire, il peignait Sibylles et Prophètes
Et, sur le sombre mur, le dernier jugement.

Il écoutait en lui pleurer obstinément,
Titan que son désir enchaîne aux plus hauts faîtes,
La Patrie et l’Amour, la Gloire et leurs défaites ;
Il songeait que tout meurt et que le rêve ment.

Aussi ces lourds Géants, las de leur force exsangue,
Ces Esclaves qu’étreint une infrangible gangue,
Comme il les a tordus d’une étrange façon ;

Et dans les marbres froids où bout son âme altière,
Comme il a fait courir avec un grand frisson
La colère d’un Dieu vaincu par la Matière !

Deux poèmes de Ooka Makoto

makoto_citadelleQuatrième de Couverture : Ooka Makoto (né en 1931) est l’un des poètes les plus féconds et les plus admirés du Japon. Il a choisi, parmi la quinzaine de recueils publiés dans son pays entre 1956 et 1997, les soixante-huit poèmes destinés à cette anthologie, poèmes composant autant de motifs mélodiques qui, par la variété même de leurs nuances, peuvent au premier abord désorienter. (…)

Cette anthologie a pour titre Citadelle de lumière, et j’ai pu la consulter grâce à la bibliothèque de la Maison de la Culture du Japon à Paris.
En voici deux poèmes :

Les pierres et le sculpteur
(ishi to chôkokuka)

Des statues de pierre
à travers le monde crient d’une même voix

Donnez-nous par pitié une vie qui se délabre au fil du temps
Par pitié donnez-nous l’extase de l’anéantissement …

Pas de frissons sur ces seins minéraux
Ce ne sont que pupilles closes méditations d’hiver
Le sculpteur sur la pierre verse l’eau goutte à goutte
invite une tremblante lumière à descendre du firmament
et fouillant le cerveau de la pierre fouillant son nombril
brandit sa lourde masse

Par seul désir
d’entendre s’élever l’oppressante clameur …

Par pitié donnez-nous une vie qui se délabre au fil du temps
Donnez-nous par pitié l’extase de l’anéantissement

Fleurs II
(Hana II)

Les fleurs en outre sont matière
et matière forment par là même
de l’univers les étincelants reliefs

Je possède un esprit, j’en suis sûr
Une chose pourtant que mon esprit ne possède pas :
la pure forme qu’on voit aux fleurs ou aux feuillages

Lumière eau terre air
Pour déployer la forme d’une fleur
l’univers n’eut besoin de rien de plus

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